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Date : 20250704


Dossier : IMM-3592-24

Référence : 2025 CF 1192

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2025

En présence de l’honorable madame la juge Saint-Fleur

ENTRE :

CRISTHIAN CAMILO WALTEROS CUESTA

DANIELA ALEJANDRA GORDILLO LEON

DANNA SOFIA WALTEROS GORDILLO

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, Cristhian Camilo Walteros Cuesta [demandeur], son épouse, Daniela Alejandra Gordillo Leon, et leur fille mineure [demanderesses], sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue à leur encontre le 30 janvier 2024 par la Section d’appel des réfugiés [SAR] [Décision] rejetant leur appel de la décision du 27 octobre 2023 de la Section de protection des réfugiés [SPR] qui a rejeté leur demande d’asile.

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[3] Les demandeurs sont citoyens de la Colombie. Les demanderesses basent leur demande sur le récit du demandeur. Les demandeurs craignent d’être persécutés par l’Armée de libération nationale [ELN] et par les autorités colombiennes en raison de la mère du demandeur, une dirigeante sociale assassinée par les autorités en 2018.

[4] En mai 2021, alors qu’il participait à une manifestation contre le manque d’opportunité et les droits des jeunes avec son épouse, le demandeur a été frappé par des policiers, puis arrêté. Il a été transporté à un poste de police, ensuite lorsque les policiers ont découvert qui était sa mère, il a été de nouveau battu. Les policiers se sont rendus à plusieurs reprises chez lui pour le menacer et malgré qu’il se soit réfugié chez sa belle-famille, puis déménagé dans une autre ville, les menaces n’ont pas cessé. Les demandeurs ont quitté la Colombie pour les États-Unis le 30 décembre 2021 et après quelque temps, ils sont arrivés au Canada où ils ont fait une demande d’asile.

[5] Le 27 octobre 2023, la SPR a rejeté la demande d’asile au motif que le demandeur n’était pas crédible quant à sa crainte en Colombie.

[6] Les demandeurs ont interjeté l’appel devant la SAR, faisant valoir que la SPR a erré dans l’analyse de la crédibilité du demandeur et qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale parce que la décision de la SPR n’est pas suffisamment motivée.

[7] Le 30 janvier 2024, la SAR a rejeté leur appel.

III. Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[8] La SAR a déterminé que la question déterminante était la crédibilité. Elle a conclu que la preuve au dossier soutient les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité du demandeur et son absence de crainte de persécution.

[9] La SAR a pris en note qu’une semaine avant l’audience devant la SPR, le demandeur a soumis un récit amendé dans lequel il a expliqué que sa mère a été tuée par l’ELN, qu’il a témoigné devant la Fiscalía à ce sujet et qu’il est par conséquent, devenu une cible militaire pour ce groupe. Le demandeur a également ajouté avoir été détenu aux États-Unis, ce qui a été difficile physiquement et mentalement et eu pour conséquence d’aggraver ses traumatismes antérieurs et lui a causé des troubles de mémoire.

[10] La SAR a basé ses conclusions sur le constat que le demandeur n’a pas pu expliquer de manière satisfaisante la raison pour laquelle l’ELN aurait envoyé deux ans après son témoignage à la Fiscalía un pamphlet contenant des menaces de mort à son égard. En outre, la perte de mémoire n’explique pas la raison pour laquelle le demandeur n’a pas su expliquer de manière satisfaisante la raison pour laquelle ce pamphlet a été transmis chez sa mère en 2021, alors qu’elle était décédée depuis janvier 2018.

IV. Question en litige

[11] La demande de contrôle judiciaire soulève la question suivante :

  1. La décision de la SAR est-elle raisonnable?

V. Norme de contrôle

[12] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, telle qu’établi dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paragraphes 23, 25, 86 et 99 [Vavilov].

[13] Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov, au para 100). La norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision (Vavilov, au para 85).

VI. Soumissions des parties

A. Les soumissions des demandeurs

[14] Les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR est déraisonnable parce qu’elle a maintenu les conclusions de la SPR. Selon eux, la SAR n’a fait que valider les conclusions de la SPR sans effectuer une analyse indépendante du dossier.

[15] Concernant les informations complémentaires qu’ils ont fournies dans leur récit amendé, les demandeurs reprochent à la SAR d’avoir considéré ces ajouts comme des omissions et d’en avoir tiré une conclusion négative quant à leur crédibilité. À leur avis, la SAR n’a pas tenu compte de leur explication voulant que ces faits ajoutés à leur récit amendé s’expliquent par les pertes de mémoire du demandeur résultant de sa détention déshumanisante aux États-Unis.

[16] Quant à l’incohérence perçue par la SAR relativement aux prétentions du demandeur voulant que l’ELN ait envoyé un pamphlet contenant des menaces de mort à son égard à l’adresse de sa défunte mère chez qui il n’a jamais habité, les demandeurs estiment qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure que les pertes de mémoire du demandeur n’expliquent pas cette incohérence.

[17] Les demandeurs soutiennent que l’analyse de la SAR relativement à l’incident avec les policiers en mai 2021 est déraisonnable. Ils soulignent que la SAR a reconnu qu’il ne s’est pas contredit en indiquant avoir été ciblé à cause de sa mère lors de la manifestation de mai 2021 et même que la SAR a jugé qu’au contraire, il a témoigné que pendant la manifestation, plusieurs personnes avaient été arrêtées et que ce n’était qu’une fois au poste de police, donc après la manifestation, que les policiers ont su qui était sa mère. Par conséquent, les demandeurs sont d’avis que la SAR n’aurait pas dû conclure qu’ils n’étaient pas crédibles.

[18] En terminant, les demandeurs reprochent à la SAR de ne pas avoir considéré le profil du demandeur en tant que leader social, lui qui créait des activités sportives afin de promouvoir le développement social par le sport auprès des jeunes de sa région. Ils reprochent à la SAR de ne pas s’être penchée sur le risque prospectif découlant de ce profil.

B. Les soumissions du défendeur

[19] Selon le défendeur, la question déterminante en l’espèce est l’absence de crédibilité du récit du demandeur. Il soutient qu’il s’agit d’une conclusion importante qui suffisait en soi à faire échec à la demande d’asile des demandeurs. Pour le défendeur, lorsque la décision repose sur l’absence de crédibilité d’un demandeur, la Cour n’interviendra que si la décision de la SAR est manifestement déraisonnable dans son ensemble. Il soutient qu’il s’agit d’un critère extrêmement exigeant. Le défendeur fait également valoir qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que le profil du demandeur ne permettait pas d’expliquer les problèmes de crédibilité du demandeur.

[20] Le défendeur soutient que le demandeur n’a jamais abordé la question du risque prospectif relativement à son profil en tant que leader social devant la SPR, ni devant la SAR et que par conséquent, la Cour ne devrait pas en tenir compte dans le cadre du contrôle judiciaire.

VII. Analyse

A. La décision de la SAR est raisonnable

[21] Je ne souscris pas à l’argument des demandeurs voulant que la SAR n’ait pas effectué une analyse indépendante du dossier. La lecture des motifs de la SAR démontre qu’elle a analysé chaque conclusion de la SPR. Je constate plutôt que la SAR a clairement expliqué pourquoi elle souscrivait ou non aux conclusions déterminantes de la SPR quant à la crédibilité du récit du demandeur et qu’elle a conduit sa propre analyse des faits et de la preuve au dossier.

[22] D’ailleurs, lorsque la SAR a traité de la question des informations fournies dans le récit amendé, elle a tenu compte de l’explication que la détention aux États-Unis lui ait causée des troubles de mémoire pour expliquer l’omission de certains faits dans le premier récit et constaté que la SPR en avait traité. La SAR s’est dite d’avis que la SPR a tiré d’avantage une inférence négative de la crédibilité du demandeur basée sur le fait qu’il n’a pas pu apporter d’explications raisonnables concernant les incohérences relevées de son récit amendé plutôt que sur le fait qu’il ait amendé tardivement son récit amendé.

[23] Quant à l’incohérence à l’égard du pamphlet de menaces de l’ELN qui selon le demandeur a été envoyé chez sa mère, là encore la SAR a effectué sa propre analyse. La SAR a jugé que la perte de mémoire du demandeur n’explique pas qu’il n’ait pas pu expliquer de manière satisfaisante que l’ELN lui ait envoyé un pamphlet contenant des menaces de mort à son égard en 2021 à l’adresse de sa mère qui est décédée depuis 2018, assassinée par l’ELN et deux ans après que le demandeur eut témoigné de l’assassinat de sa mère, dont il n’a pas été témoin, à la Fiscalia et alors que le demandeur n’a jamais habité à cette adresse. Je note que la SAR a aussi considéré les soumissions écrites du conseil des demandeurs indiquant que personne n’est retourné au domicile de la mère en raison de la mobilité limitée des gens en raison de la COVID-19. Dans ce contexte, il était raisonnable pour la SAR de conclure que cette incohérence n’a pas été expliquée de façon satisfaisante par les pertes de mémoire du demandeur et qu’elle affectait négativement la crédibilité du demandeur.

[24] La SAR a jugé après sa propre analyse du dossier, y compris la lecture de la transcription de l’audience devant la SPR que cette dernière a erré concernant cette inférence négative qu’elle a tirée concernant l’incident de la manifestation de mai 2021. Il était loisible pour la SAR de considérer qu’il s’agissait d'une erreur mineure qui n’est pas suffisante pour passer outre les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité du demandeur considérant les autres problèmes de crédibilité observés par la SPR.

[25] Cette Cour a confirmé à de nombreuses reprises qu’il est pleinement loisible par la SAR de jauger la crédibilité d’un demandeur d’asile et de tirer des inférences défavorables des incohérences, contradictions et invraisemblances relevées dans la preuve et pour lesquelles il n’a pas fourni d’explications satisfaisantes. Il lui revient de déterminer si les explications du demandeur étaient satisfaisantes ou non (Mohamed c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), (2020) C.F. 657, aux para 33 et 37). À mon avis, en l’espèce, les constatations tirées par la SAR de la preuve et du témoignage du demandeur rendent raisonnable la conclusion de manque de crédibilité de ses allégations à la base de sa demande d’asile.

[26] En ce qui concerne l’absence de risque prospectif du demandeur en raison de son profil de leader social, je constate comme le souligne le défendeur que cela n’a jamais été soulevé devant la SAR, ni devant la SPR. Je ne peux pas en tenir compte dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il est bien établi qu’une cour de révision doit s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur », et n'interviendra que lorsqu’un décideur « s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov aux para 125-126).

[27] Je conclus que la SAR a fourni des motifs qui possèdent les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité.

VIII. Conclusion

[28] Les demandeurs n’ont pas démontré que la Décision de la SAR est déraisonnable. Je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[29] Les parties ne soulèvent pas de question certifiée et je conviens qu’aucune ne se pose.


JUGEMENT dans IMM-3592-24

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« L. Saint-Fleur »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3592-24

INTITULÉ :

CRISTHIAN CAMILO WALTEROS CUESTA, ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JUIN 2025

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SAINT-FLEUR

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JUILLET 2025

COMPARUTIONS :

Me Filipe Morales

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Maria Jose Schwendener

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Semperlex Avocats S.A.R.F.

Avocats

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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