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Date : 20250703


Dossier : T-1281-24

Référence : 2025 CF 1186

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2025

En présence de l’honorable monsieur le juge Duchesne

ENTRE :

CHRISTOPHER LILL

demandeur

(Partie requérante)

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

(Partie intimée)

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Le demandeur et requérant Monsieur Lill présente une requête pour une ordonnance en vertu de la Règle 316 des Règles des cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) autorisant un témoin à témoigner à l’audience de sa demande de contrôle judiciaire quant à une question de fait soulevée par sa demande.

[2] Le défendeur s’oppose la requête du demandeur.

[3] La requête du demandeur est rejetée pour les motifs qui suivent.

I. Contexte

[4] L’exposé factuel qui suit est largement tiré des prétentions écrites du défendeur déposées à l’appui de son opposition à la requête du requérant. Les faits qui y sont relatés ne font pas l’objet de controverse.

[5] Le requérant est un détenu purgeant une peine d’emprisonnement à vie pour meurtre au premier degré et est incarcéré dans un établissement du Service correctionnel du Canada (le « Service »).

[6] Le 30 avril 2024, le Service a rejeté le grief final du demandeur portant le numéro V30R00081268. C’est cette décision qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente à cette requête.

[7] Le grief final du demandeur portait sur la décision du Service de maintenir la cote de sécurité du demandeur au niveau moyen et de refuser son transfert volontaire de l’établissement de Cowansville (de sécurité moyenne) vers l’établissement Archambault (de sécurité minimale).

[8] Les parties ont complété les étapes suivantes, toutes prévues par les Règles, pour la mise en état du dossier en vue de son audition sur le mérite:

a) le 29 mai 2024, le demandeur a signifié son avis de demande de contrôle judiciaire;

b) le 2 juillet 2024, le demandeur a signifié un affidavit et des pièces documentaires tel qu’envisagé par la Règle 306 des Règles;

c) le 26 juillet 2024, le défendeur a signifié un affidavit et pièces documentaires tel qu’envisagé par la Règle 307 des Règles. L’affidavit en question est un affidavit déclaré par Monsieur Frédéric Héran, avec pièces documentaires jointes à titre de pièces;

d) le 6 août 2024, le demandeur a assigné à M Héran pour être contre-interrogé sur son affidavit du 26 juillet 2024, tel qu’envisagé par la Règle 308 des Règles;

e) le 28 novembre 2024, le demandeur a fait parvenir au défendeur une lettre et un interrogatoire par écrit de M Héran sur son affidavit du 26 juillet 2024 suivant les Règles 87 et 99 des Règles qui prévoient la possibilité des interrogatoires sur affidavit par écrit;

f) le 2 avril 2025, le défendeur a signifié au demandeur les réponses en date du 24 décembre 2024 du déclarant M. Héran à l’interrogatoire par écrit, le tout tel qu’envisagé par la Règle

g) le 9 avril 2025, le demandeur a signifié et déposé son dossier du demandeur, tel qu’envisagé par la Règle 309 des Règles;

h) le 8 mai 2025, le défendeur a signifié et déposé son dossier du défendeur; et,

i) le 20 mai 2025, le demandeur a signifié et déposé sa demande d’audience tel qu’envisagé par la Règle 314 des Règles.

[9] Les parties ont complété les étapes requises pour mettre le dossier en état.

[10] Le dossier devrait être fixé pour audition par le greffe dans le cours normal des choses.

II. Le droit applicable

[11] La Règle 316 des Règles est libellée comme suit :

Témoignage sur des questions de fait

Testimony regarding issue of fact

316 Dans des circonstances particulières, la Cour peut, sur requête, autoriser un témoin à témoigner à l’audience quant à une question de fait soulevée dans une demande.

316 On motion, the Court may, in special circumstances, authorize a witness to testify in court in relation to an issue of fact raised in an application.

 

[12] Tel qu’il appert des mots utilisés dans la Règle 316, l’exercice de la discrétion de la Cour pour rendre une ordonnance qui autorise un témoin à témoigner à l’audience d’une demande quant à une question de fait repose du moins en partie sur l’établissement par le requérant de « circonstances particulières ». En effet, sans « circonstances particulières », il n’y aurait pas de motifs qui pourraient justifier que la Cour ordonne un processus d’audition d’une demande qui dérogerait au processus usuel, prescrit par les Règles et bien connu que l’audition d’une demande de révision judiciaire procède sur la base de dossiers de preuve écrits déposés auprès de la Cour en conformité avec les Règles 309 et 310, et sans l’audition de témoins de vive voix devant la Cour.

[13] Le juge McHaffie a effectué un recensement de la jurisprudence dominante portant sur la Règle 316 et son application dans Mackie c. Via Rail Canada Inc., 2023 CF 1148. Aux paragraphes 14 à 16 de cette décision, le juge McHaffie écrit :

[14] Les parties ont cité plusieurs décisions portant sur les articles 316 et 371 des Règles, l’article 371 étant l’équivalent de l’article 316, mais pour les requêtes : Holland c Canada (Procureur général), 1999 CanLII 9168 (CF) au para 3; Glaxo Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1987] ACF no 838 (QL) (CF 1re inst) aux para 6‑10; Njonkou c Canada (Agence Revenu Canada), 2006 CF 849 aux para 3‑7; Cyanamid Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1992] ACF no 144 (QL) (CF 1e inst), conf sans commentaires par 1992 CanLII 15456 (FCA), [1992] ACF no 950 (QL) (CA); Canadian Supplement Trademark Ltd c Petrillo, 2010 CF 421 aux para 23‑25; GCT Canada Limited Partnership c Administration portuaire Vancouver Fraser, 2020 CF 970 aux para 20‑32. À cette liste, notre Cour ajoute les décisions Dunbar c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2001 CFPI 1320 aux para 3‑4; Bande indienne de Tobique c Canada, 2009 CF 784 aux para 47‑49 et Lajeunesse c Canada (Procureur général), 2019 CF 1405 aux para 6, 15‑19, où les tribunaux décrivent et appliquent les principes pertinents.

[15] À partir de cette jurisprudence, il est possible d’énoncer certains principes relatifs à l’article 316 des Règles :

•il incombe au requérant d’établir l’existence des circonstances particulières justifiant l’ordonnance demandée;

•la nature de ce qui constitue des « circonstances particulières » dépend des faits propres à une affaire, mais il ne faut déroger au principe habituel qui consiste à instruire les demandes en fonction de la preuve documentaire que dans « des cas exceptionnels » ou s’il existe des « motifs très clairs » de le faire;

•les témoignages proposés doivent constituer une preuve pertinente et admissible qui ne se trouve pas déjà dans le dossier et qui est essentielle ou nécessaire pour la résolution de la demande;

•il doit être impossible ou inadéquat, et non pas simplement moins préférable, d’obtenir la preuve en question par voie d’affidavit ou de contre‑interrogatoire;

•les contradictions dans la preuve documentaire ou le souhait de la Cour d’être en mesure d’évaluer le comportement d’un témoin ne justifient pas en soi une ordonnance.

[16] M. Mackie se reporte également à l’analyse des « circonstances particulières » faite par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wenham c Canada (Procureur général), 2021 CAF 208, aux paragraphes 36 et 37. Il est question dans cet arrêt de l’article 334.39 des Règles, qui porte sur l’adjudication des dépens relativement à une requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif. Le contexte étant différent, il y a lieu de faire preuve de circonspection avant d’adopter les conclusions de la Cour d’appel fédérale. Néanmoins, je conviens avec M. Mackie que l’analyse des mots « circonstances particulières » par la Cour d’appel fédérale, expression qui désignerait selon lui [traduction] « quelque chose de tout à fait remarquable, hors de l’ordinaire ou, sinon rare, du moins très peu habituel », semble concorder avec la jurisprudence traitant de l’article 316 des Règles : Wenham, au para 37.

[14] Tel qu’il sera apparent lors de l’analyse qui suit, le demandeur n’a pas démontré que l’ordonnance sollicitée devrait être émise.

III. Analyse

[15] Il est bien établi en droit que celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. Le requérant qui demande à la Cour de rendre une ordonnance sur une requête doit alors satisfaire le fardeau de preuve qui lui incombe à la lumière des exigences fixées par la loi et/ou par la jurisprudence (Ewert v. Assistant Commissioner Policy and Programs, 2022 CanLII 117825, au para 4). Ici, le fardeau de preuve qui doit être satisfait par le demandeur requérant est fixé par le libellé de la Règle 316 et par la jurisprudence.

[16] Le requérant doit prouver selon la balance de probabilités que des « circonstances particulières » existent qui justifient l’ordonnance sollicitée. Cette preuve peut être faite par tous les moyens de preuve admissible sur une requête. En temps normal, il s’agirait de preuve par affidavit en vertu de la Règle 363 des Règles qui prévoit que sur une requête « [u]ne partie présente sa preuve par affidavit, relatant tous les faits sur lesquels elle se fonde dans le cadre de la requête et qui ne figurent pas au dossier de la Cour ». Tel que le prévoient également les Règles 364(2)(c) et (d), un requérant pourrait satisfaire son fardeau de preuve en déposant des éléments matériels ou des extraits de transcriptions, le cas échéant.

[17] Un requérant ne relève pas son fardeau de preuve par l’entremise d’arguments contenus dans ses représentations écrites à l’appui d’une requête puisque des représentations écrites ne sont pas un affidavit et ne sont pas un substitut pour la l’administration d’une preuve admissible pour les fins d’une requête (Canada (Revenu national) c. Distribution Carflex Inc., 2023 CanLII 110323, au para 27).

[18] Le requérant n’a pas soumis d’affidavit pour appuyer sa requête. Il n’a alors pas soumis de preuve par affidavit susceptible d’établir qu’il existe des « circonstances particulières » qui pourraient justifier l’ordonnance qu’il recherche.

[19] La Cour note que le demandeur a inclus deux documents comme pièces dans son dossier de requête, soit, le Dossier du demandeur envisagé par la Règle 310 des Règles et une copie des Réponses de Frédéric Heran à l’interrogatoire par écrit en vertu de la Règle 99 des Règles. Le demandeur indique dans son dossier de requête que ces deux pièces sont des pièces « dont il est fait mention dans les prétentions écrites du demandeur ». La Cour rappelle qu’une pièce mentionnée dans des prétentions écrites ne rend pas la ou les pièces admissibles à titre de preuve (Canada (Revenu national) c. Distribution Carflex Inc., 2023 CanLII 110323, au para 27), et que le moyen approprié pour verser une preuve documentaire au dossier est par un affidavit conforme aux Règles 80(3) et 81 des Règles (Mackie v. Via Rail Canada Inc., 2022 FC 871, au para 27). Bref, ni l’un ni l’autre des documents n’est admissible à titre de preuve ou admis à titre de preuve sur cette requête.

[20] Bien que le Dossier du demandeur envisagé par la Règle 310 des Règles pourrait être admissible à titre de preuve sur cette requête en vertu de la Règle 364(2)(f), rien dans le dossier de requête du requérant ne laisse croire que le requérant déposait le Dossier du demandeur en vertu de la Règle 364(2)(f). Le dossier du requérant laisse croire plutôt que le requérant voulait plutôt déposer les pièces comme pièces mentionnés dans ses représentations écrites, ce qui rends la pièce inadmissible. Même si elle était admissible, cette pièce n’établit pas de « circonstance particulières » au sens de la Règle 316.

[21] Il s’ensuit que le requérant n’a pas satisfait le fardeau de preuve qui lui incombe en ce qu’il n’a pas établi par de la preuve admissible qu’il existe des « constances particulières » qui justifient l’émission de l’ordonnance discrétionnaire sollicitée.

[22] La Cour note de plus que le requérant n’a pas démontré qu’il est impossible ou inadéquat, et non pas simplement moins préférable, d’obtenir la preuve en question par voie d’affidavit ou de contre‑interrogatoire sur affidavit. La preuve soumise par le défendeur fait état que le demandeur ne s’est pas prévalu de son droit de contre-interroger Monsieur Héran sur ses réponses à l’interrogatoire par écrit en vertu de la Règle 97 des Règles avant d’indiquer que son dossier est en état et prêt pour audition en signifiant et déposant sa demande d’audience en vertu de la Règle 314 des Règles.

[23] Le recours à la requête en vertu de la Règle 97 pour permettre à la Cour de trancher les objections aux questions posées en contre-interrogatoire par écrit et ordonner au déposant de répondre à une ou des questions légitimes qui n’ont pas été répondues aurait été approprié ici, et aurait dû avoir lieu avant que cette requête ait été présentée.

[24] Le requérant a plaidé lors de l’audition de cette requête qu’il a et avait connaissance de ses droits en vertu de la Règle 97, mais qu’il lui semblait plus opportun et moins long que de procéder par cette requête en vertu de la Règle 316. Cette stratégie est mal fondée tel qu’en fait état la jurisprudence et les principes applicables à cette requête.

[25] La requête du requérant doit donc être rejetée en raison d’une absence de preuve qui justifie l’ordonnance recherchée.

IV. Les dépens

[26] Le défendeur réclame des dépens de 720 $, étant les dépens calculés pour cette requête en vertu de la Règle 400(4) et 407. Comme le défendeur a eu gain de cause sur cette requête, il a droit à ses dépens tels que réclamés.

 


ORDONNANCE au dossier T-1281-24

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête du demandeur est rejetée.

  2. Le demandeur est ordonné de payer au défendeur les dépens de cette requête qui sont fixés selon ma discrétion en vertu des Règles 400(1), (2), (4) et 407 des Règles à 720$.

« Benoit M. Duchesne »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1281-24

INTITULÉ :

CHRISTOPHER LILL c. PGC

LIEU DE L’AUDIENCE :

vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

le 2 juillet 2025

ORDONNANCE ET motifs :

le juge Duchesne

DATE DES MOTIFS :

LE 3 juillet 2025

COMPARUTIONS :

Christopher Lill

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Éloise Benoit

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

Pour le défendeur

 

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