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Date : 20051221

Dossier : T-66-05

Référence : 2005 CF 1730

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2005

En présence de : Monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

FESTIVAL CANADIEN DES FILMS DU MONDE

demanderesse

et

L'ÉQUIPE SPECTRA INC.

et

REGROUPEMENT POUR LE FESTIVAL DE CINÉMA DE MONTRÉAL

défenderesses

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                            La présente affaire soulève un certain nombre de questions procédurales dont le protonotaire Me Richard Morneau a disposé dans deux ordonnances, rendues les 5 et 19 avril 2005. De façon plus générale, le présent litige s'inscrit dans le cadre de certaines décisions prises par Téléfilm Canada en vue d'assurer le financement d'un festival cinématographique à Montréal.

CONTEXTE FACTUEL

[2]                            Le 7 septembre 2004, au lendemain de la clôture du 28e festival du Festival des films du monde ( « FFM » ), Téléfilm Canada ( « Téléfilm » ) annonçait par le biais d'un communiqué qu'elle lançait un appel de propositions pour soutenir financièrement la tenue d'un événement cinématographique rassembleur à Montréal. Les propositions devaient être soumises au plus tard le 8 octobre 2004.

[3]                            Estimant que l'appel de propositions n'avait pour but que de supprimer le FFM, la demanderesse n'a pas jugé bon de participer à cet exercice. Les quatre propositions initiales n'ayant pas été retenues par les conseils d'administration de Téléfilm et de la Société de développement des entreprises culturelles ( « SODEC » ), on offrit la possibilité aux proposeurs de présenter de nouveau leur projet avant le 1er décembre 2004.

[4]                            Après avoir pris connaissance du fait que quatre groupes avaient déposé des projets améliorés, la demanderesse déposait en Cour supérieure du Québec, le 10 décembre 2004, une requête introductive d'instance pour jugement déclaratoire et injonction permanente, demandant à la Cour de déclarer l'appel de propositions du 7 septembre 2004 illégal, ainsi que des dommages exemplaires et moraux de l'ordre de $2 500 000.00.

[5]                            Le 17 décembre 2004, Téléfilm rendait sa décision sur l'appel d'offres et annonçait qu'il soutiendrait financièrement le projet du Regroupement pour un festival de cinéma à Montréal, dont la mise en oeuvre serait assurée par l'Équipe Spectra Inc. ( « Spectra » ).

[6]                            Le 6 janvier 2005, Téléfilm signifiait une requête en exception déclinatoire alléguant entre autres que la Cour supérieure n'était pas compétente pour trancher la question de la légalité de l'appel de propositions. C'est dans ces circonstances que la demanderesse, le 14 janvier 2005, a déposé une demande de contrôle judiciaire à l'encontre des deux décisions rendues par Téléfilm Canada, l'une concernant l'appel de propositions en date du 7 septembre 2004, et l'autre concernant le choix de l'une des propositions rendue le 17 décembre 2004.

[7]                            Le 10 mars 2005, Téléfilm a produit une requête en rejet de cette demande de contrôle judiciaire et subsidiairement en annulation de cette demande de contrôle judiciaire, pour le double motif que la demande : a) ne révèle aucune cause d'action valable et doit être radiée, et b) contrevient aux règles 302 et 303 des Règles des Cours fédérales et doit être annulée au terme de la règle 59c) des Règles des Cours fédérales.

[8]                            Le 5 avril 2005, le protonotaire Morneau a rendu une ordonnance dans laquelle il rejetait la requête de la défenderesse. Il constata néanmoins que la demande de contrôle judiciaire concernant l'appel de propositions avait été logé hors du délai de 30 jours prévu par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les cours fédérales, et décida en conséquence de suspendre l'instance, « le temps que la demanderesse recherche et obtienne d'un juge, s'il y a lieu, une prorogation du délai du paragraphe 18.1(2) de la Loi » . Cette ordonnance fait l'objet d'un premier appel par Téléfilm.

[9]                            De plus, la demanderesse a produit une requête le 23 mars 2005 visant à amender son avis de demande afin que Téléfilm soit remplacé par le Procureur général à titre de défenderesse, et visant aussi à ajouter à titre de défendeurs L'Équipe Spectra Inc. et le Regroupement pour le festival de cinéma de Montréal.

[10]                        Dans une ordonnance rendue le 19 avril 2005, le protonotaire a ordonné la radiation du nom de Téléfilm de l'intitulé de la cause et l'a remplacé par les défenderesses L'Équipe Spectra et le Regroupement pour le festival de cinéma de Montréal. Cette ordonnance est contestée et fait l'objet d'un deuxième appel, tant par Téléfilm que par le FFM.

[11]                        Enfin, le 12 juillet 2005, la demanderesse a déposé un avis de requête amendé pour obtenir la prorogation du délai de 30 jours pour le dépôt d'une demande de contrôle judiciaire relative à la décision du 7 septembre 2004 de Téléfilm de procéder par appel de propositions, et pour obtenir que ces deux demandes de contrôle judiciaire soient instruites, entendues et jugées dans une seule instance.

QUESTIONS EN LITIGE

[12]                        Les deux appels dont cette Cour est saisie soulèvent un certain nombre de questions, qui peuvent être énoncées comme suit :

-            Quelle est la norme de contrôle applicable dans le cadre du présent appel?

-            La Cour devrait-elle accorder une prorogation de délai à la demanderesse pour qu'elle puisse déposer sa demande de contrôle judiciaire de l'appel de propositions?

-            Le protonotaire a-t-il erré en refusant de radier la demande de contrôle judiciaire au motif qu'elle ne révélerait aucune cause d'action valable?

-            Le protonotaire a-t-il erré en refusant d'annuler la demande de contrôle judiciaire parce qu'elle recherche trois ordonnances distinctes par le biais d'un seul avis de demande?

-            Le protonotaire pouvait-il rendre une ordonnance le 19 avril alors qu'il avait suspendu le dossier dans son ordonnance du 5 avril, et si oui, a-t-il erré en rayant entièrement Téléfilm Canada à titre de défenderesse sans la remplacer par le Procureur général du Canada?

ANALYSE

A)         La norme de contrôle

[13]                        La norme de contrôle applicable dans le cadre d'un appel formé à l'encontre de la décision d'un protonotaire est maintenant bien établie. Compte tenu du rôle crucial que jouent les protonotaires dans la gestion des instances, de leur connaissance approfondie du dossier et des parties et de la grande latitude dont ils doivent en conséquence bénéficier lorsqu'ils tranchent des questions de nature procédurale, cette Cour n'interviendra que dans l'une ou l'autre des hypothèses suivantes :

a)          lorsque la décision du protonotaire est manifestement erronée, du fait qu'il s'est fondé sur un principe erroné ou sur une mauvaise appréciation des faits; ou encore

b)          lorsque sa décision porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du litige.

[14]                        Ces principes, qui découlent de l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. (1993), 149 N.R. 273; [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), ont été réitérés à de trop nombreuses reprises par la Cour d'appel pour qu'il soit nécessaire de s'y attarder plus longuement (voir, à titre d'illustrations, Khalil c. Canada (2004), 252 F.T.R. 292; [2004] A.C.F. No. 878; 2004 CF 732 (QL); First Canadians' Constitution Draft Committee the United Korean Government c. Canada (2004), 317 N.R. 352; [2004] A.C.F. No. 372; 2004 CAF 93 (QL).

[15]                        Tout au plus convient-il peut-être de rappeler les précisions formulées récemment par le juge Décary, de la Cour d'appel fédérale, eu égard à la séquence dans laquelle les deux hypothèses formulées plus haut doivent être considérées :

19       Afin d'éviter la confusion que nous voyons parfois découler du choix des termes employés par le juge MacGuigan, je pense qu'il est approprié de reformuler légèrement le critère de la norme de contrôle. Je saisirai l'occasion pour renverser l'ordre des propositions initiales pour la raison pratique que le juge doit logiquement d'abord trancher la question de savoir si les questions sont déterminantes pour l'issue de l'affaire. Ce n'est que quand elles ne le sont pas que le juge a effectivement besoin de se demander si les ordonnances sont clairement erronées. J'énoncerais le critère comme suit: "Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants: a) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, b) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits."

Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc. (2003), 315 N.R. 175; [2004] 2 R.C.F. 459 ; 2003 FCA 488 (QL).

[16]                        C'est donc en ayant ces balises à l'esprit que j'aborderai l'étude des différentes questions soulevées par les deux appels qui me sont soumis. Étant donné l'impact crucial que peut avoir une demande de radiation sur l'issue du litige, la déférence avec laquelle j'aborderai la décision du protonotaire sera évidemment moindre que celle avec laquelle j'examinerai les autres questions. Quant à la prorogation du délai, cette question ne fait pas l'objet d'un appel puisqu'elle n'a pas été tranchée par le protonotaire; les considérations qui précèdent ne sont donc pas applicables à ce chapitre.

B)         La prorogation de délai

[17]                        L'article 18.1(2) de la Loi sur les cours fédérales prévoit qu'une demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance à la partie concernée ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de cette Cour peut fixer ou ordonner.

[18]                        Tel qu'il appert de l'Avis de demande, l'appel de propositions a été lancé le 7 septembre 2004, et annonce en a été faite le même jour au moyen d'un communiqué de presse. En conséquence, la demanderesse devait déposer sa demande de contrôle judiciaire au plus tard le 7 octobre 2004. Or, elle n'a déposé son Avis de demande de contrôle judiciaire que le 14 janvier 2005, soit 98 jours après l'expiration du délai imparti par la Loi pour ce faire.

[19]                        Les critères devant guider la Cour dans l'octroi d'une prorogation de délai ont été exposés à plusieurs reprises par la Cour d'appel et par cette Cour. De façon générale, la question fondamentale consistera à savoir si, dans les circonstances, la prorogation du délai est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties. De façon plus particulière, la prorogation de délai sera octroyée au demandeur qui démontre :

i)           une intention constante de poursuivre sa demande;

ii)          l'existence d'un dossier défendable;

iii)          que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai;

iv)         qu'il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

Voir Tarsem Singh Grewal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1985), 63 N.R. 106; [1985] 2 C.F. 263 (QL);

-            Independent Contractors and Business Assn. c. Canada(Ministre du Travail) (1998), 225 N.R. 19; [1998] A.C.F. no 352 (QL);

-            Canada (Procureur général) c. Hennelly (1999), 244 N.R. 399; [1999] F.C.J. no 846 (QL) ;

-            047424 NB Inc. c. Canada Ministre du Revenu National) (1998), 157 F.T.R. 44; [1998] A.C.F. no 1292 (QL).

[20]                        S'agissant du premier critère, la demanderesse a fait valoir qu'elle avait toujours eu l'intention de contester la légalité de l'appel de propositions. Non seulement a-t-elle fait paraître dans La Presse et Le Devoir , les 18 et 24 septembre, des lettres dénonçant la décision de Téléfilm de procéder par voie d'appel de propositions, mais elle a également déposé des procédures en Cour supérieure dès l'instant où elle a pris connaissance du fait que quatre groupes avaient déposé des soumissions en réponse à l'appel de propositions. Il eut sans doute été préférable pour la demanderesse de se pourvoir devant les tribunaux plutôt que d'en appeler à l'opinion publique par la voie des médias. D'autant plus que son procureur, dans une opinion juridique à laquelle il est fait allusion dans l'article paru le 24 septembre, opinait que le processus d'appel de propositions était illégal.

[21]                        Je retiens cependant l'explication fournie par la demanderesse, à l'effet qu'elle ne voulait pas multiplier les recours judiciaires et qu'elle ignorait que la décision de lancer un appel de propositions pouvait être considérée comme une décision distincte de la décision d'octroyer la subvention à l'un des soumissionnaires. J'estime également que la demanderesse n'a jamais fait mystère de son intention de contester la légalité des gestes posés par Téléfilm dans ce dossier, de telle sorte que la défenderesse ne peut prétendre avoir été prise par surprise par le dépôt de cette demande de contrôle judiciaire.

[22]                        D'autre part, une analyse sommaire de la demande de contrôle judiciaire de la décision de procéder par voie d'appel de propositions m'amène à conclure que cette demande n'est pas frivole et sans fondement et soulève, prima facie, une question qui mérite d'être tranchée par voie judiciaire. Le FFM entend en effet démontrer que la décision prise par Téléfilm de procéder à l'appel de propositions était illégale en ce qu'elle n'avait pour but que d'écarter le FFM de l'organisation du festival que celui-ci organisait depuis plusieurs années en invitant à se manifester et en supportant des compétiteurs du FFM à l'aide de la subvention que le FFM recevait depuis plusieurs années. Sans me prononcer d'une quelconque façon sur le bien-fondé de cet argument, il m'apparaît pouvoir faire l'objet d'un débat juridique dont l'issue n'est pas scellée d'avance.

[23]                        La défenderesse a tenté de faire valoir que le FFM n'a pas l'intérêt juridique nécessaire pour que soit déclaré nul et illégal l'appel de propositions, puisqu'il s'est abstenu de participer à l'appel de propositions et n'est donc pas directement touché par le processus. Cet argument ayant également été soulevé en rapport avec la décision prise par Téléfilm le 17 décembre 2004 de retenir le projet dont la mise en oeuvre serait assurée par Spectra, j'en traiterai plus loin lorsque j'aborderai la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire devrait être radiée.

[24]                        Enfin, la défenderesse n'a pas allégué qu'elle subirait un préjudice dans l'hypothèse où une prorogation des délais serait accordée. De toute façon, le juge du fond devra vraisemblablement se prononcer sur la légalité de l'appel de propositions pour déterminer la légalité de la décision finale. Pour tous ces motifs, et parce que j'estime qu'il est dans l'intérêt de la justice que cette demande soit entendue, je m'autorise donc de la Règle 55 des Règles des Cours fédérales pour accorder la demande de prorogation de délai eu égard à la demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler l'appel de propositions lancé par la défenderesse le 7 septembre 2004, pour une période de 30 jours à compter de la date de la présente ordonnance.

C)         La demande de contrôle judiciaire devrait-elle être radiée?

[25]                        Il n'existe aucune disposition dans les Règles des Cours fédérales prévoyant explicitement la radiation d'une demande ou d'un avis de requête. Le juge Strayer, alors de la Cour d'appel fédérale, en a ainsi expliqué la raison dans l'arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. (1994), 176 N.R. 48; [1995] 1 C.F. 588 (QL)(C.A.F.), au par. 11 :

11       L'absence de dispositions prévoyant la radiation des avis de requête dans les Règles de la Cour fédérale s'explique fondamentalement par les différences qui distinguent les actions des autres instances. Dans une action, le dépôt des plaidoiries écrites est suivi de la communication de documents, d'interrogatoires préalables et d'instructions au cours desquelles des témoignages sont rendus de vive voix. Il est de toute évidence important d'éviter aux parties les délais et les dépenses nécessaires pour mener une instance jusqu'à l'instruction s'il est "manifeste" (c'est le critère à appliquer pour radier une plaidoirie écrite) que la plaidoirie écrite en cause ne peut pas établir une cause d'action ou une défense. Bien qu'il soit important, tant pour les parties que pour la Cour, qu'une demande ou une défense futiles ne subsistent pas jusqu'à l'instruction, il est rare qu'un juge soit disposé à radier une procédure écrite par application de la Règle 419. De plus, le processus de radiation est beaucoup plus facile à appliquer dans le cas des actions, étant donné que de nombreuses règles exigent des plaidoiries écrites précises quant à la nature de la demande ou de la défense et aux faits qui l'appuient. Aucune règle comparable n'existe relativement aux avis de requête. Tant la Règle 319(1) [mod. par DORS/88-221, art. 4], la disposition générale applicable aux demandes présentées à la Cour, que la Règle 1602(2) [édictée par DORS/92-43, art. 19], la règle pertinente en l'espèce, qui vise une demande de contrôle judiciaire, exigent simplement que l'avis de requête indique "avec précision, le redressement" recherché et "les motifs au soutien de la demande". Le fait que les avis de requête ne doivent pas nécessairement contenir des allégations de fait précises aggrave beaucoup le risque que prendrait la Cour en radiant ces documents. De plus, une demande introduite par voie d'avis de requête introductive d'instance est tranchée sans enquête préalable et sans instruction, mesures qu'une radiation permet d'éviter dans les actions. En fait, l'examen d'un avis de requête introductive d'instance se déroule à peu près de la même façon que celui d'une demande de radiation de l'avis de requête: la preuve se fait au moyen d'affidavits et l'argumentation est présentée devant un juge de la Cour siégeant seul. Par conséquent, le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d'instance qu'elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l'audition de la requête même.

[26]                        Sans reconnaître explicitement la possibilité de radier un avis de requête introductive d'instance, le juge Strayer n'a donc pas été jusqu'à fermer la porte complètement. Suite à cette décision, les juges de cette Cour de même que la Cour d'appel fédérale ont parfois utilisé la règle 221 pour radier une demande de contrôle judiciaire avant même d'entendre une affaire au fond. Cette solution ne sera cependant retenue que dans les cas les plus rares, lorsque la Cour est convaincue que l'issue de l'affaire ne fait aucun doute. En d'autres termes, un juge n'exercera cette compétence que si la demande de contrôle judiciaire est si manifestement mal fondée qu'elle n'a aucune chance d'être accueillie : Mackie c. Drumheller Institution (1997), 134 F.T.R. 76; [1997] A.C.F. No. 1000 (QL); Wenzel c. Canada, [2003] A.C.F. No. 373; 2003 CFPI 252 (QL); Sweet c. Canada (1999), 249 N.R. 17 (C.A.F.); [1999] A.C.F. 1539; Agawa c. Hewson, Cour fédérale, [1998] A.C.F. no 877 (QL); Association canadienne des fabricants de pâtes alimentaires c. Aurora Importing & Distributing Ltd.,[1997] A.C.F. no 493 (QL).

[27]                        La défenderesse soutient que la demanderesse n'est pas directement touchée par les décisions du 7 septembre et du 17 décembre 2004, étant donné qu'elle s'est abstenue de participer à l'appel de propositions. Par voie de conséquence, elle ne pourrait présenter une demande de contrôle judiciaire puisqu'elle ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

[28]                        La demanderesse rétorque qu'elle a l'intérêt requis dans la mesure où elle risque de devoir faire face à une compétition jouissant de la subvention dont le FFM se trouve désormais lui-même privé. Si elle n'a pas participé à l'appel de propositions, c'est parce qu'elle estimait que les dés étaient pipés et que le processus mis en place par Téléfilm n'avait pour seul but que de l'écarter de l'organisation et de la mise en oeuvre d'un festival cinématographique à Montréal.

[29]                        Compte tenu de l'interprétation de plus en plus large que les tribunaux font de l'intérêt pour agir depuis quelques années, de même que de l'implication soutenue du FFM dans le monde du film international depuis 1977 à Montréal et de l'impact que ne manquerait pas d'avoir les décisions contestées de Téléfilm sur les activités, la participation et même l'existence du FFM, je n'ai aucune difficulté à conclure que la demanderesse possède un intérêt juridique suffisant pour demander le contrôle judiciaire de l'appel de propositions et du choix d'un organisme concurrent par Téléfilm au terme de cet exercice. Bien que le protonotaire Morneau n'ait pas motivé sa décision de rejeter la requête en radiation présentée par la défenderesse, rien ne m'autorise à penser qu'il a erré dans son appréciation des faits ou dans l'application des principes élaborés par la jurisprudence en cette matière.

[30]                        Quant aux prétentions de la défenderesse à l'effet que la demande d'injonction est formulée de façon trop vague et imprécise pour être susceptible d'exécution forcée, je ne crois pas qu'elles justifieraient à ce stade-ci le rejet de la demande de contrôle judiciaire ou même la radiation de cette conclusion. Encore une fois, il ne faut jamais perdre de vue que le rejet d'une demande constitue une intervention radicale que les tribunaux ne devraient utiliser qu'avec une extrême circonspection et auquel il ne devrait être fait droit que dans des circonstances exceptionnelles. Par conséquent, je suis d'avis qu'il vaut mieux laisser au juge qui sera appelé à se prononcer sur la demande de contrôle judiciaire le soin de décider du sort de cette conclusion recherchée par la demanderesse, quitte à ce qu'il en limite éventuellement la portée s'il l'estime approprié.

D)         La multiplicité des ordonnances recherchées dans le même avis de demande

[31]                        La Règle 302 des Règles des Cours fédérales prévoit qu'une demande de contrôle judiciaire « ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée » . Dans la présente instance, la demanderesse recherche, tel qu'exposés dans son avis de demande original et dans son avis de requête amendé: a) une ordonnance déclarant nulle et illégale la Décision du 17 décembre 2004; b) une ordonnance déclarant l'Appel de propositions nul et illégal; et c) une ordonnance empêchant la défenderesse d'effectuer toute tentative ou agissement qui aurait pour effet de créer un nouveau festival des films à Montréal ou aider un festival existant à créer un tel festival dans le but de supplanter le Festival des films du monde.

[32]                        La demanderesse s'objecte à cette façon de procéder et soutient que cette Cour doit rejeter la requête présentée le 12 juillet 2005 par la demanderesse visant à obtenir que les deux demandes de contrôle judiciaire et toutes les ordonnances recherchées soient instruites dans une seule instance. Elle allègue que ce serait une façon détournée d'obtenir une prorogation du délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire de la décision du 7 septembre 2004 (une question dont j'ai déjà disposée dans une section précédente de ces motifs), et que les deux demandes ne visent pas un processus continu mais bien deux décisions distinctes de Téléfilm.

[33]                        Or, la jurisprudence émanant de notre Cour établit clairement que deux ou plusieurs décisions ayant été prises par la même entité dans une même affaire peuvent faire l'objet d'une seule instance de contrôle judiciaire (avec permission), afin d'alléger les débats. Après avoir passé la jurisprudence applicable en la matière (Mahmood c. Canada (1998), 154 F.T.R. 102 (C.F.); [1998] A.C.F. no 1345 (QL); Puccini c. Canada (1993), 65 F.T.R. 127; [1993] 3 F.C. 557 (C.F.); 047424 NB Inc. c. Canada (M.R.N.) (1998), 157 F.T.R. 44 (C.F.); [1998] A.C.F. no 1292 (QL); Lavoie c. Canada (Service Correctionnel) (2000), 196 F.T.R. 96 (C.F.); [2000] A.C.F. no 1564, mon collègue le juge Campbell s'est exprimé ainsi dans l'arrêt Truehope National Support Ltd. c. Canada(Procureur Général) (2004), 251 F.T.R. 155; [2004] A.C.F. no 806; 2004 CF 658 (QL) (au paragraphe 6) :

Les actes ou décisions continus peuvent faire l'objet d'un contrôle en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale sans contrevenir à la règle 1602(4) [qui est maintenant la règle 302]; toutefois, les actes en question ne doivent pas porter sur deux situations de fait différentes, deux mesures de redressement recherchées, et deux organismes décideurs différents.

[34]                        Il ne me semble pas faire de doute que les questions à être tranchées sont intimement liées l'une à l'autre; en fait, les deux décisions contestées sont connexes, l'une n'étant que l'aboutissement de l'autre. Nous sommes ici en présence d'une suite d'événements et d'un processus continu, impliquant un seul organisme décisionnaire. Contrairement à ce qu'a prétendu la défenderesse, je vois mal par ailleurs comment la preuve et l'argumentation juridique pourraient être complètement séparées et distinctes.

[35]                        Je suis donc disposé à faire droit à cette requête de la demanderesse et à permettre que les deux décisions attaquées puissent faire l'objet de la même demande de contrôle judiciaire et soient instruites en même temps. La demande d'annulation de l'appel de propositions est directement liée à la demande d'annulation de la décision sur cet appel de propositions, de sorte que le contrôle judiciaire de ces deux « décisions » dans le cadre d'une seule instance simplifiera les choses et permettra une solution complète du litige opposant les parties tout en évitant le risque de décisions contradictoires.

E)                     L'ordonnance du 19 avril 2005

[36]                        Tel que mentionné précédemment, la demanderesse a déposé un avis de requête écrite en vertu de la Règle 369 des Règles des Cours fédérales le 23 mars 2005, dans le but d'amender son avis de demande de façon à remplacer Téléfilm Canada à titre de défenderesse par le Procureur général du Canada, ainsi que d'ajouter à titre de défendeurs L'Équipe Spectra Inc. et le Regroupement pour le festival de cinéma de Montréal. Cette requête faisait suite à la Requête déposée par la défenderesse le 11 mars 2005, dans laquelle était notamment alléguée l'inobservation de la règle 303 du fait que le Procureur général du Canada aurait dû être nommé à titre de défendeur dans la présente affaire plutôt que Téléfilm. Dans son dossier de réponse, la demanderesse demandait notamment à la cour de lui permettre de corriger cette irrégularité, et la requête du 23 mars est donc faite en corrélation avec cette demande.

[37]                        Je disposerai d'abord de l'argument présenté par la défenderesse, à l'effet que le protonotaire ne pouvait trancher la requête en amendement de la demanderesse puisqu'il avait suspendu le dossier dans son ordonnance du 5 avril 2005. Cet argument m'apparaît spécieux, dans la mesure où l'ordonnance du 5 avril peut certainement être interprétée comme visant uniquement les procédures relatives au fond du litige et non pas les requêtes interlocutoires telle une requête en prorogation de délai ou la requête déjà pendante pour permission d'amender du FFM.

[38]                        Sur le fond, je n'ai aucune hésitation à conclure que la requête pour amender présentée par le FFM est bien fondée. En effet, la Règle 303 établit clairement que toute personne directement touchée par l'ordonnance recherchée doit être désignée à titre de défendeur, « autre que l'office fédéral visé par la demande » . Par conséquent, Téléfilm ne peut être désigné comme défendeur puisqu'il s'agit de l'organisme qui a pris les décisions contestées par la présente demande de contrôle judiciaire.

[39]                        Cette erreur n'est cependant pas fatale, puisque les Règles 75(1) et 104 permettent, sur requête, de modifier un document s'il n'en résulte aucun préjudice pour l'autre partie. En l'espèce, la substitution du Procureur général à Téléfilm ne cause aucun préjudice dans la mesure où c'est le Procureur général qui a déjà comparu et qu'il a reçu signification des procédures au même moment que Téléfilm.

[40]                        Je note par ailleurs que le représentant du Procureur général du Canada, dans ses représentations écrites en date du 12 juillet 2005 (Dossier de requête de Téléfilm Canada en appel de l'ordonnance du protonotaire datée du 5 avril 2005), se dit d'accord avec la modification recherchée par la demanderesse. Il écrit, aux paragraphes 44 à 46 :

44. La demanderesse a inscrit Téléfilm Canada à titre de défenderesse dans la présente instance.

45. Or, Téléfilm Canada ne doit pas apparaître aux présentes procédures à titre de défenderesse puisqu'elle est l'office fédéral visé par la demande et que la règle 303(1) des Règles des Cours fédérales prévoit clairement que le demandeur désigne, en première instance, à titre de défendeur, toute personne directement touchée par l'ordonnance recherchée autre que l'office fédéral visé par la demande.

46. Le Procureur général du Canada doit plutôt être nommé à titre de défendeur à la présente affaire.

[41]                        En radiant Téléfilm de l'intitulé de la cause et en la remplaçant à titre de défenderesses par L'Équipe Spectra Inc. et le Regroupement pour le festival de cinéma de Montréal, le Protonotaire Morneau est allé au-delà de ce que la demanderesse recherchait et s'est trouvé en quelque sorte à écarter du litige la partie directement visée par l'ordonnance recherchée. En effet, les décisions dont on recherche l'annulation sont le fait de Téléfilm, représentée par le Procureur général du Canada; les deux autres défenderesses ne sont visées que dans la mesure où les conclusions pourraient les affecter.

[42]                        C'est au Procureur général du Canada qu'il incombe de défendre les décisions prises par un office fédéral qui relève de sa juridiction. La radiation de ce dernier comme défendeur équivaudrait en quelque sorte à disposer du litige, un résultat qui m'apparaît difficilement conciliable avec l'ordonnance antérieure du 5 avril 2005.

[43]                        Compte tenu des nombreux dossiers de requêtes, en réponse ou en réplique, qui se sont croisés relativement aux deux requêtes, ainsi que de la duplication de représentations semblables faites par Téléfilm Canada / Le Procureur général du Canada dans le cadre de celles-ci, je suis porté à penser que le Protonotaire a simplement commis une erreur bien compréhensible dans les circonstances. Par conséquent, j'infirmerais son ordonnance du 19 avril 2005 et ferais droit à la requête pour amender l'intitulé de l'Avis de demande de la demanderesse, de façon à remplacer Téléfilm Canada à titre de défenderesse par le Procureur général du Canada, et à ajouter à titre de défendeurs supplémentaires l'Équipe Spectra Inc. et le Regroupement pour le festival de cinéma de Montréal.

[44]                        Compte tenu de la complexité procédurale qui sous-tend les présentes demandes de contrôle judiciaire, ainsi que de la volonté exprimée par les deux parties, je suis d'avis que ce litige devrait être déféré au juge en chef pour qu'il fasse l'objet d'une gestion spéciale, conformément aux Règles 383 et suivantes des Règles des Cours fédérales.

[45]                        Les dépens sont adjugés en faveur de la demanderesse.

« Yves de Montigny »

JUGE


                                                           COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-66-05

INTITULÉ :                                        Festival Canadien des Films du Monde

                                                            c.

                                                            L'Équipe Spectra Inc. et Regroupement pour le Festival de Cinéma de Montréal

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 25 août 2005

MOTIFS :                                          le juge de Montigny

DATE DES MOTIFS :                       le 21 décembre 2005

COMPARUTIONS:

Me Louis Buteau/Tatiana Debbas                                  POUR LE DEMANDEUR

Me Mariève Sirois-Vaillancourt                                     POUR LES DÉFENDERESSES

Stéphane Odesse                                                           (TÉLÉFILM & PGC)

Me Louis-Paul Cullen                                                  AVOCAT-CONSEIL POUR TÉLÉFILM

Me Philippe Gariépy                                                      POUR L'ÉQUIPE SPECTRA ET AL.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Robinson Sheppard Shapiro                                          POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

John H. Sims c.r.                                                           POUR LES DÉFENDERESSES

Sous-procureur général du Canada                                (TÉLÉFILM & PGC)

Ogilvy Renault                                                               AVOCAT-CONSEIL POUR

Montréal (Québec)                                                        TÉLÉFILM

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