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Date : 20240529


Dossier : IMM-11326-22

Référence : 2024 CF 815

Montréal, Québec, 29 mai 2024

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

ROBERTO PATRICE MBONDELE MOKOKO

partie demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Roberto Patrice Mbondele Mokoko, est un citoyen de la République du Congo, également appelée Congo-Brazzaville [Congo]. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 11 octobre 2022 [Décision] dans laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. La SPR a rejeté la demande de M. Mokoko en raison de son manque de crédibilité et de ses nombreuses omissions et incohérences quant aux éléments essentiels de sa demande. La SPR a également conclu que la demande d’asile de M. Mokoko n’avait pas un minimum de fondement aux termes du paragraphe 107(2) de la LIPR.

[2] M. Mokoko soutient que la SPR aurait erré dans l’analyse de sa crédibilité, notamment en omettant de tenir compte des explications qu’il a offertes quant aux contradictions soulevées par le décideur. M. Mokoko soumet également que la SPR aurait commis une erreur en concluant à l’absence de fondement minimal de sa demande d’asile.

[3] Pour les motifs exposés ci‑après, je vais rejeter la demande de M. Mokoko. Après avoir examiné les motifs et les conclusions de la SPR, la preuve dont elle disposait et le droit applicable, je ne vois aucun motif d’infirmer la Décision. Les profondes lacunes dans la preuve soumise par M. Mokoko et les contradictions répétées dans son témoignage soutiennent raisonnablement les conclusions défavorables de la SPR quant à sa crédibilité, et les motifs de la SPR possèdent les qualités qui rendent son raisonnement logique et cohérent en regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Il en va de même pour les conclusions de la SPR sur le caractère manifestement infondé de la demande d’asile de M. Mokoko. Il n’y a donc aucun motif justifiant l’intervention de la Cour.

II. Contexte

A. Les faits

[4] Dans sa demande d’asile, M. Mokoko relate le récit suivant.

[5] En janvier 2011, il commence à fréquenter Mme Stéphanie Mboulou, la fille du ministre de l’Intérieur du Congo, M. Raymond Mboulou. Le 18 août 2012, alors qu’il est avec Mme Mboulou, M. Mokoko est attaqué et blessé par le frère de cette dernière, car sa famille n’accepte pas leur relation. Par la suite, il est conduit à l’hôpital pour y recevoir des soins.

[6] À sa sortie de l’hôpital, M. Mokoko retourne chez lui et essaie, sans succès, de rejoindre par téléphone Mme Mboulou. Plus tard, il réussit à parler à son amie qui lui dit ne plus pouvoir sortir de chez elle.

[7] En septembre 2012, le frère de Mme Mboulou, alors muni d’une arme, commence à passer devant la résidence de M. Mokoko et à lui proférer des menaces. Un peu plus tard, vers la fin de septembre 2012, M. Mokoko est de nouveau agressé par le frère de Mme Mboulou. Après cet incident, M. Mokoko va se cacher chez sa tante.

[8] Craignant pour sa vie, M. Mokoko quitte le Congo le 2 décembre 2012 pour aller en Chine, en passant par l’Éthiopie. Il dit avoir étudié et résidé en Chine jusqu’en 2020. Par la suite, il réside en France du 15 janvier au 2 février 2020, puis aux États-Unis du 2 février au 18 février 2020, avant d’entrer au Canada le 18 février.

[9] Il dépose sa demande d’asile au Canada quelques mois plus tard, soit le 20 juillet 2020.

B. La Décision de la SPR

[10] Dans sa courte Décision, la SPR conclut à l’absence de crédibilité de M. Mokoko pour plusieurs raisons. D’abord, la SPR constate une contradiction importante dans la preuve concernant la date de son départ du Congo, que M. Mokoko fixe au 2 décembre 2012 dans certains documents mais au 11 juillet 2017 ailleurs. La SPR juge également que le comportement de M. Mokoko est incompatible avec l’existence d’une crainte pour sa vie au Congo et plutôt compatible avec le désir d’immigrer au Canada, car il n’a pas demandé l’asile lors de ses voyages en France ou aux États-Unis entre 2018 et 2020. La SPR considère aussi invraisemblable que M. Mokoko ne sache pas que la femme qu’il fréquentait depuis janvier 2011 ait été la fille du ministre de l’Intérieur du Congo avant qu’il ne soit attaqué par le frère de celle-ci en août 2012. Par ailleurs, la SPR estime que le long délai de six mois avant que M. Mokoko ne revendique l’asile au Canada contribue à miner sa crédibilité. Enfin, la SPR détermine que les éléments de preuve documentaire déposés au soutien de la demande d’asile n’ont aucune valeur probante en raison du manque de crédibilité générale de M. Mokoko et puisqu’il s’agit de documents de complaisance qui ne permettent pas d’établir les faits à la base de sa demande d’asile.

[11] À la lumière de tous ces éléments, la SPR conclut dans un deuxième temps qu’il y a absence de minimum de fondement en vertu de l’article 107(2) de la LIPR, car M. Mokoko n’a présenté aucune preuve crédible ou digne de foi sur laquelle la SPR aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié à M. Mokoko.

C. La norme de contrôle

[12] Il est bien établi que la norme de la décision raisonnable s’applique en ce qui regarde les conclusions de la SPR en matière de crédibilité ou d’absence d’éléments de preuve suffisants pour établir le fondement d’une demande d’asile (Regala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 192 au para 5; Janvier c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 142 au para 17; Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 755 au para 13; Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 596 au para 25).

[13] D’ailleurs, le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire du mérite d’une décision administrative est maintenant celui fixé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 7 [Mason]). Ce cadre d’analyse repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit désormais la norme applicable dans tous les cas.

[14] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Mason au para 64; Vavilov au para 85). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99, citant notamment Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74).

[15] Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » [en italique dans l’original] (Vavilov au para 86). Ainsi, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov au para 87). L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit adopter une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision », examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Mason aux para 58, 60; Vavilov au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). La norme de la décision raisonnable, je le souligne, tire toujours son origine du principe de la retenue judiciaire et de la déférence, et elle exige des cours de révision qu’elles témoignent d’un respect envers le rôle distinct que le législateur a choisi de conférer aux décideurs administratifs plutôt qu’aux cours de justice (Mason au para 57; Vavilov aux para 13, 46, 75).

[16] Il incombe à la partie qui conteste une décision de prouver qu’elle est déraisonnable. Pour annuler une décision administrative, la cour de révision doit être convaincue qu’il existe des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

III. Analyse

[17] M. Mokoko prétend d’abord que la SPR aurait erré dans l’analyse de sa crédibilité, notamment en ne tenant pas compte des explications qu’il a offertes quant aux contradictions soulevées. Plus spécifiquement, M. Mokoko soumet que les contradictions entourant la date de son départ du Congo ne constituent somme toute qu’une erreur de bonne foi dont il ignore la source. Quant aux conclusions de la SPR sur son comportement incompatible avec une crainte subjective de persécution en raison de son défaut de demander l’asile en France ou aux États‑Unis, M. Mokoko affirme que l’omission de présenter une demande d’asile n’est pas en soi un facteur déterminant pour conclure à une absence de crainte subjective. Selon lui, il n’y a aucune présomption voulant qu’un demandeur d’asile doive demander l’asile à la première occasion et il n’a donc pas la charge de réfuter une telle présomption. M. Mokoko soumet par ailleurs que la SPR ne disposait d’aucune preuve contredisant ses allégations à l’effet qu’il ne savait pas que Mme Mboulou était la fille d’un ministre, et soutient qu’il fallait lui donner le bénéfice du doute à cet égard.

[18] M. Mokoko maintient également que seules les conclusions erronées sur son manque de crédibilité ont permis à la SPR de conclure à l’absence de minimum de fondement de sa demande, ce qui l’a indûment privé d’un droit d’appel.

[19] Avec égards, les arguments de M. Mokoko n’ont aucun mérite.

[20] Comme l’a fait valoir le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [Ministre], il est bien acquis que la SPR peut tirer des inférences négatives eu égard à la crédibilité lorsqu’un demandeur d’asile présente de la preuve contradictoire ou invraisemblable sur les points centraux de sa demande d’asile. C’est précisément le cas ici en ce qui a trait au moment où M. Mokoko aurait quitté le Congo pour fuir ses persécuteurs, la date à laquelle il a appris que sa fréquentation était la fille du ministre de l’Intérieur, son délai à revendiquer l’asile au Canada ou encore son omission de demander l’asile lors de ses passages en France ou aux États-Unis.

A. La Décision de la SPR sur la crédibilité est raisonnable

[21] Bien que les demandeurs d’asile soient présumés dire la vérité, le manque de crédibilité d’un demandeur peut suffire à réfuter cette présomption, notamment « lorsque la SPR n’est pas satisfaite de l’explication fournie par le demandeur pour [ses] incohérences » (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 21 [Lawani], citant Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 183 au para 19). Il est bien connu que la SPR est habituellement mieux placée pour évaluer la crédibilité d’un demandeur, puisqu’elle a l’avantage d’entendre son témoignage (Lawani au para 22, citant Jin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 595 au para 10). De plus, l’accumulation de contradictions, d’incohérences et d’omissions sur des éléments fondamentaux de la demande d’asile peut être suffisante pour appuyer une conclusion négative sur la crédibilité d’un demandeur (Paulo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 990 au para 56, citant Sary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 178 au para 19; Lawani au para 22). Enfin, le manque de crédibilité peut entacher d’autres éléments de la demande d’asile et éroder la crédibilité de ceux‑ci (Lawani au para 24).

[22] À la lumière de ces principes, je suis d’avis que les conclusions de la SPR sur le manque de crédibilité de M. Mokoko sont tout à fait raisonnables. Lorsqu’analysées dans leur ensemble, les nombreuses contradictions et incohérences de M. Mokoko étaient amplement suffisantes pour mener à une conclusion négative quant à sa crédibilité.

[23] Premièrement, les contradictions quant à la date à laquelle M. Mokoko a quitté le Congo mettent en doute un élément central de sa demande d’asile. Comme la SPR l’a constaté dans la Décision, M. Mokoko a été incapable de donner une explication adéquate :

[10] Confronté à la question 9 de son formulaire IMM00084, qui indique qu’il a quitté le Congo le 11 juillet 2017 et non pas le 2 décembre 2012 tel que mentionné dans sa réponse à la question 2e) de son FDA), le demandeur est demeuré muet. Son avocate est alors intervenue et a de nouveau posé la question, ce à quoi le demandeur a dit « Je ne comprends pas ». Interrogé de nouveau au sujet de cette contradiction. Le demandeur a répondu qu’il ne savait pas pourquoi il était mentionné qu’il avait quitté le Congo en 2017 parce qu’il était en Chine en 2017.

[11] Questionné par son avocate à savoir comment il était possible qu’il n’ait pas vu cette erreur compte tenu qu’il avait depuis longtemps ce document. Visiblement embarrassé, le demandeur dit qu’il n’avait pas fait attention à cette partie, laissant sous-entendre du document.

[24] Selon la jurisprudence de cette Cour, « l’incapacité de se rappeler certains détails – en particulier dans des circonstances où le demandeur aurait dû s’en souvenir – donne à un tribunal un motif raisonnable de rejeter le témoignage » (Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 518 au para 8, citant Ma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 417 aux para 31–33; Pjetri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 376 au para 43; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 998 au para 18). Dans le cas de M. Mokoko, la contradiction sur la date de son départ du Congo va au cœur même de sa revendication à l’effet qu’il avait dû quitter le pays en raison de la persécution du frère de son amie en août 2012. Une telle contradiction peut tout à fait justifier l’inférence négative tirée par la SPR. J’ajoute que la contradiction ne se résume pas à une seule erreur de chiffre dans une année ou à une confusion de mois. Les deux dates mentionnées par M. Mokoko montrent un écart significatif de cinq ans, avec des dates et des mois complètement différents.

[25] Deuxièmement, et comme le constate correctement le Ministre, le fait de ne pas revendiquer le statut de réfugié dès son arrivée dans un pays, ou dans un délai raisonnable par après, peut constituer un facteur important pour apprécier la crédibilité bien que, dans certaines circonstances, ce délai ne puisse, à lui seul, justifier un constat de non-crédibilité (Ndoungo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 541 aux para 21–23 [Ndoungo] ; Guarin Caicedo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1092 au para 21; Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 923 au para 28). Ainsi, la Cour a noté que « le retard peut, dans les cas appropriés, constituer un motif suffisant de rejet de la demande. Cela dépendra en fin de compte des faits de l’affaire » [soulignements ajoutés] (Duarte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 988 au para 14). Il est vrai, comme le souligne M. Mokoko, que le défaut de demander l’asile dans le premier pays possible ou rapidement après son arrivée n’est pas toujours un critère suffisant pour refuser une demande d’asile. Toutefois, lorsque, comme en l’espèce, il y a une absence d’explication raisonnable pour expliquer la tardiveté de la demande ou la décision de ne pas faire une demande dans un pays donné, il est tout à fait loisible à la SPR d’en inférer que de tels comportements minent la crédibilité du demandeur d’asile (Ndoungo au para 23).

[26] En l’espèce, la SPR pouvait donc raisonnablement conclure que la crédibilité de M. Mokoko était affectée par son défaut de demander l’asile lors de ses multiples voyages antérieurs en France et aux États-Unis. En effet, cette conclusion s’est ajoutée aux autres lacunes ayant érodé sa crédibilité et aux explications jugées insatisfaisantes pour justifier son retard d’agir. D’autre part, M. Mokoko aurait exploré ses options pour immigrer dans divers pays, dont le Canada, et était motivé à choisir le pays qui lui convenait le mieux au niveau des soins, des études, du travail et du traitement des immigrants. Il était donc raisonnable pour la SPR de conclure que ces éléments sont incompatibles avec la situation d’une personne qui dit craindre pour sa vie. En outre, la SPR a noté que M. Mokoko ajustait son témoignage en fonction des questions, et n’offrait pas spontanément d’explications raisonnables ou vraisemblables. Lorsqu’il a été dûment confronté aux contradictions et invraisemblances dans la preuve présentée, M. Mokoko n’a avancé aucune explication satisfaisante pour combler ces déficiences.

[27] Comme l’a déjà observé la Cour, « il appartient au demandeur d’asile d’établir les éléments centraux de sa demande et […] le comportement du demandeur, tel que le manque de précision de ses propos, peut être suffisant pour étayer une conclusion négative quant à sa crédibilité » (Saidj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 158 au para 24, citant Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 au para 45). C’est le cas ici.

[28] Troisièmement, il était aussi raisonnable pour la SPR de conclure que les explications de M. Mokoko étaient insuffisantes quant à la date à laquelle il a appris que sa fréquentation était la fille d’un ministre. Il est du ressort et de l’expertise de la SPR de déterminer le caractère raisonnable d’une explication (Blanco Ortega c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 190, aux para 8–9). Ici, la SPR a rejeté les explications de M. Mokoko car elle a jugé invraisemblable que, dans un pays comme le Congo, ce dernier ne soit pas au courant que Mme Mboulou soit la fille d’un député qui est en fonction depuis 1992 et ministre depuis 2007. La SPR a également trouvé invraisemblable qu’après un an et sept mois de fréquentation, personne dans l’entourage de M. Mokoko ne savait que Mme Mboulou était la fille d’un ministre. Considérant la preuve au dossier, et les différends évoqués entre les deux familles, je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion.

[29] M. Mokoko soumet par ailleurs que la SPR aurait écarté plusieurs éléments de preuve documentaire qu’il a soumis sans en analyser le contenu. Selon M. Mokoko, ces preuves pouvaient potentiellement dissiper les préoccupations de crédibilité que la SPR avait envers lui. Il estime que la SPR a erré en écartant ces éléments de preuve sans s’y attarder.

[30] Encore une fois, je ne partage pas l’avis de M. Mokoko. Contrairement à ce qu’avance M. Mokoko, la SPR est présumée avoir tenu compte de toute la preuve (Puebla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 879 au para 24; Burai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 966 au para 38; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] FCJ No 1425 (QL) aux para 16–17 [Cepeda-Gutierrez]). Ainsi, le défaut de mentionner un élément de preuve particulier dans le cadre d’une décision administrative ne signifie pas qu’il ait été ignoré et ne constitue pas une erreur en soi (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16; Cepeda-Gutierrez aux para 16–17). Comme l’a établi la décision Cepeda-Gutierrez, ce n’est que lorsque les éléments de preuve oubliés sont essentiels et contredisent directement la conclusion du tribunal administratif que la cour de révision peut en inférer que le tribunal n’a pas tenu compte des éléments dont il disposait. M. Mokoko n’a identifié aucun élément de preuve de cette nature dans le présent dossier.

[31] À tout événement, en l’espèce, il ressort de la Décision que la SPR a bel et bien analysé les documents que M. Mokoko avait déposés lors de l’audition. Elle a jugé que cette preuve documentaire se résumait à des documents de complaisance ou qui ne démontraient pas les faits allégués à l’appui de la demande d’asile. La SPR ne pouvait donc pas leur accorder de valeur probante compte tenu du manque de crédibilité générale de M. Mokoko.

[32] Comme l’a noté le juge de Montigny dans l’affaire Linares Morales c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1496 [Linares Morales] :

[21] Compte tenu des nombreuses incohérences et contradictions dans le témoignage du demandeur relevées plus haut, il était loisible au tribunal de ne pas lui accorder le bénéfice du doute. Partant, le tribunal pouvait également à bon droit accorder peu de valeur probante aux documents produits en preuve par le demandeur. Une conclusion d’absence de crédibilité relativement aux éléments centraux d’une revendication peut s’étendre aux autres éléments de celle-ci, comme l’a reconnu la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sheikh c. Canada (M.E.I.), 1990 CanLII 13057 (CAF), [1990] 3 C.F. 238 aux paragraphes 7 à 9.

[33] Ainsi, n’ayant pas cru à l’histoire et aux allégations de M. Mokoko, la SPR était en droit de ne conférer aucune valeur probante aux pièces soumises qui s’appuyaient sur le même récit (Linares Morales au para 21; Perjaku c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 496 aux para 28–29).

[34] Les conclusions d’absence de crédibilité relèvent de l’expertise de la SPR. Comme cette Cour l’a réitéré maintes fois, la crédibilité est « une question de fait au cœur de l’expertise de la SPR » et « les conclusions de crédibilité formulées par la SPR attirent une déférence considérable » (Mbuyamba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 918 au para 28, citant Kahumba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 551 aux para 31–32 et Lunda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 704 au para 36). En somme, les arguments avancés par M. Mokoko pour attaquer les conclusions de la SPR sur le manque de crédibilité se résument à un désaccord avec le poids accordé à la preuve et l’interprétation retenue par le décideur. Or, il est bien établi qu’un tel désaccord ne suffit pas pour justifier l’intervention de la Cour.

B. La SPR a raisonnablement conclu que la demande d’asile n’avait pas un minimum de fondement

[35] En vertu du paragraphe 107(2) de la LIPR, lorsqu’un demandeur ne présente aucun élément de preuve crédible ou digne de foi qui aurait pu fonder une décision favorable, la SPR doit conclure à l’absence de minimum de fondement de la demande (Aboubeck c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 370 au para 15, citant Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89 au para 51 [Rahaman]; Ramón Levario c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 314 au para 19). Encore une fois, c’est manifestement le cas ici.

[36] Il importe de souligner que le paragraphe 107(2) de la LIPR ne renvoie pas seulement à l’existence d’une absence de « preuve crédible ou digne de foi ». La disposition, qui doit être lue dans son entièreté, renvoie à une absence de « preuve crédible ou digne de foi sur [laquelle la SPR] aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur » (Rahaman au para 28). M. Mokoko n’a soumis aucune preuve crédible et digne de foi qui permettrait d’établir les éléments au soutien de son récit et d’appuyer sa demande d’asile, que ce soit sur sa date de départ du Congo, ou sur le moment où il a appris que sa fréquentation était la fille d’un ministre. De plus, il a été incapable d’expliquer pourquoi il était demeuré en France et aux États-Unis sans y formuler de demande d’asile. Enfin, son délai à revendiquer l’asile et les motifs qui ont motivé sa demande d’asile au Canada ont aussi plombé sa crédibilité. Il était donc tout à fait raisonnable pour la SPR de conclure que sa demande d’asile n’offrait aucun minimum de fondement aux termes du paragraphe 107(2) de la LIPR, vu l’absence de preuve permettant de lui reconnaître le statut de réfugié ou de personne à protéger.

[37] J’ajoute qu’une conclusion défavorable quant à la crédibilité d’un demandeur peut entraîner l’absence d’éléments de preuve crédibles à l’appui d’une demande d’asile, et qu’une telle conclusion peut être suffisante pour que la SPR détermine qu’il y a absence d’un minimum de fondement (Nezerali c Canada (Citoyennté et Immigration), 2016 CF 1375 aux para 26–29).

[38] M. Mokoko n’a tout simplement fait valoir aucun argument ou preuve solide permettant de contester le caractère raisonnable des conclusions de la SPR à cet égard.

IV. Conclusion

[39] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de M. Mokoko est rejetée. Je ne trouve rien d’irrationnel dans le processus décisionnel suivi par la SPR et dans ses conclusions. J’estime plutôt que l’analyse faite par la SPR sur le manque de crédibilité de M. Mokoko ou le caractère manifestement infondé de sa demande d’asile possède tous les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité. La Décision n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle.

[40] Aucune des parties n’a proposé de question d’importance générale à certifier, et je conviens qu’il n’y en a aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-11326-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-11326-22

INTITULÉ :

ROBERTO PATRICE MBONDELE MOKOKO c MINITRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 MAI 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge gascon

DATE DES MOTIFS

LE 29 MAI 2024

COMPARUTIONS :

Me Aristide Koudiatou

POUR la partie demanderesse

Me Nadine Saadé

POUR la partie défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Aristide Koudiatou

POUR la partie demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR la partie défenderesse

 

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