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Date : 20240621


Dossier : IMM-896-23

Référence : 2024 CF 966

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2024

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

ENTRE :

SEIR AUGUSTO BLANDON QUINTERO

SANDRA MILENA LOAIZA RAMIREZ

LUISA FERNANDA BLANDON LOAIZA

JUAN ESTEBAN BLANDON LOAIZA

Partie demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Les demandeurs sont Seir Augusto Blandon Quintero [le demandeur] son épouse, Sandra Milena Loaiza Ramirez, et leurs deux enfants, Luisa Fernanda Blandon Loaiza et Juan Esteban Blandon Loaiza [collectivement, les demandeurs]. Les demandeurs ont déposé une demande de contrôle judiciaire pour contester la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] rendue le 16 décembre 2022 [Décision], en raison de l’incompétence de son ancien avocat. Les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR était déraisonnable.

II. Questions en litige et la norme de contrôle

[2] Les questions en litige que je dois considérer sont les suivantes :

  1. Est-ce qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en raison de l’incompétence de l’ancien avocat des demandeurs?

  2. Est-ce que la conclusion de la SAR sur la crédibilité des demandeurs était déraisonnable?

[3] Une allégation d'équité procédurale est déterminée comme celle de la décision correcte. La question que la Cour doit se poser est si la procédure était équitable ayant considéré toutes les circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 56). La question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre. L'obligation d'agir équitablement comporte deux volets: 1) le droit à une audience équitable et impartiale devant un décideur indépendant et 2) le droit d'être entendu (Fortier c Canada (AG), 2022 CF 374 au para 14; Therrien (Re), 2001 CSC 35 au para 82). Chacun a droit à une possibilité complète et équitable de présenter sa cause (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 28.

[4] S’il ne s’agit pas d’une question d’équité procédurale, la Cour appliquerait la norme d’une décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23 et 53).

[5] Pour éviter l’intervention de la Cour en contrôle judiciaire, une décision doit faire preuve des caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). Une décision raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision faisant l'objet du contrôle (Vavilov au para 90). Une décision pourrait se qualifier de déraisonnable, si le décideur administratif a mal interprété la preuve au dossier (Vavilov aux para 125, 126). La partie qui conteste la décision a le fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable (Vavilov au para 100)

III. Aperçu

[6] Le demandeur est retraité depuis 2015 de l'armée colombienne après y avoir travaillé pendant vingt-cinq (25) années. Dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile [FDA], le demandeur a allégué avoir reçu des menaces par des appels téléphoniques le 11 et 14 octobre 2019. Le demandeur a aussi allégué que son compte de banque aurait été fraudé ce même jour, le 11 octobre 2019. Les demandeurs ont quitté la Colombie le 28 novembre 2019 et sont rentrés aux États-Unis par un visa de tourisme. Le 18 décembre 2019, les demandeurs sont arrivés au Canada et ont fait une demande d’asile.

[7] Suite à une audience tenue le 18 août 2022, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté la demande d’asile au motif que les demandeurs ne sont pas crédibles. Devant la SAR, les demandeurs soumettent que la SPR a erré dans son évaluation de leur crédibilité. La SAR a conclu, après l’évaluation du dossier et les éléments de preuve, que les appelants n’ont pas démontré que la SPR avait commis des erreurs justifiant son intervention.

IV. Analyse

[8] Le demandeur allègue qu’il était privé d’une possibilité de présenter son dossier de façon équitable devant la SPR et la SAR en raison de l’incompétence de son ancien conseil. Selon le demandeur, la Décision de la SAR aurait été différente, n’eût été l’incompétence de son ancien conseil qui avait omis de préciser l’identité des sources de menaces au récit original joint à son FDA.

[9] La position du défendeur est que les allégations d’incompétence auraient dû être présentées devant la SAR, et le fait que le demandeur ne l’avait pas fait, lui prive de présenter ces arguments devant la Cour. Selon le défendeur, les allégations d’incompétence n’ont aucun fondement parce qu’il y n’avait pas de preuve au dossier qui appuient « de façon suffisamment claire et précise » que l’ancien avocat fût incompétent. Le défendeur soutient que la décision de la SAR n’aurait pas été différente vu que sa décision ne s’était pas uniquement penchée sur l’omission de préciser l’identité de la personne qui avait fait les menaces au moment des appels téléphoniques.

A. Allégations d’incompétence d’un avocat

[10] Les parties s’entendent au test applicable lorsque la Cour examine l’allégation d’incompétence d’un ancien conseil ou représentant (Javeed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1377; Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250 au para 84; Rendon Segovia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 99 au para 22; Castellar Cubas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 292 au para 27):

  • a)Il doit aviser l’ancien conseil et donner la possibilité à l’ancien conseil de répondre aux allégations;

  • b)Il doit établir que les actes ou les omissions de l’ancien conseil constituaient de l’incompétence;

  • c)Il doit établir qu’il existe une probabilité raisonnable que, n’eût été l’incompétence alléguée, le résultat aurait été différent.

[11] Le fardeau de preuve pour démontrer l’incompétence d’un avocat est très élevé. Il incombe au demandeur de prouver chacun des éléments du critère de la représentation négligente pour démontrer qu’il s’est produit un déni de justice (Badihi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 64 au para 18).

[12] Selon la jurisprudence, « la preuve de l’incompétence de l’avocat doit être si claire et sans équivoque et les circonstances si déplorables que l’injustice causée au demandeur crèverait pratiquement les yeux » (Mbaraga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 580 au para 25, citant Parast c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 660 au para 11). Il faut également que « l’incompétence et le préjudice allégués soient clairement prouvés » (Dukuzumuremyi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 278 au para 19). Les critères du test sont cumulatifs et doivent donc tous être établis pour satisfaire le lourd fardeau qui incombe au demandeur.

[13] Principalement, le demandeur allègue que son ancien avocat était incompétent parce que ce dernier avait, entre autres, omis d’inclure des éléments de faits dans le récit original joint au FDA, dont l’identité des personnes qui ont menacé le demandeur au moment des appels le 11 octobre 2019 et le 14 octobre 2019. Selon le demandeur, avant que l’ancien avocat ait soumis le FDA original le 29 janvier 2020, l’ancien avocat avait appris le 16 janvier 2020, que le demandeur a été menacé par une personne travaillant pour les Gaula et qui s’identifiaient comme étant l’ancien membre de certains groupes. Le demandeur allègue que son ancien conseil détenait une preuve dès le début de son dossier qu’il aurait pu soumettre. Le FDA a été amendé en mai 2022, peu avant l’audience tenue le 18 août 2022. Le changement du FDA a mené à une conclusion négative portant sur sa crédibilité.

[14] En appliquant le test, le premier critère exige que l’ancien conseil ait été avisé afin de lui donner la possibilité de répondre aux allégations d’incompétence. Le 13 février 2023, l’avocate courante au dossier a envoyé à l’ancien avocat un avis en vertu du protocole du 7 mars 2014, Concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger, et qui se trouve depuis le 24 juin 2022, dans les Lignes directrices consolidées pour les instances d’immigration, de statut de réfugié et de citoyenneté de la Cour fédérale. Le demandeur satisfait donc le premier critère.

[15] Je conclus que le nœud de l’affaire se trouve au troisième critère du test et que le demandeur n’a pas pu démontrer que le résultat de l’analyse de la SPR et de la SAR aurait été différent n’eût été l’incompétence alléguée.

[16] La décision de la SPR clarifie le témoignage à propos de l’appel qu’il aurait reçu le 11 octobre 2019 et que durant son témoignage il n’a pas fait référence à la Gaula. La décision de la SPR clarifie également l’appel qu’il aurait reçu le 14 octobre 2019, que le demandeur avait mentionné que c’était dans son narratif et qu’il a communiqué cette information à son avocat.

[17] Au sujet des appels du 11 octobre et 14 octobre 2019, la SAR mentionne les contradictions et omissions dans la preuve présentée devant la SPR, incluant le témoignage du demandeur à cet égard.

[18] En se penchant sur la participation aux arrestations des criminels, la SAR mentionne dans ses motifs au paragraphe 18, « lorsque questionné à ce sujet [le demandeur] est incapable de nommer le nom exact d’un des criminels qu’il aurait participé à arrêter, ce qui affecte, selon moi, sa crédibilité ».

[19] Malgré le fait d’avoir omis le nom des groupes criminels dans le FDA original, les contradictions faites au moment du témoignage ne sont pas une faute qui peuvent être entièrement imputée à l’ancien avocat. Le demandeur allègue que l’ancien conseil n’a pas suffisamment préparé son témoignage afin d’éviter les contradictions et d’apporter plus de clarifications quant au récit du demandeur. Cet argument est sans fondement vu que le témoignage n’est pas entièrement sous le contrôle de l’avocat.

[20] La SAR s’était penchée sur le fait que le demandeur n’a pas pu expliquer son travail durant l’audience devant la SPR. Le demandeur soutient que son ancien conseil n’a pas donné « un conseil adéquat concernant la liste de documents qui puisse l’aider à trouver les preuves pour corroborer son récit » et que ce dernier ne lui a pas « donné de directives ».

[21] Il est important de mentionner que la SAR avait pris en considération le fait que le demandeur avait dit que le manque de preuve était qu’il ne pouvait pas corroborer ses activités auprès de ses anciens collègues en raison de « confidentialité », car les documents auraient été classés secrets. Avec tout respect, l’argument du demandeur suggérant que les lacunes de preuve en raison de l’incompétence de son ancien avocat ne se tiennent pas.

[22] La SAR a estimé que, le demandeur était incapable d’expliquer son travail, et en particulier il était incapable d’expliquer en quoi il aurait pu être tenu responsable de l’arrestation de certains criminels, étaient des éléments qui ne peut qu’affecter sa crédibilité. D’autant plus, la SAR avait trouvé improbable que des criminels arrêtés puissent avoir connaissance de l’implication du demandeur, si tel était le cas, de leur arrestation.

[23] La question sur la crédibilité du demandeur n’était pas analysée de façon isolée au regard du témoignage portant sur les faits autour du travail que le demandeur occupait au passé ainsi que les appels qu’il aurait reçus. Plus encore, le demandeur a posé plusieurs gestes incompatibles avec celui d’une personne craignant réellement pour sa vie. La SPR n’a pas retenu l’explication que les demandeurs allèguent craindre la mort en cas de retour en Colombie, et ses motifs dans la décision de la SPR au paragraphe 39 ont déterminé que les demandeurs « ne font aucun effort pour chercher à obtenir la première protection subsidiaire qui leur était offerte. Un comportement qui s’apparente à du magasinage d’asile ». Ce sont des faits qui n’impliquent pas l’ancien conseil.

[24] Il est important de mentionner que l’incompétence d’un avocat ne constituerait qu’une atteinte à l’équité procédurale que dans des circonstances extraordinaires ou exceptionnelles. En l’espèce, je ne peux conclure qu’il s’agit d’un cas qui est « suffisamment claire et précise » au point de constituer un déni de justice (Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092 au para 17; Reyes Contreras c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1453). Je ne peux conclure que les allégations d’incompétence ont un fondement suffisamment claires et précises et que la Décision de la SAR n’aurait pas été différente puisque la SAR s’était appuyée sur plusieurs éléments en plus de l’omission d’inclure l’identité de la source des menaces lors de l’appel du 14 octobre 2019 pour conclure que le demandeur n’était pas crédible.

[25] Comme le troisième critère n’a pas été rencontré, je ne vais pas traiter le deuxième critère du test.

[26] À la lumière de l’analyse qui précède, le demandeur n’a pas démontré que l’incompétence de son ancien avocat devant la SPR ni devant la SAR. Les motifs de la Décision étaient si clairs et sans équivoque qu’il ne serait pas justifié pour une intervention de la Cour dans les circonstances.

V. Décision de la SAR n’était pas déraisonnable

[27] Le demandeur allègue que l’appréciation de fond faite par la SAR relative à sa crédibilité était déraisonnable, car la SAR s’était basée sur l’omission de fournir l’identité des personnes qui ont fait les appels menaçantes et l’omission d’avoir divulgué les menaces au moment que les demandeurs ont porté plainte à la police.

[28] Le défendeur mentionne qu’il y a plusieurs éléments sur lesquels le décideur s’était basé, dont les contradictions soulevées par les témoignages et le comportement irraisonnable du demandeur quant à son omission d’expliquer les menaces qui ont eu lieu au moment qu’il avait porté plainte à la police.

[29] Malgré que la Cour ait une sympathie au regard des arguments du demandeur, je ne peux intervenir. La Cour doit examiner les motifs afin de déterminer si la décision de la SAR dans son ensemble était raisonnable et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques qui ont une incidence sur celle-ci (Vavilov au para 99).

[30] En plus des facteurs qui ont déjà été tranchés ci-dessus, je conclus que les motifs de la SAR démontrent les caractéristiques d’une évaluation indépendante et approfondie sur des éléments de preuve et sur le témoignage devant la SPR pour arriver à sa propre conclusion que le demandeur manquait de crédibilité. Son témoignage confirme que le demandeur n’avait pas pu décrire son travail ni les faits autour des arrestations. Ces faits sont critiques pour déterminer sa crainte de persécution et sa crainte des personnes contre qui il fait des allégations de ces craintes.

[31] En conclusion, le demandeur n’a pas établi l’existence d’une erreur susceptible d’une intervention judiciaire en contrôle judiciaire de la Décision de la SAR. Pour les motifs ci-dessus, la Cour doit rejeter la demande.

[32] Les parties ont confirmé et je suis d’accord qu’il n’y avait aucune question à certifier.

[33] Finalement, le défendeur demande de corriger l’intitulé du dossier afin que le défendeur soit désigné sous le titre de « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » au lieu de « ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration », en vertu de la règle 76(a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Je suis d’accord que l’intitulé devrait être corrigé.


JUGEMENT dans le dossier IMM-896-23

LA COUR ORDONNE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

  3. L’intitulé du dossier soit corrigé afin que le défendeur soit désigné sous le titre de « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-896-23

INTITULÉ :

SEIR AUGUSTO BLANDON QUINTERO, ET AL. c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 avril 2024

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS :

LE 21 juin 2024

COMPARUTIONS :

Me Fabiola Ferreyra Coral

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Éloïse Eysseric

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ROA Services Juridiques

Avocats

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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