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Date : 20070110

Dossier : IMM-7242-05

Référence : 2007 CF 21

Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE :

SHENG SHUI LIN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), visant la décision rendue le 21 novembre 2005 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), laquelle a jugé que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance de certiorari annulant la décision du tribunal ainsi qu’une ordonnance de mandamus obligeant le tribunal à lui accorder une nouvelle audience.

 

Le contexte

 

[3]               Le demandeur, Sheng Shui Lin, est citoyen de la Chine et prétend craindre d’être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social, c’est‑à‑dire les adeptes du Falun Gong. Le demandeur craint également d’être torturé par les autorités s’il devait retourner en Chine.

 

[4]               Le demandeur a expliqué dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu’il a commencé à pratiquer le Falun Gong en avril 2003. Le demandeur avait décidé d’y adhérer afin de soulager ses maux de dos, bien que le mouvement ait été déclaré illégal en Chine en 1999. Le demandeur pratiquait le Falun Gong en privé, pour ne pas être découvert par les autorités chinoises. Cependant, le 17 avril 2004, le demandeur et les autres adeptes de son groupe ont été avertis que les autorités approchaient de la maison où ils étaient en train de pratiquer le Falun Gong. Le demandeur s’est caché chez son cousin pendant que les autorités, qui le soupçonnaient d’appartenir au Falun Gong, fouillaient sa maison. Le demandeur a affirmé que deux adeptes faisant partie de son groupe ont été arrêtés après ces faits. Le demandeur a fui la Chine, car il craignait d’être emprisonné en tant qu’adepte du Falun Gong.

 

[5]               Le demandeur s’est procuré frauduleusement un passeport japonais afin de quitter la Chine pour le Japon. Il a également utilisé ce passeport pour entrer au Canada depuis le Japon. Le demandeur est entré clandestinement au Canada, à Toronto, le 17 juin 2004. Il a déposé sa demande d’asile le 24 juin 2004.  

 

[6]               Le demandeur a affirmé avoir rendu son passeport à un passeur (snakehead) dans le quartier chinois de Toronto. La demande d’asile du demandeur a été entendue le 13 septembre 2005. 

 

[7]               Au début de l’audience, la Commission a fait savoir que l’identité du demandeur n’était pas encore établie. Le conseil a soumis une requête demandant que la carte d’identité de résident (CIR) de son client soit analysée judiciairement avant l’audience, conformément à la politique habituelle de la Commission. La requête du conseil a été rejetée et l’audience a eu lieu sans analyse judiciaire de la CIR. Dans une décision datée du 21 novembre 2005, la Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger pour le motif qu’il n’avait pas prouvé son identité. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision de la Commission.

 

Les motifs de la décision de la Commission

 

[8]               La décision de la Commission repose sur l’incapacité du demandeur à établir son identité. Selon la preuve documentaire, les citoyens chinois adultes doivent posséder deux pièces d’identité : le hukou et la CIR. La Commission leur a donc accordé beaucoup d’importance. L’agent de protection des réfugiés (APR) a examiné la CIR du demandeur et n’a pas mis en question son authenticité. Cependant, l’identité du demandeur soulevait encore des doutes en raison des contradictions entre les renseignements que contenait la CIR et ceux présentés dans d’autres documents fournis par le demandeur. La Commission voulait donner au demandeur la chance d’expliquer les contradictions et a fait savoir que la CIR pouvait être soumise à des analyses après l’audience. La Commission a entamé l’audience malgré la requête du conseil et a noté qu’il incombait au demandeur de prouver son identité. 

 

[9]               La preuve documentaire révèle qu’il est possible de se procurer une fausse CIR, de même que d’obtenir par un moyen frauduleux une vraie CIR, et que le fait de posséder une CIR ne garantit pas qu’elle ait été obtenue légitimement. La Commission a fait référence à la décision Ibnmogdad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 321, dans laquelle la Cour a statué que la Commission n’était pas tenue d’exiger un rapport d’expert s’il y avait suffisamment de preuves pour jeter un doute sur l’authenticité d’un document. L’examen de la CIR par l’APR n’était pas celui d’un spécialiste, car il ne faisait que confirmer la présence sur la carte des éléments de sécurité les plus connus. En outre, l’APR qui a examiné la CIR n’était pas l’APR chargé du dossier. La CIR a donc été examinée à part, sans accès aux autres renseignements. La Commission a rejeté l’observation du conseil selon laquelle l’identité du demandeur devait être acceptée sur le fondement de la CIR, malgré la présence de renseignements contradictoires.

 

[10]           Le demandeur a fourni à la Cour une photocopie de son hukou, l’original d’une CIR, l’original d’un certificat de mariage et une photocopie d’un reçu d’amende. La Commission a conclu qu’il y avait des contradictions et des omissions graves entre le témoignage oral du demandeur et les renseignements contenus dans les documents. Le demandeur n’a pu donner d’explication raisonnable relativement à ces contradictions, ce qui a jeté un doute sérieux sur la véracité des documents. Les contradictions suivantes ont été relevées dans les documents :

-         la CIR a été délivrée le 28 juillet 2000 et comporte un numéro de série de 18 chiffres (350127197508065014). Ce nombre de chiffres ne concordait pas avec le nombre de chiffres du numéro de série apparaissant sur son certificat de mariage, lequel comptait 15 chiffres (350127750806501). Le demandeur a expliqué que le numéro de série de la CIR comptait trois chiffres de plus que celui de son certificat de mariage (voir ci‑dessus, en caractère gras) parce qu’il avait utilisé son hukou (sur lequel était inscrit à l’époque son ancien numéro de série de 15 chiffres) quand il a remplacé son certificat de mariage;

 

-         le certificat de mariage a été délivré le 27 juin 2002 et le hukou a été délivré le 6 juin 2000. Les renseignements sur la page du titulaire principal du hukou du demandeur ont été inscrits le 30 août 2002, y compris le numéro de série de 18 chiffres. La page ne fait pas mention d’un ancien numéro de CIR ou de tout autre changement au numéro.

 

[11]           La Commission a estimé qu’il n’était pas plausible qu’un numéro de 18 chiffres ait été inscrit le 30 août 2002 dans le hukou dans la même section du document qui serait censée comporter un numéro de 15 chiffres, en l’absence de toute modification, étant donné que la page d’adresse du hukou montre que celui‑ci a été délivré le 6 juin 2000. La Commission a jugé qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le hukou produit pour obtenir un certificat de mariage contienne un numéro de CIR de 15 chiffres. Il était également raisonnable de s’attendre à ce que le numéro de CIR apparaissant sur le hukou soit modifié par l’ajout de trois chiffres dans la section où l’ancien numéro de CIR a été inscrit quand le hukou a été délivré le 6 juin 2000. 

 

[12]           La Commission a cité un élément de preuve documentaire selon lequel toute modification ou toute rature doit être approuvée par un tampon apposé par l’autorité ayant délivré le hukou. Elle a aussi noté que le numéro de CIR du demandeur ne semblait pas avoir été modifié, même s’il avait trois chiffres de plus que le numéro de CIR précédent. Le demandeur a également affirmé dans son témoignage que, après avoir fait inscrire son mariage, il avait fait modifier son hukou afin d’y faire inscrire son épouse et ses enfants. L’épouse et les enfants du demandeur ont été inscrits dans le hukou de celui‑ci le 30 août 2002. 

 

[13]           La preuve documentaire révèle que l’enregistrement des ménages est obligatoire en Chine continentale et que, si une personne omet de prévenir le bureau d’enregistrement local de son déménagement prévu, elle ne pourra s’enregistrer une fois qu’elle aura déménagé. Il était donc déraisonnable de penser que le demandeur ait pu obtenir un hukou le 6 juin 2000 en laissant vierge la page du titulaire principal jusqu’au le 30 août 2002. La Commission a estimé que le témoignage du demandeur au sujet du moment où il a fait modifier son hukou pour refléter le changement dans son numéro de CIR, qui est passé de 15 à 18 chiffres, n’était pas crédible et que le hukou produit pour obtenir le certificat de mariage ne contenait pas 15 chiffres. L’explication du demandeur relativement à la différence entre les numéros apparaissant sur sa CIR et sur son certificat de mariage n’a pas convaincu la Commission et celle‑ci n’a pas jugé crédible son témoignage concernant le numéro de sa CIR. La Commission n’ayant pas jugé crédible le témoignage du demandeur au sujet du document produit pour obtenir son certificat de mariage, elle n’a accordé aucune valeur probante au certificat de mariage.

 

[14]           Pour ce qui est du Hukou, le demandeur a témoigné qu’il avait déménagé à l’adresse inscrite sur la page d’adresse (104-5-30, route Jiang Bin) le 8 janvier 2001 et qu’il avait vécu auparavant au 56, Xia Kou. Le demandeur a été prié d’expliquer comment il se faisait que son adresse sur la route Jiang Bin était inscrite sur sa CIR (qui a été délivrée en 2000) alors qu’il n’y avait déménagé qu’en 2001. Le demandeur a expliqué qu’il avait acheté la maison sur la route Jiang Bin en 2000 et qu’il avait commencé à utiliser cette adresse.

 

[15]           La Commission a noté que la section [traduction] « Adresse antérieure dans la ville et date de déménagement à la nouvelle adresse » n’avait pas été remplie. Le demandeur a expliqué que cette section était demeurée en blanc parce que la première page contenait déjà son adresse. La commission n’a pas accepté cette explication, car il n’était pas raisonnable de penser que l’adresse « antérieure » soit la même que celle inscrite sur la page de l’adresse. Selon la preuve documentaire, la hukou comprend l’adresse permanente du titulaire et tout changement nécessitant une nouvelle inscription, comme un déménagement, doit être signalé aux autorités. La commission a jugé qu’il était raisonnable de penser que, si le demandeur avait signalé son déménagement aux autorités, la section de l’ancienne adresse aurait été remplie. Elle a donc fait une inférence défavorable du fait que cette section n’avait pas été remplie.

 

[16]           Le hukou du demandeur indiquait que le ménage était de type [traduction] « familial » ; cependant, la preuve documentaire révèle que les ménages ne peuvent être classés que selon les types agricole (rural) ou non agricole (urbain). Le demandeur a expliqué qu’il croyait que son hukou était pour un ménage de type rural et ne savait pas pourquoi il y était inscrit « familial ». Cette explication n’était pas convaincante, car il était raisonnable de penser que, puisque le demandeur utilisait le document depuis 2000, il aurait su que son ménage était décrit comme appartenant au type « familial ». La Commission n’a pas jugé crédible le témoignage du demandeur à ce sujet. 

 

[17]           Selon la preuve documentaire, la section où il faut inscrire le numéro du ménage se situe sur la deuxième page du hukou, qui est une pièce d’identité clé en Chine. La Commission a conclu qu’il était raisonnable de penser que le hukou du demandeur contiendrait un numéro de ménage aux fins de l’identification et a fait une inférence défavorable du fait que cette section n’avait pas été remplie. En conséquence de ces conclusions, il a été estimé que le hukou n’était pas authentique et il ne lui a été accordé aucune valeur probante.

 

[18]           Il n’a été accordé que peu de valeur à la photocopie du reçu d’amende, en l’absence de l’original, car celle‑ci ne comportait aucun élément de sécurité, pas plus qu’elle ne faisait mention du nom du demandeur, de sa CIR ou de l’adresse de son épouse. En outre, presque aucune valeur n’a été accordée à la CIR, à cause du témoignage contradictoire du demandeur au sujet de l’adresse inscrite sur la carte. En raison des conclusions ci‑dessus, de la preuve documentaire et du fait que le demandeur est entré clandestinement au Canada, la Commission a jugé que les documents n’étaient pas authentiques. Le demandeur a donc omis de produire suffisamment de documents pour prouver qu’il était bien citoyen chinois. La Commission a convenu que le demandeur parlait le mandarin, mais elle ne pouvait déduire sa nationalité à partir de ce fait. La Commission a noté que la demande d’asile doit être rejetée dès que le demandeur n’est pas en mesure de prouver son identité. 

 

[19]           La Commission a fait savoir qu’elle possédait des connaissances spécialisées dans l’évaluation de pièces d’identité chinoises. La Commission a reconnu qu’une présomption naît du fait qu’un demandeur jure de la véracité de certaines allégations, mais elle a noté que cette présomption pouvait être réfutée lorsque le témoignage contient des affirmations qui ne sont pas plausibles ou vraisemblables ou lorsqu’il manque de preuve documentaire corroborante. En raison du manque de crédibilité du demandeur, la Commission a conclu qu’aucune preuve ne venait étayer les éléments de sa demande d’asile.

 

Les questions en litige

[20]           Les questions sont les suivantes :

  1. La Commission a-t-elle manqué aux principes de justice naturelle en tenant l’audience sans demander d’analyse judiciaire de la CIR?
  2. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas établi son identité?

 

Les observations du demandeur

 

[21]           Le demandeur a soutenu que la Commission fait habituellement analyser les documents quand elle doute de leur authenticité. Cependant, en l’espèce, la Commission n’a pas fait analyser la CIR, car l’APR avait estimé qu’elle était authentique. Le demandeur soutient que, si des doutes persistaient quant à l’identité du demandeur, la Commission aurait dû ordonner une analyse judiciaire avant la tenue de l’audience. Le conseil a soulevé des doutes sur la façon de procéder de la Commission dès le début de l’audience, mais ils n’ont pas été pris en compte. 

 

[22]           La Commission s’est appuyée sur la jurisprudence pour déclarer qu’il n’était pas nécessaire de faire analyser un document quand il existait des preuves suffisantes pour jeter un doute sur son authenticité. Selon le demandeur, puisque l’APR avait déterminé que la carte était authentique, la Commission était tenue de la faire analyser si elle doutait de son authenticité. Le demandeur a prétendu que l’omission par la Commission de faire analyser la carte avant l’audience était injuste et contraire aux principes de justice naturelle. Le demandeur a invoqué la décision Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1528, dans laquelle le juge von Finckenstein a affirmé que, vu que la Commission n’avait jamais soulevé la question de l’authenticité de la CIR et ne l’avait pas fait analyser judiciairement, elle ne pouvait affirmer qu’elle était fausse ou qu’elle avait été obtenue frauduleusement.

 

[23]           Le demandeur a soutenu qu’il était injuste que la Commission mette en question l’authenticité de la CIR parce qu’un autre APR l’avait examinée ou parce que les APR ne sont pas des spécialistes de l’authentification de tels documents. Le demandeur a prétendu que la Commission a fait une inférence défavorable de cette omission de produire suffisamment de documents, alors que c’est la Commission qui a choisi de ne pas faire analyser la CIR. Selon le demandeur, la Commission a mal appliqué la jurisprudence établie dans la décision Merja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 73, pour justifier ses méthodes injustes.  

 

[24]           D’après le demandeur, la Commission a commis une erreur en faisant des inférences défavorables au sujet du témoignage du demandeur à partir de pures hypothèses relativement à la façon dont ont été délivrés les documents en Chine (voir Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.)). Il a été soumis que la Commission a fait preuve d’excès de zèle en cherchant à déceler des contradictions dans les documents du demandeur (voir Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.)). Il a été avancé que le fait de montrer que le demandeur ignorait le contenu de certains documents ne mettait pas en question son identité de citoyen chinois. Le demandeur a soutenu que la Commission, en jugeant que le manque de crédibilité attribué au hukou devait s’étendre aussi à la CIR, a suivi une logique défaillante.

 

[25]           Selon le demandeur, la Commission a senti que son conseil s’était montré menaçant. Il a été avancé que l’incapacité de la Commission à établir la distinction entre une objection juridique et une attaque personnelle prouvait l’incapacité de la Commission à raisonner de manière juste et soulevait une crainte raisonnable de partialité.

 

Les observations du défendeur

 

[26]           Selon le défendeur, la Commission n’a pas manqué aux principes de justice naturelle en refusant de faire analyser la CIR du demandeur avant l’audience. Il a été avancé que la Commission n’est pas tenue de faire analyser judiciairement un document quand il existe une preuve suffisante pour jeter un doute sur son authenticité (voir Culinescu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 136 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.)). Le défendeur a soutenu que la Commission pouvait se fonder sur son expertise pour conclure que le demandeur n’avait pas produit des pièces d’identité authentiques. En l’espèce, il y avait des contradictions, des renseignements erronés et des omissions, en plus d’éléments de preuve documentaire justifiant la décision de ne pas recourir à une analyse judiciaire (voir la décision Merja, précitée). Il a été prétendu que le demandeur savait qu’il lui incombait de fournir des éléments de preuve pour prouver sa demande d’asile, mais qu’il a omis de produire suffisamment de documents pour établir son identité (Kante c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 47 A.C.W.S. (3d) 798 (C.F. 1re inst.)).

 

[27]           D’après le défendeur, la Cour n’a pas à modifier la décision de la Commission, à moins qu’elle n’ait été fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans égard aux documents dont elle disposait (voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982). Le défendeur a soutenu que la Cour ne doit pas imposer son opinion sur les questions de fait, puisque la Commission est un tribunal spécialisé qui a examiné la preuve dont il disposait (voir Medarovik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 111 A.C.W.S. (3d) 569 (C.F. 1re ints.)). La Commission a donc le droit de décider de la valeur à accorder à chaque élément de preuve et de tirer des conclusions à partir de cette preuve. Selon le défendeur, à la lecture de l’ensemble de la décision de la Commission, il est clair que cette dernière a compris les faits et a jugé que la preuve ne suffisait pas à étayer une décision favorable (voir Ndombele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 110 A.C.W.S. (3d) 154 (C.F. 1re inst.)).

 

[28]           Le défendeur a soutenu que la Commission avait pris en considération toute la preuve documentaire devant elle avant de conclure que la preuve était inadéquate. Il était loisible à la Commission de n’accorder aucune valeur aux documents puisqu’ils présentaient des contradictions et des omissions que le demandeur n’a pu expliquer de façon crédible (voir Nechifor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1004). Il a été avancé que la Commission pouvait faire des inférences défavorables relativement à l’authenticité des documents, compte tenu des numéros d’identification différents sur la CIR et le certificat de mariage. Le défendeur a prétendu que la Commission pouvait également faire une inférence défavorable à partir de la preuve du demandeur au sujet du moment où il a fait modifier son hukou pour qu’il reflète le changement de son numéro d’identification (voir Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n415 (QL)).

 

[29]           Le défendeur a soutenu que la Commission peut rejeter même des éléments de preuve qui ne sont pas contredits s’ils ne concordent pas avec les probabilités applicables à l’affaire dans son ensemble (voir Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354). Selon le défendeur, la Commission peut tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité uniquement à partir de la non‑plausibilité du récit du demandeur. La Commission a jugé qu’il n’était pas plausible que le demandeur ait fait modifier son numéro d’identification dans son hukou le 30 août 2002 afin d’y inscrire un nouveau numéro de 18 chiffres, sans que soit prouvée l’existence du numéro de quinze chiffres précédent ou sans qu’il y ait un tampon apposé par l’autorité ayant délivré le hukou.

 

[30]           Selon le défendeur, la Commission pouvait faire une inférence défavorable quant à l’authenticité des documents du demandeur à partir des contradictions et omissions suivantes :

-         le demandeur a témoigné avoir déménagé à l’adresse sur la route Jiang Bin en 2001, mais sa CIR (délivrée en 2000) faisait déjà mention de cette adresse;

-         la section [traduction] « Adresse antérieure dans la ville et date de déménagement à la nouvelle adresse » du hukou n’avait pas été remplie, alors que le demandeur soutient avoir déménagé;

-         le demandeur a été incapable d’expliquer pourquoi le statut de son ménage avait été qualifiée de [traduction] « familial » dans son hukou alors que, selon la preuve documentaire, le statut ne peut être qualifié que de rural ou d’urbain; 

-         la section du hukou où il fallait inscrire le numéro du ménage n’avait pas été remplie, alors que, selon la preuve documentaire, la deuxième page du hukou est la page d’adresse, qui comprend le numéro du ménage;

-         les sections du hukou où il est question de l’emploi et du lieu de travail n’avaient pas été remplies. Le demandeur a affirmé avoir payé le gouvernement pour exploiter un commerce de réparation de pneus de bicyclette, mais n’avoir pas rempli cette section parce que le commerce n’était pas enregistré.

 

[31]           Le défendeur a soutenu que la demande d’asile doit être rejetée dès que la Commission juge que l’identité du demandeur n’a pas été prouvée. Selon lui, la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission au sujet des pièces d’identité est la décision manifestement déraisonnable (voir Ipala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 472).

 

Analyse et décision

 

La norme de contrôle

 

[32]           La norme de contrôle applicable aux questions de manquement aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale est la décision correcte. Il est bien établi que la norme de contrôle applicable aux conclusions tirée par la Commission relativement aux pièces d’identité est la décision manifestement déraisonnable (voir Ipala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 472).

 

[33]           La première question

La Commission a-t-elle manqué aux principes de justice naturelle en tenant l’audience sans demander d’analyse judiciaire de la CIR?

La Commission a affirmé, entre autres, à la page 685 du dossier du tribunal :

[traduction]

LE CONSEIL :            Je ne suis pas sûr que cela réponde à ma question, qui est la suivante : si le tribunal a des doutes sur l’authenticité d’une carte d’identité, la procédure habituelle n’est-elle pas de la faire analyser judiciairement? Avez-vous l’intention de le faire?

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :              Je n’ai pas encore pris de décision pour l’instant. Si vous désirez que je le fasse à la fin de l’audience, je le ferai avec plaisir, mais le demandeur pourrait effacer certains doutes et la question pourrait être réglée. Je crois qu’il serait injuste que je décide maintenant sans avoir entendu le témoignage du demandeur. Alors j’ai besoin d’entendre certaines réponses du demandeur afin de clarifier certaines questions qui ne sont pas résolues. Je crois que la carte d’identité est aussi une ancienne carte d’identité. Elle n’a pas autant – c’est une version de 1985, n’est-ce pas?

 

Elle a également affirmé dans sa décision :

Le conseil a par ailleurs été informé que, à ce stade de l’audience, le tribunal n’envisageait pas de soumettre la carte d’identité de résident à une analyse judiciaire, puisqu’il y aurait lieu de donner d’abord au demandeur la possibilité d’expliquer les incohérences manifestes. Ses explications pourraient répondre aux questions que se pose le tribunal et apaiser ses craintes, ce qui rendrait inutile l’analyse judiciaire.

 

 

[34]           L’APR a noté que la CIR semblait authentique et comportait plusieurs éléments de sécurité. Avant l’audience, la Commission avait demandé la carte pour la faire analyser judiciairement. Le conseil du demandeur, comme l’indique le passage ci‑dessus, souhaitait faire analyser la CIR avant de continuer l’audience, mais la Commission n’a pas accepté et a affirmé que les réponses du demandeur à l’audience pourraient dissiper les doutes qu’elle avait relativement à la carte.

 

[35]           À l’audience, le demandeur a été interrogé au sujet de son hukou. La Commission n’a pas accepté l’explication du demandeur au sujet des divergences et a conclu que le hukou n’était pas authentique.

 

[36]           En outre, la Commission a conclu que le certificat de mariage soumis par le demandeur n’était pas authentique. La Commission n’a attribué aucune valeur probante au reçu pour paiement d’honoraires pour affaires exécutives (reçu d’amende) parce que l’original n’a pas été soumis et parce que la copie, par conséquent, ne possédait aucun élément de sécurité.

 

[37]           La Commission s’est ensuite servie des anomalies trouvées relativement au hukou et à d’autres documents pour conclure que la CIR n’était pas authentique. La Commission a affirmé, à la page 15 de sa décision :

Ayant conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le hukou n’est pas authentique, le tribunal conclut également à l’absence de crédibilité de la carte d’identité de résident.

 

 

[38]           J’ai examiné la transcription de l’audience et je ne vois aucune raison de mettre en question l’authenticité de la CIR. La seule preuve disponible est celle montrant que l’APR jugeait la CIR authentique.

 

[39]           En l’espèce, la Commission ne peut tout simplement pas dire, compte tenu de la preuve de l’APR, que la CIR n’est pas authentique pour le motif qu’elle a estimé que le hukou et d’autres documents n’étaient pas authentiques. Aucune logique ne vient soutenir cette conclusion. Il est possible que, si la Commission avait disposé d’autres preuves, comme une analyse judiciaire, elle aurait pu conclure que la CIR n’était pas authentique, mais la Commission ne disposait pas de ce type de preuve.

 

[40]           Je suis d’avis que, pour ces motifs, la décision de la Commission est manifestement déraisonnable et doit être annulée et que l’affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

[41]           Ni l’une ni l’autre des parties ne souhaitent me soumettre une question grave de portée générale pour certification.


 

JUGEMENT

 

[42]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que la Commission statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross
 

ANNEXE

 

Les dispositions pertinentes

 

Les dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, sont les suivantes : 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

            Les Directives no 7 du président (Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés) établissent le cadre relatif à l’ordre inversé des questions :

19.  Dans toute demande d’asile, c’est généralement l’APR qui commence à interroger le demandeur d’asile. En l’absence d’un APR à l’audience, le commissaire commence l’interrogatoire et est suivi par le conseil du demandeur d’asile. Cette façon de procéder permet ainsi au demandeur d’asile de connaître rapidement les éléments de preuve qu’il doit présenter au commissaire pour établir le bien-fondé de son cas.

 

19.  In a claim for refugee protection, the standard practice will be for the RPO to start questioning the claimant. If there is no RPO participating in the hearing, the member will begin, followed by counsel for the claimant. Beginning the hearing in this way allows the claimant to quickly understand what evidence the member needs from the claimant in order for the claimant to prove his or her case.

 

23.  Le commissaire peut changer l’ordre des interrogatoires dans des circonstances exceptionnelles. Par exemple, la présence d’un examinateur inconnu peut intimider un demandeur d’asile très perturbé ou un très jeune enfant au point qu’il n’est pas en mesure de comprendre les questions ni d’y répondre convenablement. Dans de telles circonstances, le commissaire peut décider de permettre au conseil du demandeur de commencer l’interrogatoire. La partie qui estime que de telles circonstances exceptionnelles existent doit soumettre une demande en vue de changer l’ordre des interrogatoires avant l’audience. La demande est faite conformément aux Règles de la SPR.

23.  The member may vary the order of questioning in exceptional circumstances. For example, a severely disturbed claimant or a very young child might feel too intimidated by an unfamiliar examiner to be able to understand and properly answer questions. In such circumstances, the member could decide that it would be better for counsel for the claimant to start the questioning. A party who believes that exceptional circumstances exist must make an application to change the order of questioning before the hearing. The application has to be made according to the RPD Rules.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-7242-05

 

INTITULÉ :                                                   SHENG SHUI LIN

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 28 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 10 JANVIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelly Levine

 

POUR LE DEMANDEUR

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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