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Date : 20060213

Dossier : IMM-5903-05

Référence : 2006 CF 168

ENTRE :

COCA CAMARA

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

Partie défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi) à l'encontre de la décision du délégué du ministre, G.C. Alldridge (le délégué du ministre), datée du 13 septembre 2005, selon laquelle le demandeur constitue un danger pour le public au sens de l'alinéa 115(2)a) de la Loi.

Les faits

[2]      Coca Camara (le demandeur) est un citoyen de la Guinée.

[3]      Le 14 octobre 1991, le demandeur est arrivé au Canada comme passager clandestin.

[4]      Le 18 juin 1992, le demandeur a été reconnu « réfugié au sens de la Convention » .

[5]      Le 22 novembre 2002, en raison des multiples actes criminels qu'il avait commis, une mesure d'expulsion a été émise contre le demandeur.

[6]      Le 25 octobre 2004, la Section d'appel de l'immigration (la SAI) a rejeté l'appel déposé par le demandeur à l'encontre de la mesure d'expulsion émise contre lui.

[7]      Le 24 novembre 2004, le demandeur a reçu un avis de l'Agence des services frontaliers du Canada (l'Agence) indiquant que cette dernière avait l'intention de demander, en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la Loi, un avis quant à savoir s'il constituait un danger pour le public.

[8]      Le 16 décembre 2004, l'avocate du demandeur, Me Chantal Ianniciello a fait parvenir à l'Agence des représentations écrites et de la preuve en réponse à cet avis reçu par son client le 24 novembre 2004.

[9]      Le 22 février 2005, l'Agence a remis au demandeur une lettre intitulée « Communication du Rapport sur l'avis du ministre et de la Demande d'avis du ministre et signification de présenter ses derniers arguments concernant les documents communiqués » . Plusieurs documents étaient joints à cette lettre dont un document intitulé « Demande pour l'avis du ministre - L115(2)a) » . Bien que le demandeur se soit vu remettre la lettre et les documents attachés à celle-ci, il a refusé d'en signer l'accusé-réception.

[10]    Le 24 février 2005, suite à une requête présentée Me Ianniciello, la SAI a réouvert l'appel du demandeur.

[11]    Le 31 mars 2005, l'Agence a envoyé par télécopieur à Me Ianniciello une copie du document « Demande pour l'avis du ministre - L115(2)a) » .

[12]    Le 14 juin 2005, Me Ianniciello a avisé la SAI qu'elle n'avait plus le mandat de représenter le demandeur et a demandé qu'un représentant désigné lui soit nommé.

[13]    Le 6 juillet 2005, la SAI a désigné madame Marian Shermarke à titre de représentante désignée du demandeur.

[14]    Le 4 août 2005, dans le cadre de l'appel à la SAI, l'Agence a transmis à madame Shermarke une copie d'un examen psychiatrique du demandeur fait par le Dr Emmanuella Levy.

[15]    Le 13 septembre 2005, le délégué du ministre a rendu sa décision selon laquelle le demandeur est un danger pour le public selon l'alinéa 115(2)a) de la Loi.

[16]    Le 28 septembre 2005, le demandeur a déposé sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du ministre selon laquelle il est un danger pour le public aux termes de l'alinéa 115(2)a) de la Loi.

[17]    Le 4 octobre 2005, la SAI a finalement rejeté l'appel du demandeur à l'encontre de la mesure d'expulsion émise contre lui le 22 novembre 2002.

[18]    Le 15 décembre 2005, le demandeur a demandé un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi du Canada; cette requête a été ajournée sine die par le juge en chef Lutfy.

Les dispositions pertinentes

[19]    Il convient ici d'énoncer le libellé des paragraphes pertinents de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes -- sauf celles infligées au mépris des normes internationales -- et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas à l'interdit de territoire :

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu'il constitue pour la sécurité du Canada.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

La décision du délégué du ministre

[20]    Le 13 septembre 2005, le délégué du ministre a rendu sa décision selon laquelle le demandeur est un danger pour le public au sens de l'alinéa 115(2)a) de la Loi.

[21]    Après avoir considéré l'ensemble des documents soumis par l'Agence ainsi que les représentations et la preuve présentées en réponse par le demandeur, le délégué du ministre a, dans un premier temps, évalué la dangerosité du demandeur. Il a constaté les faits suivants :

-     Depuis son arrivée au Canada, le demandeur a commis une multitude d'infractions criminelles dont certaines liées à sa consommation de stupéfiants;

-     Les éléments de preuve révèlent que le demandeur présente un risque très élevé de récidive;

-     Aucun élément de preuve au dossier n'évoque une possibilité selon laquelle le demandeur songe sérieusement à changer son comportement à la suite de ses condamnations;

-     Aucun élément de preuve ne laisse voir que le demandeur prend des mesures actives afin de se réhabiliter et de devenir un membre actif de la société.

[22]    Sur la base de l'ensemble de ces constatations, le délégué du ministre a conclu que le demandeur pose un risque inacceptable pour le public et, conséquemment, qu'il constitue un danger actuel et futur pour celui-ci.

[23]    Dans un deuxième temps, le délégué du ministre a examiné si, compte tenu des circonstances, le demandeur pouvait être exposé à des risques visés aux articles 96 et 97 de la Loi s'il devait retourner dans son pays. Il a constaté que :

-     La preuve documentaire sur la situation en Guinée révèle que, bien que des améliorations aient été notées au niveau du respect des droits humains, le pays devra encore relever de nombreux défis avant que la situation générale de l'État ne s'améliore;

-     Bien que le demandeur ait été arrêté en 1991, rien n'indique qu'en 2005, 14 ans plus tard, les autorités s'intéresseraient toujours à lui;

-     Rien ne permet de croire que le demandeur a un casier judiciaire en Guinée;

-     Rien ne permet de croire que des accusations auraient été portées contre le demandeur suite à son arrestation en 1991;

-     Rien ne permet de croire que le demandeur serait puni par les autorités guinéennes pour les crimes qu'il a commis au Canada;

-     Rien ne permet de croire qu'avant son arrivée au Canada en 1991, le demandeur ait participé à des activités qui permettraient de conclure qu'il serait exposé à une possibilité raisonnable de persécution ou qu'il serait plus que probable qu'il soit exposé à l'un des risques énumérés à l'article 97 de la Loi lors d'un retour dans son pays.

[24]    Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le délégué du ministre a conclu qu'il n'y avait pas de possibilité sérieuse ou raisonnable que le demandeur soit persécuté pour l'un des motifs de la Convention ou qu'il soit exposé à un risque prévu à l'article 97 de la Loi lors d'un retour dans son pays.

[25]    Dans un troisième temps, le délégué du ministre a examiné la question de savoir s'il existait des circonstances d'ordre humanitaire justifiant une décision en faveur du demandeur.

[26]    Après avoir constaté que le demandeur, un homme célibataire, n'avait pas réussi à s'installer véritablement au Canada et, reconnaissant qu'il éprouverait certaines difficultés à se réintégrer en Guinée mais qu'il pourrait bénéficier là-bas du soutien de sa famille, ses deux soeurs y vivant toujours, le délégué du ministre a conclu que les éléments relatifs aux circonstances d'ordre humanitaire n'étaient pas suffisants pour justifier une décision en faveur du demandeur.

[27]    Finalement, tenant compte de l'ensemble de ces éléments, le délégué du ministre a déterminé que les intérêts de la société canadienne l'emportaient sur la présence du demandeur au Canada et le très faible risque auquel il pourrait être exposé dans son pays. Conséquemment, le délégué du ministre a conclu que le demandeur constituait un danger actuel et futur pour le public du Canada.

Analyse

Équité de la procédure

[28]    Le demandeur prétend que le délégué du ministre n'a pas rendu une décision équitable parce qu'il a rendu sa décision le 13 septembre 2005, soit près de huit mois après la « Demande pour l'avis du ministre - L115(2)a) » , et ce, sans aucune mise à jour de son dossier.

[29]    À mon avis, une telle actualisation n'était pas nécessaire parce que tous les éléments mentionnés par le demandeur qui n'étaient pas dans le dossier du délégué du ministre ne font que réitérer ce qui y était déjà mis en preuve, à savoir les problèmes de santé mentale allégués par le demandeur.

[30]    Par exemple, avait déjà été mise en preuve la décision du Tribunal administratif du Québec (le TAQ), datée du 2 mars 2001, laquelle cite les extraits d'une expertise psychiatrique du demandeur indiquant ce qui suit : « le diagnostic le plus probable serait celui d'épisode maniaque avec éléments psychotiques en rémission partielle dans le cadre d'une maladie affective bipolaire » et en « diagnostic différentiel, nous conservons la possibilité d'un trouble schizo-affectif. »

[31]    Dans l'expertise d'août 2005, qui selon le demandeur aurait dû être transmise au délégué du ministre, le diagnostic du Dr Levy était similaire, tel qu'il appert de l'extrait suivant de cette expertise :

Diagnostic

                La symptomatologie ci-dessus et les antécédents du patient évoquent un trouble schizo-affectif de type bipolaire. À l'heure actuelle, le patient ne connaît pas un épisode aigu de décompensation maniaque ou dépressive, mais il présente certains symptômes psychotiques positifs et négatifs. Il a également des antécédents de polytoxicomanie (THC et cocaïne).

[32]    Le demandeur a en outre fait référence à ses problèmes de santé mentale dans les représentations écrites qu'il a transmises au délégué du ministre.

[33]    Conséquemment, l'actualisation, qui, selon le demandeur, aurait dû être faite, n'aurait rien ajouté de plus.

[34]    Aussi, le demandeur, tant à l'époque de l'initiation de la demande d'avis de danger, que de la réouverture ou de la transmission de l'expertise psychiatrique d'août 2005, était soit représenté par avocat et/ou par madame Shermarke, représentante désignée par la SAI. Si le demandeur ou ses représentants estimaient que l'expertise d'août 2005 ou tout autre document ou information devaient être portés à l'attention du ministre, ils auraient pu le faire. Rien ne les empêchait, par exemple, de faire part au ministre de la réouverture, par la SAI, de l'appel du demandeur, bien qu'il s'agisse là d'une procédure dans le contexte d'une instance tout à fait distincte.

[35]    En ce qui concerne le guide ENF 28 auquel le demandeur réfère, celui-ci ne peut être interprété comme exigeant que des éléments de preuve de la nature de ceux invoqués par le demandeur, qui n'apportent rien de nouveau au dossier, soient transmis au délégué du ministre.

[36]    Faut-il en outre rappeler, de toute façon, que le fait qu'un décideur administratif n'ait pas suivi les lignes directrices énoncées à un guide ne constitue pas en soi une erreur justifiant une intervention judiciaire. Dans l'affaire Gilani c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2003 CFPI 152, madame la juge Snider a en effet rappelé ce principe :

[17]           Dans la décision Cheng c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 1318 (1re inst.) (QL), M. le juge Cullen a déclaré, au paragraphe 7, que bien que les lignes directrices ne soient pas des dispositions à caractère législatif, « l'agent d'immigration qui prend une décision doit les respecter pour assurer une certaine uniformité au sein du ministère » . Cependant, le juge Cullen a déclaré que l'omission d'un agent d'immigration de suivre la politique énoncée dans les lignes directrices ne constituait pas une erreur qui méritait que l'affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu'il statue à nouveau sur cette affaire (voir également la décision Vidal, précitée). Le juge Cullen a accueilli la demande de contrôle judiciaire dans la décision Cheng, précitée, pour d'autres motifs.

[18]           Dans la décision Ramoutar, précitée, M. le juge Rothstein, maintenant juge à la Section d'appel, a commenté, à la page 375, la question du statut de la politique contenue dans les guides d'immigration en déclarant que « ce n'est pas parce que les hautes instances du Ministère de l'Immigration ont formulé une politique que cela donne à cette dernière le statut d'une loi » .

[19]           Par conséquent, l'omission de la gestionnaire du programme d'avoir suivi les lignes directrices, en soi, ne constituerait pas une erreur susceptible de contrôle.

[37]    Le demandeur soutient également que le délégué du ministre n'a pas pris en compte son état de santé mentale en rendant sa décision. Il est vrai que le délégué du ministre n'énonce pas expressément dans ses motifs les problèmes de santé mentale du demandeur. Toutefois, il est bien établi que le décideur n'est pas tenu de mentionner dans les motifs de sa décision chacun des éléments de preuve qu'il a considérés (voir Hassan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 147 N.R. 317 (C.A.F.) et Zhou c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (le 18 juillet 1994), A-492-94 (C.A.F.)). Il existe une présomption voulant que le décideur a considéré l'ensemble de la preuve avant d'en arriver à une décision (Woolaston c. Ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration, [1973] R C.S. 102 et Townsend c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 516 (C.F., 1re inst.) (QL)).

[38]    Le défendeur souligne que tout récemment, dans l'affaire Arinze c. The Solicitor General of Canada, 2005 FC 1547, une décision rendue le 18 novembre 2005, le demandeur reprochait au délégué du ministre de n'avoir pas mentionné dans sa décision 115(2)a) certains aspects en sa faveur. Dans cette affaire, mon collègue le juge Blais a écrit :

[25]          It is well established law that the decision-maker does not have to refer to every piece of evidence in its reasons. As stated by the Federal Court of Appeal in Florea v. Canada(Minister of Employment and Immigration), [1993] F.C.J. No. 598 at paragraph 1:

The fact that the Division did not mention each and every one of the documents entered in evidence before it does not indicate that it did not take them into account: on the contrary, a tribunal is assumed to have weighed and considered all the evidence presented to it unless the contrary is shown.

        

[26]          The decision maker, in this case the Minister's delegate, is presumed to have considered all the evidence unless the contrary can be shown. The Minister's delegate confirms in his decision that he consulted the entirety of the submissions from the applicant in coming to his conclusion and I find that the applicant has failed to demonstrate the opposite to be true.

[39]    Dans le présent cas, le délégué du ministre indique dans sa décision avoir examiné l'intégralité des documents produits par le demandeur. À mon avis, ce dernier n'a pas montré que ce n'est pas le cas.

[40]    Compte tenu de tout ce qui précède, je ne suis pas satisfait que le délégué du ministre ait enfreint les règles d'équité de la procédure.

Dangerosité

[41]    Selon le demandeur, le délégué a commis une erreur de droit en concluant qu'il posait un danger au public, parce que les lignes directrices mettent l'emphase sur les infractions impliquant un degré de violence, et les infractions pour lesquelles il fut trouvé coupable, liées au vol, n'impliquaient pas un degré de violence inacceptable. De plus, le demandeur soutient que le délégué a erré en évacuant complètement ses problèmes de santé mentale lorsqu'il a affirmé :

. . . En conséquence, j'accorde beaucoup d'importance à la preuve qui montre que M. Camara présente un risque très élevé de récidive malgré le fait qu'il soit conscient des conséquences graves résultant de ses actions. . . . J'accorde beaucoup de poids à l'absence de ce genre de document, qui aurait pu laisser croire que l'intéressé s'est efforcé de réintégrer avec succès la société canadienne après sa libération de prison.

[42]    Il est vrai que plusieurs actes criminels commis par le demandeur avaient trait au vol, mais ce dernier a aussi été trouvé coupable de voies de fait à deux reprises et, en plus, de voies de fait sur la personne d'un policier.

[43]    En outre, tel qu'en fait foi la « Demande pour l'avis du ministre - 115(2)a) » , alors qu'il était en détention, le demandeur a tenu des discours menaçants et a eu des comportements violents.

[44]    Finalement, la preuve démontrait que le demandeur présentait un haut risque de récidive et qu'il n'avait fait aucun effort pour se réhabiliter.

[45]    Compte tenu de l'ensemble de ces éléments de preuve, il n'était pas déraisonnable, pour le délégué du ministre, de conclure que le demandeur posait un risque inacceptable pour le public et constituait un danger actuel ou futur pour la société canadienne.

[46]    Dans l'affaire Arinze, ci-dessus, le juge Blais a par ailleurs clairement statué qu'une conclusion basée sur le paragraphe 115(2) n'exige pas que la personne concernée ait nécessairement commis des actes violents :

[21]           The applicant submits that the nature of his convictions is insufficient to classify him as a danger to the public, pursuant to subsection 115(2) of the Act. He argues that these incidents are no more than "minor economic offences" in which violence was not a factor and as such, they should not be used to classify him as a danger to the public.

[22]           I disagree with the applicant's reasoning regarding section 115 and the parallel he draws between violent acts and the danger to the public classification. The wording of section 115 does not include limitations to only particular types of offences. It leaves the consideration of whether an individual constitutes a danger to the public to the discretion of the Minister's delegate. The Minister's delegate considered that violence was not used in the commission of the applicant's offences, but also acknowledged the number of crimes committed, their continuing nature, and the serious effect such crimes can and do have on the Canadian public. After weighing all the evidence before him, the Minister's delegate determined the applicant was a danger to the public based on the nature of his crimes.

[47]    Concernant l'argument du demandeur à l'effet que le délégué du ministre a erré en concluant à sa dangerosité puisqu'il aurait évacué complètement ses problèmes de santé mentale, ces problèmes ne pouvaient certes pas excuser ses crimes car autrement il aurait été acquitté des accusations portées contre lui. Or, le demandeur a été condamné à 16 reprises.

[48]    Bien plus, dans son cas particulier, ses problèmes de santé mentale augmentaient sa dangerosité puisque, malgré l'aide reçue notamment en détention, il n'a fait aucun effort pour que ses problèmes soient par la suite contrôlés.

[49]    À mon avis, compte tenu de tout ce qui précède, le délégué du ministre n'a pas commis d'erreur en décidant de la dangerosité du demandeur, sa conclusion à cet égard étant raisonnable.

Considérations humanitaires

[50]    Le demandeur soutient que les documents examinés par le délégué du ministre n'appuient nullement sa conclusion relativement au soutien de sa famille. Le demandeur soutient que rien dans la preuve au dossier ne révèle qu'il a gardé un contact avec ses deux soeurs au cours des 14 dernières années, non plus qu'elles lui apporteraient un soutien quelconque dans l'éventualité d'un retour en Guinée. De plus, selon le demandeur, le délégué du ministre n'a pas tenu compte des motifs humanitaires concernant ses problèmes de santé mentale.

[51]    À mon avis, le délégué du ministre n'a commis aucune erreur concernant la question des considérations humanitaires. Dans le document « Demande pour l'avis du ministre - L115(2)a) » , qui a été remis au demandeur en février 2005 et envoyé par télécopieur en mars 2005 à son avocate de l'époque, il était mentionné que la preuve envoyée au délégué du ministre indiquait que le demandeur avait deux soeurs vivant en Guinée.

[52]    Donc, le demandeur savait que cet élément serait considéré; s'il voulait que le fait qu'il n'ait pas gardé contact avec ses soeurs soit considéré par le délégué du ministre, il se devait alors d'en faire la preuve, ce qu'il n'a pas fait en temps utile. La nouvelle preuve présentée par le demandeur, à cet égard, ne peut être prise en considération dans le cadre du présent recours, puisqu'il s'agit d'une preuve postérieure à la décision rendue par le délégué du ministre (voir Quintero c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le 7 février 1995), IMM-3334-94 et Asafov et al. c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (le 18 mai 1994), IMM-7425-93).

[53]    Concernant les problèmes de santé mentale du demandeur, tel qu'expliqué plus haut, il n'était pas nécessaire, dans les circonstances, bien que cela eût été préférable, qu'ils soient mentionnés dans la décision.

[54]    À mon avis, le demandeur n'a pas réussi à établir qu'il était déraisonnable pour le délégué du ministre de conclure que les circonstances d'ordre humanitaire au dossier n'étaient pas suffisantes pour justifier une décision en sa faveur.

Risques de retour

[55]    Le demandeur soutient que le délégué du ministre a erré en fait et en droit lorsqu'il a conclu qu'il n'y aurait pas une possibilité sérieuse ou raisonnable que le demandeur soit persécuté pour un ou plusieurs motifs de la Convention advenant un retour en Guinée.

[56]    Selon le demandeur, il fut reconnu réfugié au sens de la Convention le 18 juin 1992. Les motifs pour lesquels il fut reconnu réfugié sont toujours valables, à savoir les arrestations arbitraires, les sévices corporels presque systématiquement subis par les détenus et l'impunité quasi-totale dont jouissent les auteurs d'atteintes aux droits humains en Guinée. De plus, le même régime, celui du président Lansana Conté, est au pouvoir depuis 1984. Tout cela appert du Country Reports on Human Rights Practices (en page 5 de la décision du délégué du ministre) :

. . . There was no effective civilian control of the security forces. Some members committed serious human rights abuses. . . . Civilian and military security forces beat and otherwise abused civilians, often with impunity. Prison conditions were inhuman and life threatening. Arbitrary arrest and prolonged pretrial detention were problems. . . .

[57]    Le demandeur soutient qu'il est raisonnable de croire qu'il serait d'un intérêt particulier pour les autorités guinéennes parce qu'il est un évadé de prison, qu'il a demeuré au Canada durant plus de 14 ans et qu'il a été reconnu réfugié par ce pays.

[58]    Toutefois, le fait que le demandeur ait été considéré à risque par la Section du statut en 1992 n'établissait pas qu'il était toujours à risque en 2005.

[59]    En fait, rien dans la preuve présentée au délégué du ministre, tant par l'Agence que par l'ancienne avocate du demandeur, ne permettait de croire qu'il y avait une possibilité sérieuse ou raisonnable que le demandeur soit persécuté pour l'un des motifs de la Convention ou qu'il soit exposé à un risque prévu à l'article 97 de la Loi lors d'un retour dans son pays. En outre, rien ne permettait de croire que le demandeur avait un casier judiciaire en Guinée, que des accusations avaient été portées contre lui en 1991 ou qu'il serait puni par les autorités guinéennes pour les crimes qu'il a commis au Canada.

[60]    Il appartenait au demandeur de démontrer qu'il serait toujours à risque dans son pays, ce qu'il n'a pas fait devant le délégué du ministre.

Conclusion

[61]    À mon avis, aucun des arguments présentés par le demandeur ne permet de conclure que le délégué du ministre (1) a erré en droit, (2) a fait fi de l'équité de la procédure ou (3) a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait. Par conséquent, l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                    ____________________________________

                                                                                                                        JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 13 février 2006


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5903-05

                        INTITULÉ :                COCA CAMARA c. LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 2 février 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                       Le 13 février 2006

COMPARUTIONS:

Me Diane Petit

Me Jean Fauteux

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Marie-Claude Demers

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Diane Petit

Aide juridique de Montréal

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

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