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Date : 20070130

Dossier : T-305-06

Référence : 2007 CF 89

 

 

ENTRE :

LINDA BARTLETT

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Pinard

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision prise pour le compte de la ministre de Ressources humaines et Développement social Canada (la « ministre ») en date du 19 janvier 2006, à savoir qu’il n’y a eu ni avis erroné ni erreur administrative au sens du paragraphe 66(4) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985. ch. C-8 (la « Loi »).

 

Les faits

[2]               Le 29 décembre 1977, la demanderesse, Linda Bartlett, a demandé des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (les « prestations du RPC »).

 

[3]               À l’époque où Mme Bartlett a présenté sa demande, Santé et Bien-être social Canada (aujourd’hui Ressources humaines et Développement social Canada) (le « ministère ») l’a informée qu’elle n’avait pas effectué assez de cotisations pour être admissible. Mme Bartlett a affirmé que oui.

 

[4]               Au printemps de 1978, le ministère est entré en contact avec Mme Bartlett pour voir si elle avait une preuve quelconque de cotisations additionnelles. Elle a répondu de communiquer avec le ministère du Revenu national (le « MRN ») pour vérifier ses cotisations relatives à l’année 1973, car le MRN lui avait dit qu’il détenait un relevé de ses gains pour 1973. Le 11 avril 1978, une Demande de confirmation de gains cotisables et de cotisations a été présentée pour le compte de Mme Bartlett. Cette demande concernait un relevé des gains pour 1972 et elle comportait une note manuscrite indiquant ceci : [traduction] « Tous les documents demandés pour 1972 ».

 

[5]               Dans une lettre datée du 29 mai 1978, le ministère a rejeté la demande de Mme Bartlett. Cette lettre indiquait que la demanderesse n’était pas admissible car elle ne satisfaisait pas à la période minimale de cotisations valides ouvrant droit à prestations, ce qui, dans son cas, signifiait qu’elle devait avoir versé des cotisations valides pendant au moins cinq des dix dernières années civiles. D’après la lettre, la demanderesse n’avait effectué des cotisations valides que pour les années 1970, 1975, 1976 et 1977. Comme elle n’avait pas cotisé pendant cinq des dix années comprises entre 1969 et 1978, sa demande a été rejetée.

 

[6]               En octobre 2001, la demanderesse a présenté une seconde demande de prestations du RPC; cette demande a été rejetée par une lettre datée du 7 novembre 2001, au motif que la demanderesse n’était pas admissible parce qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences du RPC en matière de cotisations.

 

[7]               La demanderesse a demandé que l’on réexamine la seconde décision et, le 8 janvier 2002, le défendeur l’a informée que la décision lui refusant des prestations du RPC était confirmée.

 

[8]               La demanderesse a décidé d’interjeter appel de la décision auprès du tribunal de révision. Ce dernier, dans une décision datée du 27 décembre 2002, a déclaré que la preuve du versement de cotisations valides était insuffisante et qu’il n’était donc pas nécessaire de déterminer si l’état de santé de la demanderesse était grave et prolongé pour les besoins du RPC.

 

[9]               En août 2003, après enquête, le ministère a déterminé que la demanderesse avait bel et bien effectué des cotisations valides en 1973.

 

[10]           La demanderesse a porté en appel la décision du tribunal de révision devant la Commission d’appel des pensions (la « CAP »). La CAP n’a pas eu à examiner si la demanderesse satisfaisait à la période minimale de cotisations valides ouvrant droit à prestations puisque le défendeur avait reconnu que c’était le cas. Dans une décision datée du 22 juin 2004, la CAP a statué que la demanderesse était invalide au sens de la Loi en date de septembre 1980 et qu’il fallait donc lui accorder une pension d’invalidité.

 

[11]           En août 2004, la demanderesse s’est vue accorder une pension d’invalidité assortie d’une date de début d’invalidité fixée à juillet 2000, soit une période de rétroactivité maximale de 15 mois à compter de la date de la seconde demande de prestations d’invalidité de la demanderesse, présentée en octobre 2001.

 

[12]           En septembre 2004, la demanderesse a écrit au ministère pour demander que l’on  réexamine le montant de son versement mensuel ainsi que celui du paiement rétroactif. Elle a fait valoir qu’il aurait fallu lui accorder des prestations du RPC en 1977 et, aussi, qu’elle croyait que ses prestations du RPC devaient être calculées en dollars de 1977.

 

[13]           Dans une lettre datée du 2 novembre 2004, la demanderesse a été informée que la décision relative au montant de ses prestations d’invalidité était confirmée et en outre que , en raison de ses gains et de ses cotisations, il était impossible de majorer les montants de sa pension d’invalidité parce qu’elle touchait le montant maximal autorisé. Il était également dit dans la lettre qu’il incombait aux clients de fournir les renseignements et les documents manquants et que [traduction] « ce n’est qu’en août 2003 que vous avez informé notre bureau de l’absence de T4 pour l’année 1973 ». La lettre incluait une ventilation de la méthode de calcul des prestations du RPC de la demanderesse.

 

[14]           Dans une lettre adressée au ministère le 20 octobre 2005, la demanderesse a sollicité une révision de son dossier en vertu du paragraphe 66(4) de la Loi, étant convaincue que le montant de son paiement rétroactif et de son versement mensuel était trop faible et que cela était imputable à une erreur du ministère. Elle allègue qu’en 1977 le ministère n’a pas vérifié ses cotisations ou qu’une partie de son dossier a été perdue.

 

[15]           La ministre a conclu qu’il n’y avait eu ni avis erroné ni erreur administrative. La décision comportait les motifs suivants :

[traduction

  • Le 19 décembre 1977, vous avez demandé des prestations d’invalidité du RPC. À l’examen initial de votre demande, il a été noté que vous ne satisfaisiez pas à l’exigence législative en ayant suffisamment de gains et de cotisations; par conséquent, en avril 1978, le RPC a demandé que le ministère du Revenu national (MRN) procède à une enquête. Le RPC a demandé au MRN de faire enquête sur les cotisations que vous avez effectuées en 1972 et qui s’élèvent à 246 $.
  • Le MRN a répondu que vos cotisations de 1972 étaient inférieures à l’exemption de base admissible qui était en vigueur à l’époque (600 $), et les cotisations vous ont été remboursées. En outre, le RPC a demandé s’il y avait eu des années de cotisation additionnelles, mais le MRN n’en a pas trouvé.
  • Notre bureau de district de New Westminster a indiqué aussi que l’on vous avait conseillée et informée que vos gains et vos cotisations, avant que vous ne présentiez votre demande en décembre 1977, étaient insuffisants. Vous avez dit que vous aviez des gains additionnels, mais quand la question vous a été posée de nouveau, en avril 1978, il vous a été impossible de produire une preuve supplémentaire à l’appui de votre prétention. Vous seule aviez la responsabilité de fournir une preuve additionnelle des gains réalisés en 1973.
  • Il ressort de notre examen que le RPC a bel et bien fait enquête sur votre prétention selon laquelle vous aviez réalisé des gains additionnels et cotisé au RPC. Le MRN n’ayant trouvé aucun gain additionnel pour 1973, votre demande datée de décembre 1977 a été refusée.

 

 

 

Loi applicable

 

[16]           Le paragraphe 66(4) de la Loi est libellé en ces termes :

66. (4) Dans le cas où le ministre est convaincu qu’un avis erroné ou une erreur administrative survenu dans le cadre de l’application de la présente loi a eu pour résultat que soit refusé à cette personne, selon le cas :

66. (4) Where the Minister is satisfied that, as a result of erroneous advice or administrative error in the administration of this Act, any person has been denied

a) en tout ou en partie, une prestation à laquelle elle aurait eu droit en vertu de la présente loi,

(a) a benefit, or portion thereof, to which that person would have been entitled under this Act,

b) le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension en application de l’article 55 ou 55.1,

(b) a division of unadjusted pensionable earnings under section 55 or 55.1, or

c) la cession d’une pension de retraite conformément à l’article 65.1,

(c) an assignment of a retirement pension under section 65.1,

le ministre prend les mesures correctives qu’il estime indiquées pour placer la personne en question dans la situation où cette dernière se retrouverait sous l’autorité de la présente loi s’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative.

the Minister shall take such remedial action as the Minister considers appropriate to place the person in the position that the person would be in under this Act had the erroneous advice not been given or the administrative error not been made.

 

 

 

Analyse

 

[17]           En l’espèce, la Cour doit décider si la décision de la ministre, à savoir qu’il n’y a pas eu d’erreur administrative, est manifestement déraisonnable.

 

[18]           La demanderesse soutient que le ministère a commis une erreur administrative en ne vérifiant pas ses cotisations relatives à 1973 et qu’en raison de cela la demande de prestations du RPC qu’elle a présentée en 1977 a été rejetée.

 

[19]           Le défendeur est d’avis que la ministre a examiné comme il faut la totalité des éléments de preuve et n’a découvert aucune preuve qu’en 1977 ou en 1978 le ministère disposait des cotisations requises au RPC ou qu’il était ou aurait dû être au courant de ces dernières. Le défendeur soutient en outre que c’est la demanderesse qui a le fardeau de fournir des renseignements sur les cotisations au RPC et que c’est parce qu’elle n’a pas fourni de renseignements suffisants que le ministère a refusé de lui verser des prestations d’invalidité après avoir décidé qu’elle n’avait pas effectué de cotisations pendant la période minimale d’admissibilité.

 

[20]           Pour décider qu’il n’y avait pas eu d’erreur administrative, la ministre avait à sa disposition les éléments de preuve suivants :

[traduction

  • La demanderesse a perdu son T4 concernant l’emploi exercé auprès de Swartz Studios en 1973. Elle soutient que Revenu Canada et le bureau de l’Assurance‑chômage lui ont dit en 1977‑1978 qu’ils avaient des relevés de ses cotisations pour 1973. La demanderesse a soutenu qu’un agent de Revenu Canada lui a dit de demander au RPC de communiquer avec ce ministère et qu’elle a ensuite amené une lettre au bureau des pensions de New Westminster pour demander que le RPC communique avec Revenu Canada afin que l’on vérifie ses gains pour 1973.
  • Le ministère a communiqué avec la demanderesse en 1978 pour voir si cette dernière avait trouvé des renseignements quelconques au sujet de ses cotisations au RPC.
  • En 1978, un relevé des gains et des cotisations a été demandé pour le compte de la demanderesse, relativement à l’année 1972.
  • Selon le sommaire du relevé des gains daté du 23 mai 2003, les gains de la demanderesse pour l’année 1973 étaient de 0 $ et ses cotisations au RPC de 1,58 $, tandis que le sommaire du relevé des gains daté du 25 août 2003 indique pour 1973 des gains de 756 $ et des cotisations au RPC de 5,10 $. Une note au dossier, écrite par Josée Plouffe, analyste de programme, en date du 27 août 2003, indique ceci : « Cliente refusée au chapitre des gains parce qu’elle n’avait pas 5 années sur 10. La cliente a soutenu qu’il lui manquait des T4 pour 1973. Une enquête menée par les SNRP (Services nationaux de renseignements et de prestations) a permis de déterminer qu’il y avait dans le système un T4 de 1973 qui pouvait être associé à la cliente. Celle‑ci a donc une année d’admissibilité valide de plus au chapitre des gains. Il reste encore à régler le dossier au point de vue médical ».

 

 

 

[21]           Se fondant sur cette preuve, la ministre a conclu qu’il n’y avait pas eu d’erreur administrative ayant mené à un refus de prestations, car le ministère et le MRN, sans que ce soit de leur faute, ne détenaient pas en 1977‑1978 un relevé approprié du revenu de la demanderesse pour 1973. Selon moi, la preuve n’étaye pas la conclusion de la ministre.

 

[22]           La preuve appuie plutôt la conclusion que le ministère a omis de vérifier en 1978 les cotisations que la demanderesse avait effectuées en 1973, comme en témoignent deux éléments de preuve documentaires : la Demande de confirmation de gains et de cotisations, datée d’avril 1978, de même que la note au dossier faite en août 2003.

 

[23]           La demanderesse prétend qu’en 1978, peu après avoir présenté sa première demande de prestations du RPC, elle a demandé au ministère de vérifier auprès de Revenu Canada les cotisations qu’elle avait effectuées en 1973, car elle savait que les cotisations dont le RPC n’avait pas de preuve étaient celles qu’elle avait faites par l’intermédiaire de Swartz Studios en 1973. En réponse à sa demande, le ministère a présenté au MRN une Demande de confirmation de gains et de cotisations en avril 1978. Ce document indique clairement que la demande visait l’année 1972 seulement. Faire une demande pour la mauvaise année est une erreur administrative. Dans sa décision, la ministre glisse sur cette erreur en disant que le ministère a demandé au MRN de vérifier les cotisations relatives à l’année 1972, mais qu’il lui a demandé aussi de vérifier les cotisations applicables à d’autres années. Le défendeur n’a fourni aucune preuve à l’appui de la prétention de la ministre selon laquelle le ministère avait demandé au MRN de faire enquête sur des cotisations applicables à des années autres que 1972.

 

[24]           La note au dossier faite en août 2003 indique que les SNRP (Services nationaux de renseignements et de prestations) ont mené une enquête qui a révélé qu’il y avait [traduction] « dans le système » un T4 pour 1973 au nom de la demanderesse. Cette preuve prima facie donne à penser que le T4 de 1973 de la demanderesse se trouvait depuis toujours dans le système, mais qu’il n’a été repéré qu’en août 2003, après une recherche en bonne et due forme. Tant la ministre, dans sa décision, que le défendeur, dans ses observations, n’expliquent pas de quelle façon le T4 de 1973 est apparu en 2003. De ce fait, la décision ne traite pas directement de la possibilité que le ministère n’ait jamais vraiment tenté de vérifier avant 2003 les cotisations de la demanderesse pour 1973 et qu’il se soit agi là d’une erreur administrative.

 

[25]           La preuve soumise à la ministre donnait à penser qu’il y avait eu une erreur administrative et qu’à cause de cela la demanderesse avait été privée d’une prestation (ou d’une partie de prestation) à laquelle elle aurait eu droit en vertu de la Loi. À mon avis, parce qu’elle ne traite pas directement de cette question, la décision est manifestement déraisonnable.

 

[26]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision contestée est annulée, et l’affaire est renvoyée à la ministre de Ressources humaines et Développement social Canada pour nouvel examen en conformité avec les présents motifs.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 30 janvier 2007

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                 T-305-06

 

INTITULÉ :                                                LINDA BARTLETT

                                                                     c.

                                                                     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                        LE 17 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                     LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                               LE 30 JANVIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Linda Bartlett                                                 LA DEMANDERESSE, pour son propre compte

 

James Gray                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Linda Bartlett                                                 LA DEMANDERESSE, pour son propre compte

Maple Ridge (Colombie-Britannique)

 

John H. Sims, c.r.                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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