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Date : 20240131


Dossier : T‑1342‑20

Référence : 2024 CF 160

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Edmonton (Alberta), le 31 janvier 2024

En présence de madame la juge adjointe Catherine A. Coughlan

ENTRE :

TRINA COMARTIN et

PURE ELEMENTS ENVIRONMENTAL SOLUTIONS LTD.

demanderesses

et

WILLIAM PATRICK MARSH

(AUSSI APPELÉ BILL MARSH),

URBAN SYSTEMS LTD.,

SINCERUS (HAWK SPRINGS) GP LTD.,

SINCERUS (HAWK SPRINGS) LIMITED PARTNERSHIP, ALBERT REMPEL et

SPRINGS UTILITY CORPORATION

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Les défendeurs déposent conjointement une requête fondée sur l’article 167 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], en vue de faire rejeter l’action des demanderesses pour cause de retard ou, subsidiairement, d’exiger que celles‑ci déposent un cautionnement pour dépens. L’action, engagée en novembre 2020, est une instance à gestion spéciale pour laquelle la Cour a procédé à deux examens de l’état de l’instance.

[2] Tout en reconnaissant qu’il y a eu des retards, les demanderesses contestent la requête au motif que les défendeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de prouver que ces retards étaient injustifiés. Quoi qu’il en soit, la demanderesse particulière, Trina Comartin, administratrice de la société demanderesse, a été confrontée à des difficultés personnelles d’une telle ampleur pendant la période de retard que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour rejeter la requête des défendeurs. Par ailleurs, affirment‑elles, ces derniers n’ont pas satisfait aux exigences de l’article 416 des Règles qui requièrent le dépôt d’un cautionnement pour dépens.

[3] Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la requête fondée sur l’article 167 des Règles une fois que les demanderesses auront déposé un cautionnement pour dépens.

I. Le contexte factuel

[4] Les demanderesses ont engagé l’action sous‑jacente pour violation de droit d’auteur à l’encontre des défendeurs le 9 novembre 2020. Les défendeurs ont déposé leurs défenses en janvier et en février 2021. Des affidavits de documents ont été échangés en mars 2021. Après cela, l’action est tombée au point mort. Le 6 janvier 2022, le juge en chef a rendu une ordonnance autorisant la poursuite de l’action sous la forme d’une instance à gestion spéciale, et j’ai été désignée comme juge responsable de la gestion de l’instance.

[5] L’ordonnance du juge en chef exigeait des parties qu’elles se consultent et que les demanderesses produisent un projet d’échéancier en vue de la prise des mesures nécessaires pour activer le déroulement de l’instance. Le 25 janvier 2022, l’avocat qui représentait à l’époque ces dernières a déposé un échéancier faisant état de délais fixés d’un commun accord, et cet échéancier a été consigné dans mon ordonnance du 27 janvier 2022.

[6] L’ordonnance faisait état des échéances suivantes :

a. les premiers interrogatoires préalables seraient terminés avant le 15 juin 2022;

b. les réponses aux engagements seraient fournies avant le 31 juillet 2022;

c. l’interrogatoire sur les réponses aux engagements serait terminé avant le 31 août 2022;

d. les rapports d’expert seraient échangés avant des dates précises;

e. une conférence préalable au procès serait demandée avant le 15 février 2023.

[7] Le 4 avril 2022, l’avocat qui représentait à l’époque les demanderesses s’est apparemment désisté à titre d’avocat inscrit au dossier.

[8] Il est incontesté que les parties n’ont pris aucune des mesures qu’envisageait mon ordonnance du 27 janvier 2022. En fait, rien d’autre n’a eu lieu avant le 26 avril 2023, date à laquelle le greffe de la Cour a demandé aux demanderesses de faire le point sur la situation. Aucune réponse n’ayant été donnée en date du 28 avril 2023, j’ai rendu la directive suivante :

[traduction]
Après avoir exigé des demanderesses qu’elles sollicitent la tenue d’une conférence préalable au procès (CPP) avant le 15 février 2023 et après avoir constaté qu’aucune CPP n’a été demandée; et après avoir constaté que les demanderesses n’ont pas répondu à une demande faite le 26 avril 2023 par le greffe de la Cour pour faire le point sur la situation, il leur est ordonné de faire part d’un état de la situation, de pair avec un échéancier couvrant les mesures préalables à la tenue d’une CPP avant le 15 mai 2023 au plus tard, faute de quoi la présente action sera radiée pour cause de retard sans autre avis aux demanderesses.

[9] Le 12 mai 2023, Mme Comartin, qui se représentait seule maintenant, a répondu à ce second examen de l’état de l’instance en produisant un projet d’échéancier, mais sans consulter les défendeurs. Le 13 juin 2023, j’ai convoqué les parties à une conférence de gestion de l’instance, à l’occasion de laquelle les défendeurs ont fait part de leur intention de déposer la présente requête. Il a été ordonné à Mme Comartin de retenir les services d’un avocat.

[10] Le 14 juillet 2023, les demanderesses ont déposé un avis de changement d’avocat, désignant le cabinet Heer Law à titre de représentant.

II. Les principes de droit applicables

[11] Le texte de l’article 167 des Règles est le suivant :

Rejet pour cause de retard

167 La Cour peut, sur requête d’une partie qui n’est pas

en défaut aux termes des présentes règles, rejeter l’ins‑

tance ou imposer toute autre sanction au motif que la

poursuite de l’instance par le demandeur ou l’appelant

accuse un retard injustifié.

Dismissal for delay

167 The Court may, at any time, on the motion of a par‑

ty who is not in default of any requirement of these

Rules, dismiss a proceeding or impose other sanctions on

the ground that there has been undue delay by a plaintiff,

applicant or appellant in prosecuting the proceeding.

[12] Les parties conviennent des principes de droit qui s’appliquent à une requête en rejet de l’instance pour cause de retard. Le critère tripartite conjonctif auquel la Cour d’appel fédérale a souscrit dans l’arrêt Canada c Aqua‑Gem Investments Ltd, 1993 CanLII 2939 (CAF) et qui a été récemment confirmé dans l’arrêt Sweet Productions Inc c Licensing LP International SÀRL, 2022 CAF 111 au para 35 [Sweet Productions] prescrit à la Cour de décider :

i. s’il y a eu retard injustifié;

ii. si le retard était excusable;

iii. si les défendeurs sont susceptibles de subir un préjudice grave du fait de ce retard.

[13] Dans l’arrêt Sweet Productions, la Cour d’appel fédérale a conclu que le rejet de l’instance n’est pas une réparation présumée après une conclusion de retard injustifié. L’article 167 des Règles confère plutôt à la Cour le vaste pouvoir discrétionnaire de concevoir une réparation qui convient aux circonstances de chaque affaire : Sweet Productions au para 45. Il reste toutefois que « [p]our que la Cour autorise la poursuite d’une affaire, il doit exister une bonne possibilité (habituellement dans le cadre de la gestion de l’instance) que le demandeur ait l’intention de poursuivre l’affaire jusqu’au bout et qu’il ait les moyens de le faire. La Cour ne peut pas se fonder sur une simple conviction ou un simple espoir qu’un demandeur changera de cap, en l’absence de preuve à l’appui » : Sweet Productions au para 46.

[14] L’article 167 des Règles reflète le souci philosophique de la Cour fédérale à propos du coût systémique d’un litige prolongé, pour la Cour comme pour les parties, et c’est à la Cour plutôt qu’aux parties qu’il confère le contrôle exercé sur le déroulement de l’instance. Les requêtes fondées sur l’article 167 des Règles sont rares, essentiellement à cause du recours fréquent de notre Cour au processus de gestion spéciale. Néanmoins, comme l’illustre la présente requête, les objectifs d’un régime de gestion d’instance peuvent être contrecarrés par le défaut des parties de se conformer aux directives et aux ordonnances du juge qui est responsable de la gestion de l’instance.

[15] Compte tenu de ces principes généraux et de l’objet de l’article 167 des Règles, je vais examiner s’il convient de rejeter l’action des demanderesses pour cause de retard ou si une autre réparation conviendrait mieux.

A. Y a‑t‑il eu retard injustifié?

[16] Un retard injustifié est apprécié à compter du début d’une instance, et non de la dernière mesure prise : Behnke c Canada (Department of External Affairs), 2000 CarswellNat 1543 au para 25. Dans la présente affaire, la période de retard est d’environ 38 mois.

[17] Les demanderesses exhortent la Cour à conclure qu’il n’y a pas eu de retard injustifié. Elles affirment que, dans l’ensemble, la Cour, en évaluant le retard, devrait considérer que celui‑ci se compose de deux périodes distinctes qui sont survenues pendant les 38 mois. Le premier retard, disent‑elles, a duré neuf (9) mois, depuis mars 2021 jusqu’à janvier 2022, date à laquelle la Cour a entrepris son premier examen de l’état de l’instance.

[18] Les demanderesses font valoir que ce retard n’était pas excessif ou déraisonnable parce qu’on leur avait signifié les 5 946 documents que les défendeurs avaient produits et qu’il leur avait fallu du temps pour les examiner et les analyser.

[19] Le second retard, disent les demanderesses, est d’une durée de 15 mois et il a eu lieu entre le 27 janvier 2022, date à laquelle la Cour a rendu l’ordonnance fixant l’échéancier. et le mois d’avril 2023, lorsque la Cour a entrepris son second examen de l’état de l’instance. Elles prient la Cour de considérer que la somme des deux périodes de retard équivaut à une période de moins de deux ans sur les 38 mois qui se sont écoulés en tout. Elles allèguent que si l’on considère la situation sous cet angle, un retard de moins de deux ans n’est pas injustifié.

[20] Les demanderesses font remarquer, vraisemblablement en guise d’atténuation, que, pendant la période de 38 mois, elles ont retenu les services d’un nouvel avocat et ont entamé des discussions de règlement avec les défendeurs. Elles font également référence à un certain nombre de décisions par lesquelles notre Cour a refusé de rejeter une requête en rejet pour cause de retard si le délai était inférieur à deux ans : Pilot c McKenzie, 2021 CF 396 au para 14.

[21] L’article 167 des Règles ne dit rien sur la durée du retard qui est requise pour déclencher une conclusion de retard injustifié. La Cour a plutôt le pouvoir discrétionnaire d’évaluer les circonstances particulières de chaque instance et la conduite des parties à celle‑ci pour déterminer si le retard est injustifié ou non. Ce qui est excessif dans une instance particulière peut ne pas l’être dans une autre. Toutefois, dans chaque affaire, l’article 167 des Règles exige que la Cour envisage d’imposer des sanctions moins radicales que le rejet de l’action.

[22] En l’espèce, je ne souscris pas à l’affirmation des demanderesses selon lesquelles le retard n’est pas excessif ou injustifié. Je suis d’avis qu’il est injustifié. La Cour peut difficilement arriver à une conclusion différente quand, comme en l’espèce, elle a déjà effectué deux examens de l’état de l’instance et transformé l’action en une instance à gestion spéciale. Autrement dit, la Cour a investi des ressources judiciaires considérables en tentant de sauver l’instance. En fait, à la suite du premier examen, j’ai rendu une ordonnance soumettant les prochaines mesures à prendre à un échéancier. Les parties avaient négocié ces échéances et les avaient acceptées, mais ni l’une ni l’autre n’a pris une mesure quelconque qui était conforme à cette ordonnance. Comme notre Cour l’a signalé dans la décision Putjotik Fisheries Ltd c Mersey Seafoods Ltd., 2006 CF 491 aux paragraphes 24 et 25, en faisant référence à la décision Ferrostaal Metals Ltd c Evdomon Corp (2000), 181 FTR 265, lorsqu’une ordonnance est rendue à la suite d’un examen sur l’état de l’instance, tout défaut injustifié est sérieux et la Cour se montrera fort peu tolérante envers la partie en défaut.

B. Le retard est‑il excusable?

[23] Dans les arguments qu’elle m’a soumis, l’avocate des demanderesses a incité la Cour à prendre en considération l’ensemble des difficultés qu’ont connues les demanderesses et, en particulier, Mme Comartin, pendant la période de retard. Au nombre de ces difficultés figurent des revers très personnels, les problèmes associés au fait de se représenter soi‑même après avril 2022, les pressions financières exercées sur la société demanderesse, de même que le défaut des défendeurs de communiquer avec les demanderesses une fois qu’elles n’ont plus été représentées par un avocat. Ces diverses circonstances sont exposées en détail dans l’affidavit que Mme Comartin a déposé dans le cadre de la présente requête.

[24] Dans son affidavit, Mme Comartin fait état de divers événements personnellement traumatisants, mettant en cause des membres de sa famille, qu’elle a vécus pendant les périodes de retard. Il n’est nul besoin d’énumérer ces circonstances en l’espèce. Il suffit de signaler que nul ne conteste que Mme Comartin a été aux prises avec des problèmes personnels très sérieux.

[25] Outre ces difficultés personnelles, Mme Comartin a présenté une preuve concernant ses liens avec son ex‑avocat. Elle déclare ne pas avoir été au courant de l’ordonnance fixant l’échéancier du 27 janvier 2022 et que son ex‑avocat ne l’a informée ni de l’existence de l’ordonnance ni des obligations que celle‑ci comportait. Elle dit n’avoir pris connaissance de l’ordonnance qu’après que le greffe de la Cour a envoyé la demande de mise à jour sur l’état de l’instance, datée du 26 avril 2023. Mme Comartin déclare qu’après avoir reçu la directive du 28 avril 2023, elle est entrée en contact avec le greffe de la Cour et s’est conformée à cette directive en produisant une mise à jour sur l’état de l’instance ainsi qu’un échéancier concernant les mesures à prendre avant la tenue d’une conférence préalable au procès, comme la Cour l’avait prescrit.

[26] Dans leurs observations écrites de même que dans leur plaidoirie, les demanderesses font valoir que les défendeurs, qui étaient représentés par un avocat, auraient dû être ou étaient au courant du fait que les demanderesses se représentaient seules et qu’ils auraient dû prendre des mesures pour communiquer avec elles. Au lieu de cela, allèguent‑elles, les défendeurs sont demeurés silencieux et ont décidé d’attendre la fin du retard. Elles affirment que si les défendeurs avaient communiqué avec elles, elles auraient été au courant de l’ordonnance fixant l’échéancier ainsi que des obligations que celle‑ci comportait. C’est ce qui ressort, disent‑elles, du fait qu’après avoir pris connaissance de la situation, elles ont pris des mesures pour se conformer aux directives de la Cour, dont le fait de retenir les services d’un nouvel avocat.

[27] Les défendeurs, tout en reconnaissant les difficultés personnelles auxquelles Mme Comartin a été confrontée, soutiennent que le retard est inexcusable. Ils signalent que ce retard a été persistant et qu’il a commencé dès le début de l’action. De plus, allèguent‑ils, les demanderesses ont le fardeau de faire avancer leur action; les défendeurs ne sont pas soumis à cette obligation. En tout état de cause, signalent‑ils, le gros des difficultés personnelles dont Mme Comartin a fait état est survenu à un moment où les demanderesses étaient encore représentées par un avocat et que ce fait ne pouvait pas constituer le fondement d’un retard excusable.

[28] Les défendeurs font valoir de plus que les demanderesses étaient bien au fait qu’elles étaient non représentées en date d’avril 2022 et, pourtant, elles n’ont rien fait pour retenir les services d’un nouvel avocat jusqu’à ce que la Cour leur en donne l’ordre en 2023. Cette omission, affirment les défendeurs, a créé un retard et elle est inexcusable.

[29] Je suis d’accord avec les défendeurs. Les demanderesses ne m’ont pas persuadée que le retard est excusable. Bien que je sois sensible aux difficultés personnelles que Mme Comartin a vécues, ces faits sont survenus entre septembre 2021 et mars 2022, à une époque où les demanderesses étaient représentées par un avocat. Ces difficultés ne constituent donc pas le fondement d’un retard excusable.

[30] Par ailleurs, je suis d’avis qu’il est particulièrement inutile à la cause des demanderesses de laisser entendre que la faute est d’une certaine façon attribuable aux défendeurs. Dans n’importe quelle action, c’est à la partie demanderesse qu’il revient de faire progresser le litige. Je ne suis au courant d’aucune situation dans laquelle ce fardeau se déplacerait vers la partie défenderesse. Cela ne veut pas dire que cette dernière n’a pas d’obligations correspondantes, un fait dont je traiterai plus loin dans la présente ordonnance, mais la responsabilité ultime incombe à la partie demanderesse.

[31] En l’espèce, les demanderesses ne sont pas parvenues à établir que le retard était excusable. La Cour reconnaît que Mme Comartin a agi avec célérité une fois qu’elle a été confrontée à la directive de la Cour du 28 avril 2023, mais je considère que les mesures prises après cette date, dont la nomination d’un nouvel avocat, sont de nature réparatrice et ne sont le fruit que de la seconde intervention de la Cour dans le cadre de l’action.

C. Les défendeurs sont‑ils susceptibles de subir un préjudice grave du fait du retard?

[32] Devant moi ainsi que dans leurs observations écrites, les défendeurs font valoir qu’ils ont subi un préjudice de nature commerciale et une atteinte à leur réputation par suite des allégations de violation encore non réglées qui sont soulevées dans le cadre de l’action : R c Cragg & Cragg Design Group Ltd, 1998 CarswellNat 1046 [Cragg] aux para 2, 3 et 23.

[33] À l’appui de leur position, les défendeurs ont déposé un certain nombre d’affidavits dans le cadre de la présente requête, dont ceux d’Albert Rempel, un défendeur particulier et le représentant autorisé de Sincerus (Hawk Springs) GP Ltd., (Sincerus GP), de Sincerus (Hawk Springs) Limited Partnership (Sincerus LP), et de Springs Utility Corporation, ainsi que de Lynda Cooke, représente autorisée d’Urban Systems Ltd., et de William Marsh. Chacun des trois déposants fait état d’un préjudice qu’il a subi à cause du litige en cours. Par exemple, Mme Cooke est une ingénieure professionnelle qui déclare que l’existence du litige a eu un effet préjudiciable constant sur Urban Systems et qu’il continue de porter atteinte à sa réputation à titre d’ingénieure professionnelle.

[34] William Marsh, lui aussi ingénieur professionnel, déclare que la défenderesse, Urban Systems Ltd., ne l’a pas employé depuis le printemps de 2019. Il ajoute que les allégations portées contre lui dans le cadre de l’action, c’est‑à‑dire qu’on l’accuse de s’être servi de l’œuvre d’un autre ingénieur professionnel en vue d’un gain personnel, et ce, sans en avoir fait mention de façon particulière, portent sérieusement atteinte à sa réputation professionnelle.

[35] Le déposant Albert Rempel déclare que certains des investisseurs ont fait part de leurs inquiétudes vis‑à‑vis des allégations portées contre les défenderesses Sincerus. Il ajoute que les allégations infondées et non prouvées mettent en doute l’intégrité des défendeurs et leur éthique des affaires.

[36] En réponse, les demanderesses admettent que de longs retards sont [traduction] « en soi » préjudiciables, mais elles laissent entendre que les défendeurs n’ont fourni aucune preuve à l’appui de l’affirmation voulant qu’ils puissent subir un procès moins qu’équitable ou qu’ils aient subi des dommages pécuniaires, comme c’était le cas dans l’affaire Cragg. Elles affirment plutôt que les défendeurs n’ont pas fourni de preuve du préjudice qu’ils ont réellement subi et qu’ils se fondent simplement sur la croyance qu’ils en subiront un. À cela, elles ajoutent que le préjudice que les défendeurs ont subi, subiront ou sont susceptibles de subir ne l’emporte pas sur le préjudice qui leur est causé par le fait d’être privées de la possibilité de faire entendre leur cause.

[37] À mon avis, les défendeurs ne sont pas tenus de fournir une preuve du préjudice réellement subi. Comme l’a conclu la Cour dans la décision Sweet Productions au paragraphe 35, le critère est celui de savoir si le défendeur est susceptible de subir un préjudice grave du fait du retard. En l’espèce, je suis persuadée que les défendeurs se sont acquittés de leur fardeau de prouver la probabilité de préjudice.

D. Y a‑t‑il d’autres sanctions appropriées?

[38] Toutefois, cela ne met pas fin à l’affaire. Le rejet n’étant pas la réparation présumée en cas de retard, il me faut décider s’il n’existe pas une mesure moins radicale qu’il convient de prendre en considération. De façon générale, l’imposition d’une gestion d’instance serait la position subsidiaire à adopter, mais cette voie ne s’est malheureusement pas révélée fructueuse en l’espèce.

[39] Lors de l’audition de la présente affaire, j’ai demandé à l’avocate des demanderesses quelles autres mesures la Cour pourrait envisager. Elle a été incapable d’offrir une suggestion quelconque, mais elle a exprimé l’avis que la nomination d’un nouvel avocat, animé d’une vision nouvelle, devrait rassurer d’une certaine façon la Cour. C’est effectivement le cas. Toutefois, cela ne me permet pas de conclure de manière suffisante qu’il y a une bonne chance que les demanderesses entendent mener la présente action à son terme. La Cour ne peut pas se fier à de simples déclarations d’espoir ou de conviction. Je suis persuadée qu’il faut prendre une mesure supplémentaire pour éviter le rejet de l’action.

[40] À titre de position subsidiaire dans le cadre de leur requête, les défendeurs sollicitent une ordonnance de dépôt d’un cautionnement pour dépens. Est joint à leur dossier de requête un mémoire de frais totalisant la somme de 29 931 $ jusqu’à l’issue du procès. Les demanderesses sont d’avis que la preuve qu’elles ont déposée ne justifie pas le dépôt d’un cautionnement au sens de l’alinéa 416(1)g) des Règles. En tout état de cause, elles affirment que si la Cour est disposée à ordonner le dépôt d’un cautionnement, celui‑ci ne devrait pas dépasser la somme de 9 710 $, payable sous forme de versements.

[41] Je n’ai pas l’intention d’analyser la demande de cautionnement pour dépens sous l’angle de l’article 416 des Règles. Guidée par les articles 3 et 55 des Règles, j’ordonne plutôt le dépôt d’un cautionnement pour dépens dans le but de veiller à ce que les demanderesses fassent instruire la présente affaire de la manière la plus juste et expéditive possible. Le dépôt d’un cautionnement devrait également rassurer dans une certaine mesure les défendeurs que leurs dépens seront recouvrables.

[42] Quant au montant à fixer, je suis d’avis que les demanderesses doivent déposer la somme de 10 000 $, dont 5 000 $ à payer dans les 14 jours suivant la date de la présente ordonnance au plus tard. Les 5 000 $ restants seront déposés après la première série d’interrogatoires préalables. Si les demanderesses négligent de déposer le cautionnement, l’action sera rejetée.

[43] Une fois que les premiers 5 000 $ auront été déposés, les parties se consulteront et, dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance, elles fourniront à la Cour un échéancier portant sur les mesures suivantes à prendre. Si les parties sont incapables de s’entendre, elles solliciteront la tenue d’une conférence de gestion d’instance à cette fin.

[44] En dernier lieu, j’ai été réticente à l’idée de rejeter l’action parce que les défendeurs ne sont pas tout à fait sans tache dans la présente affaire. Comme je l’ai signalé plus tôt, c’est aux demanderesses qu’il incombe de faire avancer leur action. Cependant, une fois qu’une affaire fait l’objet d’une gestion d’instance et que la Cour rend des ordonnances dans le cadre de cette gestion, le défaut d’une partie, quelle qu’elle soit, de se conformer aux conditions de ces ordonnances est une affaire très sérieuse : Kehewin Cree Nation c Watchmaker, 2023 CAF 250 au para 8.

[45] Mon ordonnance du 27 janvier 2022 imposait aux parties des obligations mutuelles, mais les deux ne s’y sont pas conformées. Les demanderesses disent qu’elles n’étaient pas au courant de l’existence de cette ordonnance, mais rien ne prouve qu’elles ont fait quoi que ce soit pour s’informer de la situation pendant la période où elles ont été privées d’un avocat. Elles n’ont tout simplement rien fait, ce qui est inacceptable. On peut en dire autant des défendeurs. Ils ont souscrit aux échéanciers et étaient eux aussi liés par les conditions de l’ordonnance. Pourtant, ils n’ont rien fait pour se conformer à une ordonnance de la Cour. Devant moi, l’avocat des défendeurs Sincerus a confirmé qu’il n’y a dans son dossier aucun élément qui prouve que des mesures quelconques ont été prises pour procéder à des interrogatoires préalables – la première des obligations mutuelles consignées dans mon ordonnance. C’est pour cette raison qu’il m’est impossible de conclure que l’action devrait être rejetée à la suite de la requête des défendeurs.

[46] Pour l’avenir, je rappelle aux parties que les ordonnances ne sont pas de simples suggestions de la part de la Cour et que tout défaut de s’y conformer ne sera pas toléré.

 


ORDONNANCE dans le dossier T‑1342‑20

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1. La requête des défendeurs est accueillie en partie.

2. Dans les 14 jours suivant la date de la présente ordonnance, les demanderesses déposeront un cautionnement pour dépens d’un montant de 5 000 $, faute de quoi l’action sera rejetée avec dépens en faveur des défendeurs.

3. À la conclusion de la première série d’interrogatoires préalables, les demanderesses déposeront un montant supplémentaire de 5 000 $ à titre de cautionnement, faute de quoi l’action sera rejetée avec dépens en faveur des défendeurs.

4. Après le dépôt du cautionnement pour dépens qu’exige le paragraphe 2 de la présente ordonnance, les parties se consulteront et, dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance, elles produiront un échéancier fixé d’un commun accord pour les prochaines étapes préalables à la tenue d’une conférence préalable au procès.

5. Si les parties ne peuvent s’entendre sur un échéancier, elles solliciteront une conférence de gestion d’instance et feront part des dates de disponibilité qui leur conviendront mutuellement.

 

 

6. Les dépens afférents à la présente requête suivront l’issue de la cause.

« Catherine A. Coughlan »

Juge adjointe

Traduction certifiée

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1342‑20

 

INTITULÉ :

TRINA COMARTIN et PURE ELEMENTS ENVIRONMENTAL SOLUTIONS LTD. c WILLIAM PATRICK MARSH (AUSSI APPELÉ BILL MARSH), URBAN SYSTEMS LTD., SINCERUS (HAWK SPRINGS) GP LTD., SINCERUS (HAWK SPRINGS) LIMITED PARTNERSHIP, ALBERT REMPEL et SPRINGS UTILITY CORPORATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 JANVIER 2024

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE ADJOINTE COUGHLAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 JANVIER 2024

 

COMPARUTIONS :

Georgina Danzig

Annette Latoszewska

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

David A. McMillan

POUR LES DÉFENDEURS

WILLIAM PATRICK MARSH (AUSSI APPELÉ BILL MARSH), URBAN SYSTEMS LTD.

 

Matthew X. James

Kyle Shewchuk

POUR LES DÉFENDEURS

SINCERUS (HAWK SPRINGS) GP LTD., SINCERUS (HAWK SPRINGS) LIMITED PARTNERSHIP, ALBERT REMPEL et SPRINGS UTILITY CORPORATION

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Heer Law

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

David A. McMillan Law Office

Kamloops (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS

WILLIAM PATRICK MARSH (AUSSI APPELÉ BILL MARSH), URBAN SYSTEMS LTD.

 

James & McCall Barristers

Calgary (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS

SINCERUS (HAWK SPRINGS) GP LTD., SINCERUS (HAWK SPRINGS) LIMITED PARTNERSHIP, ALBERT REMPEL et SPRINGS UTILITY CORPORATION

 

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