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Date : 20060914

Dossier : T-2213-05

Référence : 2006 CF 1098

Calgary (Alberta), le 14 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

GREENPIPE INDUSTRIES LTD.

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Greenpipe Industries Ltd. (Greenpipe) a appris tardivement qu’elle avait le droit de réclamer des crédits d’impôt dans le cadre du programme de la recherche scientifique et du développement expérimental (RS&DE) pour les années d’imposition 1996, 1997 et 1998, mais elle ne l’a pas fait. En 2003, elle a demandé au défendeur d’accepter la production de déclarations T2 modifiées pour y inclure des demandes relatives à la RS&DE pour ces années. Le défendeur a refusé pour le motif que les demandes étaient prescrites. Les demandes pour un nouvel examen ont été refusées. Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire présentée par Greenpipe visant la décision du ministre, le défendeur, relativement aux dispositions d’équité de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, (la Loi), datée du 25 août 2005.  

 

[2]               En 1995, Greenpipe, une société enregistrée en Alberta, a conclu une entente avec Imperial Oil Resources Ltd. (Imperial) pour la création d’un programme informatique sur la gestion de l’intégrité des pipelines. En 1995, la demanderesse a produit à temps les formulaires prescrits pour les demandes relatives à la RS&DE et le défendeur les a acceptés. À l’origine, Imperial a financé le travail pour une période de trois ans au cours desquels la demanderesse a produit des déclarations T2 sans réclamer les crédits d’impôt pour la RS&DE disponibles relativement au programme de création du logiciel. Selon la demanderesse, pendant cette période, elle croyait qu’Imperial détenait les droits d’auteur du logiciel et que Greenpipe ne pouvait donc pas réclamer les crédits pour la RS&DE pour ces années. 

 

[3]               Imperial a cessé de financer Greenpipe en 1999. Greenpipe a produit des demandes relatives à la RS&DE relativement au logiciel pour les années d’imposition 1999 à 2001. Ces demandes ont été produites à temps et le défendeur les a vérifiées et acceptées.

 

[4]               En juin 2000, Imperial a précisé dans une lettre qu’elle ne réclamait pas la propriété du logiciel, mais uniquement l’utilisation du code source, sous réserve de conditions à négocier avec Greenpipe. La demanderesse a par la suite demandé un avis juridique qui, en décembre 2000, a confirmé qu’elle détenait seule la propriété des droits d’auteur du logiciel. Aucune mesure n’a été prise immédiatement afin de réclamer les crédits pour la RS&DE pour les trois années où ils n’avaient pas été réclamés. Selon la demanderesse, le retard était attribuable à un autre différend concernant la propriété de droits d’auteur dans lequel l’entreprise était engagée qui n’a été résolu en sa faveur qu’en septembre 2002.  

 

[5]               Le 26 août 2003, la demanderesse a demandé au défendeur d’accepter la production de déclarations T2 modifiées pour y inclure les demandes relatives à la RS&DE pour 1996, 1997 et 1998. Dans une lettre datée du 10 septembre 2003, le défendeur a refusé la production des déclarations T2 modifiées. En résumé, la lettre indiquait que les dispositions d’équité de la Loi ne permettaient pas de changement aux exigences en matière de production pour les déclarations de revenus des sociétés.

 

[6]               Le 20 novembre 2003, la demanderesse a réclamé une renonciation aux dates d’échéance prévues par la Loi pour le dépôt des demandes relatives à la RS&DE. Plusieurs réunions et des observations écrites supplémentaires s’en sont suivies, ce qui a mené à une troisième demande de renonciation de la demanderesse par l’intermédiaire de ses avocats en mai 2005. Cette demande a été rejetée dans une lettre datée du 25 août 2005. Cette lettre constitue la décision faisant l’objet de la présente procédure.  

 

[7]               La lettre du 25 août 2005 renvoyait à des explications fournies par le défendeur dans une lettre datée du 7 mars 2005. Cette dernière lettre expose le contexte de la controverse de façon assez détaillée et présente l’analyse menée par les agents du défendeur au sujet des observations soumises par la demanderesse en plusieurs occasions. 

 

QUESTIONS

[8]               Les questions peuvent être formulées ainsi :

1.      Le défendeur a-t-il commis une erreur en concluant que les demandes produites en 2003 pour les années d’imposition 1996, 1997 et 1998 étaient prescrites?

2.      Si l’on présume que les demandes n’étaient pas prescrites, le défendeur a-t-il restreint l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et omis de prendre en considération les observations de la demanderesse?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5suppl.), ch. 1

Income Tax Act, R.S. 1985, c. 1 (5th Supp.)

 

 

37.  (11) Sous réserve du paragraphe (12), un montant n'est déductible en application du paragraphe (1) au titre d'une dépense qu'un contribuable engagerait, compte non tenu du paragraphe 78(4), au cours d'une année d'imposition qui commence après 1995 que s'il présente au ministre, au plus tard douze mois après la date d'échéance de production qui lui est applicable pour l'année, un formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits relativement à la dépense.

 

37.  (11) Subject to subsection 37(12), no amount in respect of an expenditure that would be incurred by a taxpayer in a taxation year that begins after 1995 if this Act were read without reference to subsection 78(4) may be deducted under subsection 37(1) unless the taxpayer files with the Minister a prescribed form containing prescribed information in respect of the expenditure on or before the day that is 12 months after the taxpayer's filing-due date for the year.

 

37.  (12) Pour l'application de la présente loi, la dépense à l'égard de laquelle un contribuable n'a pas produit un formulaire prescrit en conformité avec le paragraphe (11) est réputée ne pas être une dépense relative à des activités de recherche scientifique et de développement expérimental

37.  (12) If a taxpayer has not filed a prescribed form in respect of an expenditure in accordance with subsection 37(11), for the purposes of this Act, the expenditure is deemed not to be an expenditure on or in respect of scientific research and experimental development.

 

152. (1) Le ministre, avec diligence, examine la déclaration de revenu d'un contribuable pour une année d'imposition, fixe l'impôt pour l'année, ainsi que les intérêts et les pénalités éventuels payables et détermine:

a) le montant du remboursement éventuel auquel il a droit en vertu des articles 129, 131, 132 ou 133, pour l'année

 

b) le montant d'impôt qui est réputé, par les paragraphes 120(2) ou (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 125.4(3), 125.5(3), 127.1(1), 127.41(3) ou 210.2(3) ou (4), avoir été payé au titre de l'impôt payable par le contribuable en vertu de la présente partie pour l'année.

 

152. (1) The Minister shall, with all due dispatch, examine a taxpayer's return of income for a taxation year, assess the tax for the year, the interest and penalties, if any, payable and determine

 

(a) the amount of refund, if any, to which the taxpayer may be entitled by virtue of section 129, 131, 132 or 133 for the year; or

 

(b) the amount of tax, if any, deemed by subsection 120(2) or (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 125.4(3), 125.5(3), 127.1(1), 127.41(3) or 210.2(3) or (4) to be paid on account of the taxpayer's tax payable under this Part for the year.

 

152.  (4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l'impôt pour une année d'imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu'aucun impôt n'est payable pour l'année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d'imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l'année que dans les cas suivants:

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration:

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

(ii) soit a présenté au ministre une renonciation, selon le formulaire prescrit, au cours de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l'année;

b) la cotisation est établie avant le jour qui suit de trois ans la fin de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l'année et, selon le cas:

(i) est à établir en conformité au paragraphe (6) ou le serait si le contribuable avait déduit un montant en présentant le formulaire prescrit visé à ce paragraphe au plus tard le jour qui y est mentionné,

(ii) est établie par suite de l'établissement, en application du présent paragraphe ou du paragraphe (6), d'une cotisation ou d'une nouvelle cotisation concernant l'impôt payable par un autre contribuable,

[…]

 

152.  (4) The Minister may at any time make an assessment, reassessment or additional assessment of tax for a taxation year, interest or penalties, if any, payable under this Part by a taxpayer or notify in writing any person by whom a return of income for a taxation year has been filed that no tax is payable for the year, except that an assessment, reassessment or additional assessment may be made after the taxpayer's normal reassessment period in respect of the year only if

 

 

(a) the taxpayer or person filing the return

(i) has made any misrepresentation that is attributable to neglect, carelessness or wilful default or has committed any fraud in filing the return or in supplying any information under this Act, or

 

(ii) has filed with the Minister a waiver in prescribed form within the normal reassessment period for the taxpayer in respect of the year; or

 

(b) the assessment, reassessment or additional assessment is made before the day that is 3 years after the end of the normal reassessment period for the taxpayer in respect of the year and

(i) is required pursuant to subsection 152(6) or would be so required if the taxpayer had claimed an amount by filing the prescribed form referred to in that subsection on or before the day referred to therein,

(ii) is made as a consequence of the assessment or reassessment pursuant to this paragraph or subsection 152(6) of tax payable by another taxpayer,

 

[…]

 

152.  (4.3) Malgré les paragraphes (4), (4.1) et (5), lorsqu'une cotisation ou une décision d'appel a pour effet de modifier un solde donné applicable à un contribuable pour une année d'imposition donnée, le ministre peut ou, si le contribuable en fait la demande par écrit, doit, avant le dernier en date du jour d'expiration de la période normale de nouvelle cotisation pour une année d'imposition subséquente et de la fin du jour qui tombe un an après l'extinction ou la détermination de tous les droits d'opposition ou d'appel relatifs à l'année donnée, établir une nouvelle cotisation à l'égard de l'impôt, des intérêts ou des pénalités payables, ou déterminer de nouveau un montant réputé avoir été payé, ou payé en trop, en vertu de la présente partie par le contribuable pour l'année subséquente, mais seulement dans la mesure où il est raisonnable de considérer que la nouvelle cotisation ou la détermination se rapporte à la modification du solde donné applicable au contribuable pour l'année donnée.

 

152.  (4.3) Notwithstanding subsections 152(4), 152(4.1) and 152(5), where the result of an assessment or a decision on an appeal is to change a particular balance of a taxpayer for a particular taxation year, the Minister may, or where the taxpayer so requests in writing, shall, before the later of the expiration of the normal reassessment period in respect of a subsequent taxation year and the end of the day that is one year after the day on which all rights of objection and appeal expire or are determined in respect of the particular year, reassess the tax, interest or penalties payable, or redetermine an amount deemed to have been paid or to have been an overpayment, under this Part by the taxpayer in respect of the subsequent taxation year, but only to the extent that the reassessment or redetermination can reasonably be considered to relate to the change in the particular balance of the taxpayer for the particular year.

 

 

220.  (2.1) Le ministre peut renoncer à exiger qu'une personne produise un formulaire prescrit, un reçu ou autre document ou fournisse des renseignements prescrits, aux termes d'une disposition de la présente loi ou de son règlement d'application. La personne est néanmoins tenue de fournir le document ou les renseignements à la demande du ministre.

 

220. (2.1) Where any provision of this Act or a regulation requires a person to file a prescribed form, receipt or other document, or to provide prescribed information, the Minister may waive the requirement, but the person shall provide the document or information at the Minister's request.

 

 

220.  (3) Le ministre peut en tout temps proroger le délai fixé pour faire une déclaration en vertu de la présente loi. Toutefois, il n'est pas tenu compte de la prorogation pour ce qui est du calcul d'une pénalité prévue à l'article 162 si la personne qui est passible de cette pénalité ne fait pas la déclaration dans le délai prorogé.

 

 

220.  (3) The Minister may at any time extend the time for making a return under this Act. However, the extension does not apply for the purpose of calculating a penalty that a person is liable to pay under section 162 if the person fails to make the return within the period of the extension.

 

 

ANALYSE

 

Norme de contrôle

 

[9]               Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux décisions relatives aux dispositions d’équité de la Loi est la décision raisonnable : Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 D.T.C. 5245, 2005 CAF 153. À la lumière de l’analyse pragmatique et fonctionnelle appliquée par la Cour d’appel dans cet arrêt, je ne vois aucune raison de répéter l’exercice. Dans la mesure où la présente affaire vise une décision relative à l’équité, je conviens que la norme de contrôle doit être la décision raisonnable. 

 

[10]           Comme l’a affirmé le juge Iacobucci dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56, « [e]st déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé.  En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion. »

 

[11]           Mon collègue le juge Sean Harrington a traité de la norme de la décision raisonnable dans Maloshicky c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2005] A.C.F. n1203 (QL), 2005 CF 978, au paragraphe 10, une affaire se rapportant également aux dispositions d’équité de la Loi de l’impôt sur le revenu, de la manière suivante : 

[…] Une décision raisonnable n'est pas nécessairement une décision correcte. Il y a plusieurs décisions raisonnables possibles. Je n'ai pas à me demander si j'aurais ou non rendu la même décision. La norme de la décision raisonnable veut que la décision attaquée ne soit pas remise en cause à moins qu'elle ne soit manifestement erronée, c'est‑à-dire fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits. [Références omises.]

 

[12]           La première question à trancher est de savoir si le défendeur a commis une erreur en concluant que les demandes étaient prescrites. Il s’agit d’une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Barrie Public Utilities c. Association canadienne de télévision par câble, [2003] 1 R.C.S. 476, 2003 CSC 28, au paragraphe 66; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, 2005 CSC 40, au paragraphe 37.

 

Les demandes sont-elles prescrites?

 

[13]           Selon le défendeur, le paragraphe 37(11) et l’alinéa 127(9)m) de la Loi prévoient qu’il ne peut être accordé de montant pour les dépenses relatives à la RS&DE et le crédit d’impôt à l’investissement à moins que les formulaires prescrits pour ces demandes ne soient présentés dans l’année suivant la date d’échéance de production du contribuable applicable pour l’année en question. Dans le cas de la demanderesse, cette date d’échéance survenait dix‑huit mois après la fin de chaque année d’imposition. L’article 220 de la Loi permet au ministre d’accepter les formulaires produits en retard, mais elle ne donne pas au ministre le pouvoir d’établir une nouvelle cotisation pour les années d’imposition par ailleurs exclues par le paragraphe 152(4) de la Loi. Les remboursements des crédits d’impôt à l’investissement remboursables se font conformément à l’article 164 de la Loi et nécessitent que le ministre établisse une cotisation ou une nouvelle cotisation.  

 

[14]           La demanderesse soutient qu’il ne s’agit pas d’établir une cotisation ou une nouvelle cotisation pour les années d’imposition 1996, 1997 et 1998, mais plutôt de déterminer en application de l’alinéa 152(1)b) de la Loi le montant d’impôt qui est réputé par le paragraphe 127.1(1) avoir été payé au titre de l’impôt payable par le contribuable en vertu de la partie I de la Loi en ce qui concerne les demandes relatives à la RS&DE pour les années où la demanderesse ne savait pas si elle y avait droit et où, par conséquent, elle n’a pas demandé le remboursement. 

 

[15]           Le paragraphe 152(4), selon la demanderesse, n’indique aucune date d’échéance pour « déterminer » ou « déterminer de nouveau ». Quand un montant est déterminé en application de l’alinéa 152(1)b) de la Loi, le montant d’impôt qui est réputé par le paragraphe 127.1(1) avoir été payé au titre de l’impôt payable par le contribuable en vertu de la partie I de la Loi pour cette année peut modifier le revenu imposable d’années subséquentes pour lesquelles le défendeur peut établir une nouvelle cotisation en vertu du paragraphe 152(4.3) de la Loi. 

 

[16]           La demanderesse invoque Alex Parallel Computers Research Inc. c. Canada (1998), 157 F.T.R. 247 (C.F.), [1998] A.C.F. n1742 (QL), (Alex Parallel) pour prétendre que le ministre peut renoncer à exiger la production de formulaires requis par la Loi, y compris les formulaires prescrits pour le dépôt d’une demande relative à la RS&DE. La décision Alex Parallel porte sur l’interprétation du paragraphe 220(2.1) de la Loi. D’après le défendeur, cette disposition ne s’applique qu’à la production de déclarations électroniques. Le juge Yvon Pinard a conclu que le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par cette disposition n’est pas limité à ce type de déclaration. 

 

[17]           À mon sens, la décision Alex Parallel ne vient pas en aide à la demanderesse, car les parties dans cette affaire s’étaient entendues pour déduire les dépenses de recherche du revenu imposable de la contribuable si des renseignements à l’appui étaient fournis avant une certaine date. La contribuable a produit les formulaires avec un mois de retard. Il ressort clairement de la décision que l’année d’imposition était [traduction] « ouverte » dans le sens où une nouvelle cotisation pour l’impôt dû cette année était établie dans le cadre d’une vérification. En l’espèce, il n’y avait ni vérification ni nouvelle cotisation. 

 

[18]           L’argument de la demanderesse selon lequel il ne s’agit pas de l’établissement d’une cotisation ou d’une nouvelle cotisation mais d’une détermination est original, mais n’est pas convaincant. De toute évidence, l’article 37 de la Loi permet au contribuable de déduire de son revenu imposable une dépense qu’il a faite au cours de l’année, ou d’une année précédente, pour des activités de recherche scientifique et de développement expérimental. Le but est de réduire le revenu imposable, donc l’impôt payable sur ce revenu. Pour profiter de cette réduction, le contribuable doit, conformément au paragraphe 37(11), présenter les formulaires prescrits dans les douze mois suivant sa date d’échéance de production. S’il ne le fait pas, son revenu est calculé sans la déduction et une cotisation est établie. Tout nouveau calcul du revenu et de l’impôt payable, à mon avis, nécessite l’établissement d’une nouvelle cotisation. Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition en vertu du paragraphe 152(4), sous réserve des limites qui y sont énoncées. La Loi ne prévoit pas que le revenu imposable du contribuable pour une année donnée puisse être déterminé de nouveau sans qu’une cotisation soit ainsi établie. 

 

[19]           Je conclus, en conséquence, que la décision du défendeur était correcte et que le ministre n’avait pas, selon la Loi, le pouvoir discrétionnaire de renoncer aux exigences de production et d’établir une nouvelle cotisation relativement au revenu imposable de la demanderesse pour les années d’imposition 1996, 1997 et 1998. Au cas où j’aurais tort de conclure que le ministre ne disposait pas de ce pouvoir discrétionnaire, je vais maintenant examiner si le ministre l’a exercé équitablement ou non.

 

Le défendeur a-t-il restreint l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et omis de prendre en considération les observations de la demanderesse?

 

[20]           La demanderesse soutient que, dans la lettre de décision du 10 septembre 2003 répondant à la première demande de modification des déclarations produites précédemment, le défendeur a restreint son pouvoir discrétionnaire en se considérant tenu de suivre des lignes directrices internes et en excluant d’autres motifs valides ou pertinents dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.  

 

[21]           La lettre du 10 septembre 2003 faisait référence aux dispositions d’équité de la Loi de l’impôt sur le revenu et indiquait que la loi permettait que les pénalités et/ou frais d’intérêts soient modifiés quand une situation exceptionnelle comme une catastrophe naturelle ou une maladie grave avait empêché le contribuable de respecter la loi ou quand les frais résultaient d’actions commises par l’Agence du Revenu. Il s’agissait d’un renvoi aux lignes directrices adoptées par le défendeur et non à des exigences législatives. 

 

[22]           La Cour s’est penchée sur des lignes directrices semblables prises en considération dans le processus d’examen pour équité du défendeur dans la décision Dorothea Knitting Mills Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2005 D.T.C. 5177 (C.F.), 2005 CF 318, (Dorothea), au paragraphe 8. Dans cette affaire, le ministre avait soutenu qu’une prorogation du délai serait accordée, conformément au paragraphe 220(2.1) de la Loi, quand l’un des trois critères suivants serait rempli : il y a des [traduction] « circonstances atténuantes », le demandeur a pris des [traduction] « mesures raisonnables » pour respecter la loi ou le demandeur [traduction] « s’est fondé sur des renseignements inexacts fournis par écrit par l’Agence ».

 

[23]           Dans la décision Dorothea, la contribuable avait produit le formulaire prescrit pour une demande relative à la RS&DE avant l’échéance de 18 mois, mais elle avait présenté les documents techniques à l’appui avec trois mois de retard. La Cour a conclu que le représentant du ministre, en examinant la demande de prorogation du délai, avait élevé les critères des lignes directrices au rang de facteurs déterminants et n’avait pas pris en considération les arguments avancés par la demanderesse. Il était loisible au représentant de prendre en considération ces arguments, et de les accepter ou de les rejeter, mais il ne pouvait rejeter la demande simplement parce qu’elle ne satisfaisait pas à des critères n’ayant aucun fondement dans la loi habilitante.    

 

[24]           Ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce. Bien que la lettre du 10 septembre 2003 puisse amener à conclure que le défendeur a restreint l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en limitant son examen de la demande à la question de savoir s’il s’agissait d’une situation exceptionnelle, telle qu’elle est décrite ci‑dessus, l’affaire ne se résume pas à cette lettre. La lettre du 10 septembre 2003 a été précipitée par la demande présentée par la demanderesse le 26 août 2003 visant à modifier ce qu’elle avait produit précédemment. Cette demande ne contenait aucune observation qui aurait pu justifier une décision en matière d’équité par le ministre. Il ressort du dossier que les observations ont été présentées plus tard dans une série de réunions et de lettres échangées entre les représentants de la demanderesse et le personnel du défendeur. De toute façon, la lettre du 10 septembre 2003 ne constitue pas la décision à l’étude. 

 

[25]           Le document clé, à mon avis, est la lettre de 11 pages du défendeur, datée du 7 mars 2005, qui expose la position de la demanderesse en faveur d’une renonciation et l’analyse réalisée par le défendeur de ces observations. Cette analyse ne portait pas uniquement sur le type de situation exceptionnelle citée dans la lettre du 10 septembre 2003 ou sur les facteurs atténuants dont il est question dans Dorothea. La lettre du 7 mars 2005 démontre que le ministre n’avait pas l’esprit fermé aux arguments avancés par la demanderesse et qu’il les a pleinement pris en considération. Je ne vois rien dans la lettre subséquente des avocats de la demanderesse, datée du 24 mai 2005, qui aurait requis un autre examen par le ministre. La réponse du défendeur, datée du 25 août 2005, constituant la décision à l’étude, renvoie à l’analyse détaillée présentée dans la lettre du 7 mars 2005 et aux motifs fournis expliquant le rejet de la demande de renonciation et de prorogation du délai. Dans la présente procédure, la demanderesse a été incapable de mettre en évidence un facteur important avancé en son nom que le défendeur n’aurait pas pris en considération pour en arriver à sa décision.  

 

[26]           Il est regrettable que la demanderesse n’ait pu profiter des crédits auxquels elle aurait eu droit si la question de la propriété avait été tranchée en sa faveur plus tôt et si les formulaires prescrits et les documents à l’appui avaient été produits à temps. Cependant, la tâche de la Cour n’est pas de juger si la décision de ne pas renoncer aux exigences de production concernant les demandes relatives à la RS&DE pour 1996, 1997 et 1998 était juste pour la demanderesse, mais de juger si la décision était raisonnable en regard de la norme de contrôle décrite ci‑dessus. Le dossier devant moi ne comporte aucun motif me permettant de conclure que la décision était fondée sur l’application de mauvais principes ou sur une mauvaise appréciation des faits ou qu’elle n’était étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. La demande sera donc rejetée.    

 

[27]           Puisque le trésor public a profité considérablement de ces évènements, la Cour exercera son pouvoir discrétionnaire pour n’adjuger aucuns dépens.

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE QUE la demande soit rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-2213-05

 

INTITULÉ :                                                   GREENPIPE INDUSTRIES LTD.

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 12 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 14 SEPTEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

James Dunphy

Bianca Kratt

 

David Besler

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Warren Tettensor Amantea LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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