Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20240510


Dossier : IMM-2264-23

Référence : 2024 CF 524

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2024

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

MOHAMAD SAER EL RIFAI

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Monsieur El Rifai a présenté une demande de permis d’études. En examinant sa demande, un agent des visas a constaté qu’une lettre bancaire censée faire preuve de ses ressources financières était vraisemblablement frauduleuse. L’agent a avisé M. El Rifai de ses préoccupations et lui a donné une occasion de s’expliquer. En réponse, M. El Rifai a affirmé que la lettre était véridique et il a fourni une seconde lettre émise par la même banque. L’agent a alors conclu que M. El Rifai était interdit de territoire pour fausse déclaration, selon l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2] Monsieur El Rifai sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l’agent. Je rejette sa demande. La question déterminante est celle de l’équité procédurale. Il est bien établi que les demandes de permis d’études sont assujetties à une exigence minimale d’équité procédurale. Cependant, lorsqu’un agent envisage de conclure à l’interdiction de territoire pour fausse représentation, il doit alors aviser le demandeur et lui donner l’occasion de répondre : voir, par exemple, Vargas Villanueva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 66 aux paragraphes 18 et 19 [Vargas Villanueva].

[3] Dans l’avis transmis à M. El Rifai, l’agent énonce que : « Suite à une vérification des documents soumis à l’appuis [sic] de votre capacité financière, les relevés bancaires que vous avez soumis se sont avérés frauduleux. » J’estime que cet avis renseignait suffisamment M. El Rifai. L’agent n’était pas tenu de décrire les méthodes précises qui l’ont mené à conclure que le document était frauduleux. Des avis libellés de manière similaire ont été jugés suffisants dans Kong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1183 au paragraphe 26 [Kong]; Suri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 86 au paragraphe 20; Mhlanga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 957 aux paragraphes 28 à 36; Sharma v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 1190 au paragraphe 5.

[4] De plus, le fait que l’agent s’est fondé sur des vérifications auprès de la banque et a pris en considération le fait que d’autres documents frauduleux présentaient des caractéristiques similaires ne constitue pas une preuve extrinsèque qui devait être divulguée à M. El Rifai : Kong, au paragraphe 28. Il est vrai que certaines décisions de notre Cour affirment qu’un agent des visas qui entend se fonder sur une preuve extrinsèque doit donner au demandeur l’occasion de s’expliquer à ce sujet : Kniazeva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 268 au paragraphe 21; Youssef c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 399 au paragraphe 12; Sharma c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 779 au paragraphe 28. Dans de telles situations, cependant, l’équité procédurale n’exige pas que les documents en possession de l’agent soient intégralement remis au demandeur : Maghraoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 883 au paragraphe 22; Jemmo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1381 au paragraphe 33. L’équité procédurale « exige plutôt que le demandeur ait une compréhension suffisante de l’essentiel des doutes soulevés » : Geng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 773 au paragraphe 74. La portée de cette exigence doit être appréciée en fonction des circonstances de chaque cas.

[5] À ce propos, M. El Rifai suggère, dans son affidavit, qu’il n’a pas compris la nature des préoccupations exprimées par l’agent. Or, cette suggestion est démentie par la réponse qu’il a fournie à l’agent, selon laquelle le document en question est véridique. Cela démontre que M. El Rifai comprenait fort bien ce que signifiait la préoccupation relative au caractère frauduleux du document. Dans les circonstances de l’espèce, il n’était pas difficile de comprendre ce que signifiait l’épithète « frauduleux ».

[6] L’agent a donc respecté les exigences découlant de l’équité procédurale dans les circonstances.

[7] Cette conclusion suffit à disposer de la demande. En effet, dès lors que M. El Rifai est interdit de territoire pour fausse déclaration, il est impossible de lui accorder un permis d’études : voir le paragraphe 179e) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. Il est donc inutile de plaider que la preuve au dossier aurait été suffisante pour justifier l’octroi d’un tel permis ou que l’agent aurait dû accorder une entrevue à M. El Rifai. À ce sujet, M. El Rifai se fonde sur la décision Kong. Dans cette affaire, cependant, la Cour a statué qu’il n’y avait pas de violation de l’équité procédurale, mais a jugé que la conclusion de fausse déclaration était déraisonnable sur le fond. La Cour n’a pas affirmé qu’il fallait poursuivre l’examen de la demande de permis d’études malgré l’interdiction de territoire.

[8] Or, M. El Rifai ne conteste pas directement le caractère raisonnable de la conclusion de fausse déclaration. Les notes de l’agent contiennent suffisamment de renseignements afin d’étayer cette conclusion, ce qui distingue la présente affaire des décisions Vargas Villanueva et Kong. En particulier, l’agent constate que le logo figurant sur la lettre diffère de celui que l’on trouve habituellement sur les documents émis par la banque. Il ajoute que la banque a confirmé que les personnes qui ont signé la lettre n’existent pas. Même si M. El Rifai a présenté une seconde lettre de la banque, celle-ci ne renvoie pas à la première et n’atteste pas de l’authenticité de celle-ci. Enfin, l’agent note que la lettre bancaire est similaire à d’autres documents frauduleux présentés par d’autres demandeurs. La conclusion de l’agent est donc raisonnable.

[9] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-2264-23

LA COUR STATUE que

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-2264-23

 

INTITULÉ :

MOHAMAD SAER EL RIFAI c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VISIOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 avril 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 mai 2024

 

COMPARUTIONS :

Rym Jawad

 

Pour le demandeur

 

Suzon Létourneau

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RJK avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.