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     Date: 19971230

     Dossier: T-2621-97

ENTRE

     LANIFICIO E. ZENGA & FIGLI SPA ET AUTRE,


demanderesses,


ET


ERMENEGILDO ZENGA, ET AUTRES,


défendeurs.

     Je requiers que la transcription certifiée ci-annexée des motifs de l"ordonnance que j"ai rendue oralement à l"audience, à Toronto (Ontario), le 15 décembre 1997 soit déposée pour satisfaire aux exigences de l"article 51 de la Loi sur la Cour fédérale .

     "Frederick E. Gibson"

    

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 30 décembre 1997.

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     LE JUGE : Messieurs, vous avez cité de nombreux arrêts se rapportant aux critères à appliquer à l'égard des injonctions provisoires et interlocutoires. Je me contenterai de citer deux arrêts pour vous montrer ce sur quoi je me suis fondé, et ces deux arrêts me lient, de sorte qu'il faut bien que je leur accorde de l'importance.

     En premier lieu, il y a l'arrêt R.J.R. McDonald qui figure à l'onglet 2 du recueil de jurisprudence de la requérante demanderesse, et Me Naiberg m'a reporté au passage figurant à la page 135, lequel se lit comme suit : [TRADUCTION] "Le mot "irréparable" s'entend de la nature du préjudice subi plutôt que de son ampleur. Il s'agit d'un préjudice qui ne peut pas être quantifié sur le plan pécuniaire ou qui ne peut pas être réparé, habituellement parce qu'une partie ne peut recevoir des dommages-intérêts de l'autre. Ainsi, dans le premier cas, la décision de la Cour aura pour effet d'entraîner la dissolution de l'entreprise [...] dans le dernier cas, je crois qu'il s'agit du cas où une partie subira une perte de marché permanente ou du cas où un préjudice irréparable sera causé à la réputation de son entreprise."

     En second lieu, il y a l'arrêt Ely Lilly et Novopharm, de la Cour d'appel fédérale, et Me Naiberg occupait dans cette affaire. Le passage cité figure à la page 457, note marginale C : [TRADUCTION] "Il est de droit constant dans cette cour que le demandeur qui sollicite un jugement interlocutoire doit clairement établir que c'est lui, par opposition à une autre personne ou à une autre partie, qui subira un préjudice irréparable. Il n'est pas facile de s'acquitter de cette obligation, mais il s'agit d'un redressement extraordinaire qui ne sera accordé que si le requérant arrive à convaincre la Cour, entre autres, que l'octroi de dommages-intérêts en common law ne constituerait pas un redressement adéquat si la Cour refusait d'accorder l'injonction."

     J'aimerais faire une ou deux remarques au sujet des documents mis à ma disposition. En premier lieu, il ne s'agit pas d'une demande préventive. Me Naiberg a dit que la présente demande se rapprochait de pareille demande, et je souscris à son avis. Il ne s'agit pas d'une demande visant à l'obtention d'une injonction présentée deux ans après le fait ou même un an après le fait. Ceci dit, je suis tenté de faire des remarques au sujet du comportement des défenderesses qui, selon l'inférence que je fais à l'aide de la preuve, à bon droit ou non, ont cherché à profiter d'une situation unique en son genre, sur un marché particulier, à Vancouver, soit le marché des habits pour hommes de haute qualité, confectionnés sur mesure ou prêts à porter.

     Il ressort de toute évidence des documents mis à ma disposition qu'à la suite des pressions qui ont été exercées, les défendeurs savaient qu'elles avaient eu tort d'adopter ce genre de conduite, et elles y ont mis fin, mais pas autant que l'auraient aimé les demanderesses, et c'est l'unique raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui.

     Nous parlons de la marge, nous ne parlons pas de la conduite dans son ensemble. Nous parlons également d'un marché peu évolué.

     Je crois que la Cour peut raisonnablement prendre connaissance d'office, si cela n'est pas évident au vu même de la preuve, du fait que les personnes qui achètent des habits Zenga, confectionnés sur mesure ou prêts à porter, constituent une minorité relativement distincte. Je crois qu'on pourrait à juste titre parler de marché à créneaux. Cela étant, bien que, à mon avis, la preuve n'étaye pas entièrement la chose, il s'agit d'un marché fort vulnérable. Sur le plan économique, si je me rappelle bien, c'est ce qu'on pourrait appeler un marché élastique, par opposition à un marché inélastique; il s'agit d'un marché qui répond aux centres de commercialisation de haute qualité, bien meublés, bien aménagés, bien dotés en personnel, et d'un marché qui disparaît rapidement lorsque le service obtenu n'est pas satisfaisant, je parle du service à l'égard du produit.

     Cela étant, et à partir de ces hypothèses et de ces éléments de preuve, ainsi que des arrêts que j'ai cités, je remarque en premier lieu que la preuve du préjudice qui a été fournie pour le compte des demanderesses provient presque entièrement sinon entièrement de sources internes. Elle n'indique pas le point de vue d'autres personnes sur le même marché, ou de conseillers en commercialisation, qui, je suppose, sont régulièrement consultés par ceux qui font des affaires sur ce genre de marché.

     La preuve relative au caractère irréparable du préjudice que la demanderesse allègue avoir subi est également de nature interne. Je la qualifierais de conjecturale. M. Rosen a énormément d'expérience en matière de commercialisation, mais je remarque que cette expérience est limitée à une seule maison. Il ne se fonde pas sur une expérience équivalente qu'il a directement acquise au cours de sa carrière dans les affaires.

     Je conclus que la preuve n'établit pas que le préjudice ne peut pas être quantifié, ou qu'il ne pourrait pas y avoir recouvrement. Il serait possible de faire des conjectures à l'aide des photographies des devantures de magasins, mais, je ne suis pas prêt à le faire. Depuis les 32 années, les 30 années qu'il est dans les affaires, il s'est taillé une réputation, et ce, quelle que soit la devanture de son magasin par rapport à celle du magasin Zenga.

     La preuve n'établit pas que la perte subie sur le marché sera permanente. J'étends peut-être le champ de la connaissance d'office, et c'est en réalité ce que je fais lorsque je dis qu'il s'agit d'un marché élastique. Il s'agit également d'un marché évolué. J'espère que je ne me trompe pas trop en émettant ces deux hypothèses, et en supposant que ce marché disparaîtra si la clientèle n'est pas entièrement satisfaite. Je crois de fait qu'il est possible de le supposer à partir de la preuve que M. Rosen lui-même a présentée. Cela découle de la preuve qu'il a présentée au sujet du soin et de la détermination avec lesquels ont été effectuées la planification et l'ouverture du magasin Zenga dans le mail Pacific Centre.

     Je ne suis pas non plus convaincu que la preuve démontre que la réputation de l'entreprise a subi un préjudice irréparable. Selon la preuve dans son ensemble, la réputation de Zenga est bien établie. Rien ne montre que la réputation de Zenga ait été ternie par les pratiques que les défendeurs ont suivies pendant de nombreuses années. L'entreprise existe depuis 30 ans. Je ne suis pas certain que la preuve aille jusqu'à démontrer qu'ils ont confectionné des habits en tissu Zenga pendant toute cette période, mais je suis prêt à conclure, en me fondant sur la preuve, qu'ils ont utilisé le matériel Zenga dans leur entreprise pendant un grand nombre d'années.

JUGEMENT :

     Par conséquent, je rejetterai la demande d'injonction provisoire. Je dois dire que je ne suis pas facilement arrivé à cette décision, parce que je ne connais aucun arrêt auquel on m'a référé, dans lequel le genre de conduite que les défendeurs ont eue en l'espèce existait juste avant que l'injonction soit demandée. Je ne connais aucun arrêt dans lequel il a été dit que des actions semblables à celles d'un défendeur comme celui-ci, auxquelles il a été mis fin, avaient pour effet d'atténuer l'obligation pour le demandeur de démontrer l'existence d'un préjudice irréparable.

     Si ce n'était de la décision que j'ai rendue à l'égard de la question du préjudice irréparable, j'aurais à vrai dire tenu compte de cette conduite en déterminant la question de la prépondérance des inconvénients. Et je puis vous dire, pour ce que cela vaut à ce stade, que j'aurais conclu que l'existence d'une question sérieuse à trancher a été démontrée.

     Je ne me propose pas d'ajouter quoi que ce soit aux remarques que cette cour a faites au cours des dernières années sur la question des critères à appliquer aux injonctions provisoires ou interlocutoires. À mon avis, il n'y a pas grand-chose d'autre à dire, sauf à l'égard des faits.

     Je m'acquitterai de l'obligation qui m'incombe en vertu de l'article 51 de la Loi sur la Cour fédérale. Je ferai transcrire les notes qui ont été prises au sujet de ce qui a été dit depuis la reprise de l'audience. Je verserai au dossier cette partie de la transcription, telle qu'elle a été modifiée de façon à corriger les grosses erreurs de style ou de syntaxe. Je ne tenterai pas de la réviser de quelque autre façon.

     LE GREFFIER : Cette séance spéciale de la Cour fédérale du Canada est maintenant close.

L'audience a pris fin à 17 h 20.

     Je certifie par les présentes que les motifs qui précèdent constituent une transcription exacte et fidèle des notes sténographiées, au mieux de ma connaissance.

     Par :

     A.F. GALLOWAY, sténographe judiciaire

     No de tél. : (416) 482-3277

     Toronto (Ontario)

     Le 23 décembre 1997.

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :      T-2621-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Lanificio Ermenegildo Zenga & Figli S.p.a. et Harry Rosen Inc. c. Ermenegildo Zenga Fashions Ltd., Paul Minichiello, exploitant son entreprise sous le nom de Paul's of North Shore et Dino Minichiello Designs Ltd.

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      Le 15 décembre 1997


MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON


RENDUS ORALEMENT À LA FIN DE L'AUDIENCE


LE 15 DÉCEMBRE 1997

ONT COMPARU :

Richard Naiberg          pour les demanderesses

J. Alan Aucoin          pour les défendeurs

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodman, Phillips & Vineberg

Toronto (Ontario)          pour les demanderesses

Blake, Cassels & Graydon

Toronto (Ontario)          pour les défendeurs

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