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Date : 20070209

Dossier : IMM-3689-06

Référence : 2007 CF 145

Ottawa (Ontario), le 9 février 2007

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge Noël

 

 

ENTRE :

 

JASVINDER SINGH SRAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR), en date du 9 juin 2006, concluant que Jasvinder Singh Sran (le demandeur) n’est ni un réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la LIPR), ni une personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

 

I.  Faits

 

[2]               Le demandeur est un agriculteur du village de Chipra dans l’État du Punjab, en Inde. Son cousin, qui s’occupait de l’exploitation agricole avec lui, a été en contact avec un contrebandier reconnu. Par conséquent, le cousin du demandeur a été ciblé par la police et a été arrêté et détenu à de nombreuses reprises. En août 2003, le cousin du demandeur est disparu. 

 

[3]               À partir d’août 2003, la police a commencé à rendre visite au demandeur pour tenter d’obtenir des renseignements au sujet de son cousin disparu. Le 1er octobre 2005, la résidence du voisin du demandeur a fait l’objet d’une descente. Ayant entendu du bruit, le demandeur est sorti pour voir ce qui se passait. L’un des policiers qui menait la descente a remarqué le demandeur. Ce dernier a été arrêté et interrogé par l’inspecteur de police concernant son cousin. Il a été amené au poste de police Gardiwala où il aurait été torturé pendant deux jours, jusqu’à ce qu’il verse un pot‑de‑vin aux policiers. 

 

[4]               Une fois le demandeur relâché par les policiers, la famille du demandeur a décidé qu’il devrait quitter l’Inde. Le demandeur a donc demandé l’asile au Canada. 

 

[5]               Le 9 juin 2006, la SPR a statué que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 de la LIPR, car il ne pouvait établir un lien entre sa demande et l’un des motifs de persécution énumérés dans la définition de réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR. De plus, la SPR a conclu que rien n’empêchait le demandeur de demander la protection à l’État du Punjab ou de se relocaliser en Inde pour demander la protection contre son pays d’origine pour la soi-disant persécution que lui aurait fait subir la police à Chipra. 

 

II.  Questions en litige

(1)   La SPR a-t-elle erré lorsqu’elle a statué que le demandeur ne pouvait établir un lien entre sa demande d’asile et l’un des motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention?

(2)   La conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur pouvait demander la protection de l’État était-elle déraisonnable?

 

III.  Analyse

 

(1)   La SPR a-t-elle erré lorsqu’elle a statué que le demandeur ne pouvait établir un lien entre sa demande d’asile et l’un des motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention?

 

[6]               Conformément à l’article 96 de la LIPR, pour être considérée comme un « réfugié au sens de la Convention », une personne doit prouver qu’elle craint d’être persécutée « […] du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques [...] ». Il doit donc exister un lien entre la demande du demandeur d’asile et l’un des cinq motifs énumérés dans la définition de « réfugié au sens de la Convention » figurant dans l’article 96 de la LIPR.

 

[7]               Dans la décision La Hoz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 762, le juge Blanchard a conclu, après avoir procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle, que la norme de contrôle qui s’applique aux décisions sur la question de savoir s’il y a un rapport entre la demande du demandeur d’asile et l’un des cinq motifs de persécution énumérés dans la définition de « réfugié au sens de la Convention » est celle de la décision raisonnable simpliciter. Comme le dit le juge Blanchard au paragraphe 44 de cette décision :

 

Ayant passé en revue les critères de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, je conclus en l’espèce, que, sur la question de savoir s’il existe un lien entre une demande d’asile et les motifs de persécution établis à l’article 96 de la LIPR, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter. C'est d'ailleurs la conclusion tirée par le juge Gibson dans l'affaire Jayesekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 FCT 1014 (CanLII), 2001 CFPI 1014.

 

[8]               En l’espèce, le demandeur prétendait avoir été persécuté par la police de Chipra en raison de ses activités politiques réelles ou présumées ou de son appartenance à un groupe social, c’est-à-dire à titre de membre de la famille d’un présumé terroriste. Dans ses motifs, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention tel que le décrit l’article 96 de la LIPR, car les faits reliant sa demande à l’un ou l’autre des cinq motifs de persécution énumérés dans la définition de « réfugié au sens de la Convention » sont insuffisants. Pour étayer cette conclusion, la SPR a renvoyé aux éléments suivants :

 

-                     le demandeur a été arrêté une seule fois; il a alors été détenu, battu et torturé;

-                     l’allégation selon laquelle l’arrestation était imputable aux présumées activités politiques du demandeur ou à son appartenance à un groupe social n’est pas acceptée, car l’arrestation du demandeur est survenue deux (2) ans après la disparition de son cousin;

-                     le demandeur a été libéré après le paiement d’un pot-de-vin;

-                     l’allégation selon laquelle la police cherchait toujours le demandeur en 2005 n’est que pure spéculation;

-                     aucun mandat d’arrestation n’a été émis à l’endroit du demandeur;

-                     le demandeur a été victime d’un acte criminel commis par la police.

 

[9]               Cela étant dit, ayant examiné le dossier du tribunal et les observations des parties, j’estime que la conclusion de la SPR, selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention, n’est pas déraisonnable. Je ne suis donc pas justifié d’intervenir.

 

(2)   La conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur pouvait demander la protection de l’État était-elle déraisonnable?

 

[10]           La norme de contrôle appropriée concernant la protection de l’État est celle de la décision raisonnable simpliciter (voir Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, par. 11; Robinson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 402, par. 8; Jean c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1414, par. 9).

 

[11]           Il est bien établi dans la jurisprudence de cette Cour que, lorsque la protection de l’État est disponible, une demande d’asile ne peut être accueillie. Autrement dit, la Cour a statué à maintes reprises que la disponibilité de la protection de l’État constitue un facteur déterminant dans les dossiers de demande d’asile, et par conséquent, s’il est jugé que la protection de l’État est disponible, il n’est pas nécessaire de trancher les autres questions soumises par un demandeur d’asile (voir Shimokawa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 445, par. 16; Judge c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1089, par. 4 à 9; Muszynski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1075, par. 6; Danquah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 832, par. 12). 

 

[12]           Dans le cas qui nous occupe, la SPR a conclu que le demandeur n’a pas tenté d’obtenir la protection des autorités de l’État du Punjab ni d’ailleurs en Inde. D’après la SPR, le gouvernement indien a reconnu que la corruption policière est courante en Inde et s’est engagé à vaincre la corruption. La SPR a néanmoins conclu que le demandeur [traduction] « était tenu de demander la protection à son propre État avant de demander la protection internationale ». À mon avis, il n’y a rien de déraisonnable dans la conclusion de la SPR, car la protection des réfugiés a pour objectif de protéger les individus dont le pays d’origine ne peut assurer aucune protection. 

 

[13]           Bref, un individu ne peut profiter de l’asile que s’il établit que son pays d’origine ne veut ni ne peut le protéger ou que si une tentative d’obtenir la protection de son pays d’origine est inutile ou aggraverait sa situation, ce que le demandeur n’a nullement établi en l’espèce. Le demandeur ne satisfait donc pas aux critères de la personne à protéger aux termes de l’article 97 de la LIPR ni n’est un réfugié au sens de la Convention, advenant même le cas où le demandeur aurait établi qu’il existait un lien entre sa demande et l’un des cinq motifs de persécution énumérés dans la définition de réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 de la LIPR.

 

IV.  Conclusion   

 

[14]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée, car le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la LIPR ni une personne à protéger aux termes de l’article 97 de la LIPR. En outre, le demandeur n’a pas demandé la protection de l’Inde, alors qu’une telle protection était disponible. 

 

[15]           Les parties ont été invitées à soumettre une question en vue de la certification, mais elles ont décidé de ne pas le faire. 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

-                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

-                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.


COUR FÉDÉRALE

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3689-06

 

INTITULÉ :                                                   Jasvinder Singh Sran

                                                                        c.

                                                                        Le ministre de la Citoyenneté

                                                                        et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           le 7 février 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 9 février 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Bertrand

 

POUR LE DEMANDEUR

Sylviane Roy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jean-François Bertrand

Bertrand Deslauriers

Montréal

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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