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Date : 20240521


Dossier : IMM-279-23

Référence : 2024 CF 759

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2024

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

ENTRE :

KILEMBI ROBERTO MBAKI, PRISCILA JOANA KILAUDA PETELO et KILEMBI MBAKI

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Monsieur Kilembi Roberto Mbaki [demandeur principal] et Madame Priscila Joana Kialunda Petelo [demanderesse associée] sont citoyens de l’Angola, et leur fils, Kilembi Mbaki est citoyen du Brésil [collectivement les « demandeurs »].

[2] Le 9 juin 2022, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté la demande d’asile des demandeurs en concluant qu’ils sont visés par la section 1E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [Convention], cette disposition se trouve dans la référence à l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR]. L’article 1E est considéré comme étant une clause d’exclusion. Les demandeurs ont porté en appel la décision de la SPR devant la Section d’appel des réfugiés [SAR].

[3] Le 15 décembre 2022, la SAR a rendu sa décision qui confirmait celle de la SPR en concluant que les demandeurs n’ont pas de qualité de réfugié au sens de la Convention ni de la LIPR. Les demandeurs ont déposé une demande en contrôle judiciaire de la décision rendue par la SAR.

II. Question en litige

[4] Les parties s’entendent que la question en litige est celle à savoir si la décision rendue par la SAR, concluant l’exclusion des demandeurs de la Convention, était déraisonnable.

III. État de droit

[5] La disposition pertinente pour l’exclusion de la Convention se trouve à l’article 98 de la LIPR. L’article 98 de la LIPR stipule :

La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

[6] La section 1E de la Convention stipule :

Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

IV. Norme de contrôle

[7] Les parties s’entendent que la Cour doit réviser les motifs de la SAR en appliquant la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17, 25 [Vavilov]).

[8] La Cour doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité et si elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes (Vavilov au para 99).

[9] Il incombe à la partie qui conteste la décision de démontrer le caractère déraisonnable. La décision doit souffrir de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov au para 100).

V. Faits et Analyse

[10] En 2016, les demandeurs ont quitté l’Angola pour le Brésil en raison de leur crainte de persécution provenant de la part de la famille de la demanderesse associée. Les demandeurs ont habité au Brésil jusqu’en 2019.

[11] Les demandeurs allèguent avoir subi une autre crainte de persécution au Brésil en mai 2018, cette fois-ci provenant de la part d’un groupe criminel, le Primeiro Comando da Capital [PCC]. L’immeuble abandonné dans un territoire de la PCC, dans lequel ils résidaient, a pris en feu et une rumeur a circulé que c’était les demandeurs qui aurait causé l’incendie suite à un problème électrique. Suite à cet incendie, les demandeurs auraient commencé à recevoir des menaces. En mars 2019, les demandeurs ont quitté le Brésil en direction des États-Unis. En août 2019, les demandeurs sont entrés au Canada de façon irrégulière et ont présenté une demande d’asile. Cette demande a été étudiée par la SPR le 28 août 2019.

[12] Les demandeurs avaient obtenu leur statut de résident permanent [RP] au Brésil en 2016 et ils sont entrés au Canada en possession d’une carte de RP valide jusqu’au 18 octobre 2025.

[13] La SPR et la SAR ont déterminé que le statut de RP au Brésil a accordé aux demandeurs des droits et obligations prévus à l’article 1E qui les excluent de l’application de la Convention.

[14] La jurisprudence applicable pour interpréter l’article 98 de la LIPR est décrite dans l’arrêt Zeng c Canada (MCI), 2010 CAF 118 [Zeng] au paragraphe 28. La SAR et la SPR ont aussi fait référence à l’arrêt Zeng :

Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a-t-il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays?

Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait.

Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

[15] La position des demandeurs est que la SAR était arrivée à une conclusion déraisonnable lorsqu’elle a déterminé que les demandeurs étaient exclus de la Convention. Selon les demandeurs, la preuve au dossier confirme la perte de leur statut RP après leur absence de plus de 2 ans du Brésil. Ainsi, il était déraisonnable pour la SAR de conclure que les demandeurs devraient être exclus de la Convention sur la base de leur statut au Brésil.

[16] Le défendeur soutient que la SAR n’était pas arrivée à une conclusion déraisonnable vu que la conclusion s’était basée sur la preuve au dossier. Premièrement, la SAR a conclu que les demandeurs n’ont pas contesté qu’ils avaient obtenu le statut de RP au Brésil. De plus, le document qui se trouvait dans le Cartable National de Documentation [CND], et auquel les demandeurs font référence, décrit la procédure administrative au Brésil permettant aux demandeurs de récupérer leur RP. Selon le défendeur, le fait que le fils mineur est un citoyen brésilien ouvrait aussi la possibilité aux demandeurs d’accéder au statut de citoyenneté du Brésil et que leur départ du Brésil était volontaire.

[17] Dans l’arrêt Zeng, la Cour d’appel fédérale requiert que la SAR fasse une analyse qui consiste à considérer « tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience » afin de déterminer si les demandeurs ont un « statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays » (Zeng au para 28).

[18] Plus précisément, la SAR devait se pencher sur la question qui était celle à savoir si les demandeurs avaient précédemment obtenu un statut leur conférant les mêmes droits auxquels les ressortissants du Brésil jouissent. Dans le cas où les demandeurs avaient perdu ce statut, la SAR devait déterminer s’il y avait des mesures disponibles pour récupérer ce statut, et si les demandeurs ont pris ces mesures. Le défendeur soutient que l’esprit de la section 1E de la Convention ne permet pas aux demandeurs de choisir le Canada comme le meilleur pays d’asile lorsqu’un tiers pays comme le Brésil, leur ont offert un statut qui confère les droits essentiellement semblables aux ressortissants de ce pays.

[19] En me référant à la décision de la SAR, les motifs mentionnent que « la SPR a conclu qu’il y a une preuve prima facie que l’appelant avait le statut de résident permanent au Brésil qui lui conférait des droits essentiellement semblables à ceux dont jouissent les ressortissants brésiliens ». En faisant sa propre analyse, la SAR s’était référée à la constitution du Brésil pour déterminer si les droits auxquels les demandeurs pouvaient accéder étaient semblables à ceux conférés aux citoyens. La SAR a déterminé que les droits auxquels les demandeurs avaient accès étaient essentiellement semblables à ceux des citoyens brésiliens.

[20] Malgré que les demandeurs avaient perdu le statut qui leur conférait les mêmes droits que les ressortissants du Brésil, la SAR a conclu que les demandeurs pouvaient récupérer leur RP par la procédure administrative au Brésil et par le statut de citoyenneté de leur fils. En analysant les faits particuliers, la SAR s’était référée à la preuve du dossier.

[21] Je conclus, en considérant la preuve devant la SAR, qu’il n’était pas déraisonnable pour la SAR de conclure que les demandeurs avaient précédemment leurs RPs (conférant essentiellement les mêmes droits que les citoyens du Brésil), et que les demandeurs n’ont pas pris les mesures qui leur ont été données pour récupérer leur statut après avoir quitté le Brésil pour plus de 2 ans.

[22] Je trouve qu’il n’était pas déraisonnable pour la SAR de conclure que les demandeurs avaient volontairement choisi de ne pas récupérer leurs RPs en ayant pris les mesures qui leur ont été données. Les demandeurs n’ont pas expliqué comment le processus administratif qui existe au Brésil n’était pas un processus qui leur permettait de récupérer leurs RPs. Comme le défendeur le prétend, il en était aux demandeurs de démontrer qu’ils ne pouvaient pas obtenir le statut qui leur conférait essentiellement les mêmes droits conférés à un ressortissant du pays.

[23] En conséquence, la SAR n’était pas déraisonnable d’avoir conclu que les demandeurs étaient exclus en vertu de la section 1E de la Convention.

[24] Même si l’analyse aurait pu s’arrêter à ce stade, la SAR a malgré tout continué son examen en soupesant différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité pour les demandeurs de retourner dans le tiers pays, le risque auquel les demandeurs seraient exposés dans leur pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

VI. SAR conclut que les autres facteurs militent en faveur d’une exclusion de la Convention

[25] Les demandeurs soutiennent que la SAR s’était contredite en ayant déterminé que les demandeurs étaient crédibles sur certains faits par rapport aux menaces et au crime organisé au Brésil, puisque la SAR a conclu que les demandeurs devraient être exclus de la Convention. Je ne suis pas d’accord que la SAR s’était contredite.

[26] En considérant les différents facteurs à la lumière des autres faits pertinents, la SAR a conclu que la preuve était insuffisante pour soutenir les allégations des demandeurs (Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 99 au para 15). Ainsi, le défendeur allègue que les demandeurs n’ont pas pu démontrer qu’ils satisfassent au fardeau qui leur incombait pour démontrer que la preuve milite en faveur d’une conclusion contraire à celle tirée par la SAR (Solis Ramirez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 71 au para 10).

[27] Premièrement, la SAR a conclu qu'en dépit de son témoignage que l’incendie est apparu dans les médias, la preuve était insuffisante pour appuyer les allégations soumises par les demandeurs concernant la PCC.

[28] Deuxièmement, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas de preuve au dossier pour appuyer le fait que la PCC est toujours intéressée à trouver les demandeurs. En particulier, le témoignage avait confirmé que les demandeurs ont perdu contact avec les parents du demandeur principal. Selon la prépondérance des probabilités, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas de risque de persécution suite à son étude de la preuve au dossier.

[29] Troisièmement, la SAR a déterminé que les demandeurs ont abandonné volontairement leurs RPs du Brésil, et qu’ils ne sont pas prévalu des démarches pour conserver leurs statuts.

[30] Finalement, les demandeurs allèguent que la SAR n’a pas considéré le fait que la SPR avait omis de faire une analyse sous l’optique de crainte de persécution à Angola, dont le pays de nationalité du demandeur principal et de la demanderesse associée. Je ne suis pas d’accord. La SAR a déterminé qu’une analyse sur la crainte d’un pays de nationalité n’était pas nécessaire une fois que les faits démontrent que les demandeurs avaient un statut qui leur confère essentiellement les mêmes droits à ceux des ressortissants du pays.

[31] Sur la base du dossier devant la SAR, je ne peux conclure que ses conclusions étaient déraisonnables. La SAR a considéré les facteurs tels que requis par la LIPR et la jurisprudence. Il n’était pas déraisonnable pour la SAR de conclure que les demandeurs étaient exclus de la Convention.

VII. Conclusion

[32] Les demandeurs n’ont pas pu démontrer que la décision était déraisonnable (Vavilov au para 100). Je conclus que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée dans les circonstances. Pour les motifs ci-dessus, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[33] Les parties confirment qu’il n’y a pas de questions à certifier, et je suis également d’accord que les faits ne soulèvent aucune question à cet effet.


JUGEMENT dans le dossier IMM-279-23

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-279-23

INTITULÉ :

KILEMBI ROBERTO MBAKI, ET AL. C LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 FÉVRIER 2024

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS :

LE 21 MAI 2024

COMPARUTIONS :

Me Morales Felipe

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Daniele Plamondon

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Semperlex Avocats

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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