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Date : 20240523


Dossier : IMM-1003-23

Référence : 2024 CF 785

Ottawa (Ontario), le 23 mai 2024

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

MONSERRAT GUADALUPE CONDE ALVARADO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] confirmant la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] a conclu que Mme Conde Alvarado [demanderesse] est ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger. La SAR a estimé que les questions déterminantes étaient la crédibilité et l’appartenance au groupe social au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 et des Directives numéro 4 du Président : Considérations liées au genre dans les procédures devant la CISR (ci-après le groupe social des femmes).

[2] La seule question dont la Cour est saisie est celle du caractère raisonnable de la décision de la SAR. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

I. Faits

[3] La demanderesse est une citoyenne du Mexique née en avril 1993.

[4] En février 2011, elle a donné naissance à une fille. Le père de la fillette était violent à l’égard de la demanderesse au cours de leur relation. Après leur rupture, la demanderesse a obtenu la garde de sa fille ainsi qu’une pension alimentaire. Mais les contacts avec le père de la fillette ont complètement cessé à compter de 2012.

[5] Le 1er février 2013, la demanderesse a eu un fils avec son nouveau partenaire, qui était aussi violent envers elle, y compris de la violence à caractère sexuel. En 2014, après leur rupture, le père du fils de la demanderesse l’aurait approchée de manière intimidante dans le but de pouvoir revoir son enfant, ce que la demanderesse lui a refusé. Après la naissance du second enfant, la demanderesse et le père du second enfant se sont séparés. La demanderesse et ses deux enfants sont retournés vivre avec les parents de celle-ci. Il semble que les tentatives du père du fils en vue de le revoir aient débuté en 2014.

[6] La demanderesse affirme qu’elle a une crainte sérieuse de persécution aux mains du père de son fils en raison du fait qu’elle refuse de lui permettre de voir l’enfant. Selon son témoignage devant la SPR, elle aurait régulièrement reçu des appels menaçants du père de son fils entre juillet 2015 et juillet 2019. La SPR ne l’a pas crue, ni d’ailleurs la SAR.

[7] En raison des menaces qu’elle aurait reçues, la demanderesse témoignait avoir été obligée de déménager de Ecatepec à Nezahualcóyotl en juin 2016, et de Nezahualcóyotl à la ville de Mexico en juin 2019. De plus, même si elle changeait son numéro de téléphone, il semblerait que l’agent de persécution retrouvait les nouveaux numéros, car les appels menaçants ne cessaient pas. La demanderesse allègue également qu’en janvier 2020, après son arrivée au Canada, elle aurait reçu des messages menaçants émanant du compte Facebook de la mère du père de son fils. Elle allègue que ces messages ont véritablement été écrits par le père de son fils. La SAR n’a pas jugé ces allégations crédibles non plus.

[8] Le 17 août 2019, la demanderesse serait venue seule au Canada, laissant ses deux enfants avec ses parents au Mexique; elle a subséquemment demandé l’asile au Canada.

[9] La version initiale de l’Annexe A de son formulaire de Fondement de demande d’asile (FDA), signée le 29 novembre 2019, indiquait que la demanderesse aurait vécu dans la ville de Mexico entre janvier 2015 et août 2019. Elle indiquait aussi avoir vécu à Ecatepec durant les années 2012 à 2014. Aucune mention n’était faite de Nezahualcóyotl. Le 27 juin 2022, quelques jours avant son audition devant la SPR, la demanderesse a apporté plusieurs changements à l’Annexe A. La version amendée présentait des changements importants aux résidences occupées par la demanderesse avant son départ pour le Canada. Ainsi, on y indiquait que la demanderesse aurait vécu à Nezahualcóyotl entre juillet 2015 et juillet 2019 (alors que le témoignage de la demanderesse la faisait arriver à Nezahualcóyotl en juin 2016) et dans la ville de Mexico en juillet et août 2019. En plus, on note que le séjour à Ecatepec n’est plus de janvier 2012 à décembre 2014, dans la version originale de l’Annexe A, mais devient de juin 2011 à juin 2015 dans la version amendée. Ni les lieux de résidence, ni les périodes de séjour ne correspondaient plus d’une version à l’autre.

[10] La SPR a rejeté la demande d’asile, concluant que la demanderesse n’a pas démontré une possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée au Mexique, en raison des vices à la crédibilité de la demanderesse. La SPR a estimé qu’entre 2011 et 2013, la demanderesse aurait eu deux enfants, une fille et un fils, avec deux partenaires différents aux mains desquels elle aurait vécu de la violence familiale. De plus, la SPR a accepté l’allégation selon laquelle, en 2014, le père de son fils a approché la demanderesse dans le but de pouvoir revoir son enfant. C’est plutôt le reste du récit qui n’avait pas la crédibilité voulue pour soutenir une demande d’asile.

[11] La SPR n’a pas jugé la demanderesse crédible quant aux allégations qu’elle aurait régulièrement reçu des appels menaçants du père de son fils par la suite et, par conséquent, a dû déménager à plusieurs reprises. La SPR a également conclu que la demanderesse pourrait bénéficier de la protection de l’État, comme elle l’avait déjà obtenue lors de la rupture avec le père de sa fille (Décision de la SPR, au para 24). En outre, la SPR a conclu que, prenant en compte son éducation, son expérience sur le marché du travail et le soutien de sa famille, la demanderesse n’a pas démontré qu’elle appartenait au groupe social de femmes vulnérables qui font face à une possibilité sérieuse de persécution en raison de leur genre. La demanderesse s’est pourvue en appel devant la SAR. C’est de cette seule décision dont contrôle judiciaire peut être demandé.

II. Décision assujettie à la demande de contrôle judiciaire : Décision de la SAR

[12] La SAR a rejeté l’appel de la demanderesse en décembre 2022.

[13] Les questions déterminantes pour la SAR étaient aussi la crédibilité de la demanderesse et son appartenance au groupe social des femmes. La SAR n’a pas traité de la question de la protection de l’État. La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse « [n’était] pas crédible quant à l’intérêt du père de son fils ou de sa famille de la retrouver ou de retrouver son fils » (Décision de la SAR, au para 5). La conclusion de la SAR quant à la crédibilité de la demanderesse est fondée sur plusieurs incohérences et contradictions :

  • La SAR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse du fait qu’elle ait amendé l’Annexe A de son FDA. La version originale établissait son domicile dans la ville de Ecatepec de janvier 2012 à décembre 2014. Par la suite, le domicile était établi à Venustiano dans le district fédéral de Mexico City. La version amendée précisait des adresses différentes à Ecatepec à compter de juin 2011 jusqu’à juin 2015 (et non décembre 2014, comme dans la version originale). Mais en plus, la durée du domicile à Venustiano (CMDX) était sensiblement écourtée. En effet, elle y serait demeurée en juillet et août 2019 seulement. Entre juillet 2015 et juillet 2019, la demanderesse disait maintenant à l’Annexe A avoir son adresse domiciliaire à Nezahualcóyotl. La SAR n’a pas accepté l’explication de la demanderesse selon laquelle elle n’avait aucune connaissance du français lorsqu’elle a rempli la version initiale de l’Annexe A, et qu’elle croyait qu’il fallait simplement écrire une adresse où elle avait habité au Mexique. La SAR a observé que, même si elle acceptait que la demanderesse n’eût aucune connaissance du français à son arrivée au Canada, la demanderesse avait quand même donné des dates précises pour correspondre aux adresses incluses dans la version initiale de l’Annexe A, et que cette version ne faisait aucune mention de Nezahualcóyotl. La SAR a estimé que cette incohérence porte atteinte à la crédibilité de la demanderesse, car le déménagement à Nezahualcóyotl, qui aurait été incité par le harcèlement incessant de la part du père de son fils, consiste en un élément central de son témoignage.

  • Il y eut aussi des difficultés relevées par la SAR quant aux adresses. En effet, devant la SPR la demanderesse a témoigné avoir vécu à Nezahualcóyotl à partir de juin 2016, et non juillet 2015. Ce qui rend le témoignage encore plus ténébreux est le fait que les cartes d’électeurs du père (2017) et de la mère (2013) ne donnent pas les villes de Ecatepec et Nezahualcóyotl comme étant les villes de résidence de ni l’un ni l’autre des parents. C’était plutôt Mexico. Or, on apprend au paragraphe 22 de la décision de la SAR que la demanderesse et ses enfants avaient habité avec les parents de celle-ci à Ecatepec de février 2013 (après la naissance du fils) jusqu’en juin 2015 pour ensuite habiter à Nezahualcóyotl de juillet 2015 à juillet 2019, avant de se rendre à Mexico. La SPR et la SAR partagent l’avis que la balance des probabilités favorise la conclusion que les parents de la demanderesse ne vivaient pas à Ecatepec en 2013 ou à Nezahualcóyotl en 2017. De fait, l’adresse sur les deux cartes correspond à l’adresse à Mexico où la demanderesse dit avoir demeuré durant les deux mois qui ont précédé son départ vers le Canada en 2019. De fait, la demanderesse a témoigné devant la SPR que ses parents n’avaient pas élu domicile à Mexico avant juin 2019. Or, pour obtenir la carte d’électeur, une personne doit fournir une preuve relative à l’adresse indiqué, telle un bail ou une facture de services publics. Même en tenant compte des Directives numéro 4 du Président : Considérations liées au genre dans les procédures devant la CISR, la SAR n’a pu relever d’explication valable pour ces incongruités.

  • La SAR a conclu que les témoignages écrits du père et de la mère de la demanderesse n’appuyaient pas l’allégation centrale de la demande d’asile selon laquelle le père du fils de la demanderesse l’aurait appelée régulièrement pour la menacer entre 2016 et 2019. La SAR a constaté que le témoignage du père de la demanderesse ne précise aucun incident, aucune date et aucune adresse antérieure. La SAR a également observé que, dans sa présentation des allégations, la mère de la demanderesse n’a fait aucune mention des appels menaçants que la demanderesse allègue avoir reçus du père de son fils.

  • La SAR n’a accordé aucune valeur probante aux messages Facebook qui auraient été écrits par le père du fils de la demanderesse, et envoyés à partir du compte de sa mère le 15 janvier 2020. La SAR a noté qu’il n’y a aucune mention de ces messages dans le FDA de la demanderesse, malgré les modifications importantes qui ont été apportées au formulaire le 27 juin 2022. La SAR a examiné les captures d’écran et a estimé que l’identité de la personne qui les a envoyés n’était pas évidente. De plus, le contenu des messages était très critique du père du fils de la demanderesse. Ainsi, la SAR a conclu qu’il était peu probable qu’elles émanaient du compte de la mère de celui-ci. La SAR a donc conclu que la demanderesse tentait d’embellir son témoignage avec ces messages et que cela minait sa crédibilité.

[14] La SAR a également confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’a pas démontré que son appartenance au groupe social des femmes l’exposerait à un risque sérieux de persécution. La SAR a reconnu que la situation pour les femmes au Mexique est difficile. En particulier, la SAR a reconnu qu’il est difficile pour les femmes qui quittent un conjoint violent de trouver un emploi. Cependant, selon la SAR, la demanderesse n’a pas démontré que ses circonstances personnelles mèneraient à un risque sérieux de persécution. La SAR a souligné que la demanderesse ne serait pas seule avec ses enfants, car elle pourrait retourner vivre chez ses parents. De plus, elle a souligné que la demanderesse détient un diplôme d’études secondaires et a acquis des expériences de travail variées entre 2014 et 2019. La SAR a conclu que, malgré les difficultés auxquelles la demanderesse pourrait faire face, son expérience sur le marché de travail lui servira à trouver un emploi. Prenant en compte le soutien de sa famille et son expérience professionnelle, la SAR a conclu que la demanderesse n’a pas établi qu’elle fait partie du groupe des femmes vulnérables au Mexique. Ainsi, la SAR a rejeté sa demande d’asile.

III. Arguments et analyse

[15] La norme de contrôle applicable est la norme de la décision raisonnable. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer qu’une décision est déraisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov], au para 101). Une décision raisonnable en est une qui est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti [je souligne] » (Vavilov, au para 85). La cour de révision ne procède pas à une analyse de novo d’une affaire et ne substitue pas ses conclusions à celles du décideur administratif (Vavilov, au para 83). Plutôt, la cour de révision « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision » afin d’essayer de comprendre « le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion » (Vavilov, au para 84). Elle doit avoir une attitude de respect à l’égard de la décision administrative (Vavilov, au para 14) et faire preuve de retenue judiciaire (Vavilov, au para 13), tout en menant une évaluation sensible et respectueuse, mais qui reste rigoureuse (Vavilov, au para 12).

[16] La demanderesse soutient que la décision de la SAR est déraisonnable. Elle affirme que la SAR a trop mis l’accent sur les incohérences entre son témoignage et l’Annexe A du FDA. Selon la demanderesse, la jurisprudence est claire qu’un décideur doit faire preuve de prudence « avant de formuler des reproches à un demandeur en s’appuyant sur un manque de cohérence, des omissions et des détails entre un document signé en arrivant au Canada et des observations formulées ultérieurement, telles que des témoignages de vive voix » (Mémoire du demandeur, au para 16, citant Cetinkaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 8, au para 51; Guven c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 38, au para 39; Chikadze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 306, au para 21). Mais il s’agit là de notes prises au point d’entrée au Canada. Ce n’est pas le cas de figure en l’espèce.

[17] La demanderesse ne cite que la jurisprudence portant sur des contradictions entre des notes remplies au point d’entrée et des documents ou témoignages ultérieurs. La prudence dans le cas des notes prises au point d’entrée est justifiée par le fait qu’elles « ne [font] pas partie de la demande d’asile proprement dite, de sorte qu’on ne devrait pas s’attendre à ce qu’elle[s] contienne[nt] tous les détails de celle-ci » (Cetinkaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 8, au para 51, citée dans Guven v Canada (Citizenship and Immigration), 2018 FC 38, au para 41; Chikadze, au para 21). Les propos qui sont rapportés viennent le plus souvent de l’agent au point d’entrée qui aura interprété ce qu’il aura entendu. En revanche, le FDA, qui inclut l’Annexe A, constitue la base même de la demande d’asile. De fait, souvent le FDA est préparé et signé un certain temps après l’arrivée au Canada, bien après les émotions du voyage. Ici, la version initiale de l’Annexe A fut signée par la demanderesse le 29 novembre 2019, soit trois mois après l’arrivée de la demanderesse au Canada, et en dehors de tout cadre temporel qui permettrait une analogie à la jurisprudence portant sur les notes prises par un agent au point d’entrée.

[18] La présomption de véracité du témoignage sous serment d’un demandeur d’asile qui a cours en droit de l’immigration s’applique « à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter » (Maldonado c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, 1979 CanLII 4098 (CAF), [1980] 2 CF 302, à la p 305). La présomption est au mieux courte. Elle empêche l’arbitraire de qui choisirait de ne pas croire sans raison. Tel qu’énoncé par le défendeur, « il est bien établi que la SAR peut considérer les contradictions et les incohérences entre le témoignage de la demanderesse et la preuve documentaire pour déterminer sa crédibilité » (Mémoire du défendeur, au para 26, citant Udemba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1215, au para 20; Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 666, au para 11; Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 558, au para 20. Voir aussi Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 79, au para 39; Almustafa v Canada (Citizenship and Immigration), 2024 FC 114 au para 27). Ainsi, il n’est pas déraisonnable en soi que la SAR prenne en compte les contradictions dans le dossier de la demanderesse dans l’appréciation de sa crédibilité. C’est de fait la tâche à laquelle un tribunal administratif est astreint. Le décideur des faits n’abandonne pas le bon sens en entrant dans la salle d’audience (R c Barton, 2019 CSC 33, au para 158), sans tomber évidemment dans des hypothèses logiques infondées, ou encore se réfugier dans des mythes et stéréotypes (Kruk c R, 2024 CSC 7).

[19] La demanderesse soutient également qu’il est déraisonnable de traiter une demande d’asile comme un test de mémoire et de s’attendre à ce qu’une demanderesse d’asile se souvienne de tous les détails de son expérience au Mexique (Mémoire de la demanderesse, aux para 18-20, citant Akhtar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 989 au paragraphe 61). Ce n’est pas tant qu’il faille transformer le FDA en un test pointu de mémoire, mais plutôt que de voir si le raisonnement du décideur se tient eu égard aux incohérences et contradictions relevées. C’est certes le cas ici. Il n’y avait tout simplement aucun test de mémoire, mais bien davantage des incohérences à répétition. Cet argument doit également échouer.

[20] Il est bien établi dans la jurisprudence qu’un décideur « ne peut fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur des contradictions mineures qui sont secondaires ou accessoires à la demande d’asile » (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924, au para 23). Je ne puis voir en l’espèce en quoi la décision porterait sur des contradictions mineures qui ne justifieraient pas la décision prise. Il est clair en examinant comme il se doit les motifs de la SAR que « l’adresse concerne ici un élément central de la demande d’asile puisque l’appelante allègue avoir été menacée par José de 2016 à 2019 pendant qu’elle vivait à Nezahualcóyotl, » alors que cette ville ne figurait pas dans la version initiale de l’Annexe A et que les cartes d’électeurs de ses parents, datées de 2013 et 2017, indiquaient la même adresse à Mexico où la demanderesse aurait vécu de juin à août 2019 (Décision de la SAR, au para 26). Ces difficultés relevées par les décideurs administratifs sont réelles et elles n’ont pas été expliquées malgré les occasions qui ont été offertes. Comme dans toute contestation judiciaire ou quasi-judiciaire, le décideur fonctionne à partir de la preuve qui lui est offerte et qu’il est dans l’obligation de jauger, utilisant en cela le sens commun et l’expérience humaine. Dans la mesure où la décision reste raisonnable, au sens de Vavilov, tel que confirmé récemment encore dans Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21, la cour de révision ne saurait intervenir. Ainsi, la SAR n’a pas traité la demande d’asile comme un test de mémoire, mais a plutôt raisonnablement tiré une inférence négative des contradictions dans la preuve portant sur un élément central de la demande d’asile (voir Kamara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 13, au para 46; Onukuba v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 877, au para 20; Linares Garavito c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 836, au para 23).

[21] J’ai relaté au paragraphe 12 des présents motifs d’autres difficultés rencontrées par le décideur administratif qui portent un ombrage certain sur la version de la demanderesse. La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable pour la SAR de n’attribuer aucune valeur probante aux témoignages écrits de ses parents « par le seul fait que telles pièces ne contiennent pas le niveau de détail » voulu par le tribunal (Mémoire de la demanderesse, au para 28). Cependant, comme soulevé par le défendeur, l’évaluation de la valeur probante d’un élément de preuve « concerne la capacité qu’a la preuve d’établir le fait que l’on cherche à prouver » (R c T(M), 2012 ONCA 511, au para 43, citée dans Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14 [Magonza], au para 21). En d’autres mots, il faut se poser la question « à quel degré l’information présentée est utile pour répondre à la question que je dois trancher » (Magonza, au para 21). En l’espèce, l’allégation centrale à la demande d’asile est que la demanderesse a régulièrement reçu des appels menaçants du père de son fils pendant une période de plusieurs années. Durant cette période, elle demeurait avec ses deux enfants, chez ses parents. Les témoignages de ses parents ne contiennent aucune mention de cette allégation. Il était donc raisonnable pour la SAR de ne pas attribuer de valeur probante à ces documents, puisqu’ils n’ont fourni aucun soutien à la détermination de la question centrale de la demande. Il est même quelque peu étonnant que les parents, qui ont maintenant la garde des enfants, n’aient pas corroboré la version dans leur témoignage écrit.

[22] En outre, la demanderesse affirme qu’il était déraisonnable pour la SAR de n’attribuer aucune valeur probante aux messages Facebook qui auraient été envoyés par la mère du père de son fils (ou à tout le moins en utilisant son compte) pour le simple fait que cette information n’était pas incluse dans son FDA amendé. À la lecture des motifs de la SAR, son évaluation de ces messages a pris en compte plusieurs éléments, incluant l’incapacité de vérifier l’identité de la personne qui les a envoyés et le fait que leur contenu était très critique du père de son fils, malgré le fait qu’ils étaient censés provenir du compte Facebook de sa mère. En prenant compte des lacunes avec cet élément de preuve, la SAR a raisonnablement tiré une inférence négative quant à la crédibilité du récit de la demanderesse. Il n’y a pas matière à intervention judiciaire.

[23] En ce qui concerne la question de l’appartenance au groupe social des femmes, la demanderesse affirme que la SAR a erré dans son analyse en concentrant sur les caractéristiques « qui font état de la résilience de la demanderesse », sans considérer les caractéristiques qui contribuent à sa vulnérabilité en tant que jeune femme monoparentale et victime de violence familiale (Mémoire de la demanderesse, au para 35). La demanderesse attire l’attention sur l’onglet 5.6 du Cartable national de documentation [CND] relatif au Mexique, qui porte sur la réalité de la violence faite aux femmes au Mexique.

[24] Cet argument n’est pas convaincant. D’abord, la demanderesse n’a pas fait mention de l’Onglet 5.6 du CND dans ses soumissions devant la SAR (voir Mémoire de la demanderesse au para 38). Cela suffirait pour disposer de la demande de contrôle judiciaire à cet égard, puisque la SAR n’a pu se pencher sur la question. De plus, même si ce document en particulier est pris en compte, cela n’a aucun impact sur le caractère raisonnable de la conclusion de la SAR. La violence faite aux femmes au Mexique n’est pas contestée. C’est plutôt que, afin de démontrer l’appartenance à un groupe vulnérable, une demanderesse a le fardeau de démontrer le lien entre la situation dans le pays d’origine et ses propres circonstances. En d’autres termes, « [c]e n’est pas parce que la preuve documentaire démontre que la situation dans un pays est problématique du point de vue du respect de certains droits de la personne que l’on doit nécessairement en déduire un risque pour un individu donné » (Garces Canga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 749, au para 52). Le fardeau sur une demanderesse d’asile est de faire cette démonstration, et non de trouver un passage dans un document donné et de s’en réclamer ex post facto. Dit autrement, pour être convaincant, il faut une démonstration qui personnalise le risque. La seule existence du risque ne suffit pas. En l’espèce, la SAR a fait une analyse des circonstances personnelles de la demanderesse. La SAR a reconnu la vulnérabilité des femmes qui quittent des relations conjugales violentes. Cependant, en considérant les circonstances personnelles de la demanderesse, la SAR a raisonnablement conclu que le soutien de sa famille, son éducation et son expérience sur le marché de travail font en sorte que la demanderesse n’a pas « le profil d’une femme seule et vulnérable » (Décision de la SAR, au para 62). L’addition de l’onglet 5.6 du CND n’est d’aucune utilité. La demanderesse ne s'est donc pas acquittée de son fardeau.

IV. Conclusion

[25] Le fardeau de qui prétend qu’une décision n’est pas raisonnable repose sur les épaules de la demanderesse qui doit démontrer des lacunes graves (Vavilov, au para 100) qui ont pour effet d’en miner le caractère raisonnable, dont les caractéristiques sont la justification, la transparence et l’intelligibilité. Vu la preuve présentée, la Cour de révision doit déterminer si la demanderesse a démontré que la décision n’est pas justifiée face aux contraintes factuelles et juridiques pertinentes. Pour les motifs énoncés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La SAR a raisonnablement conclu que la demanderesse n’est ni réfugiée au sens de la Convention, ni personne à protéger.

[26] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-1003-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1003-23

 

INTITULÉ :

MONSERRAT GUADALUPE CONDE ALVARADO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 février 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Roy

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 mai 2024

 

COMPARUTIONS :

Me Francisco Alejandro Saenz Garay

 

Pour lA demanderesse

Me Nadine Saadé

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Francisco Alejandro Saenz Garay Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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