Date : 20250717
Dossier : T-1745-24
Référence : 2025 CF 1274
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 17 juillet 2025
En présence de monsieur le juge Fothergill
ENTRE : |
BARBARA BLAIR |
demanderesse |
et |
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Barbara Blair sollicite le contrôle judiciaire d’une décision prise par l’administrateur du Programme canadien de soutien aux survivants de la thalidomide [le PCSST]. À la suite du nouvel examen d’une décision antérieure, l’administrateur a confirmé que Mme Blair n’était pas admissible au PCSST.
[2] La présente demande de contrôle judiciaire a été entendue en même temps que celles présentées par Léo Provencher (Provencher c Canada (Procureur général), 2025 CF 1273) et Phoebe Mike (Mike c Canada (Procureur général), 2025 CF 1275). Une grande partie de l’analyse à l’appui des jugements de la Cour dans ces dossiers est la même et certaines parties des motifs sont reproduites mot pour mot dans les trois décisions.
[3] Mme Blair n’a pas démontré que l’administrateur a indûment fait appel à son comité consultatif lors du nouvel examen de sa décision initiale, qu’il a adopté à tort la recommandation du comité consultatif ou qu’il a rendu une décision déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.
II. Contexte
[4] La thalidomide est un médicament qui a été utilisé hors indication pour traiter les femmes enceintes souffrant de nausées à la fin des années 1950 et au début des années 1960. En 1962, le médicament a fait l’objet d’un rappel lorsqu’il a été découvert que la prise de la thalidomide au cours du premier trimestre de la grossesse était liée à des fausses couches ou à des malformations congénitales [l’embryopathie due à la thalidomide].
[5] En 1990, le gouvernement du Canada a mis sur pied par décret le Régime d’aide extraordinaire pour les victimes de la thalidomide [le RAE] (Décret concernant l’aide aux personnes infectées par le VIH et aux victimes de la thalidomide, CP 1990-4/872). Pour être admissibles au RAE, les demandeurs devaient : a) démontrer qu’ils avaient signé un règlement à l’amiable avec une compagnie pharmaceutique; b) fournir une preuve documentaire que leur mère avait pris de la thalidomide au Canada au cours du premier trimestre de sa grossesse; ou c) être inscrits dans un registre gouvernemental canadien existant de victimes de la thalidomide.
[6] En 2015, le gouvernement du Canada a mis en place un nouveau programme appelé le Programme de contribution aux survivants de la thalidomide [le PCST]. Le PCST était offert aux personnes admissibles au RAE et qui présentaient une demande avant le 31 mai 2016 ou qui avaient déjà reçu des prestations du RAE.
[7] Sous le régime du PCST, les demandeurs qui n’étaient pas déjà reconnus comme des survivants de la thalidomide devaient fournir une preuve directe que leur mère avait pris de la thalidomide au Canada au cours du premier trimestre de sa grossesse. En tout, 168 demandeurs se sont vu refuser une aide parce qu’ils ne satisfaisaient pas aux exigences en matière de preuve (Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 [Wenham] au para 12).
[8] En 2016, un des demandeurs dont la demande avait été rejetée a contesté les critères d’admissibilité dans le cadre d’un recours collectif, qui a été autorisé par la Cour d’appel fédérale en 2018 [le recours collectif relatif au PCST] (voir Wenham).
[9] Le 9 mars 2018, le juge Peter Annis a conclu que le processus décisionnel prévu par le PCST était « déraisonnable au point d’être flagrant comparativement aux normes de preuve ordinaires applicables au Canada »
(Briand c Canada (Procureur général), 2018 CF 279 [Briand] au para 78; voir aussi Rodrigue c Canada (Procureur général), 2018 CF 280 [Rodrigue]).
[10] Le 5 avril 2019, le PCSST a été établi par décret (Décret sur le Programme canadien de soutien aux survivants de la thalidomide, PC 2019-0271 [le Décret de 2019]).
[11] À la suite de l’adoption du Décret de 2019, les parties au recours collectif relatif au PCST ont négocié un règlement [l’entente de règlement à l’égard du PCST] prévoyant que :
-
a)l’administrateur aurait recours à la norme de la prépondérance des probabilités dans son évaluation préliminaire;
-
b)le processus d’admissibilité serait basé sur l’algorithme de diagnostic de l’embryopathie due à la thalidomide [valiDATE];
-
c)les demandeurs seraient informés des motifs du rejet de leur demande, le cas échéant;
-
d)les membres du groupe pourraient demander le nouvel examen d’une demande ayant été rejetée et auraient droit à une audience si leur demande était rejetée à la troisième étape.
(Wenham c Canada (Procureur général), 2020 CF 588 au para 45)
III. Admissibilité au PCSST
[12] Pour être admissibles au PCSST, les demandeurs doivent répondre à l’un des critères suivants : a) avoir été jugés admissibles au RAE ou au PCST; b) être inscrits dans un registre gouvernemental canadien de victimes de la thalidomide; ou c) être jugés admissibles par l’administrateur. En ce qui concerne le troisième critère, l’administrateur suit un processus en trois étapes énoncé au paragraphe 3(5) du Décret de 2019.
[13] Tout d’abord, l’administrateur effectue une évaluation préliminaire en se fondant sur les critères suivants : a) la date de naissance du demandeur né au Canada se situe entre le 3 décembre 1957 et le 21 décembre 1967; b) la date de naissance du demandeur ou tout autre renseignement disponible concorde avec la prise de la thalidomide par sa mère au cours du premier trimestre de grossesse; c) la nature des malformations congénitales du demandeur concorde avec les caractéristiques connues des malformations congénitales liées à la thalidomide [l’étape 1]. Depuis la décision Richard c Canada (Procureur général), 2024 CF 657 [Richard], rendue par le juge Panagiotis Pamel, l’administrateur ne peut plus se fonder sur la date de naissance du demandeur dans son évaluation préliminaire.
[14] Si l’administrateur estime probable, sur la base de l’évaluation préliminaire menée à l’étape 1, que les malformations congénitales du demandeur sont le résultat de la prise de la thalidomide par sa mère au cours du premier trimestre de sa grossesse, la demande passe à l’étape suivante. L’administrateur évalue ensuite, au moyen de l’algorithme valiDATE, la probabilité que les malformations du demandeur concordent avec l’ensemble des caractéristiques connues de l’embryopathie due à la thalidomide [l’étape 2]. Les médecins dont les services sont retenus par l’administrateur utilisent les renseignements fournis à l’étape 1, ainsi que les renseignements supplémentaires sollicités auprès du demandeur à cette étape, pour remplir un questionnaire. Les réponses sont ensuite traitées par l’algorithme valiDATE.
[15] L’algorithme valiDATE utilise un système de notation numérique pondérée pour chaque caractéristique de l’embryopathie due à la thalidomide. Lorsque l’algorithme repère un groupe de malformations qui apparaissent couramment ensemble chez les survivants de la thalidomide, il leur attribue un score plus élevé.
[16] Sur la base de la pondération combinée de toutes les réponses, l’algorithme valiDATE génère un rapport dans lequel est évaluée la « probabilité »
que les malformations d’un demandeur soient le résultat d’une embryopathie due à la thalidomide. Il y a trois résultats possibles : improbable, incertain/renseignements insuffisants ou probable/possible. Les réponses du demandeur au questionnaire et le rapport valiDATE sont ensuite vérifiés par le médecin du demandeur.
[17] Avant le 9 août 2022, seuls les demandeurs ayant reçu un rapport valiDATE dont le score était « probable/possible »
passaient à l’étape 3. Depuis la décision O’Neil c Canada (Procureur général), 2022 CF 1182, rendue sur consentement des parties par le juge Russel Zinn, il ne s’agit plus d’une condition préalable pour qu’une demande passe à l’étape suivante.
[18] Enfin, l’administrateur transmet la demande à un comité multidisciplinaire formé d’experts des domaines médical et juridique [le CMD]. Le CMD examine la demande, procède aux tests ou aux examens qu’il juge nécessaires et transmet à l’administrateur sa recommandation quant à savoir si le demandeur devrait être jugé admissible au PCSST [l’étape 3].
IV. La demande de Mme Blair
[19] Mme Blair était membre du groupe visé par le recours collectif relatif au PCST. Elle a présenté sa demande au titre du PCSST en octobre 2019. Elle a joint à sa demande des documents médicaux et des photos, ainsi que des affidavits souscrits par son frère et sa sœur, qui affirment que c’était connu dans leur famille que leur mère avait pris un échantillon de thalidomide sous le nom de marque Kevadon. L’échantillon avait été fourni par leur tante, qui travaillait comme infirmière.
[20] Le 10 décembre 2019, l’administrateur a informé Mme Blair que sa demande passerait à l’étape 2.
[21] Le 8 septembre 2020, l’administrateur a confirmé que le rapport valiDATE de Mme Blair indiquait qu’il était probable ou possible que ses malformations congénitales aient été causées par la prise de la thalidomide par sa mère. Sa demande est donc passée à l’étape 3.
[22] Le 30 juin 2022, l’administrateur a conclu que Mme Blair n’était pas admissible au PCSST pour les raisons expliquées dans la recommandation du CMD.
[23] Le 24 octobre 2022, Mme Blair a demandé le réexamen de la décision de l’administrateur. Elle a présenté des documents supplémentaires, y compris des radiographies dentaires et des photos. Dans sa demande de nouvel examen, Mme Blair a affirmé que le CMD :
-
a)avait mal compris ses déclarations concernant la prise de la thalidomide par sa mère et que sa demande indiquait en fait que sa mère avait pris de la thalidomide au cours de la sixième semaine de sa grossesse;
-
b)avait rejeté de façon déraisonnable la conclusion de ses médecins selon laquelle elle souffrait de phocomélie, un indicateur de l’embryopathie due à la thalidomide;
-
c)n’avait pas tenu compte d’un rapport indiquant qu’elle avait une déformation de la racine des dents;
-
d)avait rejeté injustement sa demande en raison de symptômes liés à l’âge, comme l’arthrite et le syndrome sec;
-
e)n’avait pas mentionné ses rapports d’échographie, qui ont révélé un rein droit plus gros et des signes de lésions hépatiques, et n’avait pas pris en compte la douleur dans ses mains, ses poignets, ses bras, ses épaules et sa colonne cervicale.
V. Décision faisant l’objet du contrôle
[24] Le 16 novembre 2023, l’administrateur a conclu que Mme Blair n’était pas admissible au PCSST pour les raisons expliquées dans la recommandation formulée par le CMD à la suite du nouvel examen.
[25] Le CMD a accepté la précision apportée par Mme Blair, selon laquelle sa mère avait pris, au cours du premier trimestre de sa grossesse, un échantillon de thalidomide qui lui avait été fourni par sa sœur, mais a noté que [traduction] « la question fondamentale est celle de savoir si la conclusion selon laquelle la mère de [Mme Blair] a pris de la thalidomide était justifiée compte tenu des anomalies congénitales de cette dernière »
.
[26] Le CMD a conclu que Mme Blair n’était pas atteinte de phocomélie et que les renvois répétés, dans son dossier médical, à l’exposition à la thalidomide découlaient probablement du fait que les membres de la famille se souvenaient que leur mère
avait pris de la thalidomide. Tout en reconnaissant les lésions hépatiques et l’anomalie rénale de Mme Blair, le CMD a renvoyé à des publications médicales indiquant que l’embryopathie due à la thalidomide cause des lésions importantes et étendues aux organes internes.
[27] Par conséquent, le CMD a conclu que les anomalies congénitales de Mme Blair ne correspondaient pas à l’embryopathie due à la thalidomide et a maintenu sa recommandation antérieure de refuser son admissibilité au PCSST.
VI. Questions en litige
[28] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :
-
L’administrateur était-il autorisé à demander une autre recommandation au CMD lorsqu’il a réexaminé sa décision initiale?
-
L’administrateur était-il autorisé à adopter la recommandation formulée par le CMD à la suite du nouvel examen?
-
La décision de l’administrateur était-elle raisonnable?
VII. Analyse
[29] Devant notre Cour, la décision de l’administrateur est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). La Cour n’interviendra que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov, au para 100).
[30] Il est satisfait à ces exigences si les motifs permettent à la Cour de comprendre le raisonnement qui a mené à la décision et d’établir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85-86, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).
[31] Lorsque la décision revêt une grande importance pour le particulier, le décideur administratif doit fournir davantage de justifications et d’explications (Vavilov, aux para 133-135). Au paragraphe 62 de la décision Richard, le juge Pamel a fait remarquer que la décision concernant l’admissibilité au PCSST est « extrêmement importante pour les survivants de la thalidomide; il s’agit là d’une question de dignité humaine et de qualité de vie, voire même de vie ou de mort »
.
A. L’administrateur était-il autorisé à demander une autre recommandation au CMD lorsqu’il a réexaminé sa décision initiale?
[32] Selon Mme Blair, ni le Décret de 2019 ni l’entente de règlement à l’égard du PCST ne prévoient la possibilité que l’administrateur sollicite une autre recommandation du CMD lorsqu’il procède au nouvel examen de sa décision initiale relative à l’admissibilité d’un demandeur. Elle soutient que le CMD s’est vu accorder à tort l’occasion de justifier sa recommandation.
[33] À la page 11 du protocole de demande d’un nouvel examen du PCSST, il est précisé ce qui suit :
Demandes de nouvel examen présentées par écrit
i. Si l’administrateur détermine que le formulaire de demande de nouvel examen est complet et qu’il contient des renseignements relatifs au nouvel examen, le dossier sera transmis au comité [multidisciplinaire] aux fins d’examen et de recommandation à l’administrateur concernant la question de savoir si le demandeur devrait être jugé admissible au PCSST.
[34] Mme Blair fait remarquer que le protocole de nouvel examen a été créé par l’administrateur et n’a été publié qu’après qu’elle eut présenté sa demande de nouvel examen.
[35] La Cour d’appel fédérale a confirmé que le décideur administratif est maître de sa propre procédure. Il possède les pouvoirs qui lui sont conférés expressément ou implicitement par la loi. Un des pouvoirs implicites dont la plupart des décideurs administratifs disposent est la capacité de concevoir la procédure nécessaire pour s’acquitter de leur mandat législatif explicite, dans la mesure où elle est conforme à la loi et à toute exigence d’équité (Hillier c Canada (Procureur général), 2019 CAF 44 au para 10).
[36] Aux termes de l’alinéa 3(5)c) du Décret de 2019, l’administrateur doit prendre sa décision après avoir reçu la recommandation du CMD. L’article 4.05 de l’entente de règlement à l’égard du PCST prévoit notamment ce qui suit :
[traduction]
4.05 Processus de nouvel examen
[…] Les membres du groupe dont la demande est rejetée à la troisième étape, décrite au paragraphe 3(7) du décret, soit après la recommandation du comité multidisciplinaire, auront le droit de soumettre des observations écrites et/ou ils auront droit à une audience avec le tiers administrateur et au moins un représentant du comité multidisciplinaire. […]
[37] Lorsqu’une loi habilitante permet au décideur d’obtenir une opinion médicale, on peut en déduire que celui-ci n’a aucune expertise médicale particulière; le décideur ne peut pas rejeter une opinion médicale en l’absence de réserves quant à la crédibilité ou de preuve contraire (Thériault c Canada (Procureur Général), 2006 CF 1070 aux para 56-57; Rivard c Canada (Procureur Général), 2001 CFPI 704 aux para 39-43).
[38] Le Décret de 2019 et l’entente de règlement à l’égard du PCST permettent tous deux à l’administrateur de faire appel à l’expertise du CMD lorsqu’il rend sa décision initiale à l’étape 3 et lors d’une audience en cas de demande de nouvel examen. Ces dispositions donnent à penser que l’administrateur n’a aucune expertise médicale particulière et qu’il n’est pas suffisamment qualifié pour effectuer les évaluations médicales spécialisées nécessaires sans l’aide du CMD.
[39] Il n’y a aucune raison pratique d’empêcher l’administrateur de solliciter la recommandation du CMD dans le cadre du nouvel examen d’une décision antérieure, d’autant plus que la demande de nouvel examen peut être accompagnée de nouveaux renseignements médicaux que le CMD n’a pas encore examinés. Le Décret de 2019 et l’entente de règlement à l’égard du PCST étayent la conclusion selon laquelle l’administrateur peut et, dans la plupart des cas, doit solliciter une autre recommandation du CMD avant de rendre une décision à la suite d’une demande de nouvel examen.
[40] Il était loisible à l’administrateur de solliciter une autre recommandation du CMD lorsqu’il a réexaminé sa décision initiale. Il s’agissait d’un choix procédural fait par l’administrateur en tant que maître de sa propre procédure et la Cour doit faire preuve de retenue à cet égard.
B. L’administrateur était-il autorisé à adopter la recommandation formulée par le CMD à la suite du nouvel examen?
[41] Lorsqu’une décision administrative ne contient aucun motif ou seulement de brefs motifs, le rapport ou la recommandation ayant mené à la décision peut être considéré comme éclairant les motifs de la décision (Virgen c Canada (Procureur général), 2022 CF 1544 au para 46, renvoyant à Saber & Sone Group c Canada (Revenu national), 2014 CF 1119 au para 23; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 au para 37).
[42] Toutefois, le décideur ne doit pas entraver l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en approuvant aveuglément un rapport qui recommande un résultat particulier (Saulteaux c Première Nation Carry the Kettle, 2022 CF 1435 au para 89, renvoyant à Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299 au para 24). Il doit confirmer qu’il a tenu compte des conclusions du rapport et des observations en réponse déposées par les parties (Greaves c Banque Royale du Canada, 2019 CF 994 au para 38).
[43] La décision rendue par l’administrateur à la suite du nouvel examen est libellée en partie ainsi :
[traduction]
Le CMD a transmis sa recommandation écrite à l’administrateur du PCSST en se fondant sur la totalité des renseignements contenus dans la demande de nouvel examen, y compris tous les formulaires de demande et renseignements à l’appui que vous avez soumis au PCSST, le rapport valiDATE généré par l’algorithme de diagnostic à l’étape 2, et tout autre renseignement qu’il jugeait pertinent.
L’administrateur du PCSST a examiné attentivement la recommandation du CMD et a déterminé que vous n’êtes pas admissible au PCSST. L’administrateur du PCSST souscrit à la recommandation du CMD pour les motifs contenus dans le document ci-joint.
[44] Comme en témoigne le texte de la décision, l’administrateur a examiné attentivement la recommandation du CMD avant de décider d’y souscrire. La décision de l’administrateur a été communiquée à Mme Blair plusieurs jours après la remise de la recommandation formulée par le CMD à la suite du nouvel examen. Rien n’indique que l’administrateur a indûment entravé son pouvoir discrétionnaire ou a approuvé aveuglément la recommandation sans prendre le temps nécessaire pour l’examiner.
[45] Comme elle fait partie des motifs de l’administrateur, la recommandation formulée par le CMD à la suite du nouvel examen est donc susceptible de contrôle par la Cour. Si, dans ses motifs, le CMD n’explique pas suffisamment bien pourquoi sa recommandation s’écarte des conclusions tirées aux étapes 1 et 2 du processus de demande, alors la décision de l’administrateur sera également déraisonnable.
C. La décision de l’administrateur était-elle raisonnable?
[46] Mme Blair conteste le caractère raisonnable de la décision de l’administrateur pour trois motifs : (1) l’administrateur a écarté de manière déraisonnable le résultat du rapport valiDATE; (2) l’administrateur a rejeté de manière déraisonnable la preuve de la prise de thalidomide par la mère de la demanderesse; et (3) l’administrateur a appliqué de manière déraisonnable une norme diagnostique plutôt que la prépondérance des probabilités.
(1) L’administrateur a-t-il écarté de manière déraisonnable le résultat du rapport valiDATE?
[47] L’alinéa 4.02c) de l’entente de règlement relatif au PCST stipule que le CMD doit tenir compte du résultat obtenu à l’étape 2 avant de formuler sa recommandation :
[traduction]
L’algorithme de diagnostic mentionné aux paragraphes 3(5) et 3(6) du décret, qui doit être utilisé à la deuxième étape du processus par le tiers administrateur en tant qu’outil de diagnostic, est connu sous le nom d’algorithme de diagnostic de l’embryopathie due à la thalidomide ou valiDATE. Il sera pris en compte par le comité multidisciplinaire dont il est question dans le décret pour déterminer l’admissibilité d’une personne au programme au titre de l’alinéa 3(1)c) du décret.
[48] Le paragraphe 3(7) du Décret de 2019 prévoit que le CMD fonde sa recommandation sur « l’ensemble des renseignements relatifs à la demande et sur toute autre donnée qu’il juge pertinente »
.
[49] Les droits de propriété de l’algorithme valiDATE sont exclusifs et ses propriétaires n’ont pas expliqué de quelle façon l’outil traite les renseignements obtenus à partir du questionnaire du candidat. Le CMD n’a discuté de l’algorithme valiDATE que dans sa recommandation précédant la décision initiale de l’administrateur, qui n’est pas l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Dans la mesure où la recommandation initiale du CMD a éclairé son nouvel examen, l’extrait suivant de la recommandation est pertinent :
[traduction]
L’application de l’algorithme valiDATE a amené l’administrateur du programme à renvoyer la demande au [CMD] pour qu’il l’examine. Cependant, le comité a conclu qu’il ne devrait pas uniquement fonder sa recommandation sur le résultat de l’analyse par l’algorithme valiDATE. […]
[…] le comité ne dispose d’aucun élément qui lui permette de connaître les hypothèses à partir desquelles l’algorithme a été calculé, de savoir si les hypothèses sur lesquelles repose l’algorithme correspondent à l’état actuel des connaissances médicales en matière d’étiologie de l’embryopathie due à la thalidomide, d’évaluer la mesure dans laquelle l’application de l’algorithme a produit des résultats faussement positifs ou faussement négatifs, ou d’évaluer l’incidence que les biais, quoiqu’involontaires, ont pu avoir sur le développement de l’algorithme. À des fins de comparaison, le [CMD] n’a pas eu l’occasion d’évaluer les données cliniques se rapportant à une demande dont le résultat de l’algorithme ne correspondrait pas à une conclusion d’embryopathie due à la thalidomide. […]
[50] Mme Blair affirme que le CMD n’a pas tenu compte de l’article écrit par les créateurs de valiDATE qui traite de l’algorithme et de sa fonction d’aide au diagnostic de l’embryopathie due à la thalidomide (Mansour S. et al, « A clinical review and introduction of the diagnostic algorithm for thalidomide embryopathy »
(2019) 44:1 Journal of Hand Surgery (European Volume) 96 [Mansour 2019]).
[51] L’article Mansour 2019 ne figure pas dans le dossier certifié du tribunal. Même s’il avait été présenté devant le CMD, l’article a été rédigé alors que le logiciel et les seuils de notation étaient encore en cours d’élaboration (Mansour 2019, à la p 107). De plus, les auteurs de l’article reconnaissent que, dans la pratique, un clinicien entrerait les données cliniques du patient, et le logiciel valiDATE déterminerait ensuite la « probabilité »
que les malformations du patient aient été causées par la thalidomide : [traduction] « De toute évidence, l’exactitude de cette évaluation dépendra de l’information fournie par le clinicien. »
Par conséquent, l’algorithme [traduction] « fonctionne comme une aide au diagnostic plutôt que comme un test autonome »
(Mansour 2019, à la p 108; figure 5, à la p 107).
[52] Le CMD a également fourni une explication cohérente pour justifier le rejet du résultat du rapport valiDATE. Dans sa recommandation formulée à la suite du nouvel examen, le CMD a conclu que Mme Blair avait reçu un diagnostic erroné de phocomélie :
[traduction]
Plusieurs des lettres, notes et documents cliniques faisant partie du dossier et des documents fournis dans le cadre du nouvel examen indiquent que la demanderesse souffre d’une « phocomélie partielle » dans le bras gauche […] La définition médicale de la phocomélie est l’absence ou le sous-développement sévère d’un ou plusieurs os longs des membres de l’embryon, de sorte que les doigts ou les orteils sont attachés à une partie du membre sans la présence d’un os long intermédiaire développé normalement. […]
[Mme Blair] présente un léger raccourcissement de l’humérus, du radius et de l’ulna du bras gauche, les doigts s’articulant à partir du radius et l’ulna. L’anomalie du membre est présente dans le développement des doigts et du pouce, ce qui ne constitue pas une phocomélie. Il serait plus approprié dans ce cas de parler d’une « hypoplasie » des doigts de la main gauche.
[53] Dans le questionnaire rempli à l’étape 2, Mme Blair a notamment donné les réponses suivantes au sujet du haut et du bas de son corps, respectivement :
[traduction]
Y a-t-il une amélie et/ou une phocomélie au niveau de certains doigts?
GAUCHE UNILATÉRALE
[…]
Y a-t-il une amélie et/ou une phocomélie au niveau de certains orteils?
INCERTAIN
[54] Selon l’article Mansour 2019, à la page 102, la phocomélie ou l’amélie des membres supérieurs est [traduction] « typique d’une embryopathie classique due à la thalidomide et très évocatrice de l’embryopathie due à la thalidomide (se produit rarement autrement) »
. Une réponse au questionnaire indiquant la présence d’amélie et/ou de phocomélie influera inévitablement sur le résultat de l’algorithme.
[55] La conclusion du CMD selon laquelle Mme Blair a reçu un diagnostic erroné d’amélie et/ou de phocomélie constituait un motif légitime de douter du résultat du rapport valiDATE. Mme Blair n’a pas démontré que le CMD, et donc l’administrateur, a écarté de façon déraisonnable le résultat du rapport valiDATE.
(2) L’administrateur a-t-il rejeté de manière déraisonnable la preuve de la prise de thalidomide par la mère de la demanderesse?
[56] Mme Blair affirme que le CMD a examiné la preuve concernant la prise de thalidomide par sa mère en appliquant une norme de preuve élevée qui a été écartée dans les décisions Briand et Rodrigue.
[57] Mme Blair a présenté des documents médicaux dans lesquels de nombreux médecins décrivaient ses malformations comme étant liées à la thalidomide. Elle a également présenté des affidavits souscrits par son frère et sa sœur, qui ont déclaré qu’il était connu dans leur famille que leur tante avait donné un échantillon de thalidomide à leur mère quand elle était enceinte.
[58] Le frère aîné de Mme Blair, qui était âgé de 11 ans à l’époque pertinente, a déclaré ce qui suit aux paragraphes 6 à 8 de son affidavit :
[traduction]
Je vivais à la maison […] et j’ai commencé à entendre beaucoup de reportages dans les médias sur des enfants qui naissaient avec de graves malformations partout dans le monde. […]
Vers cette époque (1961), j’ai également appris que notre propre mère […] avait pris un médicament pour les nausées, apparemment obtenu par sa sœur […] une professionnelle de la santé qui travaillait auGreat War Memorial Hospitalà Perth, en Ontario.
À l’époque de l’importante couverture médiatique et des reportages qui ont suivi sur le danger de la thalidomide pour les femmes enceintes, il y avait des discussions constantes à la maison sur le fait que ma mère avait pris le médicament et on s’inquiétait beaucoup pour le bébé à naître […]
[59] Le CMD a conclu ce qui suit :
[traduction]
[…] le CMD accepte la position de [Mme Blair] selon laquelle sa mère a pris, au cours du premier trimestre de sa grossesse, un échantillon de thalidomide qui lui avait été fourni par sa sœur. […] [L]a question fondamentale est celle de savoir si la conclusion selon laquelle la mère de [Mme Blair] a pris de la thalidomide était justifiée compte tenu des anomalies congénitales de cette dernière.
[60] Dans la décision Briand, la mère de la demanderesse et son médecin étaient décédés avant que la demanderesse ne présente une demande de prestations au titre du PCST, et un incendie avait détruit les dossiers d’hospitalisation de sa mère. La preuve de la demanderesse comprenait son propre souvenir que sa mère lui avait souvent dit qu’elle avait pris de la thalidomide, l’affidavit souscrit par sa tante attestant la même chose et des références à des discussions avec son ancien médecin attribuant ses malformations à la thalidomide. Le juge Annis a conclu que, pris ensemble, les éléments de preuve permettaient de « conclure à une importante valeur de persuasion qui se rapproche d’une conclusion appartenant aux issues possibles acceptables »
(Briand, au para 54).
[61] Dans la décision Briand, la preuve de la demanderesse était corroborée, du moins en partie, par le témoignage d’une autre femme à qui le même médecin avait prescrit de la thalidomide pour soigner des nausées pendant la grossesse. Le juge Annis a conclu que ce témoignage suffisait « à établir de manière très persuasive que la mère de la demanderesse a[vait] probablement ingéré de la thalidomide durant le premier trimestre de sa grossesse »
(Briand, au para 55).
[62] Dans la décision Rodrigue, le demandeur n’a pas été en mesure de fournir une preuve directe que sa mère avait pris de la thalidomide, car sa mère et le médecin de sa mère étaient tous deux décédés et les dossiers d’hospitalisation avaient été perdus dans une inondation. Le juge Annis a conclu que la décision de rejeter la demande en raison de l’absence de preuve directe était déraisonnable, mais a renvoyé l’affaire pour nouvelle décision (Rodrigue, au para 14) :
La preuve du demandeur ne confère pas la même valeur persuasive que dans Briand, laquelle était corroborée par un témoin indépendant. Les deux énoncés de la mère du demandeur, prononcés apparemment plusieurs années après la naissance du demandeur, sans autre corroboration, sont au mieux, la preuve d’une grande possibilité, et non d’une probabilité, que l’ingestion de thalidomide était la cause des malformations du demandeur. Il incombe au représentant du ministre de conclure si l’ensemble de la preuve […] est suffisante pour conclure que le demandeur répond aux critères d’admissibilité pour recevoir un soutien financier en vertu du Programme.
[63] Dans le cas de Mme Blair, la preuve indirecte de la prise de thalidomide par sa mère au cours du premier trimestre de sa grossesse consiste en ses propres souvenirs, ainsi que ceux de son frère et sa sœur, selon lesquels leur mère avait pris un échantillon de thalidomide fourni par leur tante. Dans son journal intime datant de la fin des années 1980, la mère de la demanderesse mentionne la thalidomide, mais on ne sait pas très bien quelle importance il convient d’y accorder. Dans sa plaidoirie, l’avocat de Mme Blair a souligné le nombre élevé de survivants de la thalidomide dans la petite ville de Perth, en Ontario (trois cas signalés sur une population d’environ 6 000 habitants), mais il est difficile de savoir si on peut en tirer des conclusions fiables.
[64] De nombreux médecins ont attribué les malformations de Mme Blair au fait que sa mère avait pris de la thalidomide. La recommandation formulée par le CMD à la suite du nouvel examen indique notamment ce qui suit :
[traduction]
Le CMD est conscient du fait que, dans l’ensemble du dossier et des documents fournis dans le cadre du nouvel examen, les anomalies congénitales de la demanderesse sont attribuées à « l’exposition à la thalidomide ». Le CMD ne trouve rien dans les documents qui indique la source ou le diagnostic initial à partir duquel cette observation répétée a été faite. Au contraire, elle semble avoir été acceptée comme un fait par de nombreux médecins examinateurs, sans explication supplémentaire. Rien dans les documents n’indique que la demanderesse a été examinée par un spécialiste de l’embryopathie due à la thalidomide ou qu’elle a reçu un diagnostic d’un tel spécialiste. Les renvois répétés à l’exposition à la thalidomide découlent probablement du fait que les membres de la famille se souvenaient que leur mèreavait pris un comprimé de thalidomideprovenant d’un échantillon que sa sœur lui avait fourni, et de l’idée fausse selon laquelle toute anomalie d’un membre serait attribuable à la thalidomide.
[65] Depuis les décisions Briand et Rodrigue rendues par notre Cour, les demandeurs ne sont plus tenus de présenter une preuve directe de la prise de thalidomide par leur mère. La norme de preuve a été assouplie, car on reconnaît que les événements en question se sont produits il y a des décennies et que les éléments de preuve à l’appui peuvent être difficiles à obtenir en raison du temps qui s’est écoulé.
[66] Toutefois, l’assouplissement de la norme de preuve ne dispense pas un demandeur de l’obligation de présenter une preuve suffisante de la prise de thalidomide par sa mère qui, combinée au reste de la preuve, permet d’établir l’admissibilité au PCSST.
[67] La demande de Mme Blair n’a pas été rejetée à un stade préliminaire, ce qui aurait empêché « la considération de tout autre élément de preuve susceptible de démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’elle était victime de la thalidomide »
(Briand, au para 46). Sa demande a été soumise au CMD à deux reprises, et la preuve relative à la prise de thalidomide par sa mère a été soigneusement examinée dans le contexte de l’ensemble de sa demande.
[68] Mme Blair n’a pas démontré que le CMD, et donc l’administrateur, a écarté de façon déraisonnable la preuve selon laquelle sa mère avait pris de la thalidomide.
(3) L’administrateur a-t-il appliqué de manière déraisonnable une norme diagnostique plutôt que la prépondérance des probabilités?
[69] Mme Blair soutient que le CMD a appliqué une norme diagnostique, plutôt que la norme de la prépondérance des probabilités, puisqu’elle a cherché à [traduction] « confirmer »
qu’elle était atteinte d’une embryopathie due à la thalidomide. Selon elle, son strabisme ou syndrome de Duane, ses lésions aux organes internes et ses anomalies de la colonne vertébrale sont tous des caractéristiques de l’embryopathie due à la thalidomide.
[70] Les critiques formulées par Mme Blair à l’égard de l’analyse du CMD visent la recommandation initiale de celui-ci. Dans sa recommandation formulée à la suite du nouvel examen, le CMD a déclaré ce qui suit :
[traduction]
Il est important de noter que le CMD ne peut se prononcer que sur la question de savoir si les renseignements fournis dans le cadre du nouvel examen confirment, selon la prépondérance des probabilités, que [Mme Blair] est une victime de la thalidomide. Le rôle du CMD n’est pas de diagnostiquer d’autres affections ou maladies qui pourraient expliquer les anomalies congénitales, mais il peut, dans certains cas, suggérer d’autres causes possibles dans sa lettre de recommandation.
[71] Le CMD a reconnu que Mme Blair a souffert tout au long de sa vie d’une série de problèmes physiques et mentaux graves, dont les suivants :
[traduction]
● certaines caractéristiques du syndrome sec dont l’incapacité à produire des larmes lorsqu’elle pleure et larmes de crocodile;
● strabisme corrigé chirurgicalement en 2001;
● migraines;
● douleurs chroniques au cou;
● dégénérescence discale à plusieurs niveaux;
● arthropathie articulaire à plusieurs niveaux;
● arthrose modérée;
● sténose de la colonne cervicale et myélopathie légère;
● pneumatisation des sinus et des mastoïdes;
● déformation de la racine des dents;
● hypoplasie de la main et du bras gauches; doigts boudinés associés à une perte de force en flexion et en opposition du pouce, à une réduction du mouvement et à de la douleur dans son poignet et son avant-bras en 1988, à des os métacarpiens courts dans quatre doigts, en particulier les deux du milieu, à une tendinite des extenseurs et à une ostéopénie des os du métacarpe;
● phalanges légèrement inhabituelles dans la main droite associées à une absence de flexion et d’opposition du pouce au niveau de l’articulation métacarpo-phalangienne et à une flexion minime du pouce à l’articulation interphalangienne;
● douleurs bilatérales chroniques signalées à l’épaule, y compris des difficultés à lever les bras;
● spondylarthrite ankylosante;
● syndrome de Raynaud au niveau des doigts;
● syndrome de Raynaud au niveau des orteils;
● saignement rectal corrigé chirurgicalement en 2012;
● sensationde picotements bilatérale aux chevilles observée lors de l’application d’un test de monofilament;
● incapacité signalée à porter complètement le poids sur le côté droit et douleur à la hanche et au genou gauches;
● fibromyalgie, dépression, hypertension, constipation chronique causée par les analgésiques, trois lésions de 5 mm dans le rein droit et de multiples foyers échogènes observés dans la rate.
[72] Le CMD a tiré la conclusion suivante :
[traduction]
[Mme Blair] présente un léger raccourcissement de l’humérus, du radius et de l’ulna du bras gauche, les doigts s’articulant à partir du radius et de l’ulna. L’anomalie du membre est présente dans le développement des doigts et du pouce, ce qui ne constitue pas une phocomélie. Il serait plus approprié dans ce cas de parler d’une « hypoplasie » des doigts de la main gauche.
Le CMD reconnaît que le rein droit de la demanderesse est plus gros que le rein gauche et qu’il y a des signes de lésions hépatiques. Selon l’expérience des experts de la thalidomide siégeant au CMD, la prise de la thalidomide dans les premiers stades de la grossesse provoque des lésions congénitales importantes et généralisées des organes internes, ce qui est confirmé par la littérature médicale.
[…] Compte tenu des connaissances accumulées sur le mécanisme d’action et de présentation de l’embryopathie due à la thalidomide, le CMD, qui comprend des experts de l’embryopathie due à la thalidomide, est d’avis que les anomalies congénitales de [Mme Blair] ne correspondent pas à l’embryopathie due à la thalidomide.
Le CMD est également conscient du fait que 3 % de toutes les naissances vivantes présentent une forme ou une autre d’anomalie congénitale. Dans la majorité des cas, la cause est inconnue. Des cas de ce genre se seraient également produits au cours de la période pendant laquelle la thalidomide était offerte.
[73] Mme Blair soutient que le CMD a écarté à tort la phocomélie, un indicateur important de l’embryopathie due à la thalidomide, et n’a jamais confirmé qu’elle ne présentait pas de raccourcissement ou de perte des os longs. Elle fait remarquer que, lors d’une réunion de l’Organisation mondiale de la santé, à laquelle ont assisté deux membres du CMD, les participants ont discuté de l’exercice difficile qui consiste à cerner un [traduction] « ensemble d’effets fondamentaux »
liés à la thalidomide. Bien que les effets probables puissent être cernés, il existe également des effets possibles qui sont observés moins fréquemment. Elle affirme que le CMD a appliqué une norme de certitude aux indicateurs d’embryopathie due à la thalidomide et qu’il n’a pas tenu compte du fait que les types de malformation peuvent varier d’une personne à l’autre. Elle fait observer que le CMD n’a jamais exigé d’autres tests, comme il était habilité à le faire.
[74] Le défendeur répond que le CMD avait le pouvoir discrétionnaire d’exiger d’autres tests, mais qu’il n’était pas tenu de le faire, à moins qu’il ne le juge nécessaire pour formuler une recommandation. Malgré l’assouplissement de la norme de preuve, il incombait à Mme Blair de présenter des éléments de preuve suffisants pour démontrer son admissibilité au PCSST.
[75] Les cours de révision doivent s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur. Les motifs du décideur doivent être interprétés en tenant dûment compte du contexte administratif dans lequel ils ont été donnés, en gardant à l’esprit que la « justice administrative »
ne ressemblera pas toujours à la « justice judiciaire »
(Vavilov, aux para 125 et 92). Comme la Cour suprême du Canada l’a affirmé au paragraphe 93 de l’arrêt Vavilov :
L’attention respectueuse accordée à l’expertise établie du décideur peut indiquer à une cour de révision qu’un résultat qui semble déroutant ou contre-intuitif à première vue est néanmoins conforme aux objets et aux réalités pratiques du régime administratif en cause et témoigne d’une approche raisonnable compte tenu des conséquences et des effets concrets de la décision. Lorsqu’établies, cette expérience et cette expertise peuvent elles aussi expliquer pourquoi l’analyse d’une question donnée est moins étoffée.
[76] Mme Blair n’a pas démontré que le CMD, et donc l’administrateur, a appliqué de manière déraisonnable une norme diagnostique plutôt que la prépondérance des probabilités.
VIII. Conclusion
[77] Depuis l’âge de sept ans, Mme Blair s’est toujours fait dire que ses malformations avaient été causées par le fait que sa mère avait pris un échantillon de thalidomide que lui avait fourni la sœur de sa mère. La famille a souffert d’une profonde détresse émotionnelle en raison de cette situation et une grande partie de la vie de Mme Blair a été façonnée par ce récit.
[78] La Cour a beaucoup de sympathie pour les personnes qui attribuent de bonne foi leurs anomalies congénitales à la thalidomide et qui sollicitent l’appui du gouvernement. Il est possible que les malformations et autres problèmes de santé de Mme Blair soient une manifestation atypique d’embryopathie due à la thalidomide. Quoi qu’il en soit, les motifs de l’administrateur permettent à la Cour de comprendre le raisonnement ayant mené à la décision. La décision est justifiée, intelligible et transparente et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[79] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Avec l’accord des parties, aucuns dépens ne seront adjugés.
JUGEMENT
LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire sans dépens.
«Simon Fothergill»
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Blain McIntosh, jurilinguiste principale
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-1745-24 |
INTITULÉ : |
BARBARA BLAIR c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario) |
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 9 AVRIL 2025 |
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE FOTHERGILL |
DATE DES MOTIFS : |
le 17 juillet 2025 |
COMPARUTIONS :
David Rosenfeld Sue Tan |
POUR LA DEMANDERESSE |
Christine Mohr Margaret Cormack |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
KOSKIE MINSKY LLP Avocats Toronto (Ontario) |
POUR LA DEMANDERESSE |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |