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Date : 20070123

Dossier : T-2044-05

Référence : 2007 CF 60

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

ENTRE :

MICHEL DESLOGES

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la sous-ministre adjointe, Ressources humaines, Affaires étrangères Canada (la sous-ministre adjointe) a rejeté un grief déposé par le demandeur, Michel Desloges, selon la procédure prévue à l’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, abrogée, 2003, ch. 22, art. 2 (la LRTFP).

 

I.                    Contexte

[2]               Michel Desloges a été au service d’Affaires étrangères Canada (le Ministère) du 22 juillet 1969 jusqu’à sa retraite, le 29 avril 2005.

[3]               Le 1er janvier 1998, il a été promu à la classification EX-01 au sein du Ministère. La catégorie « EX » signifie qu’un poste fait partie des postes de direction. Au Ministère, les postes EX ne sont pas régis par une convention collective.

 

[4]               Le 27 juillet 2001, M. Desloges a été affecté en Inde à un poste de permutant, celui de conseiller et gestionnaire de programme. À son entrée en fonction, son poste était classifié au niveau EX-01, mais il a été reclassifié au niveau EX-02 le 18 juin 2002, avec effet au 1er septembre 2001.

 

[5]               Lorsqu’un fonctionnaire exécute les fonctions d’un poste classifié à un niveau supérieur à la classification existante de ce fonctionnaire, ce dernier peut recevoir une « rémunération d’intérim ». Comme le poste qu’occupait M. Desloges en Inde était classifié au niveau EX-02, c’est-à-dire à un niveau supérieur à sa propre classification, il s’attendait à toucher une rémunération d’intérim parce qu’il exécutait les fonctions inhérentes à un poste EX-02. Cette attente était fondée sur un courriel ministériel que M. Desloges avait reçu le 17 juillet 2002 et qui indiquait que son poste avait été reclassifié au niveau EX-02 et que [traduction] « le financement de la reclassification des postes de permutant à l’étranger [serait] supporté par la réserve ministérielle, avec l’accord du Comité exécutif » (pièce B de l’affidavit de M. Desloges). M. Desloges a également reçu une confirmation d’affectation, datée du 27 mars 2003, qui mentionnait ce qui suit : [traduction] « La rémunération d’intérim pour EX-02 s’applique » (pièce D de l’affidavit de M. Desloges).

 

[6]               Selon le défendeur, la confirmation d’affectation datée du 27 mars 2003 était erronée et, le 31 mars suivant, le Ministère a envoyé une confirmation modifiée mentionnant ceci : [traduction] « La rémunération d’intérim ne s’applique pas ». Le demandeur n’a pas confirmé s’il avait reçu cette confirmation ou non et il prétend qu’il ne s’est rendu compte qu’en août 2003 qu’il ne toucherait pas de rémunération d’intérim, quand il a reçu une autre confirmation d’affectation, datée celle-là du 29 août 2003, qui mentionnait que sa nomination intérimaire en Inde avait été prolongée et que [traduction] « la rémunération d’intérim ne [s’appliquait] pas ».

 

[7]               Le 21 février 2005, M. Desloges a déposé un grief concernant le fait qu’il n’avait reçu aucune rémunération d’intérim pour la période comprise entre le 1er septembre 2001 et le 14 avril 2005.

 

[8]               Par une lettre datée du 13 octobre 2005, la sous-ministre adjointe a rejeté le grief de M. Desloges, et ce, pour deux motifs distincts : premièrement, le grief n’avait pas été déposé dans le délai de 25 jours prévu au paragraphe 71(3) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, DORS93/348 (le « RCRTFP »); deuxièmement, le Ministère n’avait pas pour pratique d’accorder une rémunération d’intérim aux fonctionnaires permutants de la catégorie EX, et la sous-ministre adjointe a conclu que M. Desloges avait été rémunéré d’une manière conforme à la Politique d’administration des traitements pour le Groupe de la direction, publiée par le Conseil du Trésor (la Politique des traitements).

 

[9]               La Politique des traitements mentionne ce qui suit : « Les cadres classifiés aux niveaux EX-1 à EX-3 sont admissibles à une rémunération d’intérim au sein du groupe EX lorsqu’ils sont tenus d’exercer l’ensemble ou une partie importante des fonctions d’un poste de niveau supérieur pour une période de plus de trois (3) mois ». Comme le mentionne également la section 5.3 de cette Politique : « Dans les organisations ou les éléments de ces dernières qui ont recours à un régime de mise en commun de postes permutants, à des programmes de perfectionnement ou à un régime de nomination à un niveau déterminé, les administrateurs généraux peuvent décider de ne pas appliquer la présente politique à l’égard des cadres nommés par intérim dans ces environnements ». La décision de la sous-ministre adjointe laissait entendre que M. Desloges n’avait pas reçu de rémunération d’intérim parce que l’administrateur général du Ministère avait décidé, en application de la section 5.3 de la Politique des traitements, de ne pas appliquer cette Politique aux fonctionnaires occupant un poste EX permutant. La sous-ministre adjointe n’a fourni aucune preuve du moment où cette décision avait été prise, ni de la façon dont elle l’avait été, sinon pour dire que le Ministère avait toujours pour pratique de ne pas accorder de rémunération d’intérim aux fonctionnaires EX permutants et que, à deux occasions, le sous‑ministre avait rejeté des propositions visant à accorder une telle rémunération aux fonctionnaires EX permutants.

 

II.                 Le cadre législatif et réglementaire applicable

[10]           Les dispositions pertinentes de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique sont les suivantes :

 

2(1). […]

 

2(1). […]

 

« fonctionnaire » Personne employée dans la fonction publique, même si elle a cessé d’y travailler par suite d’une grève ou par suite d’un licenciement contraire à la présente loi ou à une autre loi fédérale, mais à l’exclusion des personnes

 

“employee” means a person employed in the Public Service, other than

 

[…]

 

[…]

 

j) occupant un poste de direction ou de confiance

 

(j) a person who occupies a managerial or confidential position

 

[…]

 

[…]

 

« grief » Plainte écrite déposée conformément à la présente loi par un fonctionnaire, soit pour son propre compte, soit pour son compte et celui de un ou plusieurs autres fonctionnaires. Les dispositions de la présente loi relatives aux griefs s’appliquent par ailleurs  :

“grievance” means complaint in writing presented in accordance with this Act by an employee on his own behalf or on behalf of the employee and one or more other employees, except that

a) aux personnes visées aux alinéas f) ou j) de la définition de « fonctionnaire » […]

 

(a) for the purposes of any of the provisions of the Act respecting grievances, a reference to an “employee” includes a person who would be an employee but for the fact that the person is a person described in paragraph (f) or (j) of the definition “employee” […]

 

« poste de direction ou de confiance » […]

 

“managerial or confidential position” means a position

[…]

 

b) poste classé par l’employeur dans le groupe de la direction, quelle qu’en soit la dénomination;

 

(b) classified by the employer as being in the executive group, by whatever name called, 

 

96. (3) Sauf dans le cas d’un grief qui peut être renvoyé à l’arbitrage au titre de l’article 92, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est finale et obligatoire, et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l’égard du grief ainsi tranché.

96. (3) Where a grievance has been presented up to and including the final level in the grievance process and it is not one that under section 92 may be referred to adjudication, the decision on the grievance taken at the final level in the grievance process is final and binding for all purposes of this Act and no further action under this Act may be taken.

 

[11]           Les éléments pertinents du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique sont les suivants :

 

63. Par dérogation à toute autre disposition de la présente partie, les délais prévus aux termes de la présente partie, d’une procédure applicable aux griefs énoncée dans une convention collective ou d’une décision arbitrale, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peuvent être prorogés avant ou après leur expiration  :

63. Notwithstanding anything in the Part, the times prescribed by this Part or provided for in a grievance procedure contained in a collective agreement or in an arbitral award for the doing of any act, the presentation of a grievance at any level or the providing or filing of any notice, reply or document may be extended, either before or after the expiration of those times

a) soit par une entente entre les parties;

(a) by agreement between the parties; or

b) soit par la Commission, à la demande de l’employeur du fonctionnaire ou de l’agent négociateur, selon les modalités que la Commission juge indiquées.

 

(b) by the Board, on the application of an employer, an employee or a bargaining agent, on such terms and conditions as the Board considers advisable.

 

71(3) Le fonctionnaire présente son grief au plus tard 25 jours après le premier en date des jours suivants  : le jour où il a eu connaissance pour la première fois de l’action, de l’omission ou de la situation à l’origine du grief ou le jour où il en a été avisé.

71(3) An employee shall present a grievance no later than on the twenty­fifth day after the day on which the employee first had knowledge of any act, omission or other matter giving rise to the grievance or the employee was notified of the act, omission or other matter, whichever is the earlier.

 

 

 

III.               Les questions en litige

[12]           Les questions en litige sont les suivantes :

a)      À quelle norme de contrôle est soumise la décision de la sous-ministre adjointe de rejeter le grief du demandeur parce que ce grief a été présenté en dehors du délai prescrit?

b)      La sous-ministre adjointe a-t-elle commis une erreur en rejetant le grief après avoir conclu que ce dernier n’avait pas été présenté dans le délai prescrit au paragraphe 71(3) du RCRTFP?

c)      Quelle est la norme de contrôle qui s’applique à la décision de la sous-ministre adjointe de rejeter le grief du demandeur sur le fond?

d)      La sous-ministre adjointe a-t-elle commis une erreur en rejetant le grief sur le fond?

 

IV.              Analyse

La norme de contrôle applicable à la décision selon laquelle le grief a été déposé en dehors du délai prescrit

[13]           La norme de contrôle qui s’applique à la décision de la sous-ministre adjointe portant que le grief a été déposé en dehors du délai prescrit doit être déterminée selon la méthode pragmatique et fonctionnelle. Cette méthode consiste à prendre quatre facteurs en considération : la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative ou d’un droit d’appel, l’expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige, l’objet de la loi en question et de la disposition particulière, de même que la nature de la question (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19). Le demandeur n’a pas présenté d’observations distinctes au sujet de la norme de contrôle applicable à la décision portant que le grief a été déposé en dehors du délai prescrit et à la décision de rejeter le grief sur le fond. Il a fait valoir que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la première de ces deux décisions est la décision manifestement déraisonnable (Trépanier c. Canada (P.G.), 2004 CF 1326 [Trépanier]).

 

[14]           La Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit : « […] les termes de la LRTFP ne sont pas catégoriques au point “d’écarter” la compétence du tribunal dans tous les cas de différends qui peuvent faire l’objet d’un grief en vertu de l’article 91 mais d’un arbitrage en vertu de l’article 92 […] » (Vaughan c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 146, au paragraphe 29 [Vaughan]). En outre, la Cour d’appel fédérale a récemment statué que le paragraphe 96(3) est une clause privative assez faible et que, de ce fait, il convient de ne faire preuve que d’une certaine retenue à l’égard de la décision du décideur (Assh c. P.G. (Canada), 2006 CAF 358 [« Assh »]).

 

[15]           S’agissant de l’expertise relative du décideur, le calcul du délai de 25 jours est une question purement factuelle et le décideur a l’expertise voulue pour la trancher. Comme la Cour n’a pas plus d’expertise que le décideur à l’égard de ce genre de décisions factuelles, ce facteur dénote qu’il convient de faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard de la décision.

 

[16]           Le troisième facteur est l’objet de la loi et celui de la disposition particulière. Dans Trépanier, au paragraphe 23, le juge Blanchard déclare que la LRTFP « est une loi polycentrique vu qu’elle vise à résoudre des questions touchant des objectifs de politique contradictoires ou les intérêts de groupes différents et qu’elle n’a pas seulement pour objet d’opposer l’État à l’individu ». Le paragraphe 71(3) du RCRTFP est un peu moins polycentrique que la LRTFP dans son ensemble car il permet de déterminer le droit qu’a un fonctionnaire de déposer un grief contre l’employeur. Je conclus que ce facteur implique une certaine retenue.

 

[17]           Le dernier facteur est la nature de la question. Comme nous l’avons vu plus tôt, la question de savoir si un grief a été déposé dans le délai prescrit de 25 jours est une conclusion de fait et, par conséquent, elle dénote un degré élevé de retenue.

 

[18]           Au vu de cette analyse, je conclus que la norme de contrôle applicable à la question de savoir si le grief a été déposé dans le délai prescrit de 25 jours est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

Décision concernant le délai prescrit

[19]           La sous-ministre adjointe a statué que le demandeur a été informé de sa reclassification en juillet 2002 et qu’il n’a pas présenté de grief avant mars 2005. Elle a conclu que le grief a été déposé plus de deux ans après que le demandeur a pris connaissance de la reclassification et, de ce fait, en dehors du délai de 25 jours que prévoit le paragraphe 71(3) du RCRTFP.

 

[20]           Dans ses observations écrites, le demandeur a fait valoir que le délai de 25 jours ne s’applique pas aux fonctionnaires de la catégorie EX. Ces derniers, a-t-il ajouté, sont exclus de la définition du mot « fonctionnaire » que figure au paragraphe 2(1) de la LRTFP, et ce, du fait de l’alinéa j), qui exclut les personnes occupant un poste de direction des définitions du mot « fonctionnaire », et que, comme les fonctionnaires de la catégorie EX ne sont pas des « fonctionnaires » pour l’application de la Loi, le délai prescrit au paragraphe 71(3) du RCRTFP ne s’applique pas à eux.

 

[21]           L’interprétation de la LRTFP et du RCRTFP que suggère le demandeur ne peut être retenue au regard du sens élargi du mot « fonctionnaire » que comporte la définition de « grief », à l’article 2 de la LRTFP :

« grief » Plainte écrite déposée conformément à la présente loi par un fonctionnaire, soit pour son propre compte, soit pour son compte et celui de un ou plusieurs autres fonctionnaires. Les dispositions de la présente loi relatives aux griefs s’appliquent par ailleurs : a) aux personnes visées aux alinéas f) ou j) de la définition de « fonctionnaire » […].

 

[22]           Voici ce que mentionne l’alinéa 15(2)b) de la Loi d’interprétation, L.R., 1985, ch. l-4 :

 

15(2) Les dispositions définitoires ou interprétatives d’un texte  :

 

15(2) Where an enactment contains an interpretation section or provision, it shall be read and construed

 

a) […]

(a) …

b) s’appliquent, sauf indication contraire, aux autres textes portant sur un domaine identique.

(b) as being applicable to all other enactments relating to the same subject-matter unless a contrary intention appears.

 

 

[23]           D’après cette disposition, la définition de « grief » qui figure au paragraphe 2(1) de la LRTFP et qui - dans le texte anglais de la Loi - étend la définition d’un « fonctionnaire » à « any of the provisions of the Act respecting grievances » (« n’importe quelle disposition de la Loi concernant les griefs ») est une disposition interprétative qu’il convient d’interpréter comme applicable à tous les autres textes portant sur les griefs qui visent les employés de la fonction publique, car aucune intention contraire ne figure dans la LRTFP ou le RCRTFP.

 

[24]           Par ailleurs, l’article 16 de la Loi d’interprétation est libellé comme suit : « Les termes figurant dans les règlements d’application d’un texte ont le même sens que dans celui-ci ». L’alinéa 100(1)c) de la LRTFP confère le pouvoir de prendre des règlements au sujet de la procédure de présentation des griefs, y compris des dispositions relatives au délai dans lequel un grief peut être présenté. La seule interprétation logique est que le législateur voulait que les dispositions réglementaires en matière de griefs correspondent à la disposition de la LRTFP qui a trait aux griefs. Si l’on retenait l’interprétation que propose le demandeur, il n’y aurait donc, dans le RCRTFP, aucune disposition en matière de griefs qui s’appliquerait aux cadres. Cela n’est manifestement pas ce que le législateur voulait, car il a expressément élargi la définition qui figure dans la LRTFP en vue d’englober de telles personnes.

 

[25]           La définition élargie de « fonctionnaire » qui figure dans la définition du mot « grief » s’applique au paragraphe 71(3) du RCRTFP et, de ce fait, le délai que prescrit cette disposition s’applique au demandeur.

 

[26]           À l’audience, le demandeur a fait valoir que le comportement de hauts fonctionnaires du Ministère équivalait à une entente au sens de l’article 63 du RCRTFP en vue de proroger le délai prescrit pour déposer un grief au sujet de sa rémunération d’intérim. Il a soutenu qu’il avait soulevé la question de cette rémunération auprès d’un certain nombre de ses supérieurs, dont la sous-ministre adjointe, et qu’on lui avait dit que l’on examinait la question.

 

[27]           Le défendeur allègue que, même si les supérieurs du demandeur lui ont effectivement dit qu’ils allaient examiner la question, cela n’équivaut pas à une entente en vue de proroger le délai prescrit pour déposer un grief en vertu de l’article 63 du RCRTFP.

 

[28]           Je suis d’accord avec le défendeur. Je suis convaincu qu’aucune preuve ne donne à penser qu’il y a eu une entente en vue de proroger le délai. La décision de la sous-ministre adjointe au sujet du respect du délai du grief doit être examinée en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable. La sous-ministre adjointe a déclaré que, en juillet 2002, le demandeur était au courant des circonstances qui avaient donné lieu à son grief. Ce dernier a prétendu qu’il ne les a apprises qu’en 2003, quand il a reçu une confirmation d’affectation modifiée mentionnant que [traduction] « la rémunération d’intérim ne [s’appliquait] pas », tandis que le défendeur a fait valoir qu’une confirmation modifiée comportant la même mention a été envoyée à la fin de mars 2002. Peu importe la date à laquelle le demandeur a été informé qu’il ne recevrait pas de rémunération d’intérim, son grief n’a quand même pas été présenté dans le délai de 25 jours. La décision de la sous-ministre adjointe selon laquelle le grief a été déposé en dehors du délai prescrit est raisonnable.

 

[29]           Il est possible de rejeter le présent contrôle judiciaire sur cette seule raison; néanmoins, j’ai également examiné la décision que la sous-ministre adjointe a rendue sur le fond quant au grief du demandeur.

 

La norme de contrôle applicable à la décision de rejeter le grief sur le fond

[30]           Le demandeur a fait valoir que la norme de contrôle qui s’applique à la décision de la sous-ministre adjointe est la décision correcte, tandis que le défendeur a soutenu qu’il s’agit de la décision manifestement déraisonnable.

 

[31]           Le premier facteur qu’il faut prendre en considération est la présence d’une clause privative. Comme nous l’avons vu plus tôt, le paragraphe 96(3) de la LRTFP contient une clause privative relativement faible, ce qui dénote qu’il convient de ne faire preuve que d’une certaine retenue.

 

[32]           Le deuxième facteur est l’expertise relative du décideur. Le demandeur a soutenu que la sous-ministre adjointe a moins d’expertise que la présente Cour en matière de solution de différends. En outre, selon lui, il n’y a aucune preuve que la sous-ministre adjointe possède une expertise relative quelconque en matière de règlement des griefs. Le défendeur a fait valoir que la sous-ministre adjointe possède une expertise institutionnelle en matière d’interprétation de la Politique du Conseil du Trésor du fait de ses 23 années d’expérience dans la gestion des ressources humaines au sein de la fonction publique, et que la Cour devrait faire preuve à son endroit d’une certaine retenue.

 

[33]           Le demandeur a également fait valoir que, dans l’arrêt Assh, au paragraphe 44, la Cour d’appel fédérale a statué que la nature informelle de la procédure de grief prévue à l’article 91 de la LRTFP et le fait qu’il ne s’agit pas d’une procédure indépendante de l’employeur donnent à penser qu’une cour supérieure n’est pas tenue de faire preuve d’une grande retenue à l’égard des décisions que prend un comité interne de règlement des griefs au sujet de questions qui ne sont pas de nature purement factuelle. Je ne puis accorder beaucoup d’importance à cette affirmation étant donné que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Vaughan, au paragraphe 38, a rejeté l’argument de l’appelant selon lequel les régimes législatifs complets qui ne prévoient pas d’arbitrage indépendant ne sont pas, à cet égard, dignes de retenue. La Cour a conclu qu’il s’agit là d’un facteur à prendre en compte, mais que, dans le cas de la LRTFP, d’autres indices plus convaincants de l’intention du législateur l’emportent sur ce facteur; cela dénote qu’il convient de faire preuve de retenue à l’égard du mécanisme de règlement des griefs prévu dans la LRTFP.

 

[34]           La sous-ministre adjointe possède à l’évidence l’expertise voulue pour déterminer si une politique particulière du Conseil du Trésor s’applique au Ministère, surtout si cette politique est liée à son champ de compétence, les ressources humaines. Toutefois, elle n’a pas plus d’expertise que la Cour car cette dernière possède l’expertise voulue pour déterminer la portée et l’application des textes gouvernementaux. Ce facteur dénote donc qu’il convient de ne faire preuve que d’un peu de retenue à l’endroit du décideur.

 

[35]           Troisième facteur : l’objet de la Loi et de la disposition en question. Comme nous l’avons vu plus tôt, l’objet de la LRTFP est polycentrique. La disposition dont il est question ici est la section 5.3 de la Politique des traitements. Cette disposition est elle aussi polycentrique car elle est destinée à donner aux ministères une certaine souplesse au chapitre de la dotation des postes permutants. Ce facteur dénote qu’il convient de faire preuve d’un degré élevé de retenue.

 

[36]           Quant au dernier facteur, le demandeur soutient que la question est un point de droit puisqu’elle a trait à la relation d’emploi contractuelle entre le demandeur et le défendeur. Ce dernier soutient que la question en litige est un point de fait, à savoir si l’administrateur général du Ministère a autorisé le versement d’une rémunération d’intérim à ses cadres qui font partie de réserves de permutants.

 

[37]           Je suis d’accord avec le défendeur que la question consiste à savoir si l’administrateur général du Ministère a décidé de ne pas payer de rémunération d’intérim aux cadres occupant un poste de permutant en vertu de la section 5.3 de la Politique des traitements. Cependant, je ne conviens pas qu’il s’agit là d’une question de fait. Le fait de savoir si le sous-ministre a « décidé », en vertu de la section 5.3 de la Politique des traitements, d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas payer de rémunération d’intérim aux fonctionnaires EX permutants nommés par intérim est une question mixte de fait et de droit. Ce facteur dénote que la Cour n’a pas à faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision de la sous-ministre adjointe.

 

[38]           Considérés ensemble, les quatre facteurs dénotent que la norme applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

La décision de rejeter le grief sur le fond

[39]           La sous-ministre adjointe a pris en considération le bien-fondé du grief du demandeur et elle a conclu que ce dernier n’avait pas droit à une rémunération d’intérim à titre de fonctionnaire EX permutant car le Ministère n’avait jamais eu pour pratique d’accorder une telle rémunération à ces fonctionnaires et qu’il avait le droit de le faire en vertu de la section 5.3 de la Politique des traitements, laquelle prescrit que la politique générale est que les fonctionnaires EX nommés par intérim reçoivent une rémunération d’intérim mais que les administrateurs de ministère peuvent exercer leur pouvoir discrétionnaire et ne pas accorder une telle rémunération aux fonctionnaires EX permutants.

 

[40]           Le demandeur a demandé à la Cour d’adopter deux thèses générales : premièrement, qu’il y a une expectative raisonnable de la part d’un employeur et d’un employé qu’un employé a le droit de recevoir le salaire rattaché à son emploi et, deuxièmement, que si l’employeur s’attend à payer un montant inférieur à l’employé, il est alors obligé de le faire savoir à ce dernier dès le départ, en termes clairs et non équivoques.

 

[41]           La Politique des traitements est une preuve que la première thèse est une politique du Conseil du Trésor. C’est la seconde thèse qui est en litige en l’espèce. Plus précisément, la Politique des traitements ou la LRTFP exigent-elles que l’employeur le fasse clairement savoir à l’employé lorsqu’il a l’intention de payer à ce dernier un montant inférieur au salaire qui se rattache à son emploi? Et, dans l’affirmative, le sous-ministre l’a-t-il fait?

 

[42]           Le demandeur a fait valoir que la sous-ministre adjointe n’a pris aucune décision puisque, selon la section 5.3 de la Politique des traitements, une décision doit être mise par écrit pour être en vigueur (Gingras c. Canada, [1994] 2 C.F. 734 [Gingras]) ou, subsidiairement, la décision doit être communiquée (Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2001] 4 C.F. 451 (C.A.F.)).

 

[43]           Cet argument ne me convainc pas, principalement parce que les deux décisions susmentionnées sont nettement différentes de la présente espèce. Dans Gingras, la décision faisant l’objet d’un contrôle était celle de ne pas accorder aux membres de la GRC la prime au bilinguisme. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a statué que la politique de la prime au bilinguisme n’était pas discrétionnaire et avait force de loi. De ce fait, la décision de ne pas appliquer la politique aux membres de la GRC ne pouvait pas être prise sans qu’il y en ait une preuve écrite. Cela ne ressemble pas à la présente affaire, qui traite de dispositions discrétionnaires figurant dans une politique du Conseil du Trésor. Le passage suivant de la section 5.3 : « les administrateurs généraux peuvent décider de ne pas appliquer la présente politique » dénote clairement que cette disposition est discrétionnaire. Je ne trouve pas que la décision Rivière Blueberry est pertinente, car il y est question d’élections dans le contexte d’une fin de non-recevoir.

 

[44]           Rien dans la Politique des traitements ou dans sa loi habilitante, la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R., 1985, ch. F-11, ne donne à penser que le mot « décider » exige plus qu’une décision d’un sous-ministre. Bien que la preuve concernant la question de savoir si le sous-ministre a pris une décision ou non soit moins que satisfaisante, je ne puis conclure que la décision de la sous-ministre adjointe, à savoir qu’une décision avait été prise, est déraisonnable. Cette dernière est arrivée raisonnablement à cette conclusion en s’appuyant sur le fait que le sous-ministre du Ministère avait rejeté à deux reprises des propositions pour que les cadres occupant un poste permutant reçoivent une rémunération d’intérim, ainsi que sur le fait que le Ministère n’avait jamais payé de rémunération d’intérim à des fonctionnaires EX permutants nommés par intérim.

 

V.    Conclusion

[45]           Pour les motifs qui précèdent, je suis convaincu que la décision de la sous-ministre adjointe de rejeter le grief du demandeur parce qu’il a été déposé en dehors du délai prescrit n’est pas manifestement déraisonnable et que sa conclusion selon laquelle le demandeur a été rémunéré de façon appropriée n’est pas déraisonnable.

 


 

ORDONNANCE

 

LA PRÉSENTE COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-2044-05

 

INTITULÉ :                                                   MICHEL DESLOGES

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 4 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 23 JANVIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dougald E. Brown

 

POUR LE DEMANDEUR

Stéphane Hould

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nelligan O’Brien Payne s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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