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Date : 20240625


Dossier : T-1765-22

Référence : 2024 CF 976

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), 25 juin 2024

En présence de madame la juge Tsimberis

DEMANDE présentée au titre de l’alinéa 300a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et ses modifications, et de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), c T‑13, et ses modifications, relativement à la demande d’enregistrement no 1,599,754 visant la marque de commerce GALPERTI

 

ENTRE :

F.I.A.L. FINANZIARIA INDUSTRIE ALTO LARIO S.P.A.

demanderesse

et

GALPERTI SRL

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Résumé

[1] La demanderesse, F.I.A.L. Finanziaria Industrie Alto Lario S.P.A. [la demanderesse ou Fial], interjette appel de la décision du 30 juin 2022 par laquelle la Commission des oppositions des marques de commerce [la Commission] a accueilli l’opposition de la défenderesse, Galperti SRL [la défenderesse ou Galperti], et a rejeté la demande d’enregistrement no 1,599,754 de la demanderesse pour la marque de commerce GALPERTI.

[2] La demanderesse interjette appel de la décision de la Commission au titre de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), c T-13 [la Loi], et demande à la Cour d’accueillir sa demande d’enregistrement de la marque de commerce GALPERTI. À l’appui de sa demande en l’espèce, elle a déposé une nouvelle preuve concernant l’emploi de la marque de commerce GALPERTI.

[3] Pour les motifs qui suivent, la Cour accueille l’appel.

II. Contexte

A. Faits

[4] La demanderesse a décrit les faits et la procédure devant la Commission ainsi que sa décision, et la défenderesse a souscrit en partie à cette description, que je résume ci-dessous en y apportant quelques modifications, plus particulièrement en ce qui concerne les noms des marques de commerce et la demande d’enregistrement.

[5] Le 25 octobre 2012, la demanderesse a déposé la demande d’enregistrement de la marque de commerce GALPERTI en liaison avec les produits décrits dans la demande telle qu’elle a été annoncée, dont des brides et d’autres produits en métal [les Produits FIAL]. Fial y revendique l’emploi de la marque de commerce GALPERTI en liaison avec les Produits FIAL au Canada depuis au moins 1999. Cette demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 5 novembre 2014.

[6] Le 7 avril 2015, Galperti (la défenderesse dans le présent appel et l’opposante dans la procédure d’opposition sous-jacente) a déposé une déclaration d’opposition visant à l’encontre de la demande d’enregistrement de la marque de commerce GALPERTI de Fial [la procédure d’opposition]. Le 22 octobre 2015, elle a déposé une déclaration d’opposition amendée [la déclaration d’opposition amendée] après avoir reçu l’autorisation de la Commission le 11 novembre 2015. La déclaration d’opposition amendée est fondée sur les motifs d’opposition suivants :

  • a)la demande d’enregistrement de la marque de commerce GALPERTI ne satisfait pas aux exigences des alinéas 30b), 30h) et 30i) de la Loi (alinéa 38(2)a) de la Loi);

  • b)la demanderesse n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque de commerce au titre de l’alinéa 16(1)a) de la Loi (alinéa 38(2)c) de la Loi);

  • c)la demanderesse n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque de commerce au titre de l’alinéa 16(1)c) de la Loi (alinéa 38(2)c) de la Loi);

  • d)la marque de commerce GALPERTI de Fial n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi (alinéa 38(2)d) de la Loi).

[7] En ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur les alinéas 38(2)c) et 16(1)a) de la Loi, la défenderesse soutient que, pendant la période pertinente, elle-même ou ses prédécesseurs en titre avaient précédemment employé, ou fait connaître au Canada, que ses marques de commerce créaient de la confusion. Dans sa déclaration d’opposition amendée, elle affirme que ses marques de commerce créant de la confusion sont GALPERTI, ainsi que son logo GALPERTI reproduit ci-dessous, que la Commission a appelés dans sa décision la « Marque de l’Opposante » et le « Logo de l’Opposante », respectivement. Par souci de clarté, j’emploierai les termes « la marque de commerce GALPERTI de Galperti » et « le logo GALPERTI de Galperti » pour faire référence aux marques de commerce de la défenderesse.

[8] En ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur les alinéas 38(2)c) et 16(1)c) de la Loi, la défenderesse soutient que, pendant la période pertinente, elle-même ou ses prédécesseurs en titre avaient précédemment employé ou révélé au Canada ses noms commerciaux créant de la confusion. Les noms commerciaux revendiqués sont Galperti s.r.l. et GALPERTI.

[9] Le 22 juin 2015, la demanderesse a déposé une contre-déclaration dans laquelle elle niait chacun des motifs allégués dans la déclaration d’opposition amendée.

[10] Dans la procédure d’opposition, la défenderesse a produit en preuve l’affidavit de Dina Galperti, présidente de la défenderesse, souscrit le 21 octobre 2015. Mme Galperti a été contre-interrogée au sujet de son affidavit.

[11] Pour sa part, la demanderesse a produit en preuve l’affidavit de Guido Puccio, président de son conseil d’administration, souscrit le 4 janvier 2017, et l’affidavit de John Wray, ancien président de Galperti Canada ULC (sa filiale) et ancien employé de Comco Pipe and Supply Company [Comco], souscrit le 7 septembre 2017. Comco est le distributeur canadien de Galperti. M. Puccio a été contre-interrogé au sujet de son affidavit, alors que M. Wray ne l’a pas été. La défenderesse n’a pas déposé de preuve en réplique.

[12] La demanderesse a déposé des observations écrites le 5 décembre 2019, alors que la défenderesse n’en a pas déposé. Les deux parties ont comparu devant la Commission le 10 août 2021. La Commission a rendu sa décision le 30 juin 2022.

B. Décision faisant l’objet de l’appel

[13] Dans sa décision du 30 juin 2022, la Commission a fait droit à l’opposition de la défenderesse.

[14] La Commission a rejeté deux des motifs d’opposition de la défenderesse, à savoir ceux fondés sur les alinéas 38(2)a) et 38(2)d) de la Loi. La défenderesse « ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve à l’égard de ces autres motifs d’opposition », à savoir dans le cadre desquels elle alléguait que la date de premier emploi revendiquée par la demanderesse était fausse, que la demanderesse ne pouvait pas être convaincue de son droit d’employer la marque de commerce GALPERTI au Canada et que la marque GALPERTI n’était pas distinctive de la demanderesse. La Cour fait remarquer que, comme la demanderesse le souligne en appel, elle n’a pas interjeté d’appel ni d’appel incident devant la Cour fédérale concernant les motifs d’opposition mentionnés plus haut; les conclusions de la Commission sur ces motifs d’opposition demeurent incontestées.

[15] Cependant, la Commission a rejeté la demande d’enregistrement de la marque de commerce GALPERTI en acceptant les deux motifs d’opposition de la défenderesse fondés sur les alinéas 38(2)c), 16(1)a) et 16(1)c) de la Loi. Selon la Commission, « la [demanderesse] n’a[vait] pas le droit à l’enregistrement de la Marque, puisqu’elle cré[ait] de la confusion avec la marque de commerce et le nom commercial GALPERTI qui étaient employés au Canada avant la date de premier emploi revendiquée dans la Demande », et « la preuve de la [demanderesse] [était] insuffisante pour démontrer l’emploi de la Marque à une date antérieure à celle revendiquée dans la Demande ». La Commission a ensuite conclu « que la preuve de la [demanderesse] [était] insuffisante pour établir une date de premier emploi antérieure et [que], par conséquent, la date pertinente demeur[ait] le dernier jour de 1999 », conformément à la date de premier emploi au Canada revendiquée dans la demande d’enregistrement de la marque de commerce GALPERTI déposée par Fial, à savoir « depuis au moins aussi tôt que 1999 ».

[16] La demanderesse interjette appel des motifs d’opposition fondés sur le droit à l’enregistrement mentionnés plus haut.

[17] La Commission a jugé que, suivant les alinéas 16(1)a) et 16(1)c) de la Loi, la demanderesse « n’a[vait] pas le droit à l’enregistrement de la Marque, puisqu’elle cré[ait] de la confusion avec la marque de commerce et le nom commercial GALPERTI qui étaient employés au Canada avant la date de premier emploi revendiquée dans la Demande [et a] estim[é] que la preuve de la [demanderesse] [était] insuffisante pour démontrer l’emploi de la Marque à une date antérieure à celle revendiquée dans la Demande ». Dans sa demande d’enregistrement de la marque de commerce GALPERTI, Fial a indiqué que sa marque était employée au Canada « depuis au moins aussi tôt que 1999 ». La Commission a conclu que « la preuve de la [demanderesse] [était] insuffisante pour établir une date de premier emploi antérieure et [que], par conséquent, la date pertinente demeur[ait] le dernier jour de 1999 ».

[18] La Commission a conclu que la défenderesse avait démontré qu’elle employait sa marque de commerce GALPERTI et son logo GALPERTI depuis au moins 1991, soit avant la date pertinente de 1999 revendiquée par la demanderesse et retenue par la Commission.

[19] La Cour note que la défenderesse n’a pas interjeté appel de la conclusion selon laquelle la défenderesse a employé pour la première fois sa marque de commerce GALPERTI et son logo GALPERTI en 1991 et qu’elle n’a pas non plus produit d’autres éléments de preuve visant à démontrer qu’elle les avait employés antérieurement. Par conséquent, je me fonderai sur la date de 1991 dans mon analyse qui suit.

[20] La Commission a également conclu que l’emploi par la défenderesse de sa marque de commerce GALPERTI et de son logo GALPERTI dès 1991 constituait un emploi simultané de la marque de commerce et du nom commercial.

[21] Par conséquent, la Commission a conclu que la défenderesse avait employé sa marque de commerce et son nom commercial en 1991, soit avant que la demanderesse emploie pour la première fois sa marque de commerce GALPERTI en 1999. Pour ce motif, elle a également conclu que la demanderesse n’avait pas droit à l’enregistrement de sa marque de commerce GALPERTI, car cette marque de commerce créait de la confusion avec les marques de commerce et le nom commercial GALPERTI employés antérieurement par la défenderesse.

[22] En somme, pour obtenir gain de cause en appel, la demanderesse doit démontrer qu’elle a employé sa marque de commerce GALPERTI au Canada dans la pratique normale du commerce avant la défenderesse. La Commission a conclu que la défenderesse employait la marque de commerce GALPERTI depuis au moins 1991. Par conséquent, 1991 est l’année que la demanderesse doit battre.

[23] La défenderesse soutient que, à l’instar de celle présentée à la Commission, la nouvelle preuve présentée à la Cour par la demanderesse n’établit pas que cette dernière emploie sa marque de commerce de façon continue, dans la pratique normale du commerce au Canada, depuis au moins 1985 (comme elle le fait valoir), conformément aux critères établis par la jurisprudence. Ainsi, puisque la date revendiquée par la demanderesse dans sa demande d’enregistrement de la marque de commerce GALPERTI, soit 1999, est celle sur laquelle il faut se fonder dans l’examen des motifs de droit à l’enregistrement, la demanderesse n’a pas droit à l’enregistrement de sa marque de commerce GALPERTI.

III. Questions en litige

[24] Les parties se sont entendues sur les questions en litige dans le présent appel, qui sont principalement les suivantes :

  1. La preuve supplémentaire que la demanderesse a présentée en appel a-t-elle une incidence sur la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission?

  2. Compte tenu de la norme de contrôle applicable, la Cour doit-elle modifier la décision de la Commission?

[25] À l’audience, la demanderesse a abandonné tous les autres motifs d’appel, en particulier les erreurs susceptibles de révision alléguées aux alinéas 23a) à 23n) et 23q) de son avis de demande, après avoir admis qu’elle n’avait approfondi aucun de ces motifs dans son mémoire des faits et du droit. Les seules autres erreurs qu’elle a invoquées en appel figurent aux alinéas 23o) et 23p) de son avis de demande et concernent les conclusions de la Commission selon lesquelles elle n’avait pas droit à l’enregistrement de sa marque de commerce GALPERTI. Or, la Commission n’a commis aucune erreur compte tenu de la preuve et du dossier dont elle disposait.

[26] En appel, la demanderesse n’a pas demandé à notre Cour d’examiner les conclusions de la Commission concernant la confusion. À l’instar des parties, je reconnais que la Cour n’a pas besoin de refaire l’analyse effectuée par la Commission concernant la confusion entre les marques de commerce ou les noms commerciaux des parties, car la réponse à la question de savoir si Fial a employé sa marque de commerce GALPERTI avant 1991 permettra de trancher l’ensemble des questions en litige en l’espèce.

IV. Importance de la nouvelle preuve et norme de contrôle

[27] La demanderesse soutient que l’audience devrait être tenue de novo parce que la nouvelle preuve qu’elle a présentée en appel est importante. Ainsi, la Cour doit examiner la question à laquelle la nouvelle preuve se rapporte selon la norme de la décision correcte et tirer sa propre conclusion à la lumière de l’ensemble de la preuve. La défenderesse soutient pour sa part que la nouvelle preuve n’est pas importante, car elle ne porte pas sur les exigences établies par la jurisprudence, dont celle de l’emploi continu de la marque de commerce dans la pratique normale du commerce, et ne permet donc pas à la Cour d’établir la date pertinente en l’absence de documents à l’appui. Elle ajoute qu’en l’absence d’une preuve supplémentaire importante, les normes de contrôle habituellement applicables en appel s’appliquent et que la Cour doit examiner les questions mixtes de fait et de droit selon la norme de l’erreur manifeste et déterminante.

A. Principes juridiques généraux

(1) Norme de contrôle

[28] La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Clorox Company of Canada, Ltd c Chloretec SEC, 2020 CAF 76 [Clorox], a défini la norme de contrôle applicable dans ce type de demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de la disposition d’appel prévue par l’article 56 de la Loi. Si les nouveaux éléments de preuve déposés par les parties ne sont pas importants (ou si aucun nouvel élément de preuve n’est produit), la Cour fédérale doit appliquer la jurisprudence de la Cour suprême sur les normes de contrôle applicables pour un appel présenté en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi (voir Clorox aux paras 21-23; voir également Miller Thomson SENCRL, srl c Hilton Worldwide Holding LLP, 2020 CAF 134 [Miller Thomson] aux paras 41-42, décision citée dans Tokai of Canada Ltd c Kingsford Products Company, LLC, 2021 CF 782 [Tokai] au para 22 [Tokai]).

[29] Lors d’un appel présenté en vertu de l’article 56 de la Loi, la Cour agit à titre de cour de première instance et se demande si les nouveaux éléments de preuve sont importants. Si tel est le cas, la Cour « peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi » et l’appel constitue un examen de novo (voir Clorox aux paras 20-21, renvoyant au paragraphe 56(5) de la Loi). Si les nouveaux éléments de preuve déposés sont jugés importants, la Cour peut procéder à une nouvelle analyse de novo des questions précises sur lesquelles portent les nouveaux éléments de preuve, en adoptant la norme de la décision correcte, sans égard aux conclusions du décideur d’origine (Clorox au para 21). Toutefois, l’admission de nouveaux éléments de preuve importants n’aboutit pas à la répudiation des conclusions du registraire sur chaque question en litige : seules les questions en litige qui sont visées par les nouveaux éléments de preuve peuvent justifier une analyse de novo par la Cour (voir Clorox au para 21; voir également Seara Alimentos Ltda c Amira Enterprises Inc, 2019 CAF 63 [Seara] au para 22, cité dans Caterpillar Inc c Puma SE, 2021 CF 974 [Caterpillar] au para 36; Advance Magazine Publishers, Inc c Banff Lake Louise Tourism Bureau, 2018 CF 108 aux paras 16, 22).

(2) L’importance des nouveaux éléments de preuve

[30] Comme je l’ai indiqué précédemment, dans un appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi, notre Cour agit à titre de cour de première instance pour l’examen de la question de savoir si les nouveaux éléments de preuve sont importants et commandent donc un examen de novo des questions en litige s’y rapportant (voir Clorox au para 20). Pour être jugés importants, les nouveaux éléments de preuve doivent être « suffisamment importants » et avoir une « valeur probante »; une preuve qui simplement complète ou répète la preuve existante ne satisfera pas au critère requis pour donner lieu à un examen de novo (Clorox au para 21; Seara aux paras 23-24; Papiers Scott Limitée c Georgia-Pacific Consumer Products LP, 2010 CF 478 [Papiers Scott] aux paras 48-49, citées dans Caterpillar au para 33).Products LP, 2010 CF 478 aux paras 48-49, citées dans Caterpillar au para 33).

[31] La preuve peut être « importante » lorsqu’elle renforce la valeur probante globale du dossier d’une manière susceptible d’avoir eu un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (Seara au para 24; Tokai au para 23) ou lorsqu’elle corrige des lacunes ou remédie à une insuffisance de la preuve relevée par le registraire (voir, par exemple, Shell Canada Limitée c PT Sari Incofood Corporation, 2008 CAF 279 [Shell] au para 12). La nouvelle preuve peut traiter de ce que le registraire considère comme étant des lacunes au dossier (voir Mövenpick Holding AG c Exxon Mobil Corporation, 2011 CF 1397 au para 54, confirmée par 2013 CAF 6; voir également Advance Magazine Publishers Inc c Farleyco Marketing Inc, 2009 CF 153 aux paras 93-95, 98, confirmée par 2009 CAF 348).

[32] Le test pour déterminer l’importance n’est pas une question de savoir si la preuve supplémentaire aurait amené le registraire à changer d’avis ou si le résultat ou l’issue s’en serait trouvé modifiée; il s’agit plutôt d’une question de savoir si la preuve supplémentaire aurait eu un effet important sur la décision (voir Seara aux paras 23, 25). Il suffit que ce soit le type de preuve qui aurait pu avoir une incidence substantielle sur la décision (voir Assurant, Inc c Assurancia, Inc, 2018 CF 121 au para 30; voir également Papiers Scott aux paras 46-49). La question à se poser est la suivante : « cette preuve supplémentaire aurait-elle pu, en vertu de sa portée et de sa valeur probante, avoir une incidence sur une conclusion de fait ou sur le pouvoir discrétionnaire de la [Commission]? » (Seara au para 25).

[33] En effet, pour décider si la nouvelle preuve est importante, la Cour doit examiner :

  • a)sa nature;

  • b)son importance;

  • c)sa valeur probante;

  • d)sa fiabilité.
    (Caterpillar au para 36; Bunzl IP Holdings, LLC c Winnipeg Pants & Sportswear Mfg Ltd, 2022 CF 813 au para 7 [Bunzl]; Clorox au para 21)

B. Les lacunes de preuve relevées dans la décision

[34] La Commission a relevé des lacunes dans la preuve aux paragraphes 38, 45, 47, 48 et 102 de sa décision. En voici un résumé :

  1. En l’absence de preuve démontrant de quelle façon Fial employait sa marque de commerce GALPERTI au Canada avant la constitution en société de sa filiale canadienne en 1989, la déclaration du déposant M. Puccio selon laquelle elle l’avait employée avant 1993 était à elle seule insuffisante pour démontrer de quelle façon sa marque de commerce GALPERTI avait été employée à l’époque;

  2. En ce qui concerne la transaction de 1985 entre Galperti et Comco, l’affidavit de M. Wray était insuffisant pour qu’il soit possible de décider si Comco et la demanderesse se livraient véritablement à du commerce ou si elles menaient de simples négociations, si une commande passée en 1985 pouvait être considérée comme un transfert dans la pratique normale du commerce, si des brides avaient été réellement achetées, et si la lettre du président-directeur général de Comco datée de 2016, dans laquelle ce dernier affirmait que Comco et la demanderesse entretenaient une relation d’affaires et que Comco avait été approvisionnée en brides et en autres produits par le Groupe Galperti [traduction] « depuis 1992 », était fiable;

  3. Si la preuve présentée avait démontré que la demanderesse employait GALPERTI en tant que marque de commerce avant 1991, soit avant le plus ancien emploi de la défenderesse, la date pertinente retenue par la Commission pour son analyse aurait pu être antérieure et, ultimement, la conclusion de la Commission à l’égard du motif du droit à l’enregistrement aurait pu être différente.

[35] Dans l’ensemble, ces lacunes ont mis en lumière l’insuffisance générale de la preuve présentée à la Commission, et il s’ensuit que la demanderesse n’a pas démontré que, comme elle l’affirmait, elle avait employé la marque de commerce GALPERTI à une date antérieure.

C. La nouvelle preuve présentée par la demanderesse en appel

[36] En appel, la demanderesse a déposé quatre nouveaux affidavits. La défenderesse n’a contre-interrogé aucun des nouveaux affiants.

[37] Pour les motifs qui suivent, la Cour juge que la nouvelle preuve présentée en appel est importante, car elle traite directement des conclusions défavorables de la Commission concernant des questions centrales dans l’analyse visant à décider si la demanderesse a employé sa marque de commerce GALPERTI à une date antérieure et si elle a droit à l’enregistrement de cette marque. Les quatre affidavits seront examinés individuellement.

(1) L’affidavit d’Allan Farmer souscrit le 19 octobre 2022

[38] Allan Farmer [M. Farmer] est associé dans un cabinet d’avocats et a agi à titre d’avocat corporatif externe pour Comco pendant plusieurs années.

[39] Dans son affidavit, M. Farmer a affirmé [traduction] « [qu’]en raison de [son] travail pour Comco, [il] était au courant à la fin des années 1980 que Comco entretenait une relation d’affaires avec Galperti et qu’elle commandait des brides à cette dernière en vue de les distribuer et les vendre au Canada avant la rencontre » tenue en décembre 1988 ou janvier 1989. Il précise qu’en décembre 1988 ou janvier 1989, il a rencontré le président de Comco pour que Galperti soit constituée en société par actions au Canada. En janvier 1989, M. Farmer a enregistré la société Galperti Canada Inc. conformément à la Loi canadienne sur les sociétés par actions. La société a été dissoute le 19 octobre 1999. La société a également été enregistrée en Alberta le 8 février 1989, puis dissoute.

[40] Dans son affidavit, M. Farmer a démontré dans une certaine mesure que la demanderesse entretenait une relation d’affaires avec Comco et que celle-ci avait commandé et distribué des brides à la demanderesse en vue de les distribuer et de les vendre au Canada avant décembre 1988 ou janvier 1989.

[41] Compte tenu des lacunes relevées dans la preuve visant à établir que Comco s’était réellement livrée à du commerce plutôt que de simplement mener des négociations et à établir la date d’emploi antérieure revendiquée par la demanderesse, ces nouveaux éléments de preuve sont importantes parce qu’ils n’ont pas été présentés à la Commission et qu’ils témoignent d’une certaine activité commerciale menée à la fin des années 1980. Par conséquent, je juge que la preuve de M. Farmer est fiable et importante en ce qui a trait à la lacune fondamentale relevée concernant l’emploi par la demanderesse de sa marque de commerce GALPERTI avant 1991.

(2) L’affidavit de Flavio Belloli souscrit le 28 octobre 2022

[42] Flavio Belloli [M. Belloli] est un employé de la demanderesse depuis le 1er janvier 2000 et un administrateur d’Officine Nicola Galperti e Figlio S.p.A., de Galperti, Inc. et de Galperti Manufacturing (Malaysia) Sdn Bhd. Il a décrit les organisations au sein du Groupe Galperti ainsi que l’utilisation et l’apparence de la marque de commerce GALPERTI employée par Fial au fil des ans, y compris les changements qui y ont été apportés et les caractéristiques qui sont demeurées inchangées.

[43] Dans l’ensemble, cet affidavit n’aide pas la demanderesse à démontrer qu’elle employait la marque de commerce GALPERTI au Canada avant 1991. Il est toutefois utile à deux égards. Premièrement, l’affidavit de M. Belloli permet d’établir l’apparence de la marque GALPERTI employé par Fial en tant que marque de commerce plutôt que seulement comme une partie d’un nom commercial et d’ainsi combler cette lacune dans la preuve relevée par la Commission au paragraphe 38 de sa décision. Deuxièmement, la pièce « A » de l’affidavit de M. Belloli est utile, parce qu’elle contient des extraits d’un livre publié par le Groupe Galperti en 1971 dans le cadre de la célébration de son cinquantième anniversaire. À la première page de ce livre figure la marque de commerce GALPERTI dans la même police de caractères et le même format [GALPERTI stylisé] que dans la marque dessin GALPERTI tel que la demanderesse l’employait. Les deux sont reproduits ci-dessous :

GALPERTI stylisé

La marque dessin GALPERTI tel qu’ employé

[44] Cette pièce constitue une preuve documentaire démontrant que la marque de commerce GALPERTI stylisée existait et a été employée dès 1971. Bien qu’en soi, elle ne témoigne pas de l’emploi ou l’emploi continu de la marque de commerce GALPERTI au Canada, elle constitue au moins une preuve de l’existence de la marque de commerce GALPERTI stylisée par opposition à la simple utilisation d’un nom commercial avant 1991. Rappelons que la décision de la Commission et son examen de l’affidavit de M. Puccio et des factures jointes à celui-ci étaient qu’il n’y avait seulement des preuves d’utilisation des noms commerciaux Officine Nicola Galperti e Figlio S.p.A., Galperti Engineering and Flow Control S.p.A. et Galperti Canada ULC.

[45] Comme la preuve de M. Belloli contient des extraits du livre publié en 1971 dans lequel figure la marque de commerce GALPERTI stylisée et permet d’établir l’apparence de la marque de commerce GALPERTI de Fial, je la juge fiable et importante en ce qui a trait à la lacune fondamentale relevée dans la preuve concernant l’emploi par la demanderesse de sa marque de commerce GALPERTI avant 1991.

(3) L’affidavit de Brian Cain souscrit le 30 octobre 2022

[46] Brian Cain [M. Cain] a travaillé pour Comco de 1972 à sa retraite, en 2016. De 1982 à 1986, M. Cain a été vice-président pour la région de l’Alberta, puis, en 1986, il a été promu vice-président pour la région de l’Est. De 1982 à 1986, il était responsable de tous les produits de Comco qui se rapportaient à la tuyauterie, dont les tuyaux, les soupapes et les raccords. Ses fonctions chevauchaient celles de M. Wray, qui, dans les années 1980, était responsable des activités de Comco qui se rapportaient aux brides. Pour cette raison, il avait une connaissance approfondie des tuyaux, des soupapes et des brides distribuées par Comco. Dans les années 80, M. Cain a aidé le Groupe Galperti à être ajouté à la liste des fabricants agrées (AML) de Shell Canada Limited [Shell].

[47] M. Cain a affirmé qu’en 1985, Galperti et Comco avaient conclu un accord suivant lequel la première fournirait des brides et d’autres produits forgés au Canada par l’intermédiaire de la seconde, qui serait son distributeur canadien exclusif. Il a ajouté qu’à la fin de 1985 ou au début 1986, Galperti avait commencé à expédier les produits à Comco en vue de leur distribution au Canada. Il a précisé en s’appuyant sur son expérience directe que les emballages du Groupe Galperti à la fin des années 1980 et dans les années 1990 ressemblaient à ceux d’aujourd’hui dans la mesure où y figurait la marque de commerce GALPERTI stylisée avec sa police de caractères emblématique, mais sans autre marque ou signe de Galperti.

[48] M. Cain a également affirmé que Comco avait distribué les produits du Groupe Galperti au Canada dans les années 1980 et 1990, mais sans préciser les dates.

[49] Enfin, M. Cain a affirmé que, dans les années 80, au moins avant 1988, Comco avait commencé à s’approvisionner directement auprès de Groupe Galperti en Italie et, après 1988, auprès des filiales canadiennes de Galperti.

[50] La défenderesse affirme que l’affidavit de M. Cain n’est pas fiable en raison de l’absence de documents à l’appui tels que des registres contemporains ou des renseignements détaillés sur la quantité et la fréquence de réception et de distribution de la marchandise. Elle fait valoir que les souvenirs de M. Cain pourraient ne pas être à eux seuls suffisants pour établir que la marque de commerce a été employée de façon continue dans la pratique normale du commerce depuis 1985. Elle fait également valoir que M. Cain n’a pas fait de distinction claire dans son affidavit entre l’emploi du nom commercial et celui de la marque de commerce, et qu’il s’est plutôt appuyé sur des photographies récentes qui ne représentent pas fidèlement l’emploi passé. Elle affirme que les avis juridiques sur l’emploi d’une marque de commerce doivent se fonder sur une documentation exhaustive et que M. Cain, en tant que témoin ordinaire, pourrait ne pas être qualifié pour se prononcer sur ces points. Par conséquent, elle soutient que l’affidavit pourrait ne pas répondre aux normes juridiques auxquelles il faut satisfaire pour étayer les affirmations de la demanderesse.

[51] La demanderesse a attiré à juste titre l’attention de la Cour sur une distinction cruciale, soulignée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Central Transport, Inc c Mantha & Associés, [1995] ACF no 1544 [Central Transport]. Il y est expliqué que « ce que la Cour a jugé inadéquat dans les procédures engagées en vertu de l’article 45 sont les assertions portant sur l’emploi (une question de droit) par opposition aux assertions de fait démontrant l’emploi » (Central Transport, au para 3, citant Plough (Canada) Limited c Aerosol Fillers Inc, 1980 CanLII 4344 (CAF), [1981] 1 CF 679, souligné dans l’original). M. Cain n’a pas affirmé que l’emploi était un fait, mais il a témoigné des faits démontrant l’emploi de la marque de commerce GALPERTI au Canada.

[52] Il est important de noter que l'affidavit de M. Cain n'a pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire. Bien que le fait de ne pas contre-interroger un témoin n'empêche pas la défenderesse de soulever les questions relatives à sa fiabilité qui se posent au vu de cette preuve, « la décision de ne pas procéder à un contre-interrogatoire demeure pertinente quant à l’évaluation de la preuve et à la force des arguments selon lesquels un témoin n’est pas fiable et n’est pas crédible, en particulier en l’absence d’une preuve contradictoire » (Bunzl, au para 29, citant SSE Holdings, LLC c Le Chic Shack Inc, 2020 CF 983 au para 58 et Harley-Davidson Motor Company Group, LLC c Manoukian, 2013 CF 193 au para 37). De même, bien que l’affidavit de M. Cain ne contienne pas lui-même d’élément de preuve documentaire corroborant, la défenderesse n’a pas proposé de motif justifiant de ne pas l’admettre ou de ne pas le juger fiable (Pacific Western Brewing Company Ltd c Cerveceria del Pacifico, 2015 CF 1078 au para 13 [Pacific Western]).

[53] La défenderesse, renvoyant à l’arrêt Clorox, affirme que la demanderesse aurait dû fournir des documents à l’appui, tels que des rapports de vente détaillés, des factures ou des états financiers, pour que la Cour puisse jouer son rôle, mais, dans cet arrêt, une question qui est fondamentale en l’espèce ne se posait pas, à savoir qu’il est question de faits et d’éléments de preuve vieux de 40 ans. Nous disposons de factures produites à partir de 1993 et des affidavits de deux cadres supérieurs de deux sociétés distinctes qui témoignent de faits semblables s’étant produits dans les années 1980. Dans ces circonstances, j’établis une distinction entre l’espèce et l’affaire Clorox, car, en ce qui concerne la preuve à laquelle il est permis de s’attendre, la situation n’est pas la même.

[54] Essentiellement, la défenderesse soutient que les souvenirs de M. Cain concernant des faits vieux de 30 ans, sans documents à l’appui, ne sont pas suffisamment fiables pour établir que la marque de commerce était employée de façon continue dans la pratique normale du commerce. Comme le juge McHaffie dans l’affaire Bunzl, je ne vois pas pourquoi M. Cain ne pouvait pas, avec l’aide des images contemporaines que lui avait montrées l’avocat, se rappeler avec précision et décrire dans ses mots la marque de commerce qu’il avait vue au cours d’années passées chez Comco, marque de commerce qui figurait sur des bordereaux d’emballage de produits qu’il avait inspectés dans le cadre des fonctions qu’il dit avoir exercées au sein de Comco à l’époque, et ce, jusqu’à sa retraite il y a seulement huit ans. Comme il n’a pas été contre-interrogé au sujet de son affidavit, je ne suis pas prête à conclure que sa preuve n’est pas fiable simplement parce qu’il y a décrit la marque de commerce d’après ses souvenirs plutôt que d’y inclure une image montrant la marque de commerce. En soutenant que la preuve de M. Cain est insuffisante, la défenderesse suggère à la Cour une conclusion à tirer sur le fondement de cette preuve, et non sur la question de savoir si elle devrait être jugée fiable.

[55] Je suis également d’accord avec la demanderesse pour dire que les problèmes soulevés par la défenderesse concernant la fiabilité de souvenirs des témoins remontant aux années 1980 devraient être rejetés en raison de la cohérence relative dans les propos de ces divers témoins qui occupaient des postes à différents points de la chaîne de distribution, à savoir le propriétaire, le client distributeur Comco et le client final Shell. En outre, le fait que M. Cain et M. Cook soient tous deux à la retraite et que la preuve n’indique pas qu’ils sont en conflit d’intérêts ni qu’ils ont un quelconque autre intérêt que celui de dire la vérité aide également.

[56] Si la défenderesse cherche à mettre en doute la fiabilité (par opposition au caractère suffisant) de la preuve de M. Cain, elle aurait dû au moins saisir l’occasion de le contre-interroger au sujet de son affidavit. Elle ne peut pas, après le fait, contester la fiabilité de la preuve de M. Cain alors qu’elle ne lui a pas posé la moindre question au sujet du dossier, qu’elle ne lui a demandé aucun document et qu’elle ne lui a pas fait part de réserves au sujet de sa preuve que la Cour pourrait prendre en considération dans son appréciation de celle-ci. Le choix de ne pas contre-interroger un témoin par crainte de renforcer sa preuve peut être le fruit de considérations tactiques, mais ce choix fait courir le risque qu’une preuve incontestée soit acceptée sans réserve (Pacific Western au para 13).

[57] Compte tenu de ce qui précède, je juge que la preuve de M. Cain est fiable et importante en ce qui a trait à la lacune fondamentale relevée en ce qui a trait à l’emploi de la marque de commerce GALPERTI avant 1991.

(4) L’affidavit de Brian Cook souscrit le 31 octobre 2022

[58] Brian Cook [M. Cook] a été directeur de la chaîne d’approvisionnement de Shell entre 1973 et 2004.

[59] Dans son affidavit, M. Cook a décrit la relation commerciale qu’entretenaient Shell et Comco, le processus d’approbation des fournisseurs de Shell et le processus strict qui devait être suivi pour qu’un fournisseur et son produit soient inscrits sur la liste des fabricants approuvés de Shell. Il a affirmé que, dans la pratique normale de ses activités entre le milieu et la fin des années 1980, Shell avait d’abord approuvé les brides fabriquées par le Groupe Galperti, puis que Shell et des sociétés d’ingénierie travaillant sur ses projets d’immobilisations avaient pu acheter au Canada des brides fabriquées par Galperti. Il a ajouté qu’il avait fréquemment vu des brides de Galperti fournies à Comco par la société Galperti en Italie en examinant des produits dans l’entrepôt de Comco et sur des chantiers au Canada. Il a également dit qu’il se rappelait avoir vu sur ces chantiers des documents accompagnant des caisses de produits de Galperti où figurait le nom Officine Nicola Galperti e Figlio S.p.A.

[60] M. Cook a témoigné qu’il se souvient précisément que la marque de commerce GALPERTI stylisée figurait sur les étiquettes en papier extérieures des brides de Galperti vendues au Canada dans les années 1980, mais il ne se souvient pas que le logo « G », le mot « GROUP » dans une ligne verte ou la mention « The Original » y figuraient sur ses mêmes étiquettes en papier.

[61] Pour les mêmes motifs qu’à propos de l’affidavit de M. Cain, je juge que la preuve de M. Cook est fiable et importante en ce qui a trait à la lacune fondamentale relevée concernant l’emploi de la marque de commerce GALPERTI avant 1991.

D. Conclusion sur l’importance et la norme de contrôle applicable

[62] Compte tenu des conclusions ci-dessus selon lesquelles les quatre affidavits déposés à l’appui du présent appel sont importants, la Cour procédera à une analyse de novo relativement à la lacune fondamentale relevée dans la preuve concernant l’emploi de la marque de commerce GALPERTI avant 1991 et le motif d’opposition fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement en raison de l’emploi antérieur au titre de l’alinéa 16(1)a). Toutefois, comme cette preuve ne porte pas sur l’emploi d’un nom commercial distinct de l’emploi de la marque de commerce GALPERTI, elle n’est pas matérielle en ce qui a trait au motif d’opposition fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement en raison de l’emploi antérieur d’un nom commercial au titre de l’alinéa 16(1)c). La norme de contrôle applicable au motif d’opposition fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement au titre de l’alinéa 16(1)c) demeure celle de l’erreur manifeste et déterminante.

V. Analyse

A. L’emploi du nom commercial

[63] La demanderesse n’a présenté aucun nouvel élément de preuve concernant l’emploi de son nom commercial et n’a pas relevé d’erreur manifeste et déterminante dans les conclusions de la Commission sur le motif d’opposition fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement au titre de l’alinéa 16(1)c) de la Loi. L’appel de la demanderesse sur ce motif d’opposition fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement sera donc rejeté. Toutefois, ce n’est pas déterminant en l’espèce, car, comme je l’explique plus bas, la demanderesse a gain de cause en ce qui a trait à l’examen de novo dans son appel concernant l’alinéa 16(1)a) de la Loi.

B. Explication relative à la preuve importante

[64] Après avoir examiné les affidavits de M. Cain et de M. Cook, la Cour juge que certaines parties de la preuve ne sont pas fiables en raison de formulations ambiguës, en particulier lorsque le mot « ou » cause de l’incertitude en ce qui a trait à l’emploi précis de la marque de commerce de Galperti. Par exemple, M. Cain a mentionné dans son affidavit que la marque de commerce de Galperti avait été employée [traduction] « seule ou avec un dessin “G” distinctif », sans dire précisément de quelle marque de commerce il s’agissait. De même, M. Cain a affirmé que la marque de commerce GALPERTI stylisée était employée [traduction] « chaque fois ou presque au Canada dans les années 1980 et au début des années 1990 », ce qui est imprécis et ne constitue pas un élément de preuve concret établissant que la marque de commerce a été employée de façon constante. Ces ambiguïtés empêchent la Cour de trancher la question de savoir si la marque a effectivement été employée de façon continue et dans la pratique normale du commerce, comme l’exigent la Loi et la jurisprudence applicable. En outre, je juge insuffisant le témoignage de M. Cain lorsque celui-ci mentionne simplement que, quand M. Wray et lui-même ont vu en personne les premiers produits de Galperti, à la fin de 1985 ou au début de 1986, l’emballage [traduction] « ressemblait » à celui de Galperti montré dans la pièce « A ».

[65] Toutefois, je juge fiable le récit des souvenirs de M. Cain reproduit ci-dessous :

[traduction]
19. Je ne me souviens pas si d’autres signes de GALPERTI, par exemple le « G » dans l’anneau et le carré, et la ligne contenant le mot « GROUP », comme le montre la pièce « A », figurait dans certains cas sur les bordereaux d’emballage des produits forgés de Galperti expédiés à Comco pour leur distribution au Canada dans les années 1980 et 1990. Par contre, je me souviens que, dans la plupart des cas, sinon tous les cas, au Canada, dans les années 1980 et au début des années 1990, la marque nominale GAPERTI stylisée mentionnée au paragraphe 16 du présent affidavit apparaissait sans autres signes ou marques de Galperti entourant la maque nominale GALPERTI stylisée, sur le bordereau d’emballage.

20. Je me souviens qu’un bordereau d’emballage portant la marque nominale GALPERTI stylisée tel que je l’ai décrit ci-dessus figurait sur les premiers produits de Galperti, dont des brides expédiées dans une caisse en bois. En outre, je me rappelle avoir continuellement vu des produits forgés de Galperti, dont des brides, emballés dans des caisses en bois et portant le bordereau d’emballage tel que je l’ai décrit ci-dessus au Canada, dans les années 1980 et 1990, au moins à partir de la fin de 1985 ou du début de 1986. Dans le cadre de mes fonctions de vice-président au sein de Comco, j’ai vu cet emballage des brides de Galperti dans les entrepôts de Comco au Canada, dans la pratique courante du commerce de Comco, soit la réception et la distribution des brides de Galperti au Canada, dans les années 1980 et 1990, au moins à partir de la fin de 1985 ou du début de 1986.

[66] L’affidavit de M. Cain indique clairement qu’il se souvenait [traduction] « que, dans la plupart des cas, sinon tous les cas, au Canada, dans les années 1980 et au début des années 1990, la marque nominale GAPERTI stylisée mentionnée au paragraphe 16 du présent affidavit figurait sur le bordereau d’emballage, sans autres signes ou marques de Galperti ». Il est difficile de ne pas tenir compte de ce témoignage clé. La précision de M. Cain, ses interactions avec des produits de Galperti au cours de la période qu’il a indiquée et le fait que cette preuve ne soit pas contestée me donnent des raisons de croire qu’à cet égard, elle est à la fois fiable et véridique. M. Cain peut avoir des souvenirs aussi précis et fiables parce qu’il a directement interagi avec des produits de Galperti au cours de la période qu’il a passée en Alberta, c’est-à-dire, selon son affidavit non contesté, lorsqu’il vivait à Sherwood Park, entre 1982 et 1986, avant de déménager à Guelph, en Ontario, en 1986.

[67] De même, à la lumière de la preuve de M. Cain et de la preuve documentaire, je juge que les souvenirs de M. Cook sont fiables, en particulier parce que M. Cook précise à la fois ce dont il se souvient et ce dont il ne se souvient pas de la période précisée :

[traduction]
17. On m’a montré la copie de la photographie jointe en tant que pièce « B ». L’avocat de la demanderesse m’a informé que cette photographie provenait des archives de Galperti, ce que je crois vrai. Je connais le type de caisse en bois que montre la photographie et l’étiquette portant le nom GALPERTI sur la caisse. C’est semblable à ce que je me rappelle avoir vu du milieu à la fin des années 80 en ce qui concerne les brides de Galperti que Shell recevait au Canada, pour des projets canadiens, normalement par l’intermédiaire de Comco. Je me souviens que le nom GALPERTI stylisé qui figure sur l’étiquette dans la photographie figurait aussi sur les étiquettes des brides de Galperti achetées par Shell dans les années 1980 au Canada. Plus précisément, je me souviens que la partie stylisée du logo GALPERTI (reproduite ci-dessous) figurait souvent sur le bordereau extérieur des caisses en bois contenant les brides distribuées au Canada dans les années 1980.

18. Je me rappelle avoir souvent vu les brides de Galperti au Canada emballées de la manière décrite ci-dessus, aux paragraphes 16 et 17 de mon affidavit, dans le cours normal des activités de Shell et de sa relation d’affaires avec Galperti (par l’intermédiaire de Comco), jusqu’à ma retraite de Shell, en 2004.

19. L’avocat de la demanderesse m’a montré l’image reproduite ci-dessous. Je ne me souviens pas si les autres éléments de l’image ci-dessous figuraient sur les bordereaux extérieurs des brides de Galperti au Canada, dans les années 1980. Plus précisément, je ne me souviens pas si le logo « G » (composé d’un G encerclé à l’intérieur d’un carré), le mot GROUP dans la ligne verte et la mention « The Original » figuraient sur l’étiquette en papier dans les années 1980 (comme le montre l’image ci-dessous). Je me souviens toutefois que le nom GALPERTI stylisé reproduit ci-dessous figurait sur les étiquettes en papier extérieures des brides de Galperti distribuées au Canada dans les années 1980.

[Non souligné dans l’original.]

[68] Le fait que M. Cook se souvienne de la présence de la marque de commerce GALPERTI stylisée sur les étiquettes en papier extérieures des brides Galperti distribuées au Canada dans les années 1980, mais pas de celle du logo « G », du mot « GROUP » ou de la mention « The Original », ne peut être écarté.

[69] La défenderesse soutient qu’il manque des documents essentiels à l’appui des affidavits et met en doute la fiabilité des témoignages de M. Cain et de M. Cook en raison de l’absence de documents à l’appui, notamment à propos de la quantité de marchandises échangées et de la fréquence des échanges (une seule fois ou de manière sporadique). La défenderesse renvoie, entre autres, à l’arrêt Medos Services Corporation c Ridout and Maybee LLP, 2015 CAF 77, au paragraphe 6, où la Cour d’appel fédérale a mis l’accent sur la nécessité d’une documentation solide de l’emploi d’une marque de commerce pour que la Cour puisse jouer son rôle. Toutefois, les affidavits fournis par la demanderesse contiennent des descriptions et des récits de souvenirs précis de l’emploi de la marque de commerce, et ces descriptions et ces récits, en combinaison avec les renseignements sur les pratiques commerciales établies de Comco et de Shell, constituent une preuve convaincante de l’emploi continu de la marque de commerce.

[70] Dans son affidavit, M. Cain a détaillé des cas précis de réception des produits en question et souligné qu’il avait constamment vu la marque de commerce, ce qui répond à la nécessité de démontrer l’emploi continu d’une marque de commerce pour établir sa présence sur le marché (Corporativo de Marcas GJB, SA de CV c Bacardi & Company Ltd, 2014 CF 323 aux paras 42, 43 [Corporativo]). De même, l’affidavit de M. Cook appuie l’affirmation voulant que la marque ait été employée de façon continue dans la pratique normale du commerce, ce qui renforce la thèse selon laquelle ces produits étaient présents dans les activités commerciales de Comco et de Shell de façon non pas sporadique, mais régulière.

C. Fardeau juridique et fardeau de preuve en jeu

[71] La confusion dans la présente affaire semble découler du manque de clarté des parties à propos des fardeaux juridique et de preuve applicables à une procédure d’opposition où une demanderesse change la date de premier emploi revendiquée pour une date antérieure revendiquée après le dépôt d’une déclaration d’opposition. Afin d’expliquer pourquoi la demanderesse obtient gain de cause dans cette affaire, je donne des précisions sur ces deux points. Précisons que l’emploi de la marque de commerce dont je traite est celui qu’ont décrit M. Cain et M. Cook :

  1. Paragraphe 19 de l’affidavit de M. Cain : [traduction] « [J]e me souviens que, dans la plupart des cas, sinon tous les cas, au Canada, dans les années 1980 et au début des années 1990, la marque nominale GAPERTI stylisée mentionnée au paragraphe 16 du présent affidavit apparaissait sans autres signes ou marques de Galperti entourant la maque nominale GALPERTI stylisée, sur le bordereau d’emballage».

  2. Paragraphe 19 de l’affidavit de M. Cook : [traduction] « Je ne me souviens pas si les autres éléments de l’image ci-dessous figuraient sur les bordereaux extérieurs des brides de Galperti au Canada, dans les années 1980. Plus précisément, je ne me souviens pas si le logo « G » (composé d’un G encerclé à l’intérieur d’un carré), le mot GROUP dans la ligne verte et la mention « The Original » figuraient sur l’étiquette en papier dans les années 1980 (comme le montre l’image ci-dessous). Je me souviens toutefois que le nom GALPERTI stylisé reproduit ci-dessous figurait sur les étiquettes en papier extérieures des brides de Galperti distribuées au Canada dans les années 1980».

[72] Le fardeau juridique dans ces circonstances amène la Cour à se poser la question suivante : qu’est-ce qu’exige le paragraphe 16(1) de la Loi? Cette disposition incorpore par renvoi l’article 30 de la Loi, où figure l’expression « ont ainsi employé la marque de commerce », ce qui établit l’exigence d’un emploi continu de la marque de commerce dans la pratique normale du commerce. Toutefois, suivant la jurisprudence, l’emploi continu d’une marque de commerce peut comporter des périodes de non-emploi, pourvu que ce soit en dehors de la pratique normale du commerce (Corporativo, aux paras 42 et 43, citant Labatt Brewing Co c Benson & Hedges (Canada) Ltd, [1996] ACF no 370). Il s’agit d’un exercice contextuel axé sur les faits propres à l’affaire, et non pas d’un critère juridique créant une ligne de démarcation claire.

[73] L’obligation de démontrer que la marque de commerce a été employée de façon continue impose à la personne qui sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce le fardeau initial de démontrer, quant à la date du premier emploi revendiquée, sa conformité à la Loi. En contrepartie, l’opposant est contraint de présenter une preuve à l’appui de ses allégations de non-conformité. La Cour l’explique on ne peut plus clairement dans la décision Labatt (John) v Molson Companies Ltd, 1990 CanLII 11059 (CF) [Labatt] :

[traduction]
En ne prenant en considération que la décision faisant l’objet de l’appel, je ne puis convenir qu’elle est erronée. La jurisprudence est claire : lorsque le respect de l’alinéa 29b) de la Loi sur les marques de commerce par un requérant est en cause, le requérant qui sollicite l’enregistrement a le fardeau juridique de démontrer sa conformité, et la personne qui s’y oppose a le fardeau de présenter une preuve à l’appui de ses prétentions quant à la non-conformité. Pour s’acquitter du fardeau de présentation, une partie doit présenter un dossier suffisant pour convaincre le juge des faits que les faits allégués sont véridiques : voir The Law of Evidence in Civil Cases de Sopinka et Lederman (Toronto, Butterworths, 1974), aux p 395-401; Cross On Evidence (Londres, Butterworths, 1985), 6e éd., aux p 107, 108; Phipson On Evidence (Londres, Sweet & Maxwell, 1982), 13e éd., au para 44-03; McCormick On Evidence (St. Paul, West Publishing Co.), 3e éd., aux p 946-948; Thayer, Preliminary Treatise on Evidence at the Common Law (Boston, Little, Brown & Co., 1898), c. 9.

[Labatt, à la p 298; non souligné dans l’original, caractère gras ajouté.]

[74] Une fois indiquée la date de premier emploi revendiquée par la personne qui sollicite l’enregistrement, l’opposant a le fardeau de preuve initial de présenter un dossier suffisant pour établir la non-conformité. Si l’opposant établit l’existence d’un fondement probatoire démontrant la non-conformité, il y a alors transfert [traduction] « du fardeau à la personne qui sollicite l’enregistrement, qui doit produire une preuve établissant la date de premier emploi revendiquée » (Moosehead Breweries Ltd v Molson Cos, [1984] TMOB no 12 au para 15). Toutefois, lorsque la personne qui sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce cherche à invoquer une date de premier emploi antérieure à celle qu’elle a initialement revendiquée, elle a le fardeau positif de présenter une preuve établissant cet emploi. C’est la démarche qui a été retenue dans l’affaire Bunzl (Bunzl, au para 70, citant WiringPro Corporation Inc c Sensolutions Inc, 2020 COMC 128 au para 42; DeCaria Hair Studio Ltd v Massimo De Berardinis et al, [1984] TMOB no 39, 2 CPR (3d) 309 au para 6) [DeCaria]. Ce qui précède découle du principe selon lequel la date de premier emploi revendiquée doit être tenue pour avérée en l’absence de preuve contraire, ce qui, selon mon interprétation, signifie en l’absence de preuve contraire de l’une ou l’autre des parties (Bunzl, au para 70; DeCaria, au para 6; WeldPro Limited c WeldWorld Corp, 2021 COMC 137 aux paras 37, 43-46). Il convient de faire remarquer que, dans cette affaire, la Commission mentionne ce point à bon droit (bien que brièvement) au paragraphe 29 de sa décision.

[75] Si la personne qui sollicite l’enregistrement invoque une date de premier emploi antérieure à celle revendiquée dans sa demande d’enregistrement de la marque de commerce, elle a le fardeau positif de présenter une preuve à l’appui de sa prétention, à défaut de quoi la date indiquée dans sa demande doit être tenue pour avérer. À cette étape, point n’est besoin de trancher la question de savoir s’il incombe à l’opposant un deuxième fardeau de preuve visant à réfuter la date antérieure de premier emploi de la marque de commerce invoquée, comme le soutient la demanderesse, et ce, pour plusieurs raisons. Bien que j’en doute généralement, en l’espèce, la défenderesse n’a présenté aucun élément de preuve supplémentaire permettant de réfuter la date antérieure revendiquée et j’estime que la demanderesse s’est acquittée du fardeau positif de démontrer qu’elle employait la marque de commerce à la date antérieure qu’elle a revendiquée

D. Emploi continu à partir de la date antérieure revendiquée

[76] Après avoir déterminé le fardeau respectif incombant à chaque partie, j’explique ensuite en quoi la demanderesse s’est acquittée de son fardeau positif de présenter une preuve établissant la date d’emploi antérieure revendiqué.

[77] Je fais tout d’abord remarquer que, comme la Commission l’indique à bon droit au paragraphe 35 de sa décision, l’emploi de la marque de commerce au Canada par un membre du Groupe Galperti confère à la demanderesse l’avantage prévu au paragraphe 50(1) de la Loi, car le témoignage de M. Puccio, qui a été accepté, décrit un contrat de licence conclu entre les sociétés visant le droit d’employer la marque de commerce GALPERTI. Il n’a pas été interjeté appel de la conclusion de la Commission à cet égard.

[78] L’affidavit de M. Belloli contient un extrait d’un livre démontrant clairement l’existence, dès 1971, de la marque de commerce GALPERTI stylisée représentant l’emploi de la marque de commerce GALPERTI invoqué par la demanderesse. L'affidavit de M. Bellioli a produit un extrait de livre qui démontre clairement une marque GALPERTI stylisée qui qualifierait comme l’emploi de la marque de commerce GALPERTI, tel que la demanderesse l’invoque d’avoir existé depuis 1971. Il y a lieu de le souligner, parce que M. Cain a corroboré que la marque de commerce GALPERTI stylisée, telle qu’elle figure dans l’extrait du livre de 1971, figurait sur les bordereaux d’emballage accompagnant des caisses en bois de produits forgés de Galperti, dont des brides, [traduction] « dans les années 1980 et 1990, et au moins à partir de la fin de 1985 ou du début de 1986 ». M. Cain a également corroboré que les brides de Galperti reçues au Canada et distribuées par Comco dans la pratique courante des activités de distribution de cette dernière [traduction] « portaient la marque GALPERTI stylisé pour indiquer que les brides provenaient de Galperti ». De même, M. Cook a corroboré qu’il ne se souvenait pas précisément que le logo « G », le mot « GROUP » dans la ligne verte ou la mention « The Original » figuraient sur les étiquettes en papier extérieures des brides de Galperti, mais qu’il se souvenait précisément que la marque de commerce GALPERTI stylisée figurait sur ces étiquettes à la fin des années 1980.

[79] La défenderesse affirme que les preuves de M. Cain et de M. Cook sur l’emploi continu ne devraient pas l’emporter sur la preuve contenue dans une lettre de M. Derek Currah, président-directeur général de Comco, dans laquelle ce dernier affirme que Galperti [traduction] « est un fournisseur de longue date de notre société … depuis 1992 » ou que la preuve de M. Cain et de M. Cook est contredite par cette lettre. Avec respect, je préfère les témoignages de M. Cain et de M. Cook pour trois raisons. Premièrement, les preuves de M. Cain et de M. Cook s’appuient sur leur expérience directe en la matière, alors que, dans sa lettre, M. Currah ne dit rien sur son propre expérience ou sa connaissance de la matière. Deuxièmement, M. Cain et M. Cook ont fait des déclarations sous serment, alors que la lettre de M. Currah n’est qu’une pièce jointe à l’affidavit de M. Puccio et ne constitue donc pas une déclaration sous serment par M. Currah. Enfin, comme il s’agit de déclarations sous serment, les témoignages de M. Cain et de M. Cook constituent une preuve vérifiable (qu‘ils aient été ou non soumis à un contre-interrogatoire), alors que la lettre de M. Currah n’a pas été présentée pour établir la véracité de son contenu, mais simplement parce que M. Puccio l’avait en sa possession.

[80] Comme je l’indique plus haut, je n’ai aucune raison de ne pas accepter les témoignages de M. Cain et de M. Cook à sa valeur nominale. Non seulement la défenderesse a choisi de ne pas les contre-interroger, mais leurs affidavits sont des déclarations faites par d’anciens employés de haut niveau et longue date qui travaillaient pour le distributeur canadien et pour le client final canadien de la demanderesse respectivement. En l’absence de preuve du contraire, le fait que M. Cain et M. Cook ne travaillent plus pour Comco et pour Shell respectivement m’amène également à penser qu’il n’y a aucune raison de douter de leur crédibilité.

[81] Les témoignages de M. Cain et de M. Cook établissent que la marque de commerce GALPERTI de Fial est employée en liaison avec des brides depuis 1986. Selon le témoignage de M. Cain, Comco a distribué les produits de Galperti au Canada dans la pratique normale du commerce dès 1986 au moins et jusque dans les années 1990. Il ressort du témoignage de M. Cook que Shell avait reçu des brides de Galperti [traduction] « dans la pratique normale [de ses] activités et de sa relation d’affaires avec Galperti (par l’intermédiaire de Comco) » jusqu’en 2004, année où il a pris sa retraite de Shell. Certes, leurs affidavits ne contiennent aucun élément de preuve documentaire à l’appui de leurs affirmations quant à l’emploi continu de la marque de commerce dans la pratique normale des activités de leurs sociétés respectives, mais l’affidavit de M. Puccio est accompagné de factures présentées par Galperti à Comco. Ces factures, dont la plus ancienne est datée de 1993, prouvent que Comco achetait des brides de Galperti, brides que, d’après M. Cain et M. Cook, Comco vendait ensuite à Shell au cours de la même période et de la même façon. M. Puccio a également fourni dans son affidavit des chiffres des ventes réalisées à partir de 2001 et, en contre-interrogatoire, il a affirmé qu’il était [traduction] « sûr à 100 % que dans les années 80, [Galperti] vendait».

[82] Comme les témoignages de M. Cain et de M. Cook n’ont pas été contestés, et ce même si la défenderesse a voulu mettre en doute leur témoignage sans avoir procédé à un contre-interrogatoire, le dossier indique que Galperti et Comco ont entretenu des relations commerciales au Canada de la nature décrite dans les factures de M. Puccio et les témoignages de M. Cain et de M. Cook. Rien n’indique que leur relations d’affaires aient changé au cours de la période concernée, et les échanges des brides et autres produits se sont tenus ainsi dans la pratique normale du commerce à partir d’au moins le début de 1986 et jusqu’aux années 1990.

[83] La nouvelle preuve que la demanderesse a présentée en appel, combinée à celle qu’elle a présentée à la Commission, établit qu’elle avait employé de façon continue sa marque de commerce GALPERTI dans la pratique normale du commerce à partir du début de 1986 et jusque dans les années 1990, en dépit de l’absence de factures entre 1986 et 1993, et l’absence de renseignements sur les volumes des ventes réalisées avant 2001 (Sols R Isabelle Inc c Stikeman Elliott LLP, 2011 CF 59 aux paras 10, 23, 24).

[84] Par conséquent, la nouvelle preuve que la demanderesse a présentée en appel, combinée à sa preuve devant la Commission, établit qu’elle a employé sa marque de commerce GALPERTI en 1986, avant que la défenderesse emploie la sienne en 1991. La preuve combinée établit que la demanderesse a le droit d’enregistrer sa marque de commerce GALPERTI en vertu de l’alinéa 38(2)c) et l’alinéa 16(1)a) de la Loi, ayant prouvé qu’elle a employé de façon continue sa marque de commerce au Canada à partir de 1986 dans la pratique normale du commerce.

VI. Dépens

[85] Les parties ne sont pas parvenues à s’entendre sur les dépens. La demanderesse a présenté un mémoire de frais et un affidavit. Dans son mémoire de frais, les calculs sont effectués à l’aide des valeurs prévues au milieu de la colonne III du tarif B. Les frais s’élèvent à 14 917,50 $ et les débours à 1 712,37 $. Le mémoire de frais comprend, entre autres, un montant pour la préparation des quatre affidavits soumis dans la présente affaire à propos des lacunes que la Commission avait relevées dans la preuve ainsi que les dépens adjugés suivant l’issue de la cause à l’égard de la requête en prorogation de délai accueillie, parce que la défenderesse n’avait pas consenti à la prorogation demandée.

[86] Bien qu’il soit approprié d’accorder des dépens en l’espèce, je ne suis pas enclin à adjuger à la demanderesse l’intégralité des dépens qu’elle réclame dans son mémoire de frais. Comme le souligne la défenderesse, même si la demanderesse obtiendra gain de cause, ce recours en appel a été interjeté pour remédier aux lacunes identifiées par le registraire dans la preuve qu’elle avait présentée à l’appui de sa demande d’enregistrement de la marque de commerce, et non pas pour faire infirmer une décision de la Commission comportant une erreur. La défenderesse a renvoyé aux décisions Kabushiki Kaisha Mitsukan Group Honsha c Sakura-Nakaya Alimentos Ltda, 2016 CF 20, au paragraphe 45, et Fruit of the Loom, Inc c LRC Products Limited, 2022 CF 217, au paragraphe 37. Ces décisions de la Cour fédérale suggèrent que la demanderesse n’a même pas droit aux dépens dans une affaire où la preuve déposée en appel était nécessaire en raison de lacunes relevées par la Commission dans l’instance antérieure dont elle était saisie.

[87] Il ne semble pas faire débat entre les parties que le facteur déterminant en l’espèce est la nouvelle preuve soumise par la demanderesse dans le présent appel, et je suis d’accord pour dire que cette preuve aurait pu être soumise au registraire, ce qui aurait peut-être permis d’éviter complètement le présent appel. Le fait que la demanderesse ait abandonné la plupart des allégations d’erreurs formulées dans son avis de demande le confirme. En effet, la Commission n’a commis aucune erreur, et le présent appel porte sur la nouvelle preuve déposée. Il convient quand même d’adjuger des dépens en l’espèce, car l’appel a donné lieu à une vive argumentation et a soulevé de véritables questions fondées sur une nouvelle preuve importante, mais il semble plus approprié d’adjuger une somme globale inférieure plutôt que les entiers dépens calculés selon les valeurs prévues au milieu de la colonne III. La défenderesse a informé la Cour qu’elle considérait qu’une somme globale de 4 000 $, à laquelle s’ajouterait le montant des débours raisonnables de la demanderesse, semblerait raisonnable dans les circonstances.

[88] Compte tenu de ce qui précède, je suis d’accord avec la défenderesse pour dire qu’une somme globale de 6 575 $ au titre des dépens, débours compris, est raisonnable dans les circonstances. Par souci de clarté, je précise que l’ordonnance comprend la totalité des dépens calculés en fonction des valeurs prévues au milieu de la colonne III pour la requête de prorogation de délai accueillie dans la présente affaire.

VII. Conclusion

[89] Pour tous ces motifs, le présent appel est accueilli, et il sera ordonné au registraire des marques de commerce d’accorder la demande d’enregistrement no 1,599,754 pour la marque de commerce GALPERTI. Étant donné que l’appel a été nécessaire en grande partie en raison des lacunes de preuve dans son dossier devant la Commission, la demanderesse se verra adjuger la somme globale de 6 575 $ au titre des dépens, débours compris.


JUGEMENT dans le dossier T-1765-22

LA COUR ORDONNE :

  1. L’appel est accueilli, et 6 575 $ sont adjugés à la demanderesse au titre des dépens, débours compris.

  2. Il est ordonné au registraire des marques de commerce d’accorder la demande d’enregistrement no 1,599,754 pour la marque de commerce GALPERTI.

« Ekaterina Tsimberis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1765-22

 

INTITULÉ :

F.I.A.L. FINANZIARIA INDUSTRIE ALTO LARIO S.P.A. c GALPERTI SRL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 JUIN 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE TSIMBERIS

 

DATE DES MOTIFS :

le 25 juin 2024

 

COMPARUTIONS :

Jeffrey Gordon

Chantal Saunders

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Barry Gamache

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais s.r.l. S.E.N.C.R.L

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Robic S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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