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Date : 20250703


Dossier : IMM-2159-24

Référence : 2025 CF 1182

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2025

En présence de l'honorable monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

ADRIENNE MEUPEYO KAMANI EPSE TCHATCHOUA

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si l’agent des visas [Agent] a rendu une décision déraisonnable et/ou enfreint un principe d’équité procédurale en refusant la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse au motif qu’elle était interdite de territoire pour avoir fait de fausses représentations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Comme je l’explique ci-dessous, la réponse est négative.

[2] Le 27 mars 2023, la demanderesse, une citoyenne du Cameroun, a soumis une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés (Entrée express). Au soutien de sa demande, elle produit un relevé de compte de la Caisse d’Épargne et de Financement en Afrique [CEFA] pour la période du 7 octobre 2022 au 7 avril 2023 [relevé initial].

[3] Le 31 juillet 2023, une lettre d’équité procédurale [LEP] a été transmise à la demanderesse l’informant des préoccupations de l’Agent quant à sa capacité, une fois au Canada, à avoir accès aux fonds indiqués dans le relevé initial puisque la CEFA est un établissement de microfinance.

[4] En réponse à la LEP, la demanderesse a cherché à compléter sa preuve de fonds disponible au Canada en ajoutant à son dossier plusieurs autres documents de la CEFA, à savoir une attestation de domiciliation bancaire, un autre relevé de compte pour la période du 8 février 2023 au 9 juillet2023 et une attestation de solde en compte.

[5] Le 31 août 2023, l’Agent transmet une deuxième LEP à la demanderesse, cette fois-ci pour soulever sa préoccupation quant au fait que les documents financiers de la CEFA « ont été confirmés comme étant frauduleux ». L’Agent avise la demanderesse qu’elle risque d’être interdite de territoire pour fausses déclarations et lui donne l’occasion d’y répondre.

[6] Par lettre datée le 13 septembre 2023, la demanderesse explique avoir constaté, après réception de la deuxième LEP, qu’il y avait des irrégularités liées à son relevé initial eu égard à l’année y apparaissant et avoir alors saisi la CEFA de ces erreurs. La CEFA lui aurait répondu que ces irrégularités avaient été occasionnées par un « crash (sic) du système d’information ». La demanderesse ajoute qu’elle avait pris la décision de retirer ses fonds de la CEFA pour les placer dans un nouveau compte bancaire ouvert récemment à la banque SCB Cameroun [SCB] et annexe en preuve un relevé bancaire de la banque SCB Cameroun.

[7] Les explications fournies par la demanderesse sont consignées aux notes évolutives du dossier contenu dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC). L’Agent y indique que ces explications n’avaient pas dissipé ses préoccupations et que le nouveau document de la SCB soumis par la demanderesse avait aussi été vérifié et confirmé comme étant frauduleux. Le 3 novembre 2023, l’Agent a conclu que la demanderesse était interdite de territoire pour avoir fait de fausses représentations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR et a refusé sa demande [Décision].

[8] Le 8 novembre 2023, la lettre de refus a été transmise à la demanderesse.

[9] Le 6 février 2024, la demanderesse a déposé la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la Décision.

[10] La demanderesse prétend que l’Agent n’a pas tenu compte de ses explications ni des preuves qu’elle a soumises, et que l’exception jurisprudentielle de l’erreur innocente applicable aux conclusions de fausses déclarations au sens du paragraphe 40(1) de la LIPR aurait dû être accordée. La demanderesse allègue aussi qu’elle a été lésée dans son droit d’équité procédural.

[11] Ces arguments n’ont aucun mérite.

[12] Tout d’abord, il est bien établi qu’il appartient au demandeur de s’assurer que sa demande est exacte, de veiller à ce que toute l’information qui figure dans sa demande soit véridique et de présenter des documents qui sont tous authentiques (Haghighat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 598 aux para 23-25).

[13] Afin qu’une déclaration d’interdiction de territoire soit prononcée aux termes du paragraphe 40(1) de la LIPR, deux facteurs sont nécessaires : un demandeur doit avoir fait de fausses déclarations, et ces fausses déclarations doivent être importantes, même si elles ne sont pas déterminantes, en ce sens qu’elles risquent d’entraîner une erreur dans l’application de la loi.

[14] L’article 40 de la LIPR est libellé de manière large en vue d’englober les fausses déclarations, même si elles ont été faites par une tierce partie, à l’insu du demandeur (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 262 au para 15; Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 au para 28).

[15] Considérant l’importance des documents bancaires dans le cadre du processus d’évaluation à l’éligibilité de la résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés, la demanderesse devait s’assurer de l’authenticité de ses documents bancaires avant de les soumettre.

[16] La demanderesse ne conteste pas le fait qu’une fausse déclaration ait été faite, qu’elle était importante ou qu’elle aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Elle allègue toutefois que l’exception jurisprudentielle de l’erreur innocente aurait dû être appliquée par l’Agent. Je ne suis pas d'accord.

[17] Il est bien établi que cette exception est assez étroite et ne s’applique qu’aux circonstances réellement exceptionnelles où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une fausse déclaration sur un fait important et où il s’agissait d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté (Coube De Carvalho c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1485 au para 31 [Coube De Carvalho]; Alkhaldi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 584 aux para 19-23; Appiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1043 aux para 17-18; Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1020 au para 12; Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428 au para 39; Tofangchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 427 aux para 33, 40; Goudarzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 425 au para 40).

[18] Or, la demanderesse a reconnu qu’elle a manqué de vigilance dans sa vérification des documents qu’elle a soumis au soutien de sa demande. Il n’est pas nécessaire que la fausse déclaration ait été faite intentionnellement, et une omission de bonne foi peut tout de même constituer une fausse déclaration (Coube De Carvalho au para 31).

[19] Il est clair à la lecture des notes évolutives que l’Agent a tenu compte des explications et de la nouvelle preuve soumise par la demanderesse. Ces notes expliquent en détail les inconsistances relevées dans les documents de la demanderesse. À mon avis, il était loisible pour ce dernier de conclure que la demanderesse avait, plus qu’une fois, soumis des documents bancaires frauduleux qui risquaient d’entraîner une erreur dans l’administration de la LIRP. Il n’y avait donc pas lieu de considérer l’exception jurisprudentielle.

[20] La demanderesse invoque que l’équité procédurale aurait été violée en raison du défaut de l’Agent de lui faire connaître ses nouvelles préoccupations concernant l’authenticité des documents de la SCB qu’elle a fournis en réponse à la LEP. À mon avis, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

[21] Dans le contexte des demandes de résidence permanente, l’agent d’immigration n’est nullement tenu de demander des précisions au sujet d’une demande incomplète, de chercher à établir le bien-fondé de la demande, d’informer le demandeur de ses préoccupations concernant le respect des exigences de la loi, de fournir au demandeur un résultat provisoire à chaque étape du processus de demande ou de lui offrir d’autres possibilités de répondre à des doutes ou de corriger des lacunes persistantes. Imposer une telle obligation à un agent des visas reviendrait à donner un préavis d’une décision défavorable, une obligation qui a été explicitement rejetée par notre Cour à maintes occasions (Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935 au para 23).

[22] Il faut se rappeler que la demanderesse a reçu une deuxième LEP pour l’informer des préoccupations de l’Agent eu égard à la nature frauduleuse des documents de la CEFA qu’elle a soumis au soutien de sa demande et qui ont mené à la décision d’interdiction de territoire pour fausses déclarations. L’Agent a conclu que la réponse de la demanderesse ainsi que les documents supplémentaires de la SCB ne permettaient pas de dissiper ses doutes par rapport aux documents de la CEFA. Le fait qu’en réponse à cette deuxième LEP, la demanderesse ait soumis un autre document bancaire, soit celui de la SCB, qui s’est également avéré frauduleux, n’exigeait pas qu’une autre LEP lui soit envoyée puisque les fausses déclarations sur lesquelles se fonde la décision sont celles en lien avec les documents de la CEFA.

[23] La demanderesse a largement eu la possibilité de présenter des éléments de preuve et des explications pour répondre aux préoccupations de l’Agent. Je suis d’avis que l’Agent s’est acquitté de son obligation d’agir d’une manière équitable envers la demanderesse à toutes les étapes du processus.

I. Conclusion

[24] La demanderesse n’a pas démontré que la Décision est déraisonnable ou qu’il y a eu violation de l’équité procédurale. La Décision est transparente, intelligible et bien étayée par les faits et le droit applicables. Par conséquent, la demande sera rejetée.

[25] Le présent dossier ne soulève aucune question grave de portée générale qui mérite d’être certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2159-24

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

 

« Roger Lafrenière »

 

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2159-24

 

INTITULÉ :

ADRIENNE MEUPEYO KAMANI EPSE TCHATCHOUA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 février 2025

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 juillet 2025

 

COMPARUTIONS :

James Ébongué

 

Pour la partie demanderesse

 

Suzon Létourneau

Pour la défenderesse

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Debargis & Daniel, Avocats-Attorneys

Montréal (Québec)

 

Pour lA partie demanderesse

 

Procureure générale du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la défenderesse

 

 

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