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Date : 20060823

Dossier : T-2262-05

Référence : 2006 CF 1014

Ottawa (Ontario), le 23 août 2006

En présence de L'honorable Paul U.C. Rouleau

 

ENTRE :

ANTOINE ZARZOUR

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision du Tribunal disciplinaire de l’établissement Cowansville (Tribunal) prise le 6 octobre 2005. Le Président du Tribunal avait jugé le demandeur coupable de l’infraction prévue au paragraphe 40h) de la Loi sur le Système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c. 20 (Loi), c’est-à-dire de s’être livré ou d’avoir menacé de se livrer à des voies de fait ou d’avoir pris part à un combat.

 

[2]               À tout moment pertinent à la présente demande, le demandeur, M. Antoine Zarzour, était incarcéré à l’établissement Cowansville, pénitencier administré par le Service correctionnel du Canada.

 

[3]               Selon les dires du détenu Tymchuk, rapportés par un des gardiens, M. Zarzour l’a insulté à plusieurs reprises. Devant le refus de M. Zarzour de retirer ses paroles, M. Tymchuk l’a agressé physiquement. Le soir du 6 juin 2005, M. Tymchuk est entré dans la cellule de M. Zarzour et lui a asséné un coup sur la tête.

 

[4]               Un surveillant, qui avait été avisé de l’agression, s’est informé auprès de M. Zarzour de son état. Celui-ci lui a dit que tout était correct, car il ne voulait pas avoir de « problèmes sur le plancher des vaches avec les gens ».

 

[5]               Plus tard le même soir, un peu avant 22h40, M. Tymchuk s’est présenté une seconde fois dans la cellule de M. Zarzour et lui a dit : « Je vais te piquer si tu me rapportes ». M. Zarzour soumet qu’il a lors agressé le détenu Tymchuk à l’aide d’un manche à balai et ce, afin de le repousser dans le couloir. Une altercation a suivie jusqu’à ce que les gardiens descendent dans le couloir pour faire cesser le combat.

 

[6]               Le 20 juin 2005, M. Zarzour a été accusé en vertu de l’article 40h) de la Loi. M. Tymchuk a reçu, lui, un rapport d’infraction.

 

[7]               Le 23 juin 2005, M. Zarzour plaidait coupable au rapport d’infraction de s’être battu avec M. Tymchuk le 6 juin 2005 à 22h40. Puisqu’il a aussi dit qu’il avait agit en légitime défense, le Tribunal lui a expliqué que la légitime défense était un moyen de défense et qu’il ne pouvait accepter un plaidoyer de culpabilité s’il alléguait aussi la légitime défense. M. Zarzour a reconnu qu’il avait été l’agresseur et qu’il voulait plaider coupable afin d’en finir au plus vite. Comme il a expliqué plus tard devant le Tribunal : « je craignais des représailles de [Tymchuk] puis des représailles de ses amis. … c’était à mon avantage de plaider coupable, puis de laisser cette affaire là glisser en dessous du tapis ».

 

[8]               Lorsque M. Zarzour a plaidé coupable, le Service correctionnel du Canada, avec l’accord du Tribunal, a retiré le rapport contre M. Tymchuk.

 

[9]               M. Zarzour a par la suite présenté une requête écrite, datée du 7 août 2005, afin d’annuler son plaidoyer de culpabilité. Le 25 juillet 2005, M. Zarzour a eu une réunion avec deux agents du Service correctionnel dans le cadre d’une autre affaire disciplinaire. Un des agents lui a dit que M. Tymchuk « voulait [le] piquer puis [lui] crever les yeux ».

 

[10]           À ce sujet, devant le Tribunal, M. Zarzour a expliqué :

 

Là, j’ai dit : « Écoute…j’ai dit - …moi, là, je le savais pas ça, depuis quand est-ce que tu sais ça? » - « Bien, il nous l’a dit, quand il est rentré dans le trou [le] quatorze (14) juillet. » J’ai dit : « Oui, mais pourquoi est-ce que vous me l’avez pas dit, ça? » - « Bien, ça sert à rien, tu as plaidé coupable. »

 

 

 

[11]           Le Tribunal a accueilli la requête de M. Zarzour afin d’annuler son plaidoyer de culpabilité et a fixé la date d’audition sur le mérite de l’affaire au 22 septembre 2005.

 

[12]           Dans sa décision délivrée oralement le 6 octobre 2005, le Tribunal fondait son analyse de la légitime défense sur le paragraphe 34(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46.

 

[13]           En rejetant la défense de légitime défense, le Tribunal avait conclu qu’ « [à] la lumière des faits mis en preuve, le Tribunal voit mal comment [le demandeur] peut dire … [qu’] il a été attaqué illégalement alors qu’il a déclaré avoir été l’agresseur dans l’événement ». Le Tribunal affirma que « la défense de légitime défense ne peut certainement pas être retenue ».

 

[14]           M. Zarzour a donc été déclaré coupable de l’infraction en vertu du paragraphe 40h) de la Loi.

 

[15]           Dans son mémoire, M. Zarzour soumet que le Tribunal a commis deux erreurs principales : premièrement, en décidant que seul le paragraphe 34(1) du Code criminel s’appliquait à la défense de légitime défense en l’espèce; et, deuxièmement, en scindant les deux événements survenus le 6 juin 2005, de sorte qu’il n’a pas tenu compte, en l’espèce, de la première agression commise sur M. Zarzour afin d’évaluer l’applicabilité du moyen de défense de légitime défense.

 

[16]           Dans l’arrêt Dasilva v. Canada (Attorney General), 2006 FC 508, aux paragraphes 27-33, cette Cour a decide que la norme de contrôle applicable à la décision du Président indépendant était celle de la décision raisonnable simpliciter. Dans Dasilva, précitée, la question primaire en litige était de savoir si l’accusation à l’encontre du demandeur avait été déposée en vertu de la disposition appropriée de la Loi, c’est-à-dire une question mixte de fait et de droit.

 

[17]           Pour ce qui est de la première question en litige, à savoir si le Tribunal a erré en déterminant que seul le paragraphe 34(1) du Code criminel s’appliquait à la situation, cette Cour est d’accord avec l’arrêt Dasilva, précité. La norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter trouve application en l’espèce.

 

[18]           Par contre, pour ce qui est de la seconde question en litige, soit si le Tribunal a commis une erreur en scindant les deux incidents du 6 juin 2005, il s’agit plutôt d’une question d’appréciation des faits et ainsi, la norme de contrôle appropriée serait plutôt celle de la décision manifestement déraisonnable (Forrest c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 539, [2002] A.C.F. no 713 (QL), aux paragraphes 16-19).

 

            Le fondement législatif de la légitime défense

 

[19]           M. Zarzour soumet premièrement, que le Tribunal a décidé de façon erronée, que seul le paragraphe 34(1) du Code criminel s’appliquait à la défense de légitime défense en l’espèce.

 

[20]           Dans sa décision, le Tribunal a affirmé : « le motif de légitime défense qui est alléguée par monsieur Zarzour se base sur [le paragraphe 34(1)] du Code criminel ». Dans ses soumissions lors de l’audition disciplinaire, l’avocat de M. Zarzour a stipulé :

 

 

Légitime défense : si on est frappé, puis on prend un moyen pour faire cesser l’attaque. Puis c’est ce qu’Antoine Zarzour a fait, il a pris un balai avec un porte-poussière, puis il a essayé de sortir Tymchuk de sa cellule […] (Non souligné dans l’original.)

 

 

 

[21]           Le paragraphe 34(1) du Code criminel s’applique à la situation où une personne est « illégalement attaquée » et se trouve « fondée à employer la force qui est nécessaire pour repousser l’attaque » :

 

34. (1) Toute personne illégalement attaquée sans provocation de sa part est fondée à employer la force qui est nécessaire pour repousser l’attaque si, en ce faisant, elle n’a pas l’intention de causer la mort ni des lésions corporelles graves.

34. (1) Every one who is unlawfully assaulted without having provoked the assault is justified in repelling force by force if the force he uses is not intended to cause death or grievous bodily harm and is no more than is necessary to enable him to defend himself.

 

En effet, cette situation est semblable à celle décrite par l’avocat de M. Zarzour.

 

[22]           Cependant, comme le Tribunal l’a noté dans sa décision, M. Zarzour a déclaré avoir été l’agresseur lors de l’événement survenu à 22h40 le 6 juin 2005. Puisque le paragraphe 34(1) note spécifiquement que la personne doit être attaquée « sans provocation de sa part », le Tribunal n’a donc commis aucune erreur en concluant que la défense de légitime défense en vertu du paragraphe 34(1) ne peut être retenue.

 

[23]           Par contre, le Tribunal n’a pas considéré les articles suivant l’article 34 du Code criminel qui discutent eux aussi de la légitime défense dans d’autres circonstances que celles énumérées à l’article 34.

 

[24]           Par exemple, l’article 35 du Code criminel s’applique à une situation où une personne en a attaqué une autre sans justification ou a provoqué une attaque sur elle-même sans justification :

 

35. Quiconque a, sans justification, attaqué un autre, mais n’a pas commencé l’attaque dans le but de causer la mort ou des lésions corporelles graves, ou a, sans justification, provoqué sur lui-même une attaque de la part d’un autre, peut justifier l’emploi de la force subséquemment à l’attaque si, à la fois :

 

a) il en fait usage :

 

(i)                  d’une part, parce qu’il a des motifs raisonnables d’appréhender que la mort ou des lésions corporelles graves ne résultent de la violence de la personne qu’il a attaquée ou provoquée,

 

(ii)                d’autre part, parce qu’il croit, pour des motifs raisonnables, que la force est nécessaire en vue de se soustraire lui-même à la mort ou à des lésions corporelles graves;

 

b) il n’a, à aucun moment avant qu’ait surgi la nécessité de se soustraire à la mort ou à des lésions corporelles graves, tenté de causer la mort ou des lésions corporelles graves;

 

c) il a refusé de continuer le combat, l’a abandonné ou s’en est retiré autant qu’il lui était possible de le faire avant qu’ait surgi la nécessité de se soustraire à la mort ou à des lésions corporelles graves.

35. Every one who has without jurisdiction assaulted another but did not commence the assault with intent to cause death or grievous harm, or has without justification provoked an assault on himself by another, may justify the use of force subsequent to the assault if

 

(a) he uses the force

 

(i)                  under reasonable apprehension of death or grievous bodily harm from the violence of the person whom he has assaulted or provoked, and

 

(ii)                in the belief, on reasonable grounds, that it is necessary in order to preserve himself from death or grievous bodily harm;

 

(b) he did not, at any time before the necessity of preserving himself from death or grievous bodily harm arose, endeavour to cause death or grievous bodily harm; and

 

(c) he declined further conflict and quitted or retreated from it as far as it was feasible to do so before the necessity of preserving himself from death or grievous bodily harm arose.

 

Même si l’on accepte que M. Zarzour a provoqué l’attaque ou a attaqué M. Tymchuk le premier, selon le paragraphe 35(1), M. Zarzour pourrait invoquer la défense de la légitime défense. Surtout que rien ne démontre que M. Zarzour ait voulu causer la mort ou des lésions corporelles. Il a plutôt cherché à se défendre lui-même d’un acte de violence pouvant causer la mort ou des lésions corporelles. De plus, il a attaqué M. Tymchuk seulement parce qu’il craignait l’attaque de celui-ci et il a cessé le combat dès que la menace n’était plus présente, c’est-à-dire lorsque les gardiens sont intervenus.

 

[25]           De même, le Tribunal n’a pas considéré l’article 37 du Code criminel qui semble lui aussi s’appliquer à la situation de M. Zarzour :

 

37. (1) Toute personne est fondée à employer la force pour se défendre d’une attaque, ou pour en défendre toute personne placée sous sa protection, si elle n’a recours qu’à la force nécessaire pour prévenir l’attaque ou sa répétition.

 

(2) Le présent article n’a pas pour effet de justifier le fait d’infliger volontairement un mal ou dommage qui est excessif, eu égard à la nature de l’attaque que la force employée avait pour but de prévenir.

37. (1) Every one is justified in using force to defend himself or any one under his protection from assault, if he uses no more force than is necessary to prevent the assault or the repetition of it.

 

(2) Nothing in this section shall be deemed to justify the willful infliction of any hurt or mischief that is excessive, having regard to the nature of the assault that the force used was intended to prevent.

 

 

[26]           Dans le cas des articles 35 et 37 du Code criminel, on ne parle pas de provocation ni de justification de l’attaque. Il n’est pas important dans ces deux cas qui a commencé la bataille ou encore quelle est la cause de celle-ci. La défense de la légitime défense peut donc être invoquée dans certaines situations, peu importe si on a instigué ou provoqué l’attaque en question.

 

[27]           Il est aussi important de noter que dans la décision R. c. Antley (1963) 42 C.R. 384, [1964] 1 O.R. 545, [1964] 2 C.C.C. 142, au paragraphe 11, la Cour a affirmé qu’il n’est pas nécessaire que l’accusé ait attendu d’être attaqué pour se défendre. Au contraire, s’il avait des motifs raisonnables de craindre une attaque imminente de la victime, l’accusé était alors justifié d’utiliser la force pour se défendre avant même que la victime n’ait agit.

 

[28]           Dans la même décision, la Cour a ajouté qu’il n’est pas pertinent de déterminer si l’accusé a tenté d’obtenir de l’aide d’autrui avant d’utiliser la force pour se défendre. En effet, lorsqu’il existe une crainte d’une attaque imminente, instinctivement il est normal qu’un individu réagisse à une menace et tente de se défendre soi-même (R. v. Antley, précité, au paragraphe 13).

 

[29]           Ainsi, en l’espèce, il n’est pas nécessairement pertinent de considérer le fait que M. Zarzour ait attaqué M. Tymchuk en premier ou qu’il n’ait pas tenté d’appeler les gardiens à son secours.

 

Les deux incidents du 6 juin 2005

 

[30]           Quant à l’argument de M. Zarzour voulant que le Tribunal ait erré en droit en scindant les deux incidents de sorte qu’il n’a pas tenu compte de la première agression sur M. Zarzour, cette Cour est d’accord avec l’argument de M. Zarzour.

 

[31]           Malgré le fait que les incidents sont séparés dans le temps par plus d’une heure, il est impossible de les séparer complètement au point de ne pas considérer le premier incident où M. Tymchuk est entré dans la cellule de M. Zarzour et l’a agressé, puisque cet incident est important afin de cerner l’état d’esprit de M. Zarzour au moment du second incident.

 

[32]           En effet, dans un cas de légitime défense, il est important de déterminer si l’accusé avait véritablement une crainte d’une attaque imminente. Les menaces, attaques ou incidents antérieurs servent à déterminer l’état d’esprit de l’accusé :

 

[…] Même s’il est vrai que les menaces antérieures peuvent permettre au jury de décider si des menaces ont été proférées immédiatement avant que l’intimées abatte Edsell et Raymond, elles sont également très pertinentes pour déterminer ce que croyait l’intimée, non seulement quant à l’existence des menaces, mais aussi quant à son appréhension d’un danger de mort et à sa croyance à la nécessité du recours à la force meurtrière. En omettant de mentionner ces deux éléments dans sa réponse, le juge du procès a sérieusement limité la pertinence des menaces passées. […] (R. c. Pétel, [1994] 1 R.C.S. 3).

 

[33]           En l’espèce, considérant le premier incident, il est raisonnable de croire que M. Zarzour avait une crainte d’une seconde attaque lorsque M. Tymchuk est entré à nouveau dans sa cellule vers 22h40. Les deux incidents constituent une suite d’événements qu’il est impossible de séparer pour les considérer de façon individuelle.

 

[34]           Pour ces motifs, cette Cour est d’avis que M. Zarzour a démontré que la décision du Tribunal était déraisonnable en ce qui concerne la première question en litige et manifestement déraisonnable en ce qui concerne la seconde question en litige. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie et la décision sera retournée au Tribunal pour réexamen.


JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est  accueillie et la décision sera retournée au Tribunal pour réexamen.

 

 

« Paul U.C. Rouleau »

Juge suppléant


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2262-05

 

INTITULÉ :                                       Antoine Zarzour c. Procureur général du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Qc

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 juillet 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            ROULEAU J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 août 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Daniel Royer

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Dominique Guimond

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Labelle, Boudrault, Côté et Associés

Avocats

Montréal, Qc

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.,

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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