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Date : 20240604


Dossier : IMM-3930-23

Référence : 2024 CF 804

Ottawa (Ontario), le 4 juin 2024

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

JESUTONDIN KPAGBE SAGBOHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION CANADA

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Survol

[1] M. Jesutondin Kpagbe Sagbohan est un citoyen du Bénin, arrivé au Canada en mai 2018 muni d’un permis d’études. Il a abandonné ses études en janvier 2019 tout en demeurant au Canada. En avril 2021, il aurait reçu des lettres de menaces de l’oncle d’une ex-copine avec qui il aurait eu un enfant et du nouveau conjoint de celle-ci (nous reviendrons sur ces lettres plus loin).

[2] Il a donc déposé une demande d’asile le 28 avril 2021, alléguant craindre ces individus et la famille de son ex-copine qui le menacent pour avoir eu avec elle un enfant hors mariage.

[3] Il allègue que le 10 septembre 2016, alors qu’il attendait sa copine à l’aéroport, deux gendarmes l’auraient agressé et transporté à la gendarmerie où il aurait été menacé et malmené. Après cet incident, le demandeur se serait réfugié chez son oncle à Ouidah. Dans son récit initial, il indique n’y être demeuré que quelques jours, alors qu’à l’audience devant la SPR il témoigne qu’il y est plutôt demeuré six mois.

[4] La Section de la protection des réfugiés [SPR] et la Section d’appel des réfugiés [SAR] ont rejeté la demande d’asile du demandeur, étant d’avis qu’elle manquait de crédibilité. C’est cette dernière décision qui fait l’objet de la présente demande.

II. Décision contestée

[5] Dans un premier temps, la SAR note que la crédibilité du demandeur a été mise à l’épreuve sur un certain nombre d’éléments cruciaux: son délai à demander l’asile, son comportement incompatible avec celui d’une personne qui craint pour sa vie, un certain nombre de contradictions inexpliquées de façon satisfaisante, ainsi qu’une absence totale de preuve documentaire pouvant corroborer son récit.

[6] Le demandeur indique que la peur qu’il ressentait au moment de rédiger son récit explique les contradictions notées par la SAR quant à la durée de son séjour à Ouidah. La SAR n’est pas satisfaite de cette explication. Le fait de vivre caché dans son pays pour une période de 6 mois n’est pas banal et le demandeur a eu amplement de temps d’apporter des modifications ou précisions à son récit.

[7] D’après son formulaire de Fondement de la demande d’asile, le demandeur s’est rendu à l’université et a travaillé comme gestionnaire de stock à Porto Novo au cours de la période de 15 mois suivant le premier épisode de violence. La SAR est d’avis que le demandeur ajuste son témoignage pour expliquer l’absence d’incident durant cette période, ce qui mine sa crédibilité quant à la crainte alléguée.

[8] La SAR conclut également que le demandeur n’établit pas l’existence de ses agents de préjudice ni l’existence des menaces. Bien qu’il témoigne avoir reçu deux lettres de menace en avril 2021, il ne les aurait pas conservées; il les aurait déchirées et jetées tellement il était en colère. L’absence de preuve documentaire renforce les conclusions de la SAR.

[9] Enfin, la SAR tire une inférence négative du fait que le demandeur a tardé à demander l’asile et qu’il ne l’a fait que deux ans après avoir cessé de rencontrer les conditions de son permis d’étude.

III. Question en litige et norme de contrôle

[10] La seule question soulevée par cette demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la SAR a erré dans son analyse de la crédibilité du demandeur. La norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

IV. Analyse

[11] Il est bien connu que l’analyse de la crédibilité d’un demandeur d’asile relève de la SAR et de la SPR avant elle. La Cour n’interviendra que si ses conclusions de faits sont arbitraires, abusives et ne tiennent pas compte de la preuve.

[12] Or en l’espèce, les conclusions de la SAR sont plutôt rationnelles et fondées sur la preuve qui lui a été soumise.

[13] La SAR note plusieurs contradictions et omissions qui minent la crédibilité du demandeur.

[14] D’abord, le demandeur a attendu trois ans après son arrivée au Canada pour demander l’asile. Le demandeur plaide qu’il n’avait pas à le faire puisqu’il avait un statut temporaire et qu’il n’avait pas à craindre d’être retourné dans son pays. Or, le demandeur n’avait un statut temporaire que jusqu’en janvier 2019, moment où il a cessé de respecter les conditions de son permis d’études. Dans un tel cas, il était loisible à la SAR de conclure que le fait d’avoir attendu plus de deux ans constitue un facteur important dans l’appréciation de la crédibilité du demandeur (Gyawali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2003 CF 1122, au para 16).

[15] Cette conclusion s’impose d’autant plus lorsque ce facteur est considéré à la lumière de l’ensemble de la preuve.

[16] Le demandeur allègue que ce qui l’a incité à déposer une demande d’asile en avril 2021 est la réception des lettres de menaces de l’oncle de son ex-copine et du nouveau conjoint de celle-ci. Or, il ne conserve pas ces lettres. Il était loisible à la SAR de ne pas accepter ses explications qui sont, pour tout dire, difficiles à comprendre.

[17] Il y a également un écart considérable entre le narratif du demandeur et le témoignage qu’il a fourni à la SPR quant à la durée de son séjour à Ouidah et quant à sa présence à l’université et à son lieu de travail, alors qu’il allègue avoir vécu caché pour la même période. Cet élément étant au cœur de la demande d’asile du demandeur, il était raisonnable pour la SAR de ne pas accepter les explications du demandeur.

[18] Comme le note le juge Denis Gascon dans l’affaire Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 au para 43, le « juge des faits peut décider d’accorder peu ou pas de poids à la preuve et conclure que la norme de preuve prescrite par la loi n’a pas été satisfaite. Dans le même ordre d’idées, la présomption de véracité ou de fiabilité des déclarations faites par les demandeurs d’asile, telle qu’exprimée dans Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1979 CanLII 4098 (CAF), [1980] 2 CF 302 (CAF), ne peut être considérée comme une présomption que la preuve est satisfaisante. »

[19] Les contradictions et incohérences soulevées par la SAR, et par la SPR avant elle, sont au cœur de la demande d’asile du demandeur. Elles ne sont pas mineures et leur cumul rend la décision de la SAR parfaitement raisonnable.

V. Conclusion

[20] Le demandeur ne m’a pas convaincue que la SAR aurait erré dans son appréciation de la preuve, de sorte que sa demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[21] Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale pour fins de certification et aucune telle question n’émane des faits de cette affaire.

 


JUGEMENT dans IMM-3930-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3930-23

 

INTITULÉ :

JESUTONDIN KPAGBE SAGBOHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 mai 2024

 

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 juin 2024

 

COMPARUTIONS :

Gracia Mouboli Bakonga

Pour le demandeur

 

Larissa Foucault

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gracia Mouboli Bakonga

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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