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Date : 20240613

Dossier : IMM-3825-22

Référence : 2024 CF 911

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2024

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

demandeur

(intimé)

et

DEMAINE ATHOL ASPHALL

défendeur

(requérant)

ORDONNANCE

VU la requête présentée par le défendeur, Demaine Athol Asphall, en vertu de l’alinéa 397(1)b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, dans laquelle il demande le réexamen d’un jugement rendu par la juge Susan Elliott le 9 août 2023 (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Asphall, 2023 CF 1090 [Asphall]);

ET APRÈS lecture des documents déposés;

ET CONSIDÉRANT ce qui suit :

Sauf dans des circonstances exceptionnelles, la requête en modification ou en réexamen doit être présentée au juge ayant rendu l’ordonnance dont la modification est demandée. Les circonstances exceptionnelles s’entendent des impératifs d’administration de la Cour ainsi que sur la maladie ou l’incapacité du juge concerné (Arif v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2009] FCJ no 1714 aux para 13-16, citant Gabriel c Mohawks de Kanesatake, [2003] ACF no 616 et Canada (Procureur général) c Khawaja, 2007 CAF 342, le juge Pelletier, motifs concourants). La juge Elliott n’a pas tranché la présente requête en réexamen avant son départ à la retraite de la Cour le 1er juin 2024, et la requête a donc été renvoyée à un autre juge pour décision.

Le contexte de la présente instance a été résumé par la juge Elliott de la façon suivante (Asphall, aux para 3-14) :

[traduction]

[3] Le défendeur est un citoyen de la Jamaïque qui est résident permanent du Canada depuis novembre 1993.

[4] Le 11 mars 2015, il a plaidé coupable à des accusations de possession d’une arme à feu à autorisation restreinte avec des munitions, de port d’une arme dissimulée et de violation d’une interdiction de possession d’armes. Il a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour pour l’accusation de possession, de 90 jours consécutifs pour celle de port d’une arme dissimulée et de 60 jours consécutifs pour celle de violation d’une interdiction de possession d’armes, ce qui totalise une peine de plus de deux ans d’emprisonnement.

[5] En octobre 2020, le défendeur a appris que l’Agence des services frontaliers du Canada avait établi un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) dans lequel elle alléguait qu’il était interdit de territoire au Canada, puisqu’en mars 2015, il avait été déclaré coupable de possession d’une arme à feu à autorisation restreinte avec des munitions.

[6] Le défendeur a par la suite retenu les services d’un avocat pour interjeter appel de ses déclarations de culpabilité et de ses peines devant la Cour d’appel de l’Ontario au motif qu’en première instance, son avocat ne l’avait pas informé des conséquences indirectes en matière d’immigration que son plaidoyer de culpabilité pourrait entraîner et de la fourchette de peines que le juge pourrait lui infliger.

[7] Le défendeur a demandé que l’enquête le visant soit reportée en attendant l’issue de son appel au criminel. La Section de l’immigration (la SI) a rejeté la demande du défendeur et, le 1er février 2021, elle a procédé à l’enquête demandée par le demandeur.

[8] À la fin de son enquête, la SI a pris une mesure d’expulsion après avoir conclu que le défendeur était interdit de territoire pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

[9] En décembre 2021, la Couronne a reconnu que l’appel au criminel interjeté par le défendeur devait être accueilli. Le 7 janvier 2022, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu une ordonnance avec motifs par laquelle elle a accueilli l’appel et a annulé les déclarations de culpabilité du défendeur : R v Asphall, 2022 ONCA 1.

[10] Le 10 janvier 2022, le défendeur a déposé auprès de la SAI une demande de prorogation du délai pour interjeter appel de la mesure de renvoi le visant. Advenant l’octroi de la prorogation, le défendeur a également demandé qu’il soit fait droit à l’appel en cabinet compte tenu de l’annulation de ses déclarations de culpabilité visées par le rapport.

[11] Le ministre s’est opposé à la demande du défendeur et a fait valoir qu’au titre du paragraphe 64(1) de la LIPR, ce dernier n’avait pas de droit d’appel.

[12] Le 1er mars 2022, concluant que l’intérêt de la justice le justifiait dans les circonstances, la SAI a accueilli la demande de prorogation de délai présentée par le défendeur pour interjeter appel.

[13] Par suite de la prorogation de délai accordée pour permettre le dépôt de l’appel, le demandeur et le défendeur ont présenté des observations à la SAI concernant la validité juridique de la mesure de renvoi prise contre le défendeur.

[14] Le 12 avril 2022, la SAI a accueilli l’appel du défendeur et a conclu que la mesure de renvoi n’était plus valide en droit au moment de l’appel devant la SAI compte tenu de l’ordonnance de la Cour d’appel de l’Ontario annulant les déclarations de culpabilité visées par le rapport.

Le ministre a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SAI. Le 9 août 2023, la juge Elliott a accueilli la demande de contrôle judiciaire et a annulé la décision de la SAI. Ayant conclu que la SAI n’avait pas compétence pour accorder la prorogation de délai ou faire droit à l’appel, elle n’a pas renvoyé l’affaire à la SAI pour un nouvel examen.

Selon M. Asphall, le jugement rendu par la juge Elliott constitue une dérogation aux précédents établis. En refusant de renvoyer l’affaire à la SAI pour un nouvel examen, la juge Elliott est allée au-delà de ce que le ministre avait demandé et a outrepassé sa compétence. M. Asphall dit qu’il se retrouve dans une situation juridique incertaine : l’appel accueilli de ses déclarations de culpabilité signifie que la mesure d’expulsion n’est plus exécutoire, mais il a perdu son statut de résident permanent et demeure interdit de territoire au Canada. Il dit que la décision de la juge Elliott a de graves conséquences pour des personnes se trouvant dans une situation similaire, et la juge Elliott n’a pas donné aux parties la possibilité de proposer des questions graves de portée générale à certifier en vue d’un appel (LIPR, art 74d)).

M. Asphall demande à la Cour de prendre l’une des mesures suivantes :

  • a)rejeter la demande de contrôle judiciaire du demandeur et annuler ainsi la décision rendue concernant la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire;

  • b)à titre subsidiaire, renvoyer l’affaire à la SAI pour un nouvel examen en modifiant les motifs du jugement afin de changer la réparation demandée et les motifs à l’appui;

  • c)certifier une question de portée générale en vue d’un appel;

  • d)donner aux parties la possibilité de présenter des observations portant sur la réparation existante et rendre une nouvelle décision à cet égard et certifier une question de portée générale en vue d’un appel.

Aucune de ces réparations ne peut être obtenue au moyen d’une requête en réexamen présentée au titre de l’article 397 des Règles.

Le pouvoir, qui est conféré à la Cour suivant l’article 397 des Règles, de réexaminer les ordonnances ou les jugements pour tenir compte de toute erreur, de toute omission ou de tout oubli « est beaucoup plus restreint qu’il n’y paraît »« la cour ne peut réexaminer une affaire et infirmer la décision qu’elle a rendue » (Canada c MacDonald, 2021 CAF 6 au para 17). Comme le juge Denis Gascon l’a expliqué dans la décision Alsaloussi c Canada (Procureur général), 2020 CF 533 :

L’article 397 des Règles ne permet pas à la Cour d’entendre une requête dont la nature s’apparente à celle d’un appel de sa propre décision. La bonne façon de contester une décision sur le fond consiste à interjeter appel, lorsque cet appel s’inscrit dans les recours possibles. De même, un moyen qui touche à la validité de la décision au fond plutôt qu’à la correction d’une coquille ou d’une omission involontaire de la Cour ne peut pas être invoqué par une requête en réexamen présentée en vertu de l’article 397 des Règles (Yeager c Day, 2013 CAF 258 au para 14);

Le paragraphe 397(1) des Règles ne vise pas à faire infirmer une décision déjà rendue (Taker c Canada (Procureur général), 2012 CAF 83 au para 4), mais plutôt à permettre à la Cour de corriger des erreurs commises par inadvertance ou des omissions dans un jugement et de veiller à ce que le jugement exprime correctement l’intention du juge l’ayant prononcé et statue sur toutes les questions à trancher (Pharmascience Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2003 CAF 333 aux para 12-15);

Plus précisément, le pouvoir prévu à l’alinéa 397(1)a) des Règles de réexaminer une ordonnance du fait qu’elle « ne concorde pas avec les motifs qui, le cas échéant, ont été donnés pour la justifier » est limité. En pareil cas, la Cour ne peut apporter des corrections à une ordonnance « que si l’ordonnance ne reflète pas l’intention manifeste de la Cour, telle qu’elle est exprimée dans les motifs donnés par celle-ci » (McCrea c Canada (Procureur général), 2016 CAF 285 [McCrea] au para 10);

La discordance visée à l’alinéa 397(1)a) des Règles fait référence aux cas où les motifs favorisent une partie et pourtant, en raison d’une erreur manifeste et évidente ou d’une omission, ce n’est pas le cas de l’ordonnance (Davey c Canada, 2016 CF 492 au para 17)[.]

Il ressort clairement des arguments de M. Asphall qu’il ne cherche pas à faire corriger une coquille ou une omission involontaire de la Cour, mais qu’il conteste plutôt la validité de la décision au fond de la juge Elliott. En demandant à la Cour de rejeter la demande de contrôle judiciaire, il cherche à faire annuler la décision. En demandant une réparation différente et une modification des motifs, il cherche à modifier une décision déjà rendue. Il ne peut être sérieusement remis en doute que le jugement de la juge Elliott « reflète […] l’intention manifeste de la Cour, telle qu’elle est exprimée dans les motifs donnés ».

En principe, l’article 397 des Règles ne permet pas de rouvrir un jugement afin de présenter une question aux fins de certification en vue d’un appel (Naboulsi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 357 aux para 13, 20, citant Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145 au para 29 et Raina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 318 au para 9).

Comme la Cour d’appel fédérale l’a conclu dans l’arrêt Sharma c Canada (Agence du revenu), 2020 CAF 203 (au para 3) :

L’article 397 des Règles dispose qu’une partie peut demander à la Cour fédérale d’examiner de nouveau les termes d’une ordonnance qu’elle a rendue si l’ordonnance ne concorde pas avec les motifs qui ont été donnés pour la justifier ou si une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement. Il est clair que cette procédure n’est pas un moyen d’appel déguisé qui autoriserait les parties à débattre une seconde fois une question dans l’espoir que la Cour change d’avis : Bell Helicopter Textron Canada Limitée c. Eurocopter, 2013 CAF 261, au paragraphe 15.

Je suis d’accord avec le ministre que les conséquences du jugement de la juge Elliott pour M. Asphall personnellement, et pour d’autres personnes se trouvant dans une situation similaire, ne sont pas aussi graves que M. Asphall le prétend. La mesure d’expulsion prise à son endroit n’est pas actuellement exécutoire. S’il souhaite présenter une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il peut le faire : une personne interdite de territoire au titre de l’article 36 de la LIPR a le droit de présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (LIPR, art 25). Pour ce qui des questions graves de portée générale soulevées par le jugement rendu par la juge Elliott, ces mêmes questions se posent présentement devant la Cour dans l’affaire Rebelo c Canada (Citoyenneté et Immigration), dossier de la Cour no IMM-704-24. Les parties à cette instance auront la possibilité de proposer les questions à certifier en vue d’un appel qu’elles estiment appropriées.

LA COUR ORDONNE que la requête de M. Asphall visant à obtenir un nouvel examen du jugement rendu par la juge Elliott le 9 août 2023 est rejetée.

blank

« Simon Fothergill »

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Juge

Traduction certifiée conforme

Claudia De Angelis

 

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