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Date : 20240621

Dossier : T-681-23

Référence : 2024 CF 972

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2024

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

ENTRE :

RÉGIS BENIEY

demandeur

et

AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Régis Beniey [demandeur] dépose une requête intitulée Requête en appel de l’ordonnance du 22 novembre 2023 du juge adjoint Duchesne et pour la production des documents pertinents réclamés par le demandeur, datée du 4 décembre 2023, sous la règle 364 Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles], afin d’obtenir une ordonnance de la Cour l’Agence des Services Frontaliers du Canada [ASFC] de transmettre sans délai une copie certifiée de documents dans sa possession, et d’autre part, pour une ordonnance accordant la demande d’une conférence de gestion de l’instance dans le but de s’enquérir au sujet des renseignements pertinents et documents clés.

[2] Le défendeur s’oppose à la requête, stipulant que la règle 317 et 318 des Règles sur lesquels le demandeur se fie pour les fins de sa requête ne s’appliquent pas dans ce dossier. Le défendeur allègue aussi que le demandeur cherche à porter en appel la directive du juge adjoint Duchesne datée du 22 novembre 2023 rejetant la demande datée du 10 mai 2023 pour une conférence de gestion, malgré qu’une directive ne peut être portée en appel.

I. Analyse

[3] Le 31 mars 2023, le demandeur dépose un avis de demande à la Cour, intentant un recours à l’encontre de l’ASFC en vertu des articles 77 et 79 de la Loi sur les langues officielles, RSC 1985, c 31 (4e supp) [LLO]. D’après la demande, le demandeur « sollicite une condamnation imposant des conséquences concrètes, des dommages-intérêts, des dommages punitifs, une lettre d’excuses officielle, ainsi que des réponses dans la langue française car l’(ASFC) persiste et continue de refuser de se conformer aux obligations que la (LLO) lui impose ».

[4] Le sujet du recours s’agit de plusieurs plaintes que le demandeur a fait parvenir au Commissaire aux langues officielles du Canada [Commissaire]. Le demandeur allègue avoir subi des manquements, lorsque l’ASFC n’a pas communiqué avec le demandeur dans la langue française. Le demandeur a soumis, dans son avis de demande, une liste de documents qu’il souhaite recevoir de l’ASFC : « une demande de documents en la possession des offices fédéraux ». Le demandeur se réfère à la règle 17 des Règles pour justifier sa demande.

[5] Plus précisément, le demandeur cherche la production de : (a) toute politique et pratique administrative sur laquelle l’ASFC s’était fondée; (b) tout document préparatoire interne, sans égard à sa provenance, dans la mesure où il a été créé par l’ASFC dans le cadre des plaintes; (c) tout document qui est joint ou annexé à un document et tout document mentionné dans un document en lien avec les plaintes mentionnées, et ce, sans égard à la nature; (d) tout document créé par, ou pour, les fonctionnaires et les consultants de l’ASFC en raison et en lien avec les plaintes en litige; (e) la copie unique et originale de la plainte pour harcèlement du demandeur telle qu’elle fut transmise à l’ASFC en septembre 2016.

[6] Le 24 avril 2023, le défendeur dépose son opposition en vertu de la règle 318 des Règles pour éviter qu’une ordonnance accueille la demande déposée par le demandeur le 31 mars 2023 pour obtenir le dossier certifié. Les motifs du défendeur pour y faire opposition à la demande sont que « le recours du demandeur sous l’article 77(1) de la (LLO) est un recours qui est entendu et jugé come (sic) une nouvelle affaire (processus de novo) plutôt qu’une demande de révision judiciaire d’une décision d’un office fédéral ».

[7] Le défendeur cite les arrêts Lavigne c Société canadienne des postes, 2009 CF 756 [Lavigne] aux paragraphes 23 à 28, et Canada (Santé) c Preventous Collaborative Health, 2022 CAF 153 [Preventous] au paragraphe 9, pour étayer son argument, que la règle 317 des Règles encadre une obligation à une production de documents (par exemple, le dossier certifié) de la part d’un tribunal dans le contexte d’un contrôle judiciaire, notamment lorsque le demandeur conteste une décision. Cette règle ne s’applique pas dans le cadre d’un recours sous l’article 77 de la LLO, puisque le recours ne vise pas la décision du Commissaire, mais plutôt le bien-fondé des plaintes déposées auprès de lui.

[8] Le 4 mai 2023, le demandeur dépose une réponse à la lettre du défendeur du 24 avril 2023. Le demandeur explique qu’il est « dans l’impossibilité de faire référence à certains documents clés dont seule la défenderesse a la possession et dont le demandeur est l’auteur ». Le demandeur demande que la Cour convie les parties pour participer à une conférence de gestion virtuelle pour discuter des documents, et s’entendre sur les documents permettant au demandeur de remettre un affidavit complet.

[9] Le 9 mai 2023[1], le défendeur répond à l’invitation de la Cour à prendre position concernant la demande de conférence de gestion formulée par le demandeur le 4 mai 2023, laquelle fait suite à l’opposition du défendeur du 24 avril 2023 fondée sur la règle 318 des Règles.

[10] Le défendeur prend la position qu’une conférence de gestion n’est pas nécessaire ni dans l’intérêt de la justice, et que la Cour dispose déjà de toute l’information nécessaire afin de déterminer le bien-fondé de l’opposition du défendeur. Le défendeur met d’avant que rien n’empêche le demandeur de relater dans son affidavit les faits à l’appui de sa demande, « ce qui constitue de la preuve en soi ».

[11] Le défendeur cite les paragraphes 16 à 18 de l’arrêt Preventous pour faire l’argument que d’autres mécanismes existent pour l’obtention de la preuve. Ces paragraphes décrivent la manière de constituer le dossier de preuve dans une demande, soit par voie d’affidavits et contre-interrogatoires, et le dépôt des dossiers (Preventous au para 17, citant les règles 306 à 310 soit la partie 5 des Règles). La Cour d’appel fédérale souligne que la procédure à suivre pour présenter de telles demandes, notamment qu’il existe la possibilité de demander une ordonnance de production (Preventous au para 18).

[12] Le 10 mai 2023, le demandeur fait suite à la lettre du défendeur du 9 mai 2023. Il souligne sa position quant à l’importance d’une conférence de gestion de l’instance.

[13] Le 22 novembre 2023, le juge adjoint Duchesne communique une directive dans laquelle il rejette la demande de conférence de gestion. Il précise qu’ « étant donné que le dossier n’est pas un dossier en gestion spéciale, il n’y a pas lieu de convoquer les parties à une conférence de gestion ».

[14] Le 4 décembre 2023, le demandeur dépose la présente requête et il précise dans son dossier de requête qu’il demande à la Cour de rendre une ordonnance pour une conférence de gestion de l’instance; de rendre une ordonnance pour obliger le défendeur de déposer à la Cour le dossier certifié; et d’infirmer et d’annuler la décision du juge adjoint Duchesne en date du 22 novembre 2023.

[15] Le demandeur a précisé durant ses prétentions orales qu’il cherche une ordonnance de la Cour d’imposer une conférence de gestion de dossier, et que ce n’est pas un appel de la directive du juge adjoint Duchesne. Je ne suis pas du même avis. En dépit de ses prétentions orales, il s’agit néanmoins d’un appel.

[16] Je mets l’emphase sur le titre qui figure sur la requête déposée le 4 décembre 2023, par le demandeur qui s’intitule Requête en appel de l’ordonnance du 22 novembre 2023 du juge adjoint Duchesne et pour la production des documents pertinents réclamés par le demandeur. Le demandeur conteste la directive du juge adjoint rejetant sa demande pour une conférence de gestion de l’instance. Il cherche dans cette présente requête la même chose.

[17] Une ordonnance d’un juge adjoint peut être portée en appel en vertu de la règle 51 des Règles. Par contre, je suis d’avis que la communication du juge adjoint s’agit d’une directive et non d’une ordonnance. La jurisprudence de notre Cour est bien établie « qu’une directive n’est pas susceptible d’appel » : Froom c Canada, 2003 CAF 141 aux para 2-3; Peak Innovations Inc c Simpson Strong-Tie Company Inc, 2011 CAF 81 au para 2; and Kostic c Canada, 2023 CF 508 au para 64. La directive du juge adjoint n’est pas susceptible d’appel.

[18] De plus, la Cour doit pouvoir jouir de sa procédure et possède le pouvoir discrétionnaire concernant les instances à gestion spéciale (règle 384 des Règles), ainsi que les demandes de conférence de gestion. Même s’il s’agissait d’une ordonnance, je ne vois aucune erreur manifeste et dominante de la part du juge adjoint qui justifierait l’intervention de la Cour (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215). Le juge adjoint ne s’était pas dérogé aux Règles. Je ne vois donc aucune raison de perturber la directive du juge adjoint.

[19] Dans sa requête pour une ordonnance en vertu de la règle 317, le demandeur se repose sur l’arrêt Lukács c Canada (Office des transports), 2016 CAF 103 [Lukács], au paragraphe 20, afin de se prévaloir que la transmission des documents, ou des éléments matériels pertinents, est obligatoire puisque ce sont des éléments sur lesquels le décideur administratif s’était reposé. Or cette décision est distincte et ne s’applique pas au dossier du demandeur. La Cour d’appel fédérale dans Lukács a tranché la question de la règle 317 des Règles ainsi que l’application de cette règle dans le contexte d’un contrôle judiciaire. Le cas en l’espèce ne se trouve pas dans le contexte d’un contrôle judiciaire.

[20] Un recours en vertu de l’article 77 de la LLO est différent d’une demande de contrôle judiciaire. Entre autres, le recours présent cherche à vérifier le bien‑fondé d’une plainte déposée auprès du commissaire, au lieu du bien‑fondé de la décision ou du rapport du commissaire (Lavigne aux para 26 à 28). En d’autres mots, la règle 317 des Règles ne s’applique pas dans ce cas présent.

[21] Les lacunes que le demandeur présente comme obstacles à sa capacité de construire son dossier dans cette instance ne peuvent être comblées par la règle 317 des Règles. Il ne s’agit pas d’une question de « technicité ». Les Règles prévoient la procédure à suivre, parmi d’autres choses. Le demandeur cherche une ordonnance en vertu d’une règle qui ne s’applique simplement pas dans son cas. Je note encore que l’affaire Preventous a décrit d’autres mécanismes qui existent pour la communication et l’obtention de la preuve.

[22] Également, la Cour note que le demandeur a confirmé qu’il est aussi auteur de certains des documents qu’il recherche du défendeur. Le demandeur ne présente aucune preuve démontrant qu’il a communiqué avec le défendeur afin d’essayer de régler la question de documentation. Similairement, le demandeur ne présente aucune preuve démontrant pourquoi il ne peut pas accéder les documents pertinents. Je constate que la plainte en vertu de la LLO s’agit de communications qui appartiennent entre l’ASFC et le demandeur.

[23] La Cour rejette donc la requête du demandeur.

II. Dépens

[24] Dans son dossier de réponse à la requête du demandeur, daté du 13 juin 2024, le défendeur a demandé que la Cour rejette la requête avec dépens. Par contre, la Cour constate que le défendeur n’a soumis aucune documentation à l’égard des dépens ni soumis une quantité à la fin de l’audience selon l’article 74 des Lignes directrices générales consolidées amendées, 20 décembre 2023. Bien que le défendeur ait réussi à défendre la présente requête, je ne suis pas en mesure d’adjuger les dépens.

[25] En vertu de ma discrétion sous la règle 400 des Règles, je n’accorde aucuns dépens compte tenu des circonstances.

[26] La requête du demandeur est rejetée, sans dépens.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-681-23

INTITULÉ :

RÉGIS BENIEY c AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JUIN 2024

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS :

LE 21 JUIN 2024

COMPARUTIONS :

Régis Beniey

POUR LE DEMANDEUR

Me Michèle Plamondon

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCAT INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1] Lors de l’audience, le défendeur a corrigé la date de la lettre. Quoique la lettre est datée du 9 novembre 2022, il s’agit d’une erreur. La date appropriée de cette correspondance est le 9 mai 2023.

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