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Date: 20240527

Dossier: IMM-3999-23

Référence: 2024 CF 802

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2024

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

HOUSSEYN BOUSSAIDI

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur est citoyen de l’Algérie. Il demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR], datée du 16 mars 2023, rejetant son appel et confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], datée du 13 octobre 2022, rejetant sa demande d’asile. La SAR a conclu que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] La SPR questionne la crédibilité de certains aspects du dossier du demandeur et conclu qu’il n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État algérien. La SAR rejette l’appel du demandeur et confirme la décision de la SPR quant au fait que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État algérien.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de la SAR est claire, justifiée, et intelligible au regard de la preuve soumise (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 8 [Mason]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]). Le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable.

II. Contexte factuel

[4] Le demandeur, Housseyn Boussaidi [demandeur], est citoyen de l’Algérie. Il cherche asile au Canada en revendiquant craindre son frère, Mohammed Elhadi Boussaidi, s’il devait retourner en Algérie.

[5] Le demandeur allègue craindre son frère qui a été arrêté et condamné par les autorités algériennes à plusieurs reprises depuis l’âge de 16 ans. Le frère de demandeur lui reproche d’avoir refusé de l’aider à payer les frais pour sa défense par un avocat et d’avoir refusé de payer une amende, menant à sa détention en 2018. Par la suite, le demandeur aurait appris de ses parents que lors d’une visite du frère en prison, celui-ci aurait mentionné aux parents qu’il voulait tuer le demandeur. Le demandeur serait de plus en possession d’un texto, déposé en preuve devant la SAR, confirmant le désir de vengeance du frère.

[6] Alléguant craindre pour sa vie, le demandeur fait demande pour un visa étudiant au Canada afin de pouvoir quitter l’Algérie. Le 9 août 2019, le demandeur arrive au Canada avec un visa étudiant.

[7] Le frère du demandeur aurait été libéré de prison le 11 novembre 2020.

[8] Le 16 août 2021, le demandeur dépose une demande d’asile.

[9] Dans sa décision du 13 octobre 2022, la SPR a premièrement questionné la crédibilité du demandeur au sujet de sa crainte subjective, puisqu’il a attendu deux ans après son arrivée au Canada pour déposer une demande d’asile.

[10] La SPR a de plus conclu que le demandeur n’a pas présenté de preuve claire et convaincante afin de renverser la présomption de protection de l’État algérien. Elle statue que la preuve objective sur les conditions du pays démontre que l’Algérie est un pays démocratique avec un gouvernement et des services de police fonctionnels – desquels le demandeur aurait pu essayer de faire appel, d’autant plus que son frère a déjà été emprisonné, ce qui démontre la capacité de l’État de protéger ses citoyens.

III. Décision contestée

[11] Dans sa décision du 16 mars 2023, la SAR confirme la conclusion de la SPR que la présomption de la protection de l’État n’a pas été réfutée. La SAR statue que la protection de l’État algérien est opérationnelle et efficace et que le demandeur pouvait raisonnablement se prévaloir de la protection de cet État dans les circonstances, ce qu’il n’a pas tenté de faire.

IV. Norme de contrôle et questions en litige

[12] La seule question en litige devant la Cour est à savoir si la décision de la SAR à l’effet que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État de l’Algérie est raisonnable.

[13] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 10, 25; Mason, aux para 7, 39–44). Une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85; Mason, au para 8); et qui est justifiée, transparente et intelligible (Vavilov, au para 99; Mason, au para 59). Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas qu’une « simple formalité »; c’est une forme de contrôle rigoureuse (Vavilov, au para 13; Mason, au para 63). Une décision peut être déraisonnable si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte (Vavilov, aux para 125–126; Mason, au para 73). Finalement, il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

V. Analyse

A. Le droit applicable

[14] La jurisprudence établie clairement qu’un demandeur doit démontrer l’incapacité de son État à le protéger afin de satisfaire à la définition de réfugié au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. En effet, « en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, […] il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger le demandeur » (Canada c Ward, 1993 CanLII 105 (CSC), [1993] 2 RCS 689 à la p 725 [Ward]). Il existe ainsi une présomption de protection étatique que le demandeur se doit de réfuter en démontrant que l’Algérie est incapable de le protéger, et le faire à l’aide d’une preuve « pertinente, digne de foi et convaincante » (Canada (MCI) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94 au para 30). Démontrer que la protection de l’État algérien est imparfaite ne suffit pas (Canada (Minister of Employment and Immigration) v Villafranca, 1992 CanLII 8569 (CAF), [1992] FCJ No 1189 (QL) au para 7).

[15] Il importe de noter que la protection de l’État est tout autant déterminante pour les demandes en vertu de l’article 96 que celles en vertu de l’article 97 de la LIPR (Faundez Vargas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1616 au para 19 [Faundez Vargas]; Bellingy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1252 au para 53).

[16] Le demandeur a aussi un fardeau de preuve élevé. Afin de se décharger de son fardeau, il doit démontrer avoir épuisé tous les recours ou mesures de protection raisonnablement offerts dans son pays avant de déposer une demande d’asile dans un autre pays. Notamment, le demandeur doit démontrer s’être raisonnablement adressé et avoir mis à l’épreuve les ressources de l’État disponibles pour assurer sa protection avant de demander asile dans un autre État, à moins d’établir qu’il était objectivement déraisonnable dans les circonstances de le faire car il craint avec raison d’être persécuté par l’État (Faundez Vargas au para 20; Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004 aux para 32–34). Par contre, le demandeur n’a pas à mettre sa vie en danger en demandant la protection de l’État, simplement pour démontrer cette inefficacité, ce qui irait à l’encontre de l’objet de la protection des réfugiés (Ward, à la p 724).

B. La Décision de la SAR est raisonnable

[17] Le demandeur soumet que l’analyse effectuée par la SAR quant à la protection de l’État algérien est incorrecte. Il reconnait la présomption de protection de l’État en Algérie, mais soutient qu’il n’est pas tenu de revendiquer la protection de l’État s’il peut être présumé de façon objectivement raisonnable que cette protection ne sera pas offerte à lui; citant Ward à la p 724 pour appuyer cet argument. Il soutient que c’est son cas puisque la police en Algérie n’intervient pas dans les litiges familiaux – un argument que le demandeur dit avoir présenté à la SAR et que celle-ci aurait omise de prendre en considération. Le demandeur soumet de plus que la conclusion que l’Algérie est un pays démocratique est contestable en vertu de la preuve documentaire.

[18] Or, cette Cour a confirmé que l’Algérie est un pays démocratique dans lequel la présomption de protection de l’État s’applique (Bagui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 127 au para 17; Imloul c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 455 aux para 10, 32 [Imloul]). La SAR a en l’espèce considéré la preuve objective et a raisonnablement déterminé que l’Algérie demeure une république démocratique et populaire et une démocratie représentative constitutionnelle, malgré le fait que le pays subisse des critiques en lien avec la protection des droits de la personne. Elle reconnait la présence de preuve crédible de problèmes, liés par exemple à l’impartialité de la justice, mais note que ceci ne suffit pas puisque la protection de l’État ne doit pas être parfaite, mais plutôt adéquate (Molnar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 296 au para 16).

[19] De plus la SAR a pris en considération l’argument du demandeur quant au manque d’intervention de la police en Algérie dans les litiges familiaux. Comme l’étaye la SAR aux paragraphes 44 et 45 de sa décision, la preuve documentaire à laquelle le demandeur aurait pointé et la preuve objective dans le Cartable national de documentation traitent de situations particulières comme le mariage forcé ou la violence envers les femmes. Il était raisonnable pour la SAR d’expliquer ne pas avoir identifié de preuve documentaire objective indiquant que la police n’interviendrait pas dans le cas d’un conflit entre deux hommes adultes et pour la SAR de statuer qu’aucune preuve à cet effet ne lui a été présentée. Le demandeur ne pointe pas non plus, dans ses représentations écrites ou sa plaidoirie devant la présente Cour, à tout autre élément de preuve sur ce point.

[20] Cette Cour a également statué que la protection de l’État en Algérie est disponible dans le cas de certains litiges familiaux, soit quand les agents de persécution étaient les anciens beaux-frères d’un demandeur (Imloul aux para 17, 22-23, 32) ou la famille, en particulier le frère de la copine d’un demandeur (Salhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1619 aux para 3-4, 13-14).

[21] Ainsi, le demandeur exprime son désaccord avec les conclusions de la SAR et invite essentiellement la Cour à effectuer une analyse de novo de la preuve. Par contre, ce n’est pas le rôle de la Cour en contrôle judiciaire de pondérer à nouveau la preuve soumise et de substituer son analyse à celle de la SAR (Vavilov aux para 124-125).

[22] Le demandeur ne m’a pas convaincu que la décision de la SAR est déraisonnable. Il n’a pas soumis une preuve claire et convaincante permettant de se décharger de son fardeau de renverser la présomption de protection de l’État algérien dont il bénéficie.

VI. Conclusion

[23] Je suis de l’avis que la décision de la SAR est, dans son ensemble, raisonnable, et est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques du dossier (Vavilov, au para 99).

[24] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[25] Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3999-23

LA COUR STATUE:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

IMM-3999-23

INTITULÉ:

HOUSSEYN BOUSSAIDI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE:

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 13 MAI 2024

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS:

LE 27 MAI 2024

COMPARUTIONS:

Me Fedor Kyrpichov

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Larissa Foucault

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Fedor Kyrpichov

Montréal, (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal, (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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