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Date : 20240610


Dossier : T-2046-23

Référence : 2024 CF 882

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2024

En présence de l'honorable monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

ÉRIC TREMBLAY

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Éric Tremblay, qui s’identifie sous le pseudonyme de « Chantal-E », demande le contrôle judiciaire d’une décision datée du 30 août 2023 [la décision] par laquelle une agente de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] l’a déclaré(e) inadmissible à recevoir la Prestation canadienne de la relance économique [PCRE]. L’ARC administre la PCRE au nom du ministre de l’Emploi et du Développement social [Ministre].

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agente n’est pas déraisonnable, donc la demande doit être rejetée.

II. Contexte

[3] Le demandeur a fait une demande de prestations pour les périodes 1 à 27, soit pour les périodes de deux semaines allant du 27 septembre 2020 au 9 octobre 2021. Sur la foi de ses déclarations, les demandes pour les périodes 1 à 27 ont été acceptées par l’ARC, et ce, sans examen par un agent de validation de prestation. Cependant, lors du traitement de la demande pour la période 28, toutes les demandes de prestations antérieures ont fait l’objet d’une vérification. L’agent de premier examen a conclu que le demandeur n’était pas admissible à la PCRE parce que le demandeur n’avait pas gagné au moins 5 000 $ de revenu d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande de prestation.

[4] Insatisfait de cette décision, le demandeur a présenté une demande de réexamen auprès de l’ARC. L’agente responsable du deuxième examen est arrivée toutefois à la même conclusion que le premier agent. L’agente explique bien sa conclusion qu’elle tire des faits qui lui ont été soumis, soit que le demandeur « déclare des revenus d’entreprises ou de profession libérale négatifs depuis 2014 ». Elle note en outre que les revenus de REER et de prestations d’urgence ne sont pas admissibles et ne les a donc pas pris en considération dans son analyse du critère de revenus minimaux de 5 000 $, conformément aux exigences de l’article 3 de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, article 2 [la Loi].

[5] Cet article prévoit que pour être admissible à la PCRE, un demandeur doit, entre autres, démontrer qu’il a gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020, ou au cours des 12 mois précédant la date de la demande de PCRE. Il n’est pas contesté que le demandeur ne satisfaisait pas ce critère.

III. Analyse

[6] Le demandeur a fait valoir dans son avis de demande que l’ARC traitait de manière discriminatoire les travailleurs autonomes par rapport aux travailleurs salariés. L’argument n’a toutefois pas été développé ni repris dans son mémoire. Il suffit de préciser que pour les demandes de PCRE, l’ARC fonde son analyse sur les critères objectifs prescrits par la Loi qui ne sont pas discrétionnaires. L’agente ayant rendu la deuxième décision n’avait pas d’autre choix que de les appliquer. Notamment, ses mains étaient liées et elle devait considérer uniquement le revenu net du demandeur et non pas le revenu brut (Labrosse c Canada (Procureur général), 2022 CF 1792 au para 22).

[7] L’argument principal du demandeur est que la décision de l’agente responsable du deuxième examen est déraisonnable puisque le Ministre ne pouvait examiner « de nouveau » sa demande de PCRE suite au versement des prestations, en s'appuyant sur le texte de l’article 7 de la Loi, qui se lit comme suit :

7. Le ministre verse la prestation canadienne de relance économique à la personne qui présente une demande en vertu de l’article 4 et qui y est admissible.

7. The Minister must pay a Canada recovery benefit to a person who makes an application under section 4 and who is eligible for the benefit.

 

[8] Le demandeur soumet que l’interprétation de l’article 7 adoptée par l’ARC, soit que le Ministre peut examiner toute demande de prestation suite au versement des prestations, mène à un résultat absurde de procéder à des versements de prestation sans examen, ce qui contrevient directement avec l’article 7. Selon le demandeur, une fois que les prestations lui ont été versées, son admissibilité aux prestations a été tranchée de façon définitive et ne pouvait donc pas être reconsidérée.

[9] Cet argument doit être rejeté. On ne saurait détacher un article, l’interpréter hors contexte puis le remettre dans la Loi avec le sens qu’on lui aura assigné. Le principe qui s’applique en matière d’interprétation législative veut que les termes d’une loi soient interprétés dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27 au para 21).

[10] Le paragraphe 30(1) de la PCRE prévoit que sous réserve du paragraphe 30(5) le Ministre peut examiner de nouveau toute demande de prestation au titre de la Loi dans les 36 mois qui suivent le versement des prestations. Le paragraphe 30(5) précise que lorsque le Ministre estime qu’une déclaration ou affirmation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestation au titre de la présente Loi, il dispose d’un délai de 72 mois pour réexaminer la demande. Le paragraphe 30(2) prévoit, en outre, que le Ministre, s’il décide qu’une personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquelles elle n’était pas admissible, calcule la somme et notifie sa décision à cette personne.

[11] Les dispositions précitées sont sans équivoque. Les prestations de PCRE ont été versées au demandeur sur la foi de ses déclarations tenues pour véridiques. Le Ministre était toutefois autorisé par la Loi de procéder à la vérification des demandes de PCRE du demandeur lors du processus de vérification et, à bon droit, de décider si le demandeur était inadmissible aux prestations faute de satisfaire aux critères prescrits par la Loi.

[12] Il est certes regrettable qu’il y a eu en l’espèce un retard important à entamer le processus de vérification des demandes de prestations et que le demandeur se sente lésé. Il n’en demeure pas moins que la décision contestée n’est pas déraisonnable, puisqu’elle est intelligible et justifiée à la lumière des faits et du droit. Je ne vois aucune erreur justifiant l’intervention de cette Cour.

[13] J’ajoute, à titre indicatif, que le demandeur réclame un montant de 433 677,43 $ au défendeur comme dédommagement pour des préjudices extracontractuels subis à cause de pertes d’honoraires. Or, le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 ne permet pas à cette Cour d’octroyer des dommages-intérêts dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, 2010 CSC 62 aux para 26-27; Première Nation Huronne-Wendat c Canada, 2014 CF 91 au para 28; Canada (Procureur général) c Aéroports de Montréal, 2023 CF 1562 au para 151).

IV. Conclusion

[14] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir que la décision est déraisonnable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[15] Compte tenu des conclusions précitées, aucuns dépens ne seront adjugés en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier T-2046-23

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés en l’espèce.

 

« Roger R. Lafrenière »

 

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2046-23

INTITULÉ :

ERIC TREMBLAY c PROCUREUR GENERAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 mai 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :

LE 10 JUIN 2024

COMPARUTIONS :

Éric Tremblay

POUR LE DEMANDEUR

(EN SON PROPRE NOM)

Me Jérémie Fortin-Legoux

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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