2025 CF 1169 |
ENTRE : |
BRUNO MAKOUNDI |
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
ORDONNANCE ET MOTIFS
[1] Le défendeur sollicite une ordonnance radiant l’avis de demande de contrôle judiciaire du demandeur (la Demande) sans possibilité de modification. Le défendeur soutient que la Cour fédérale n’est pas compétente pour entendre le recours du demandeur en raison de l’article 18.5 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c. F-7 (la LCF), et de l’article 12(2) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, LRC 1985, c. T-2 (la LCCI) qui, ensemble prévoient que le recours du demandeur est de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt (la CCI)
[2] Le demandeur, partie intimée sur cette requête, se représente seul. Il plaide dans ses prétentions écrites que la présente requête soulève 20 questions. Il soutient que la requête du défendeur devrait être rejetée puisque la vraie nature de sa demande vise une ordonnance qui enjoint l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) à lui émettre un feuillet T4 modifié pour l’année fiscale de 2015.
[3] Pour les motifs qui suivent, la requête du défendeur est accordée et l’avis de demande du demandeur est radié sans possibilité de modification. De plus, l’instance du demandeur est rejetée en vertu de la Règle 168 des Règles des cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).
I. Le droit applicable
[4] Le Juge Pentney résume bien le droit applicable aux requêtes en radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire aux paragraphes 52 à 54 de Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie c. Premières Nations de Listuguj Mi’gmaq, 2023 CF 1206 (CanLII) comme suit :
[52] L’arrêt de principe portant sur le critère relatif aux requêtes en radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire devant la Cour est JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c Canada (Revenu national), 2013 CAF 250 [JP Morgan], dans lequel la Cour d’appel fédérale a décrit l’approche à suivre de la façon suivante :
[47] La Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli » : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., 1994 CanLII 3529 (CAF), [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), à la page 600. Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande : Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, au paragraphe 7; Donaldson c. Western Grain Storage By‑Products, 2012 CAF 286, au paragraphe 6; Hunt c. Carey Canada Inc., 1990 CanLII 90 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 959.
[48] Il existe deux justifications d’un critère aussi rigoureux. Premièrement, la compétence de la Cour fédérale pour radier un avis de demande n’est pas tirée des Règles, mais plutôt de la compétence absolue qu’ont les cours de justice pour restreindre le mauvais usage ou l’abus des procédures judiciaires : David Bull, précitée, à la page 600; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance‑vie RBC, 2013 CAF 50. Deuxièmement, les demandes de contrôle judiciaire doivent être introduites rapidement et être instruites « à bref délai » et « selon une procédure sommaire » : Loi sur les Cours fédérales, précitée, au paragraphe 18.1(2) et à l’article 18.4. Une requête totalement injustifiée — de celles qui soulèvent des questions de fond qui doivent être avancées à l’audience — fait obstacle à cet objectif.
[53] Lorsqu’elle examine un avis de demande de contrôle judiciaire, la Cour « doit faire une « appréciation réaliste » de la « nature essentielle » de la demande en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme » (JP Morgan, au para 50, renvois omis). (Voir aussi Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 aux para 33‑34; Bernard c Canada (Procureur général), 2019 CAF 144 au para 33.)
[54] Les affidavits ne sont généralement pas admissibles à l’appui de requêtes en radiation d’une demande de contrôle judiciaire, essentiellement parce que le vice dans l’avis de demande doit être fondamental et manifeste. « Un vice dont la démonstration nécessite le recours à un affidavit n’est pas manifeste » (JP Morgan, au para 52.) Les faits allégués dans l’avis de demande de contrôle judiciaire sont tenus pour avérés à condition qu’ils puissent être prouvés devant un tribunal (Turp c Canada (Affaires étrangères), 2018 CF 12 au para 20). Puisque le demandeur est tenu de présenter l’ensemble de ses motifs dans son avis de demande, il n’a pas besoin de déposer d’affidavit pour compléter sa version des faits. Constitue une exception relative à l’interdiction de présenter un affidavit le fait que chaque partie peut déposer un affidavit comprenant des renseignements contextuels, lequel est mentionné et incorporé par renvoi à l’avis de demande (JP Morgan, au para 54).
[5] La preuve par affidavit est admissible pour introduire de la preuve portant sur la compétence de la Cour à entendre l’instance en raison d’une absence de compétence ou pour présenter des arguments sur la prématurité d’un recours en raison de l’existence d’autre recours dans le processus administratif (Picard v Canada (Attorney General), 2019 CanLII 97266 (FC), aux paras 17 et 18 et la jurisprudence qui y est citée (Picard); Tait v Canada (Royal Canadian Mounted Police), 2024 FC 217, au para 27 (Tait); Hodgson c. Bande indienne d'Ermineskin no 942, 2000 CanLII 15066 (CF) au para 16, affirmé 2000 CanLII 16686 (CFA) (Hodgson); Windsor (City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54, au para 24).
[6] La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 (Wenham) confirme par ailleurs à son paragraphe 33 que le test applicable sur une requête en radiation, sans égard aux mots utilisés pour le décrire, exige qu’il soit manifeste et évident que l’avis de demande soit voué à l’échec.
[7] Au paragraphe 36 de l’arrêt Wenham, la Cour d’appel fédérale nous rappelle qu’une demande de contrôle judiciaire peut être vouée à l’échec à l’une ou l’autre des trois étapes de la demande:
[36] Une demande peut être vouée à l'échec à l'une ou l'autre de ces trois étapes :
I. Objections préliminaires. Une demande qui n'est pas autorisée par la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F‑7, ou qui ne vise pas des questions de droit public peut être annulée dès le départ : JP Morgan, au paragraphe 68; Highwood Congregation of Jehovah's Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, [2018] 1 R.C.S. 750; Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, [2013] 3 R.C.F. 605. Les demandes qui ne sont pas présentées en temps opportun peuvent être prescrites en vertu du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Les contrôles judiciaires qui portent sur des questions qui ne sont pas justiciables peuvent également être interdits : Première nation des Hupacasath c. Ministre des Affaires étrangères, 2015 CAF 4. Parmi les autres interdictions possibles, mentionnons la chose jugée, la préclusion découlant d'une question déjà tranchée et l'abus de procédure (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77), l'existence d'un autre recours à un autre tribunal (caractère prématuré) (C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332; JP Morgan, aux paragraphes 81 à 90), et le caractère théorique (Borowski c. Canada (Procureur général), 1989 CanLII 123 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 342).
II. Le bien-fondé de l'examen. Les décisions administratives peuvent comporter des erreurs de fond, des erreurs de procédure ou les deux. Les erreurs de fond sont évaluées conformément à l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; les erreurs de procédure sont évaluées en grande partie selon Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 817. Dans certaines circonstances, la demande est vouée à l'échec dès le départ. Par exemple, une demande fondée sur des vices de procédure qui ont fait l'objet d'une renonciation n'a aucune chance d'être accueillie : Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), [2010] 2 R.C.F. 488, 2009 CAF 116.
III. La réparation. Dans certains cas, la réparation demandée n'est pas disponible en droit (JP Morgan, aux paragraphes 92 à 94), et la demande peut donc être annulée en tout ou en partie pour cette raison.
II. L’Avis de demande
[8] L’avis de demande du demandeur expose la réparation recherchée comme suit :
« La présente est une demande de contrôle judiciaire concernant :
La décision du 3ème palier de la Sous-ministre de Logement, Infrastructures et Collectivités Canada en date du 3 février 2024 relative au grief 2023— LR-INFC—007 et grief 2024-INFC-LR-003.
L’objet de la demande est le suivant : annuler la décision de la Sous-ministre et la demander de me délivrer un nouveau formulaire T4 pour l’année fiscale 2015. »
[9] Les allégués contenues dans l’avis de demande expose une situation de fait, résumée ici à son essentiel pour les fins de cette ordonnance, selon laquelle demandeur avait accepté de régler une situation d’harcèlement au travail à Infrastructure Canada à l’amiable et avait accepté un dédommagement monétaire à titre de compensation pour ses dommages soufferts. Le dédommagement monétaire lui a été versé, et a été comptabilisé comme une allocation de retraite, donc du revenu imposable, plutôt que comme un paiement de dommages-intérêts non imposables.
[10] Il appert des allégations du demandeur au paragraphe 2 de son avis de demande que le dédommagement avait été déclaré par la partie payante comme une « allocation de retraite »
dès son paiement. Cette classification « d’allocation de retraite »
est apparue sur le feuillet T4 du demandeur pour l’année fiscale de 2015, a augmenté son revenu imposable pour l’année en question et, par le fait même, ses impôts payables.
[11] Le demandeur a demandé que son feuillet T4 soit modifié pour rectifier le traitement fiscal du dédommagement monétaire reçu puisqu’il s’agissait à son avis d’un paiement de dommages-intérêts qui ne sont pas imposables à titre de revenu. Sa demande de rectification de son feuillet T4 a été refusée par le directeur général des ressources humaines d’Infrastructure Canada.
[12] Le demandeur a déposé un grief le 16 février 2023 pour appeler de la décision du directeur général. Il appert que, grief pendant, le directeur général aurait confirmé au demandeur en février 2024 que son dédommagement avait été classifié comme un montant qui lui avait été payé par rapport à un licenciement dans le cadre d’une réorganisation de la main d’œuvre à Infrastructure Canada. Le demandeur plaide qu’il n’a jamais été licencié.
[13] Le demandeur a alors déposé un deuxième grief par rapport au traitement fiscal de son dédommagement, cette fois élargi par des allégations portant sur son licenciement.
[14] Le 3 février 2025, la Sous-ministre de Logement, Infrastructures a rendu une décision qui a rejeté les deux griefs pour deux motifs. Dans un premier temps, la Sous-ministre a rejeté les griefs puisqu’ils ont été logés bien au-delà de l’expiration du délai pour déposer un grief en vertu de la convention collective qui s’applique. Dans un deuxième temps, ls Sous-ministre a néanmoins examiné le mérite des plaintes formulées et les ont rejetés puisque le texte du protocole d’entente signé par le demandeur pour régler sa situation de harcèlement prévoyait que le Logement, Infrastructures et Collectivités Canada ne ferait pas de représentations quant au traitement des sommes qui lui ont été versées.
III. La preuve devant la Cour pour cette requête
[15] Le dossier de requête du défendeur est composé d’un affidavit d’une parajuriste avec deux pièces jointes et des prétentions écrites. La première pièce jointe est la décision du 3 février 2025 dont le demandeur demande le contrôle. Cette pièce est admissible à titre de document mentionné dans l’avis de demande (JP Morgan, au para 57 ; Blair v. Canada (Attorney General), 2022 FC 957, au para 12). La deuxième pièce est l’avis de demande qui, elle, est admissible en vertu de la Règle 364(2)(f) des Règles des cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).
[16] La preuve narrative contenue aux paragraphes 3 à 11 de l’affidavit expose et paraphrase certains faits matériels plaidés par le demandeur dans son avis de demande. Ces paragraphes ne présentent aucune preuve par rapport à la compétence de cette Cour pour entendre la demande du demandeur. Bien que la preuve narrative contenue dans ces paragraphes ne soit pas nécessairement inadmissible en raison de son contenu répétitif des allégations contenues dans l’avis de demande, je ne lui accorde aucun poids dans le cadre de cette requête étant donné que les faits allégués dans l’avis de demande doivent être tenus pour avérés sous réserve des exceptions identifiées ci-dessus dans le cadre d’une requête en rejet d’avis de demande (JP Morgan, aux paras 51 à 54).
[17] Le dossier de requête en réponse du demandeur contient son affidavit déclaré sous serment en date du 3 juin 2025 ainsi que 12 pièces. L’affidavit du demandeur porte sur les faits de sa demande et fait état de la chronologie des événements et de ses démarches pour obtenir un feuillet T4 modifié. Les pièces jointes appuient les propos contenus dans son affidavit. La preuve narrative contenue dans l’affidavit du demandeur est inadmissible dans la mesure où elle élucide d’autres faits qui n’ont pas été plaidés dans l’avis de demande. Les pièces jointes sont inadmissibles également (JP Morgan, aux paras 51 à 54).
IV. Arguments et Analyse
[18] Le défendeur plaide que l’un ou l’autre des éléments suivants constitue un vice fondamental et manifeste qui appelle la radiation de l’avis de demande: 1) l’avis de demande ne révèle aucune action recevable en droit administratif qui peut être introduite devant la Cour fédérale; 2) l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales ou quelque autre principe juridique interdit à la Cour fédérale de se prononcer sur le recours en droit administratif; ou 3) la Cour fédérale ne peut accorder la mesure demandée (JP Morgan, au para 66), et que les trois sont présents en l’espèce.
[19] Dans un premier temps le défendeur plaide que le recours du demandeur est essentiellement une contestation du bien-fondé de sa cotisation fiscale et de la manière dont l’Agence du revenu a traité le montant qu’il a reçu dans le cadre du règlement de sa situation d’harcèlement dont faisait état son feuillet T4.
[20] Le défendeur soulève par ailleurs que les arguments du demandeur plaidés aux paragraphes 14 et 15 de son avis de demande sur l’interprétation de l’intention des parties quant à l’effet fiscal de leur transaction en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu confirme que le litige courant porte réellement et concrètement sur la contestation de sa cotisation fiscale.
[21] Fort de ces qualifications du recours du demandeur, le défendeur plaide que le paragraphe 12(1) la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt prévoit que la CCI a la compétence exclusive concernant les cotisations contestées par le demandeur en raison de sa compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels portés devant elle sur les questions découlant de l’application de la Loi sur l’impôt sur le revenu. Cela étant, la condition prévue par l’article 18.5 de la Loi sur les cours fédérales est réalisée et la Cour fédérale est sans compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire du demandeur.
[22] Le défendeur s’appuie notamment sur les décisions de la CCI dans Guay c La Reine, 2006 CCI 84 et Forest c La Reine, 2007 CCI 200 pour soutenir sa thèse. Dans Guay la CCI a eu à trancher une demande à savoir si une somme payée par un employeur devrait être traitée comme une allocation de retraite ou une indemnité versée à titre de dommages-intérêts. L’affaire Forest, elle, est d’autant plus déterminante puisque la CCI a eu à déterminer si le montant versé à l’employé en contrepartie d’un désistement à une action en harcèlement était une allocation de retraite ou une indemnité donnée en contrepartie du désistement de l’employé.
[23] Le défendeur plaide de plus que cette cour a déjà déterminé dans Newcombe c Canada, 2013 CF 955 (Newcombe) aux paras 10 et 29 que le seul recours dont dispose le demandeur est un avis d’opposition à l’avis de cotisation et que, de toute façon, le feuillet T4, dans sa forme originale ou modifiée, ne lierait pas l’ARC puisque, la cotisation est réputée valide malgré toute erreur ou omission dans celle-ci jusqu’à ce qu’elle soit modifiée ou annulée lors d’une opposition ou d’un appel en vertu de l’article 152(8) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il appuie ses arguments davantage en référant aux propos de la Cour suprême du Canada dans Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33 au para 11 (Addison):
Dans de telles circonstances, les tribunaux de révision ne doivent ouvrir la voie aux recours en contrôle judiciaire qu’avec beaucoup de circonspection. Il y a lieu de protéger l’intégrité et l’efficacité du système de cotisation et d’appel en matière fiscale. Le Parlement a édifié une structure complexe pour assurer le traitement d’une multitude de revendications se rapportant au fisc, et cette structure s’appuie sur un tribunal spécialisé et indépendant, la Cour canadienne de l’impôt. On ne saurait permettre que le contrôle judiciaire serve à créer une nouvelle forme de procédure connexe destinée à contourner le système d’appel établi par le Parlement en matière fiscale ainsi que la compétence de la Cour de l’impôt. Dans ce contexte, le contrôle judiciaire devrait demeurer un recours de dernier ressort.
[24] Le défendeur plaide également que cette Cour n’est pas compétente pour accorder la mesure de redressement recherchée par le demandeur puisque le remède recherché est, de façon concrète, l’annulation de la Décision de la Sous-ministre tout en enjoignant au défendeur de modifier le feuillet T4 en question. Ce genre d’ordonnance ne serait d’aucune utilité puisque, comme l’a noté la Cour dans Newcombe au paragraphe 29, un feuillet T4 modifié ne lierait pas l’ARC.
[25] Le mérite et le bien-fondé des arguments du défendeur apparaissent plus clairement une fois considérés à la lumière des arguments du demandeur.
[26] Le demandeur plaide que son avis de demande révèle un dossier recevable en droit administratif devant cette Cour en raison : 1) de l’inaction prolongée du centre de paie d’Infrastructures Canada; 2) de la mise en garde juridique qu’il a reçue de l’ARC en mars 2021; 3) de la saisie-arrêt sur son salaire; 4) l’absence de réponse qu’il considère comme adéquate de la part des organismes responsables, et 5) de l’implication des Ressources Humaines d’Infrastructure Canada qui n’a que contribué à l’inaction administrative à son égard.
[27] La justification de la demande de contrôle plaidée par le demandeur démontre par sa liste de cinq points que le contrôle judiciaire recherché ne vise pas la décision de la Sous-ministre en particulier, mais plutôt la clôture d’une aventure frustrante dans un processus administratif qui l’a confronté depuis plusieurs années pour corriger sa situation fiscale depuis le règlement de sa plainte de harcèlement.
[28] La décision dont il recherche le contrôle a déterminé que ses griefs ont été logés à l’extérieur des délais prévus pour des griefs par la convention collective qui lie le demandeur, et, de plus, que le protocole d’entente qui a disposé de sa plainte de harcèlement prévoyait que son employeur de jadis ne ferait pas de représentations quant au traitement des sommes qui lui ont été versées dans le cadre de leur transaction. Les motifs d’assise juridique pour la demande de contrôle judiciaire soulevés par le demandeur sont étrangers à la Décision. Le fondement en droit administratif du recours du demandeur n’est clairement pas établi.
[29] L’argument du demandeur quant au fondement de son recours en droit administratif ne peut pas être accepté étant donné que le fondement qu’il plaide est sans connexion avec la Décision dont il demande le contrôle.
[30] Le demandeur plaide de plus que l’article 18.5 de la Loi sur les cours fédérales ne devrait pas interdire son recours devant cette Cour puisqu’il constate ne pas avoir de recours alternatif et que sa demande concerne une décision administrative. Il admet, toutefois, que l’article 18.5 s’appliquerait dans le cas où une autre loi fédérale lui offre un recours spécifique qui n’a pas été épuisé. Comme nous l’avons vu ci-dessus, le paragraphe 12(1) de la Loi sur la cour canadienne de l'impôt constitue l’autre loi qui lui offre un recours.
[31] Le demandeur plaide aussi que la CCI ne serait pas le bon fort pour débattre des arguments soulevés par son avis de demande parce qu’il comprend que la CCI « traite principalement des litiges fiscaux liés à la cotisation, au avis d’opposition et aux décisions de l’ARC concernant l’impôt sur le revenu, la TPS/TVH etc. Elle n’est pas compétente pour examiner les décisions administratives internes d’autres ministères ou agences gouvernementales ».
[32] Le demandeur soulève une série d’autres arguments qui, malgré leur teneur, ne font que confirmer que son recours ultime est la correction de son avis de cotisation. Au point 5.1.4 de ses représentations écrites, le demandeur plaide :
« 5.1.4 les points suivants sont clairs concernant son opposition à sa déclaration de revenus de 2014 et 2015 et les demandes de l‘Agence du revenu du Canada (ARC) :
Opposition à la Déclaration de 2014 et 2015: Bruno Makoundi fait opposition à sa déclaration de revenus pour 1'année 2015. L'ARC a accepté 1'opposition concernant sa déclaration de 2014, mais pour 2015, elle a exigé un T4 modifie.
Demande de T4 Modifie : L'ARC a demandé à Bruno Makoundi d'obtenir un T4 modifie pour refléter correctement le traitement fiscal de la somme reçue. Ce T4 modifié était nécessaire pour corriger son avis de cotisation.
Démarches Suivies : Bruno Makoundi a tenté de suivre cette demande en contactant les ressources humaines d'Infrastructure Canada et le Centre de paie de la fonction publique, mais sans succès. Il a fait de nombreuses démarches pour obtenir ce document, mais n'a pas reçu de réponse adéquate. »
(L’emphase est le mien)
[33] Son argument au paragraphe 5.15.1 de ses représentations écrites est au même effet : « La mesure demandée par la demande de contrôle judiciaire de Bruno Makoundi n'est pas 1'annulation de sa cotisation de 2015 en elle-même, mais plutôt la correction administrative nécessaire pour permettre une réévaluation correcte de sa situation fiscale ».
[34] La reconnaissance du demandeur que le remède pratique qu’il recherche est une « réévaluation correcte de sa situation fiscale »
ou la « (correction) de son avis de cotisation »
confirme que la demande de contrôle sollicitée n’est pas véritablement une demande de contrôle judiciaire, mais plutôt une étape intérimaire intentée pour obtenir un document quelconque pour permettre la correction de sa situation fiscale.
[35] La nature essentielle du recours du demandeur est donc la correction de sa situation fiscale et non pas la détermination de savoir si la décision dont il sollicite le contrôle est raisonnable ou non.
[36] La Cour est d’accord avec le défendeur que l’avis de demande ne révèle aucune action recevable en droit administratif qui peut être introduite devant la Cour fédérale et que l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales interdit à la Cour fédérale de se prononcer sur le recours en droit administratif. La Cour est d’accord avec le défendeur que l’article 12(1) de la Loi sur la cour canadienne de l'impôt, LRC 1985, c T-2, lue avec l’article 18.5 de la Loi sur les cours fédérales à la lumière des arrêts Newcombe v Canada, 2013 FC 955, Guay c La Reine, 2006 CCI 84 et Forest c La Reine, 2007 CCI 200, mènent à la conclusion inéluctable que le recours du demandeur n’est pas de la compétence de cette Cour, étant de la compétence exclusive de la CCI.
V. Conclusion
[37] La requête du défendeur est accordée et l’avis de demande du demandeur doit être radié sans possibilité de modification puisque le défaut dans le recours du demandeur en est un de compétence juridique qui n’est pas susceptible de correction par la modification d’un acte de procédure (Al Omani c. Canada, 2017 CF 786, au para 34).
[38] Comme la Cour est sans compétence pour entendre le litige entamé par le demandeur, et que la continuation de cette instance est irrémédiablement compromise par cette ordonnance, il y a lieu de rejeter l’instance en vertu de la Règle 168 des Règles.
ORDONNANCE au dossier T-721-25
LA COUR ORDONNE que :
1. La requête du défendeur est accordée.
2. L’avis de demande du demandeur est radié sans possibilité de modification.
3. L’instance du demandeur est rejetée en vertu de la Règle 168 des Règles.
4. Le tout, sans dépens.
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-721-25 |
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INTITULÉ : |
BRUNO MAKOUNDI c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
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ORDONNANCE ET motifs : |
le juge duchesne |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 30 juin 2025 |
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REQUÊTE RENDUE PAR ÉCRIT CONSIDÉRÉE À OTTAWA, ONTARIO CONFORMÉMENT À LA RÈGLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES
PRÉTENTIONS ÉCRITES PAR :
Bruno Makoundi |
Pour le demandeur (POUR SON PROPRE COMPTE) |
Marylise Soporan |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada Ottawa, Ontario |
Pour le défendeur |