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Date : 20061130

Dossier : IMM‑2064‑04

Référence : 2006 CF 1446

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

 

ENTRE :

ELENA MILLER ET PETER MILLER

demandeurs

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse


 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

INTRODUCTION

[1]               Il s'agit d'une requête en jugement sommaire formée par Sa Majesté (la défenderesse) par suite d'une action intentée contre elle par Elena et Peter Miller (les demandeurs), qui lui réclament des dommages-intérêts aux motifs de négligence et du préjudice que leur aurait causé le seul retard à administrer la demande de résidence permanente de Mme Miller.


LES FAITS

[2]               La demanderesse Elena Miller est citoyenne russe. Elle a résidé au Canada dans les années 1990 avec son mari, également russe, sous des noms et des identités d'emprunt, jusqu'à ce qu'on découvre qu'ils se livraient tous deux à l'espionnage pour le compte de la Russie. On a délivré en mai 1996 contre Mme Miller un certificat de sécurité que le juge Rothstein, alors membre de notre Cour, a avalisé en juin 1996. Mme Miller et son mari d'alors ont ensuite été déclarés interdits de territoire au Canada et expulsés.

[3]               Quelques mois avant ces événements, Mme Miller avait fait au Canada la connaissance du codemandeur, M. Peter Miller, et avait noué une liaison avec lui. Une fois de retour en Russie, Mme Miller a divorcé d'avec son mari russe, elle a démissionné des services secrets russes et elle a épousé M. Miller à Moscou en décembre 1996. Après sa démission, les autorités russes lui ont interdit les voyages à l'étranger pour cinq ans. 

[4]               Le 11 décembre 1998, Mme Miller voulant obtenir la résidence permanente au Canada, M. Miller a déposé une demande de parrainage de sa femme en tant que membre de la catégorie du regroupement familial.

[5]               En septembre 2000, Mme Mary Coulter, agente des visas à Moscou, a convoqué Mme Miller à un entretien afin d'établir l'authenticité de son mariage avec M. Miller. Bien qu'elle ait reçu un préavis d'un mois, Mme Miller ne s'est pas présentée pour son entretien au jour dit, soit le 23 octobre 2000, sous prétexte, comme elle l'a déclaré à l'ambassade, qu'elle avait reçu sa convocation trop tard. Par la suite, un autre rendez-vous a été pris pour le 27 mars 2001.

[6]               Mme Miller s'est présentée cette fois à l'entretien, au cours duquel Mme Coulter lui a fait savoir qu'elle avait des doutes sérieux touchant l'authenticité de son mariage et la possibilité pour elle d'être admise au Canada étant donné son interdiction de territoire. Mme Coulter a alors informé la demanderesse qu'elle ferait de son mieux pour rendre sa décision avant la fin d'avril 2001. Le 26 avril 2001, Mme Coulter a communiqué ses notes d'entretien et son projet de plan d'action à Mme Diane Toikko, à la Section d'examen sécuritaire, l'avisant qu'elle souhaitait rendre une décision de rejet au plus tard le 30 avril 2001.

[7]               Le 26 avril 2001, la Section d'examen sécuritaire a recommandé à Mme Coulter de ne pas rendre de décision définitive pour l'instant, parce que la question de l'intervention du ministre était à l'étude, Mme Miller ayant expressément demandé une dispense ministérielle. Il a en fin de compte été décidé qu'il fallait régler la question de la dispense ministérielle avant de rendre une décision définitive sur la demande de Mme Miller.

[8]               Le 1er mai 2001, Mme Coulter a informé l'avocat de Mme Miller du retard auquel il fallait s'attendre pour le règlement définitif de son cas. Le 11 mai 2001, Mme Coulter a reçu de Mme Toikko des instructions lui enjoignant, si elle établissait la non-applicabilité de l'alinéa 19(1)e) de l'ancienne Loi sur l'immigration (la Loi), de rédiger à l'intention de M. Ian Taylor, chef de la Section d'examen sécuritaire, un mémoire récapitulant les principaux éléments du cas.

[9]               Le 25 mai 2001, Mme Coulter a informé Mme Miller que la décision serait de nouveau reportée. Le 18 juin 2001, Mme Coulter a rédigé le mémoire en question et demandé des instructions complémentaires concernant la non-admissibilité possible sous le régime de l'alinéa 19(1)e) de la Loi. Mme Coulter se souvient d'avoir reçu d'autres instructions de Mme Toikko à la fin de l'été ou au début de l'automne 2001.

[10]           En novembre 2001, Mme Coulter a établi un mémoire où elle formulait l'opinion que Mme Miller était interdite de territoire en vertu des dispositions qui forment maintenant l'alinéa 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et que son admission au Canada serait préjudiciable à l'intérêt national.

[11]           En août 2002, Mme Coulter a quitté son poste d'agente des visas à Moscou. Au moment de son départ, la décision ministérielle relative à la dispense n'avait pas encore été rendue, de sorte que la décision de Mme Coulter touchant à la fois la recevabilité et l'interdiction de territoire n'a jamais acquis de caractère définitif.

[12]           Le 4 mars 2004, les époux Miller ont intenté la présente action civile.

[13]           Au début de 2004, la Direction de la sécurité à l'Agence des services frontaliers du Canada (l'ASFC) a examiné la demande de Mme Miller et établi sa recommandation au ministre. L'ASFC recommandait à ce dernier de ne pas accorder la dispense demandée au motif que Mme Miller n'avait fait état d'aucune contribution à la société canadienne ni n'avait démontré que sa présence au Canada ne serait pas préjudiciable à l'intérêt national.

[14]           La recommandation établie à l'intention du ministre a été communiquée au printemps 2004 aux époux Miller, qui ont alors présenté des observations écrites. Le 16 août 2004, ces observations ont été transmises au ministre avec la recommandation et des documents justificatifs. Le 8 mars 2005, le ministre a adopté la recommandation de l'ASFC et déclaré son refus d'exercer son pouvoir exécutif de dispense.

[15]           Le 7 avril 2005, la demande d'établissement de Mme Miller a été officiellement rejetée par un nouvel agent des visas, M. Michael McCaffrey.

[16]           Les époux Miller ont contesté cette décision par voie de demande de contrôle judiciaire. Ils sollicitaient l'annulation de la décision du ministre aux motifs que ce dernier avait manqué à son obligation d'équité, commis une erreur de droit en exerçant son pouvoir discrétionnaire et rendu une décision manifestement déraisonnable. La Cour fédérale a autorisé l'introduction de la demande de contrôle judiciaire, mais celle‑ci a en fin de compte été rejetée par le juge en chef Lufty. Au cours de la procédure de contrôle judiciaire, les demandeurs n'ont pas sollicité de mandamus ni n'ont allégué de parti pris, de malveillance, d'action fautive ou de mauvaise foi de la part des fonctionnaires.

[17]           Les époux Miller intentent maintenant à la Couronne une action civile où ils soutiennent que la lenteur excessive mise à administrer la demande de résidence permanente de Mme Miller leur donne droit à des dommages-intérêts compensatoires en vertu des règles relatives à la négligence du droit de la responsabilité délictuelle, ainsi que sous le régime de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

[18]           La Couronne demande un jugement rejetant l'action sous le régime des articles 213 à 216 des Règles, aux motifs que les prétentions et moyens des demandeurs sont si douteux qu'ils ne méritent pas l'examen par le juge des faits dans le cadre d'un procès, qu'il n'y a pas de faits substantiels en litige et que les demandeurs ne soulèvent aucune véritable question litigieuse à l'égard d'aucune des causes d'action.

LA REQUÊTE EN JUGEMENT SOMMAIRE

[19]           Plus précisément, la Couronne invoque trois arguments principaux :

a.         Les demandeurs n'ont pas épuisé les recours administratifs. Leur action constitue une contestation parallèle du rejet de la demande d'établissement; si leur grief visait vraiment les lenteurs de la procédure, ils auraient pu et dû demander un mandamus pour obtenir une décision plus rapidement.

b.         Il n'existait pas d'obligation de diligence envers les demandeurs pour ce qui concerne l'administration de la demande de parrainage de Mme Miller, de sorte qu'ils ne sont pas fondés à alléguer la négligence et à réclamer des dommages-intérêts en conséquence.

c.         Certaines allégations de violation de la Charte ne soulèvent pas de véritables questions litigieuses.

L'AFFIDAVIT DE M. MILLER     

[20]           À titre de question préliminaire, la Couronne me demande de radier des parties ou la totalité de l'affidavit de M. Miller, ou d'ordonner qu'il ne leur soit accordé aucun poids, étant donné qu'on y trouve souvent des opinions ou des arguments plutôt que des faits. (Deigan c. Canada (Ministre de l'Industrie), [1996] A.C.F. no 1360 (QL), (1996) 206 N.R. 195, au paragraphe 2; et Ly c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 1496 (QL), 2003 CF 1184, au paragraphe 10.)

[21]           Il ne fait aucun doute que l'affidavit de M. Miller est tendancieux et truffé d'arguments. Ses paragraphes 8, 10 et 11 sont typiques à cet égard :

[TRADUCTION]

 

8.         J'estime que, dès le départ, les fonctionnaires de l'immigration qui ont participé à l'administration de la demande d'établissement d'Elena et de sa demande de dispense ministérielle n'avaient pas l'intention de la laisser entrer au Canada pour y vivre avec moi. La première conclusion de Mme Coulter comme quoi notre mariage n'était pas authentique m'a semblé être un moyen pour elle de rejeter la demande et d'éviter d'avoir à transmettre au ministre la demande de dispense de ma femme. Nous lui avions communiqué quantité d'éléments touchant notre relation, notamment nos efforts pour rester en contact l'un avec l'autre – notes de téléphone, cachets sur mon passeport attestant mes voyages en Russie, photographies, ainsi que des déclarations de membres de nos familles respectives témoignant de la solidité de nos liens. La conclusion de Mme Coulter n'était pas défendable, et elle a en fait été plus tard abandonnée comme motif de rejet. Cependant, elle témoigne de l'attitude des fonctionnaires à l'égard de la demande d'Elena tout au long des années qu'il a fallu pour y obtenir réponse. Je me trouvais à l'ambassade du Canada à Moscou le jour de l'entretien d'Elena avec Mme Coulter. Or, bien que cette dernière eût exprimé à ma femme ses doutes sur l'authenticité de notre mariage, elle n'a même pas demandé à me parler, alors qu'elle savait que j'étais là et disposé à répondre à ses questions.

[…]

10.       Les fonctionnaires qui ont participé à l'administration de la demande de ma femme ne se sont pas montrés honnêtes envers nous. Ils nous ont amenés, Elena et moi, à croire qu'une décision serait rendue dans des délais déterminés, qui n'ont jamais été respectés. Ils nous ont donné à espérer, sans avoir l'intention de répondre à nos espoirs. Au début de la procédure enclenchée par la demande d'Elena, au printemps 1999, on lui a communiqué des formulaires médicaux qu'elle a remplis en juin de la même année, après avoir payé les frais de l'examen nécessaire. Le certificat médical était valable jusqu'au 28 mai 2000. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi les fonctionnaires de l'immigration l'ont obligée à payer un examen médical alors que sa demande ne ferait l'objet d'une décision définitive que plusieurs années après l'expiration du certificat médical. J'avais considéré la délivrance des formulaires médicaux à ma femme comme un signe que l'administration de sa demande avançait au rythme voulu, étant donné que, selon notre avocat, on n'obligeait pas normalement les demandeurs à payer des examens médicaux à moins de prévoir de rendre une décision pendant le délai de validité du certificat de santé.

11.       Les fonctionnaires qui ont participé à l'examen du dossier d'Elena n'ont pas été honnêtes envers nous touchant leur intention de recommander le rejet de sa demande. Je m'attendais à ce que nous puissions participer réellement au processus décisionnel en donnant aux fonctionnaires de l'immigration notre version du cas de ma femme. On nous a bien permis de fournir des renseignements et de présenter des observations, mais seulement parce que les fonctionnaires devaient paraître équitables. Or ils n'ont pas été équitables, parce qu'ils n'ont jamais eu la moindre intention d'envisager sérieusement de formuler une recommandation favorable à ma femme. Pendant des années, nous avons continué à présenter des observations et à espérer une issue heureuse à la demande d'Elena. Pas une seule fois avant qu'on ne lui communique la recommandation défavorable en mai 2004 et ne lui donne la possibilité d'y répondre, nous n'avons été informés par les fonctionnaires de l'immigration qu'ils avaient irrévocablement adopté la position que le ministre ne devrait pas accorder de dispense à ma femme. Les choses sont pires lorsqu'on suit une procédure qui semble promettre un traitement équitable, mais qu'elle se révèle être une imposture. Il aurait mieux valu que les fonctionnaires nous informent honnêtement que ma femme n'avait aucune chance d'obtenir une dispense ministérielle. Alors, au moins, nous aurions pu décider en connaissance de cause comment gérer notre mariage et où habiter, au lieu d'attendre encore et encore, d'espérer et d'espérer encore, une issue favorable à sa demande.


[22]           Les opinions, convictions, espoirs et attributions de motifs du souscripteur d'affidavit n'établissent pas l'existence des faits qu'il suppose les sous-tendre ni de la malveillance qu'il impute aux fonctionnaires, et, en l'absence de faits objectifs pour les étayer, ils ne prouvent rien.

[23]           Cependant, malgré ses défectuosités, je refuse de radier cet affidavit, étant donné que je ne vois pas l'utilité de le faire à la présente étape de la procédure. Je me contenterai plutôt de ne pas tenir compte, aux fins de ma décision, des parties de l'affidavit qui soulèvent des questions de mauvaise foi et de conduite irrégulière, estimant que, en tout état de cause, ces questions auraient dû être mises en litige dans la demande de contrôle judiciaire, qui, on s'en souviendra, a été introduite longtemps après la présente action et donc à un moment où tous les éléments maintenant invoqués étaient connus des demandeurs. Il est aujourd'hui trop tard pour soulever ces questions.

LA DÉCISION SAMIMIFAR

[24]           À l'audience de la présente requête, les deux avocates ont consacré un temps considérable à l'examen d'une décision très récente de ma collègue la juge Snider : Samimifar c. Canada (M.C.I.), [2006] A.C.F. no 1626 (QL); 2006 CF 1301. L'avocate de la défenderesse et requérante a essayé par une argumentation très détaillée de me convaincre que cette décision est erronée en droit et que pour cette raison je ne devrais pas la suivre. De même, l'avocate des demandeurs et intimés a essayé de me persuader que cette décision est valable, qu'elle règle toutes les questions de droit soumises à mon examen et que je devrais m'y conformer. Ces invitations sont toutes deux déplacées, et je les décline. Il ne m'appartient pas d'examiner en appel ou de critiquer les jugements de mes collègues, pas plus que de les approuver. Si ce jugement est déterminant à l'égard des questions dont je suis saisi, je dois le suivre; dans le cas contraire, il n'est pas pertinent.

[25]           En fait, après avoir étudié attentivement le jugement Samimifar, je suis arrivé à la conclusion que, bien qu'il présente des analogies frappantes avec la présente espèce et concerne pratiquement les mêmes questions de droit que celles qu'ont soulevées les avocates devant moi, les différences entre les deux affaires sous le rapport de la structure des faits l'emportent de beaucoup sur leurs similitudes. La décision Samimifar avait aussi pour objet une action civile contre la Couronne invoquant la lenteur, attribuée à la négligence, de l'administration d'une demande d'établissement, mais la durée en cause y était beaucoup plus longue – environ neuf ans, alors qu'il ne s'agit dans la présente espèce que d'un peu plus de trois ans, soit de décembre 2001, moment où la demanderesse a obtenu l'autorisation de voyager hors de Russie, au rejet final de sa demande début 2005, ce qui constitue le maximum dont les demandeurs puissent se plaindre. De plus, la juge Snider disposait d'éléments de preuve factuels et objectifs qui lui ont permis de conclure que le juge des faits au procès pourrait raisonnablement être amené à conclure à une faute de la part du fonctionnaire chargé de la décision, alors que l'affidavit de M. Miller, examiné plus haut, ne présente en rien ce caractère objectif. En outre, ma collègue disposait d'éléments de preuve dont elle a constaté qu'ils pourraient amener le juge des faits à conclure au procès à l'existence d'un lien suffisamment étroit entre les fonctionnaires en cause et le demandeur pour donner naissance à une obligation de diligence, condition nécessaire de tout recours en négligence; or ce n'est pas le cas ici, et le flux constant de lettres intéressées de M. Miller ne suffit pas à créer un tel lien. La preuve produite dans la présente espèce n'établit pas que les fonctionnaires en cause aient jamais eu d'autre obligation qu'envers le peuple canadien, soit l'obligation d'examiner aussi impartialement que possible la demande de dispense et de traitement spécial présentée par une espionne russe démasquée aux autorités d'un pays de l'hospitalité duquel elle avait si scandaleusement abusé. Cette preuve montre aussi que lesdits fonctionnaires n'ont jamais donné à aucun des demandeurs de bonnes raisons de croire qu'ils pouvaient  raisonnablement s'attendre à une décision favorable.

[26]           Mais la distinction la plus importante à mon sens entre la présente affaire et celle qui a donné lieu à la décision Samimifar est qu'il était encore possible que la demande d'établissement de M. Samimifar ait été acceptée. On lui avait déjà opposé un refus, mais celui‑ci avait été annulé à l'issue d'une demande de contrôle judiciaire, et il attendait encore une nouvelle décision au moment du jugement de la juge Snider. En outre, cette dernière ne semble pas avoir considéré comme déraisonnable la possibilité d'une décision finale favorable. Or dans le cas de Mme Miller, cette possibilité n'existe plus : le ministre a repoussé sa demande de dispense, notre Cour a rejeté sa demande de contrôle judiciaire, et elle n'a pas interjeté appel de ce jugement. Aucun des demandeurs ne pouvait raisonnablement espérer (ni, à mon sens, n'a jamais raisonnablement espéré) une issue favorable à la demande d'établissement.

[27]           Qui plus est, toutes allégations de mauvaise foi, de duperie ou de fautes analogues de la part des fonctionnaires auraient pu et dû être formulées dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Elles ne l'ont pas été et les demandeurs ne peuvent maintenant mettre en litige des questions qu'ils auraient pu soulever dans ladite demande.

[28]           Les demandeurs font donc valoir aujourd'hui la lenteur injustifiée, qu'ils imputent à la négligence, d'une procédure qui a entraîné le déni à Mme Miller d'un droit que, par définition, elle n'a jamais eu. Nous savons maintenant que tout espoir d'une décision favorable était dénué de fondement raisonnable. Quelle qu'ait été son obligation envers elle, s'il en avait une, le ministre n'était certainement pas tenu de l'informer du résultat probable avant qu'il ne rende sa décision définitive. (En fait, si un fonctionnaire s'était permis de dire aux demandeurs qu'ils n'avaient vraiment aucune chance, cela aurait pu en soi constituer un motif valable de contrôle judiciaire.) La décision elle-même étant maintenant inattaquable, aucune négligence supposée dans la procédure qui y a mené ne peut justifier une réclamation en dommages-intérêts.

[29]           Il y a un autre aspect sous lequel la décision de la juge Snider fait ressortir la distinction entre les deux affaires. Dans les deux cas, les demandeurs ont réclamé des dommages-intérêts sur le fondement d'une atteinte supposée aux droits garantis par l'article 7 de la Charte. Après avoir cité l'arrêt de la Cour suprême Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, et fait observer que les réclamations en dommages-intérêts pour retard fondées sur une violation supposée de l'article 7 de la Charte dans une procédure administrative doivent rester [TRADUCTION] « exceptionnelles », ma collègue a conclu que les prétentions formulées, et la preuve produite, devant elle suffisaient à soulever une question litigieuse à cet égard. Or, vu les prétentions et la preuve dont je suis saisi, en particulier le fait qu'une durée beaucoup plus courte est en cause, l'absence établie de tout droit pour la demanderesse et l'insuffisance de la preuve des demandeurs, force m'est de constater que la présente espèce n'atteint pas le seuil [TRADUCTION] « très élevé », pour reprendre les termes de ma collègue, établi à cet égard par la Cour suprême. Il n'y a pas ici de véritable question litigieuse touchant la réclamation en dommages-intérêts pour violation de la Charte.

[30]           En résumé, la juge Snider a examiné en détail dans la décision Samimifar les mêmes questions de droit que soulève la présente requête, mais sa conclusion était entièrement déterminée par les faits et les éléments de preuve particuliers à cette affaire. Les différences entre les deux affaires, exposées plus haut, commandent ici une conclusion contraire.

CONCLUSION

[31]           Je conclus que la requête de la Couronne doit être accueillie et que l'action des demandeurs doit être rejetée avec dépens.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

La requête en jugement sommaire est accueillie et l'action des demandeurs est rejetée, le tout avec dépens.


« James K. Hugessen »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2064‑04

 

INTITULÉ :                                                   ELENA MILLER ET PETER MILLER

                                                                        c.

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 9 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE HUGESSEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 30 NOVEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LES DEMANDEURS

Marina Stefanovic

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barbara Jackman

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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