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Date : 20070105

Dossier : IMM-6834-05

Référence : 2007 CF 10

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2007

En présence de Monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

ALEJANDRO JULIA NAVA CHAVEZ

ALEJANDRA CORTES ALVAREZ

ALEXA FERNANDA NAVA CORTES

MARIANA NAVA CORTES

URBANO NAVA GAMITO

ROSA MARIA TERRAZAS MURILLO

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demandeurs contestent la légalité d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 6 octobre 2005 et concluant que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi).

 

[2]               Les demandeurs - M. Chavez, son épouse, ses deux filles, son père et la conjointe de son père - sont citoyens du Mexique. Ils craignent d’être persécutés en raison de leurs opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social, à savoir, la famille.

 

[3]               Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur principal se fonde principalement sur les faits qui suivent. Celui-ci est avocat. Auparavant, il exploitait avec son père une entreprise de sécurité dans la ville de Toluca au Mexique. De 1998 à 2002, l’entreprise obtient des contrats avec le bureau du Procureur général de la République (PGR) visant la surveillance à l’aéroport international Adolfo Lopez Mateos. Le 3 mars 2003, à Mexico, il est enlevé par des inconnus qui le forcent à monter dans leur voiture. Par leur « façon de parler entre eux », il en déduit qu’il s’agit d’agents de la police judiciaire. Les ravisseurs téléphonent à son père et exigent une rançon d’un million de pesos. Ayant réussi à amasser la moitié de cette somme, son père parvient à convaincre les ravisseurs de libérer son fils. Le demandeur principal et son père décident de ne pas porter plainte, car une dénonciation à la police pourrait mettre la vie du demandeur principal et de sa famille en danger. Le demandeur principal ferme son entreprise et se met à pratiquer le droit.

 

[4]               Près de deux ans plus tard, le 12 janvier 2005, la conjointe du père du demandeur principal est à Mexico; elle est alors suivie par une voiture dans laquelle se retrouvent deux inconnus. Elle réussit à s’enfuir en se réfugiant dans une cabine de garde de surveillance. Le 14 janvier 2005, le demandeur principal reçoit un coup de téléphone. La personne à l’autre bout du fil lui dit : « Nous savons où est-ce que vous vivez » et raccroche. Après en avoir discuté avec des collègues, le demandeur principal décide de quitter le pays. Le 17 janvier 2005, le demandeur principal et sa famille font des démarches pour obtenir leurs passeports. Le 1er février, en route vers Toluca après avoir acheté des billets d’avion à Mexico, le demandeur principal et son épouse sont suivis par une voiture blanche. Un inconnu sort une arme et leur dit de sortir. Sous le choc, le demandeur principal perd le contrôle. Suite à cet accident, son épouse et lui sont hospitalisés. Le demandeur principal demeure chez lui pour 15 jours afin de se remettre. Le 21 mars 2005, les demandeurs arrivent au Canada et réclament le statut de réfugié.

 

[5]               Dans sa décision, la Commission affirme erronément que les demandeurs sont des citoyens du Pérou. Toutefois, en marge de cette erreur purement cléricale, la question déterminante en l’espèce est celle de la crédibilité des demandeurs.

 

[6]               Premièrement, la Commission relève une contradiction entre la fiche d’entrevue de l’agent d’immigration (notes au point d’entrée) du demandeur principal et son témoignage. La fiche d’entrevue indique que l’enlèvement du 3 mars 2003 a eu lieu lorsqu’il sortait de la banque. Or, lors de l’audience, le demandeur principal témoigne qu’il sortait du bureau du Procureur général. Confronté à cette contradiction, le demandeur principal confirme cette dernière version des faits et insiste que c’est bien ce qu’il a dit à l’agent d’immigration. La Commission considère qu’il s’agit d’une contradiction majeure qui affecte sa crédibilité. Elle rejette l’explication fournie par le demandeur principal et souligne qu’il est « trop facile de jeter le blâme sur une tierce personne ».

 

[7]               Deuxièmement, la Commission tire une inférence négative du fait que les demandeurs ont attendu deux ans pour quitter le Mexique après l’enlèvement du demandeur principal qui aurait eu lieu en mars 2003. La Commission note que le demandeur principal était mal à l’aise lorsqu’elle l’a confronté sur ce point.

 

[8]               Troisièmement, dans le FRP du demandeur principal, il n’est pas question d’une tentative d’enlèvement le 1er février 2005, mais plutôt de gens armés en voiture qui l’auraient menacé et qui auraient essayé d’arrêter sa voiture. Confronté à cette omission importante de l’avis de la Commission, le demandeur principal a répondu : « Je n’ai pas été enlevé, parce que je ne l’ai pas permis, c’est la raison pour laquelle j’ai eu l’accident ». La Commission ne croit pas le demandeur principal et estime qu’il ajuste son témoignage afin de justifier cette omission.

 

[9]               Quatrièmement, la Commission ne retient pas l’explication du demandeur principal selon laquelle il a déduit que ses ravisseurs étaient des agents de la police judiciaire par « leur façon de parler ». La Commission est d’avis qu’il s’agit de « pure spéculation et improvisation ». En effet, le demandeur principal a été incapable de fournir quelque détail que ce soit quant au contenu des conversations de ses agresseurs (sinon que d’affirmer gratuitement à l’audition que les policiers judiciaires utilisent des « codes » lorsqu’ils parlent entre eux). La Commission souligne aussi que dans sa Fiche de renseignements de base, à la question 3(d), le demandeur principal déclare qu’il craint « des inconnus ». Confronté à cette omission, le demandeur répond simplement : « Non, il m’avait demandé si je connaissais les policiers judiciaires et j’ai dit non ». La Commission conclut que le demandeur principal ajuste son témoignage. La Commission a bien noté que le père du demandeur principal a témoigné à l’effet que les ravisseurs de son fils étaient des agents de la police judiciaire à cause de leur « façon de parler », mais n’a pas retenu cette explication pour les raisons susmentionnées.

 

[10]           Cinquièmement, bien qu’elle n’ait pas cru en la véracité du récit des demandeurs, la Commission traite brièvement de la protection de l’État. Elle note que le gouvernement du Mexique a pris des mesures pour lutter contre la corruption des policiers et reproche aux demandeurs de ne pas s’être adressés à « d’autres institutions du gouvernement mexicain » afin de se prévaloir de la protection de leur pays. Elle en déduit que les demandeurs ne craignent pas pour leur vie et n’ont tout simplement pas vécu les incidents allégués.

 

[11]           En substance, les demandeurs font valoir aujourd’hui que la Commission a erré dans son évaluation des faits. Bref, ils attaquent chacune des conclusions défavorables relatées plus haut en soumettant que celles-ci sont arbitraires et déraisonnables. Les contradictions notées par la Commission ne sont qu’apparentes et les explications données par le demandeur principal sont raisonnables dans les circonstances. Ainsi, l’agent d’immigration s’est tout simplement trompé en inscrivant que celui-ci sortait de la banque lorsqu’il a été enlevé. De plus, la deuxième tentative d’enlèvement est bien mentionnée dans le FRP même si le mot « enlèvement » n’est pas utilisé dans le FRP. Le procureur des demandeurs fait également valoir que le demandeur principal est un avocat. Sa famille et lui-même avaient beaucoup à perdre en quittant le Mexique. Leur crainte de persécution est donc réelle et bien fondée. En tout état de cause, s’il existe des incohérences dans la preuve des demandeurs, celles-ci sont relativement mineures. Enfin, les demandeurs soutiennent que la Commission a erré dans son évaluation de la protection étatique disponible au Mexique, particulièrement lorsqu’il est question de corruption policière, ce qui constitue une erreur révisable : Quevedo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1264; Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359.

 

[12]           Pour sa part, le défendeur soutient qu’il ressort de la jurisprudence que la Commission peut considérer les notes au point d’entrée afin d’apprécier la crédibilité d’un demandeur (Eustache c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1553 et jurisprudence citée dans cette dernière décision). Or, il est pour le moins curieux que la seule « erreur » relevée par les demandeurs a trait au fait que l’agent d’immigration aurait erronément inscrit que le demandeur principal sortait d’une banque lorsqu’il a été enlevé par des agents de la police judiciaire. La tentative d’enlèvement de 2005 n’est pas mentionnée au FRP, qui parle d’un autre incident. La Commission avait donc raison d’en tirer une inférence négative. De plus, la Commission a noté que le demandeur était mal à l’aise lorsqu’il donnait ses réponses. De telles conclusions font partie intégrante de la discrétion accordée à la Commission et doivent faire l’objet d’une grande retenue. La Commission pouvait également tenir compte du long délai à quitter le Mexique après le présumé enlèvement du demandeur. De surcroît, la Commission a noté que les autorités mexicaines ont mis sur place un système pour lutter contre la corruption policière et que la protection étatique était disponible aux demandeurs. Il ne s’agit pas d’un cas où un revendicateur d’asile porte plainte et se heurte ensuite à l’inaction des autorités. Il n’y a donc pas lieu d’intervenir en l’espèce : Villasenor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1080.

 

[13]           La présente demande doit être rejetée. Il est clair que l’évaluation faite par la Commission de la crédibilité des demandeurs repose sur la preuve au dossier. S’agissant ici d’une conclusion de fait, la norme applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). En somme, la Cour n’interviendra que si la décision de la Commission est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont elle disposait (alinéa 18.1 (4) d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7), ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En effet, même si une analyse des documents et des réponses du demandeur principal peut appuyer, jusqu’à un certain point, l’interprétation suggérée par le procureur des demandeurs, l’inverse est également vrai. Or, en matière d’appréciation des faits, la Commission est normalement mieux placée que la Cour pour tirer des conclusions.

 

[14]           Je m’empresse d’ajouter qu’il est toutefois dangereux pour la Commission de fonder une conclusion générale d’absence de crédibilité sur une simple omission ou sur une contradiction apparente découlant des notes prises au point d’entrée et du témoignage ultérieur d’un revendicateur d’asile. Comme je l’ai écrit dans R.K.L c. Canada ((Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 FCT 116 aux paragraphes 11-13, 20 :

Ce ne sont […] pas tous les types d'incohérence ou d'invraisemblance contenue dans la preuve présentée par le demandeur qui justifieront raisonnablement que la Commission tire des conclusions défavorables sur la crédibilité en général. Il ne conviendrait pas que la Commission tire ses conclusions après avoir examiné « à la loupe » des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication du demandeur : voir Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 99 N.R. 168, au paragr. 9 (C.A.F.) (Attakora); Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 442 (QL) (C.A.) (Owusu-Ansah) […]

 

En outre, la Commission ne devrait pas s'empresser d'appliquer une logique et un raisonnement nord-américains à la conduite du revendicateur. Il faut tenir compte de l'âge, des antécédents culturels et des expériences sociales du revendicateur : voir Rahnema c. Canada (Solliciteur général), [1993] A.C.F. no 1431, au paragr. 20 (QL) (1re inst.); El-Naem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 185 (QL) (1re inst.) […]

 

Le premier récit que fait une personne est généralement le plus fidèle et, de ce fait, celui auquel il faut ajouter le plus de foi. Cela étant dit, l'omission d'un fait, bien qu'elle puisse être préoccupante, ne devrait pas toujours l'être. Tout dépend encore une fois des circonstances : voir Fajardo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 915, au paragr. 5 (QL) (C.A.); Owusu-Ansah, précité; Sheikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 568 (QL) (1re inst.). Lorsqu'elle évalue les premiers rapports du demandeur avec les autorités canadiennes de l'Immigration ou qu'elle fait référence aux déclarations faites par le demandeur au point d'entrée, la Commission devrait être attentive également au fait que [traduction] « la plupart des réfugiés ont vécu dans leur pays d'origine des expériences qui leur donnent de bonnes raisons de ne pas faire confiance aux personnes en autorité » : voir le professeur James C. Hathaway, The Law of Refugee Status, Toronto, Butterworth, 1991, aux p. 84 et 85; Attakora, précitée; Takhar, précitée.

 

[…]

 

Il n'y a pas de doute que le défaut de mentionner, dans une déclaration écrite aux autorités de l'Immigration, des événements importants sur lesquels une revendication du statut de réfugié est fondée, ou une contradiction entre cette déclaration et un témoignage subséquent sont des facteurs très graves qui peuvent justifier une conclusion défavorable concernant la crédibilité. L'omission ou la contradiction doit cependant être bien réelle : voir Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. n1271 (QL) (C.A.). De plus, les explications données par un demandeur qui ne sont pas manifestement invraisemblables doivent être prises en compte : voir Owusu-Ansah, précitée.

 

[15]           À mon avis, la conclusion générale de non-crédibilité de la Commission n’est pas manifestement déraisonnable. Ici, la Commission a pris en compte les explications du demandeur principal et les a rejetées en fournissant des motifs qui ne m’apparaissent pas capricieux ou arbitraires. La contradiction entre les notes au point d’entrée et le témoignage du demandeur principal est bien réelle et ce n’est pas la seule qui a été relevée par la Commission dans sa décision. Il n’y a aucune raison de douter ici de la véracité et de l’exactitude des déclarations ayant été faites par le demandeur principal à l’agent d’immigration. D’autre part, je note que le demandeur principal est un homme instruit et qu’il est lui-même avocat. On pouvait donc s’attendre à ce qu’il puisse expliquer à l’agent d’immigration et à la Commission avec une certaine clarté les raisons l’ayant amené à quitter son pays. Enfin, il ne s’agit pas d’un cas où la preuve au dossier démontre qu’un préjudice réel a été causé à un demandeur d’asile à cause d’erreurs flagrantes de traduction commises par un interprète à l’audition ou lors de l’entrevue initiale avec l’agent d’immigration.

 

[16]           En conclusion, je n’ai pas à me substituer ici à la Commission dans l’évaluation de la preuve. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur la légalité de la conclusion de la Commission touchant la protection de l’État étant donné que le récit des demandeurs a été jugé non crédible et que cet aspect de la décision de la Commission n’est pas révisable. Aucune question d’importance générale n’a été soulevée et ne se soulève en l’espèce.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6834-06

 

INTITULÉ :                                       ALEJANDRO JULIA NAVA CHAVEZ

                                                            ALEJANDRA CORTES ALVAREZ

                                                            ALEXA FERNANDA NAVA CORTES

                                                            MARIANA NAVA CORTES

                                                            URBANO NAVA GAMITO

                                                            ROSA MARIA TERRAZAS MURILLO

                                                            ET

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 7 décembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Martineau

 

DATE DES MOTIFS :                      le 5 janvier 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Stewart Istvanffy                                                           POUR LES DEMANDEURS

 

 

Daniel Latulippe                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Istvanffy, Vallières et associés

Montréal (Québec)                                                       POUR LES DEMANDEURS

 

 

John Sims, c.r.                                                              POUR LE DÉFENDEUR       

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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