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Date : 20070201

Dossier : T‑2647‑97

Référence : 2007 CF 116

ENTRE :

NATURE'S PATH FOODS INC.

demanderesse

et

 

COUNTRY FRESH ENTERPRISES INC.

et SUKHDEVPAUL DHANOA

 

défendeurs

 

 

TAXATION DES DÉPENS – MOTIFS

Charles E. Stinson

Officier taxateur

[1]               La présente action en commercialisation trompeuse de tahini de sésame, fondée sur l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, a été rejetée le 4 août 1999 par ordonnance muette sur les dépens, au motif du retard de la demanderesse à répondre à un avis d'examen de l'état de l'instance lui enjoignant d'exposer ses moyens. Auparavant, par ordonnance en date du 3 décembre 1998, la Cour avait rejeté la requête en jugement sommaire des défendeurs (la requête en jugement sommaire), adjugeant les dépens à la demanderesse quelle que soit l'issue de la cause. La demanderesse a présenté à la taxation son mémoire de dépens afférent à la requête en jugement sommaire mais, le 21 mai 1999, j'ai fait droit à la contestation préliminaire par les défendeurs de la taxation de ce mémoire avant le jugement de l'action. Le 19 mai 2006, la demanderesse a de nouveau sollicité la taxation de son mémoire de dépens afférent à la requête en jugement sommaire. Les défendeurs ont exprimé leur intention de contester le droit de la demanderesse aux dépens et de présenter leur propre mémoire de dépens afférent à l'action, établi au montant de 10 961 $. J'ai communiqué aux parties un échéancier pour la taxation sur dossier de leurs mémoires de dépens.

 

I.   La position de la demanderesse

[2]               La demanderesse fait valoir que les dépens taxables selon le tarif qu'elle réclame sont sensiblement inférieurs à la moitié des honoraires et débours qui lui ont en fait été facturés, lesquels dépassent la somme de 24 000 $. La preuve relative au travail d'avocat nécessaire – soit : la préparation de la requête en jugement sommaire (plus de 100 heures); la préparation des contre‑interrogatoires de trois souscripteurs d'affidavit, ainsi que la présence à ces contre-interrogatoires (17 heures); et la rédaction d'un exposé des faits et du droit de 19 pages et de deux affidavits – justifie selon la demanderesse l'attribution des honoraires maximaux de la colonne III.

 

[3]               La demanderesse invoque en outre Sun Construction Co. c. Canada, [2001] A.C.F. no 13 (O.T.), au paragraphe 6, et Miller c. Six Nations of the Grand River Band of Indians, [2005] A.C.F. no 641 (O.T.), au paragraphe 12, à l'appui de la thèse que les défendeurs ne peuvent demander le rajustement par compensation de leurs dépens afférents à l'action et des dépens qui lui seront accordés à elle-même au motif que, l'ordonnance du 4 août 1999 étant muette sur les dépens, les défendeurs n'ont pas droit aux dépens de l'action. Selon la demanderesse, les défendeurs ne peuvent invoquer Sax c. Chomyn, [1999] A.C.F. no 979 (C.F. 1re inst.) à l'appui de leur droit aux dépens, étant donné que le paragraphe 5 de Forestex Management Corp. c.  Lloyd's Underwriters, Lloyd's London, [2004] A.C.F. no 1590 (O.T.), établit que seule la Cour, c'est‑à‑dire un juge et non un officier taxateur, peut exercer le pouvoir relatif aux dépens que confère le paragraphe 400(1) des Règles.

 

[4]               La demanderesse fait valoir que les Règles des Cours fédérales ne prévoient pas de délai pour la taxation des dépens. Il n'est pas possible d'invoquer, aux fins d'application des British Columbia Supreme Court Rules (Règles de la Cour suprême de la Colombie-Britannique), l'article 4 des Règles (la règle des lacunes), selon lequel « [e]n cas de silence des présentes règles ou des lois fédérales, la Cour peut, sur requête, déterminer la procédure applicable par analogie avec les présentes règles ou par renvoi à la pratique de la cour supérieure de la province qui est la plus pertinente en l'espèce », au motif que la règle des lacunes prévoit la présentation d'une requête, procédure inapplicable dans le cadre de la taxation des dépens. En outre, même quand elle est applicable, la règle des lacunes n'est invoquée qu'en dernier recours, une fois épuisées toutes les autres possibilités :  Khadr  c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), [2004] A.C.F. no 1699 (C.F.), au paragraphe 12. Les Règles des Cours fédérales, comme elles constituent un code complet des dépens, interdisent d'agir autrement.

 

[5]               La demanderesse soutient que les défendeurs supposent à tort l'existence de droits parallèles aux dépens. La Cour, en effet, lui a explicitement adjugé les dépens de la requête en jugement sommaire quelle que soit l'issue de la cause, d'où il suit que le prétendu droit des défendeurs aux dépens de l'action ne peut empiéter sur le droit de la demanderesse aux dépens taxés. Le fait que les défendeurs n'aient pas présenté à la Cour de requête en vue d'obtenir les dépens de l'action n'est pas pertinent. Qui plus est, les défendeurs étaient au courant du droit de la demanderesse aux dépens de la requête en jugement sommaire, puisqu'ils se sont opposés avec succès à sa première tentative de les faire taxer.

 

[6]               La demanderesse soutient que le résultat de l'action, c'est‑à‑dire son rejet pour cause de retard, ne devrait pas jouer dans le sens d'une limitation des dépens qui lui reviendront, étant donné que les dépens ne lui ont pas été adjugés suivant le sort de la cause, mais bien quelle qu'en soit l'issue. La brièveté de l'exposé des motifs du juge des requêtes n'est pas un indicateur du niveau de complexité, étant donné en particulier le fait qu'il y reconnaît la complexité des questions. La preuve étaye le nombre d'heures et le nombre (maximal) d'unités réclamés au titre des honoraires d'avocat pour les articles 5 (préparation de la requête en jugement sommaire), 6 (comparution) et 8 (préparation des contre-interrogatoires de trois souscripteurs d'affidavit). L'article 9 (présence aux contre-interrogatoires) porte explicitement « pour chaque heure » : l'avocat de la demanderesse devait être présent aux contre-interrogatoires des souscripteurs d'affidavit de cette dernière menés par l'avocat des défendeurs. Le fait que la Cour ne se soit pas référée à la preuve de l'expert de la demanderesse n'est pas pertinent à l'égard de la présente taxation : l'affidavit du témoin expert a été régulièrement produit dans le cadre du dossier de la requête, et le témoin expert était tenu de se soumettre à un contre-interrogatoire. La demanderesse soutient subsidiairement que, si le rajustement par compensation est autorisé, l'officier taxateur devrait réduire ou rejeter plusieurs des réclamations du mémoire de dépens des défendeurs.

 

II.   La position des défendeurs

[7]               L'avocat des défendeurs donne un exposé général des moyens et prétentions de ceux‑ci dans une lettre en date du 8 août 2006 :

[TRADUCTION]

 

[…] veuillez trouver ci‑joint le mémoire de dépens afférents à l'action des défendeurs et l'affidavit de l'auteur. Vous trouverez aussi sous ce pli le texte de la décision Sax c. Chomyn de la Cour, selon laquelle, tout comme le défendeur a droit aux dépens en cas de désistement du demandeur, de même, dans une affaire dont les faits sont analogues à ceux de la présente espèce (exception faite du temps extraordinairement long que la demanderesse a mis à solliciter la taxation de dépens afférents à une requête interlocutoire datant de 1998), il convenait d'adjuger aux défendeurs les dépens de l'action rejetée par la Cour pour cause de retard.

 

Les défendeurs invoquent le pouvoir général que l'article 409 des Règles confère à l'officier taxateur pour lui demander le rajustement par compensation des dépens qu'ils réclament et de ceux que réclame la demanderesse, sans qu'il soit nécessaire d'engager les frais que représenterait le dépôt d'une requête devant la Cour.

 

Le fait que la demanderesse sollicite aujourd'hui la taxation de dépens afférents à une requête datant de 1998 est indubitablement inhabituel, et peut-être unique dans les annales. Après avoir endormi les défendeurs dans une fausse sécurité et laissé s'écouler un temps suffisant pour compromettre leur droit de demander les dépens de l'action, la demanderesse sollicite maintenant la taxation de ses dépens afférents à la requête interlocutoire. On peut décrire ce qui s'est produit ici en disant que la demanderesse a d'abord contesté le rejet de l'action par jugement sommaire pour ensuite permettre que cette action soit rejetée au motif qu'elle ne l'avait pas poursuivie et laisser passer quelque six années avant de demander la taxation de ses dépens. Les défendeurs soutiennent en toute déférence que les dépens afférents à l'action qu'ils réclament devraient être pris en compte aux fins d'un rajustement par compensation. Subsidiairement, si la demanderesse n'y consent pas, les défendeurs demandent en toute déférence l'autorisation de présenter à la Cour une requête en ce sens.

 

Il ne convient pas, font valoir les défendeurs, d'interpréter les Règles à leur préjudice en récompensant une conduite répréhensible, c'est‑à‑dire l'affirmation par la défenderesse de son droit aux dépens afférents à la contestation du résultat même que son inaction a par la suite entraîné. Il n'existe ni dispositions légales, ni jurisprudence, ni doctrine sur de tels faits, notamment celui d'attendre sept ans après le jugement pour présenter un mémoire de dépens à la taxation.

 

[8]               Les défendeurs invoquent en outre l'applicabilité, fondée sur la règle des lacunes, du paragraphe 57(43) des British Columbia Supreme Court Rules :

[TRADUCTION]

 

Refus  de demander la taxation des dépens ou négligence à le faire

 

(43) Si la partie qui a droit aux dépens omet d'en demander la taxation et lèse l'autre partie par cette omission, le greffier peut certifier les dépens de la partie lésée, ainsi que certifier l'omission de la partie défaillante et lui refuser la totalité de ses dépens.

 

Selon eux, ce paragraphe établit que l'officier taxateur a compétence pour taxer les dépens à zéro dollar dans les circonstances de la présente espèce, où la conduite de la demanderesse leur a porté préjudice de plusieurs façons. Par exemple, si la demanderesse avait présenté de nouveau sa demande de taxation sans délai après le rejet de l'action, les défendeurs auraient pu eux-mêmes demander les dépens de l'action pour fin de rajustement par compensation. La règle des lacunes s'applique ici du fait que le greffier dans le système provincial, soit l'homologue de l'officier taxateur dans la présente espèce, préviendrait dans ces circonstances le préjudice en question en refusant à la demanderesse les dépens qu'elle réclame. Subsidiairement, s'il est décidé que la règle des lacunes ne s'applique pas à la présente affaire, celle‑ci devrait être renvoyée à la Cour, étant donné en particulier l'article 409 des Règles d'une part, et d'autre part leurs alinéas 400(3)a) (résultat de l'instance) et o) (toute autre question jugée pertinente), qui concernent les facteurs que l'officier taxateur peut prendre en considération.

 

[9]               Les défendeurs soutiennent que l'article 409 des Règles, qui permet à l'officier taxateur de tenir compte des facteurs énumérés à leur paragraphe 400(3), réfute la thèse de la demanderesse selon laquelle le paragraphe 400(1) desdites Règles réserve à la Cour, par opposition à l'officier taxateur, la compétence sur l'adjudication des dépens. C'est‑à‑dire que l'on devrait appliquer les alinéas 400(3)a) (résultat de l'instance) et o) (toute autre question jugée pertinente) aux circonstances inhabituelles de la présente espèce aux fins du rajustement par compensation des dépens des défendeurs afférents à l'action en fonction des dépens de la demanderesse afférents à la requête en jugement sommaire. La question centrale, soit le point de savoir si l'officier taxateur peut appliquer la règle des lacunes, est à examiner au regard du principe établi de l'interprétation des lois que la Cour suprême du Canada rappelle à la page 102 de Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84 :

[...] Notre Cour a dit maintes fois que la méthode d'interprétation des lois à privilégier est celle qu'énonce E.A. Driedger dans Construction of Statutes (2e éd. 1983), p.87 :

 

[TRADUCTION] Aujourd'hui, il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

 

Les circonstances de la présente taxation créent une situation si inhabituelle qu'elle n'est prévue par aucune disposition des Règles. Par conséquent, l'officier taxateur devrait appliquer la règle des lacunes ou les facteurs de l'article 400(3) des Règles en faveur des défendeurs pour éviter qu'une injustice ne soit commise. Subsidiairement, les défendeurs devraient recevoir l'autorisation de demander des directives à la Cour.

[10]           Les défendeurs ont droit aux dépens en conséquence du rejet par la Cour de l'action intentée contre eux et n'étaient pas tenus de supporter des frais pour inciter la demanderesse à accélérer la procédure : Sax c. Chomyn, précitée, et Nations Anishinabe c. Canada, [2004] A.C.F. no 1785 (C.F.). La jurisprudence établit que, si la demanderesse avait promptement demandé la taxation de ses dépens – et elle n'a pas produit de preuve justifiant son retard à le faire – , les défendeurs auraient pu obtenir une prorogation du délai de 30 jours prévu à l'article 403 des Règles pour former une requête pour directives concernant leurs dépens afférents à l'action : Smerchanski c. M.R.N., [1979] 1 C.F. 801 (C.A.F.); Spur Oil Limited c. La Reine [1983] 1 C.F. 244 (C.F. 1re inst.); Bayliner Marine Corp. c. Doral Boats Ltd., [1987] A.C.F. no 348 (C.F. 1re inst.); et Carruthers c. La Reine, [1983] 2 C.F. 350 (C.F. 1re inst.).

 

[11]           Comme les défendeurs croyaient raisonnablement que toutes les questions ici en litige, y compris les dépens de la requête en jugement sommaire, avaient été réglées ou abandonnées, le retard de la demanderesse leur porte préjudice, étant donné que la jurisprudence donne à penser que pourrait ne pas être prorogé le délai de présentation des requêtes pour directives concernant les dépens formées plusieurs années après l'instance : La Reine c. Société de développement de l'Ontario, 92 D.T.C. 6121 (C.A.F.). En outre, étant donné l'usage voulant que chacune des parties supporte ses propres frais lorsque la Cour de sa propre initiative rejette une action pour cause de retard, les défendeurs subissent un préjudice du fait qu'ils croyaient raisonnablement que la demanderesse avait renoncé à demander la taxation des dépens de la requête en jugement sommaire. L'écoulement de sept années rend difficile de se rappeler les détails pertinents et de vérifier les estimations des mémoires de dépens respectifs des parties, et rend donc douteuse l'exactitude des nombres consignés d'heures de travail des avocats, nombres qui ne sont au départ que des estimations. Le préjudice des défendeurs est d'autant plus grand qu'ils doivent à la fois justifier leur propre mémoire de dépens et contester celui de la demanderesse.

 

[12]           Les défendeurs demandent subsidiairement une réduction générale des dépens en se fondant sur un certain nombre de facteurs. Vu l'article 409 et l'alinéa 400(3)a) (résultat) des Règles, il convient d'appliquer à la présente espèce le principe implicite dans le rejet d'une action pour défaut de poursuite, soit la constatation d'un abus du système judiciaire et de l'administration de la justice du fait d'un retard excessif : Trusthouse Forte California Inc. c. Gateway Soap & Chemical Co., [1998] A.C.F. no 1937 (C.F. 1re inst.). De plus, comme la demanderesse a omis de poursuivre son action après avoir réussi à déjouer les efforts déployés par les défendeurs pour la faire rejeter, ceux‑ci pourraient être considérés, d'un point de vue plus général, comme ayant eu gain de cause et ne devraient donc pas être redevables de l'intégralité des dépens de la requête en jugement sommaire.

 

[13]           Les défendeurs invoquent les alinéas 400(3)i) (conduite ayant pour effet de prolonger inutilement la durée de l'instance) et o) (toute autre question jugée pertinente) à l'appui de la prétention que, dans la mesure où la taxation des dépens de la requête en jugement sommaire peut être considérée comme faisant partie de l'instance, le fait que la demanderesse ait mis six ans pour redemander cette taxation justifie des réductions. L'octroi desdits dépens dans le présent contexte mettrait en cause la confiance du public dans l'administration de la justice et serait incompatible avec le principe énoncé à l'article 3 des Règles, qui exige qu'on apporte « une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ».

 

[14]           Les défendeurs font valoir que la préparation (aucun des trois affidavits ne dépassait 14 pages) et la comparution liées à la requête en jugement sommaire ne présentaient pas de difficultés particulières. La Cour n'a pas déclaré cette requête frivole ou vexatoire et, bien qu'elle ait noté au paragraphe 9 de sa décision en date du 3 novembre 1998 que « la preuve [soulevait] de nombreuses questions de fait et de droit valables et complexes », elle a conclu, au paragraphe 10 que, « [l]orsque, comme c'est le cas en l'espèce, la crédibilité représente une question fondamentale, il est nécessaire de tenir une instruction afin d'observer la preuve qui sera présentée ainsi que la conduite des témoins ». Par conséquent, on ne devrait accorder que la valeur minimale de 3 unités pour l'article 5 (préparation), au lieu de la valeur maximale réclamée de 7 unités. Comme la plus grande partie de l'audience s'est passée à débattre l'admissibilité de la preuve d'expert de la demanderesse et à présenter les objets déposés comme pièces, on ne devrait accorder que 2 unités par heure au lieu des 3 unités par heure réclamées au titre de l'article 6 (comparution). La preuve ici présentée au titre de l'article 6 ne justifie que 6 heures, et non les 9 heures réclamées. De plus, étant donné l'absence de directives de la Cour autorisant la taxation d'honoraires pour un second avocat, il convient de rejeter la réclamation relative à l'avocat en second : Stewart c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 947 (O.T.).

 

[15]           Les défendeurs soutiennent que la preuve ne justifie pas le maximum de 5 unités réclamé trois fois au titre de l'article 8 pour la préparation du contre-interrogatoire de chacun des trois souscripteurs d'affidavit. Il conviendrait plutôt d'accorder à cet égard une seule valeur moyenne de 7 unités. De plus, étant donné que ces contre-interrogatoires, très simples, ont duré moins de 5 heures et non les 8 heures réclamées, et que l'avocat des défendeurs a accompli une grande partie du travail, le dossier justifie seulement qu'on accorde, au titre de l'article 9 (présence aux interrogatoires), le minimum de 1 unité par heure sur 5 heures au lieu des 3 unités par heure réclamées sur 8 heures.

 

[16]           Selon les défendeurs, de même que la demanderesse ne devrait pas avoir droit aux dépens de la requête en jugement sommaire, on ne devrait rien lui accorder au titre de l'article 26 (taxation des frais), même si l'on fait droit à d'autres de ses réclamations. Sous le régime du paragraphe 408(3) des Règles, les défendeurs devraient recevoir le maximum au titre de l'article 26. De plus, étant donné leur position à l'audience touchant l'admissibilité de la preuve d'expert proposée par la demanderesse et le fait que la Cour ne se soit pas prononcée sur son admissibilité ni ne s'y soit référée dans sa décision, il convient de refuser d'accorder les sommes de 700 $ et de 273,66 $ réclamées respectivement aux titres des indemnités de témoins experts et de transcription des contre-interrogatoires.

III.   Taxation

[17]           Selon les conclusions que j'ai formulées au paragraphe 6 de Balisky c. Canada (Ministre des Ressources naturelles), [2004] A.C.F. no 536 (O.T.), et dans Aird c. Country Park Village Properties (Mainland) Ltd., [2005] A.C.F. no 1426 (O.T.), au paragraphe 10, la décision en date du 3 décembre 1998 relative à la requête en jugement sommaire est définitive, et je ne puis la modifier, par exemple en supprimant dans les faits le droit aux dépens qu'elle crée pour la demanderesse. En outre, ces conclusions établissent que l'officier taxateur n'est pas assimilable à la Cour pour l'application de l'article 4 des Règles et que je n'ai donc pas compétence pour appliquer la règle des lacunes, c'est‑à‑dire pour accorder aux défendeurs des dépens qui ne leur auraient pas été d'abord attribués sous le régime du paragraphe 400(1) des Règles, en vertu de la compétence exclusive de la Cour, officiers taxateurs non compris. Il s'ensuit que l'article 409 des Règles ne peut être appliqué aux fins d'un rajustement par compensation. En conséquence, le mémoire de dépens des défendeurs, présenté au montant de 10 961 $, est taxé à zéro dollar.

 

[18]           En décidant dans ce sens, je tiens compte de l'article 403 des Règles (qui prévoit la possibilité de former une requête pour directives dans les 30 jours suivant le prononcé du jugement, que celui‑ci comporte ou non une ordonnance relative aux dépens), ainsi que de la conclusion de l'arrêt Apotex Inc. c. Bayer AG (2005), 39 C.P.R. (4th) 193 (C.A.F.), selon laquelle les principes de la chose jugée et du dessaisissement n'en limitent pas l'application. Les défendeurs n'avaient ni n'ont besoin de mon autorisation pour présenter une telle requête. Étant donné la difficulté que les défendeurs auraient probablement selon moi à remplir, après l'écoulement de plusieurs années, le critère auquel est subordonnée la prorogation du délai de 30 jours pour la présentation d'une requête en rectification de l'ordonnance du 4 août 1999 par addition d'une disposition relative aux dépens de l'action, j'ai jugé inapproprié d'ajourner la taxation. Les défendeurs n'avaient pas à attendre que la demanderesse ait présenté son mémoire de dépens à la taxation pour déposer une requête sous le régime de l'article 403 des Règles.

 

[19]           Je ne refuserai pas d'accorder à la demanderesse les dépens qu'elle sollicite ni n'en prononcerai une réduction générale pour cause de retard, comme les défendeurs m'y exhortent, si ce n'est au titre de l'article 26 (taxation des frais). La demanderesse a certainement essayé au départ d'activer la taxation de ses dépens afférents à la requête en jugement sommaire, mais les défendeurs ont contesté avec succès cette tentative comme prématurée. Le dossier ne permet pas d'établir avec certitude pourquoi la demanderesse a attendu plusieurs années pour présenter de nouveau son mémoire de dépens ni pourquoi les défendeurs n'ont pas engagé dans l'intervalle une procédure quelconque pour régler une fois pour toutes la question des dépens. Les défendeurs ont soulevé des questions sérieuses concernant la taxation des dépens. La taxation des articles pris isolément n'a pas posé de problèmes. Cependant, je ne suis pas convaincu que les défendeurs ne devraient pas assumer une part de la responsabilité du retard à régler la question des dépens. J'accorde 1 unité de plus (3 unités) que la valeur minimale de la fourchette au titre de l'article 26. En concluant dans ce sens, je tiens compte du paragraphe 392(2) et de l'article 406 des Règles, qui ne prévoient, respectivement, ni limite temporelle à l'effet d'une ordonnance ni délai pour demander la taxation des dépens. La seule limite applicable, dans les circonstances de la présente espèce, pourrait être le délai prévu à l'alinéa 434(1)a) (qui subordonne à l'autorisation de la Cour la délivrance d'un bref d'exécution pour faire exécuter une ordonnance dans le cas où six ans ou plus se sont écoulés depuis la date de celle‑ci). Il s'agit cependant là d'une question d'exécution qui n'est pas de mon ressort.

 

[20]           Mon point de vue – que j'ai souvent exprimé, dans le prolongement de l'approche que j'ai exposée dans Carlile c. Sa Majesté la Reine (1997), 97 D.T.C. 5284 (O.T.), ainsi que des observations formulées par lord Russell à la page 608 de Re Eastwood (deceased) (1974), 3 All E.R. 603, comme quoi la taxation des dépens est [TRADUCTION] « une forme de justice grossièrement déterminée, au sens où elle consiste pour une grande part en approximations raisonnées » – est qu'on peut user d'une certaine marge d'appréciation pour parvenir, en matière de dépens, à un résultat équitable pour les deux parties. Il me semble que ce point de vue est étayé par les commentaires des articles 57 et 58 des Règles que proposent le juge James J. Carthy, W.A. Derry Millar et Jeffrey G. Gowan dans Ontario Annual Practice 2005-2006, Aurora (Ont.), Canada Law Book, 2005, commentaires selon lesquels la taxation des dépens est plutôt un art que l'application de règles et de principes, en ce qu'elle met en œuvre l'impression générale produite par le dossier et les questions en litige, ainsi que le jugement et l'expérience de l'officier taxateur, aux prises avec la tâche difficile d'équilibrer les effets de facteurs qui peuvent être à la fois multiples et aussi bien subjectifs qu'objectifs.

 

[21]           J'ai conclu au paragraphe 7 de Starlight c. Canada, [2001] A.C.F. no 1376 (O.T.), qu'il n'est pas nécessaire d'utiliser la même position dans les fourchettes de l'ensemble du tarif, étant donné que chaque article relatif aux services d'avocat est distinct et doit être examiné isolément en fonction des faits qui le concernent. En outre, il peut se révéler nécessaire d'opérer des distinctions générales entre une valeur supérieure et une valeur inférieure à l'intérieur des fourchettes prévues. J'ai examiné le dossier de requête des défendeurs, d'une taille considérable. La demanderesse devait présenter soigneusement son propre dossier pour éviter qu'il soit abruptement mis fin à son action et faire en sorte que ce dossier convainque la Cour que l'affaire ne remplissait pas le critère établi par la jurisprudence en matière de jugement sommaire. Cela n'exige toutefois pas les mêmes efforts que la préparation d'un procès complet. J'accorde 6 unités au titre de l'article 5 (fourchette de 3 à 7 unités). Le dossier révèle que la durée était d'un peu plus de 6 heures. J'ai toujours suivi le principe que la comparution devant la Cour exige qu'on arrive quelque temps avant l'heure prévue pour se préparer matériellement et se présenter au greffier désigné. L'article 6 (comparution) ne prévoit pas les services d'un avocat en second, encore que le large pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 400(1) des Règles puisse permettre d'accorder de tels frais. Cependant, comme je le disais plus haut, l'officier taxateur n'est pas assimilable à la Cour au sens du paragraphe 400(1), de sorte que je ne puis me permettre d'accorder des dépens au titre d'un avocat en second en l'absence d'une directive explicite de la Cour. Je comprends bien le point de vue des défendeurs comme quoi le temps exigé par la présentation des objets déposés comme pièces justifie la présence d'un expert, mais cette audience risquait bel et bien d'avoir pour effet de retirer à la demanderesse la possibilité de prouver, au moyen d'un procès complet, les prétentions formulées contre les défendeurs, ce qui constitue une conséquence sérieuse. J'accorde la valeur maximale de 3 unités par heure sur 6,5 heures au titre de l'article 6 (pour un seul avocat).

 

[22]           Le contre-interrogatoire de chacun des trois souscripteurs d'affidavit a en principe exigé une préparation distincte. Je ne suis pas disposé à ne pas tenir compte de l'observation du juge des requêtes concernant la complexité de l'instance. Je souscris à la proposition que l'avocat de la demanderesse devait nécessairement être présent aux contre-interrogatoires des deux souscripteurs d'affidavit de cette dernière. Cette tâche peut avoir représenté des exigences professionnelles différentes de celles du contre-interrogatoire du seul souscripteur d'affidavit des défendeurs, mais la complexité, par exemple, en tant que facteur influant sur les dépens, peut avoir été comparable ou tout à fait différente. Autrement dit, les sommes accordées au titre de l'article 8 (préparation d'un interrogatoire relatif à un affidavit) et de l'article 9 (présence) peuvent être différentes selon les souscripteurs d'affidavit pris isolément. Cela étant, j'accorderai simplement 3 unités (fourchette de 2 à 5 unités) au titre de l'article 8 pour chacun des trois souscripteurs d'affidavit, et 2 unités par heure (fourchette de 0 à 3 unités par heure) au titre de l'article 9, sur un total de 5 heures. Selon la preuve produite par les défendeurs devant moi en 1999, c'est‑à‑dire l'attestation des durées donnée par le sténographe de la Cour, les contre-interrogatoires ont duré respectivement 45 minutes, 2 heures 18 minutes et 1 heure 43 minutes.

 

[23]           Au paragraphe 31 de la décision Almecon Industries Ltd. c. Anchortek Ltd., [2003] A.C.F. no 1649 (O.T.), j'ai constaté que certaines observations de la preuve concernant la réalité de multiples postes de débours essentiels dont le coût de l'établissement pourrait dépasser ou dépasserait le montant étaient, quoique intéressées, pragmatiques et sensées. Mais cela ne veut pas dire que les plaideurs peuvent s'en tirer sans produire de preuve, en s'en remettant au pouvoir discrétionnaire et à l'expérience de l'officier taxateur. La preuve en l'occurrence n'a rien d'absolu, c'est‑à‑dire les éléments touchant les circonstances qui ont nécessité le recours à M. Bryanston Cooper, expert-conseil en commercialisation et publicité, comme témoin expert dans une requête en jugement sommaire. L'insuffisance de la preuve concernant le faits sous-jacents aux dépenses prises isolément rend difficile au défendeur à la taxation et à l'officier taxateur de se convaincre que chacune est attribuable à une nécessité raisonnable. Moins il y a d'éléments de preuve de cette nature, plus la partie qui demande la taxation doit s'en remettre au pouvoir discrétionnaire de l'officier taxateur, lequel doit exercer ce pouvoir prudemment, en tenant compte de l'austérité qui doit présider à la taxation afin qu'il ne soit pas porté préjudice à la partie condamnée aux dépens. Cependant, des dépenses réelles sont nécessaires pour faire avancer la procédure; il serait absurde de taxer les dépens à zéro dollar.

 

[24]           L'examen de la preuve d'expert de M. Cooper proposée par la demanderesse, ainsi que de l'exposé des faits et du droit présenté par cette dernière, me convainc que l'avocat a agi raisonnablement en décidant de débourser 700 $ pour les services de M. Cooper, afin que celui‑ci l'aide à persuader la Cour que des questions telles que le caractère distinctif, la confusion et la commercialisation trompeuse, considérées sous le rapport des consommateurs éventuels de tahini de sésame, ne devraient pas être examinées dans le cadre d'une procédure sommaire, mais d'un procès complet; j'accorde donc les 700 $. J'accorde aussi les débours de 273,66 $ au titre de la transcription des contre-interrogatoires, cette dépense me paraissant justifiée. En outre, je suis convaincu que les autres débours réclamés, c'est‑à‑dire dire les sommes de 894,65 $ en frais de photocopie et de reliure, de 87,50 $ en télécopies, de 44,51 $ en frais de port, et de 13,62 $ pour développement de films et échantillons, étaient raisonnables dans le contexte d'un différend commercial, et je les accorde au montant demandé.

 

[25]           Le mémoire de dépens de la demanderesse afférent à la requête en jugement sommaire, présenté au montant de 11 019,94 $, est taxé au montant de 7 428,94 $.

 

 

« Charles E. Stinson »

Officier taxateur

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              T‑2647‑97

 

INTITULÉ :                                             NATURE'S PATH FOODS INC.

                                                                  c.

                                                                  COUNTRY FRESH ENTERPRISES INC. ET AL.

 

 

 

TAXATION DES DÉPENS SUR DOSSIER, SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

 

MOTIFS DE LA TAXATION :              CHARLES E. STINSON

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 1ER FÉVRIER 2007

 

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Lawrence Chan

 

POUR LA DEMANDERESSE

David E. Turner

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Paul Smith Intellectual Property Law

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Edwards, Kenny & Bray LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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