Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date: 20070213

Dossier: IMM-3959-06

Référence: 2007 CF 162

Ottawa (Ontario), le 13 février 2007

En présence de Monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

GAELLE SOLIMAN

Demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) à l’encontre d’une décision rendue le 6 juin 2006 par la section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) selon laquelle Gaelle Soliman (demanderesse), citoyenne d’Haïti, n’est pas une « réfugiée » au sens de l’article 96 de la LIPR, ni une « personne à protéger » en vertu de l’article 97 de la LIPR.  

 

 

I.  Faits

 

[2]               La mère de la demanderesse, Mme Daniella Bernardin, entre au Canada le 29 novembre 2005 et demande le statut de réfugié le 21 décembre 2005 en invoquant une crainte d’être persécutée en Haïti en raison de ses opinions politiques.  La demande d’asile de Mme Bernardin est basée sur le fait qu’elle occupait un poste comme secrétaire-archiviste à Cap Haïtien pour une station de radio-télévision.  Le 23 février 2004, des opposants d’Aristide prennent contrôle de la station de radio pour diffuser des propos anti-Aristide sur les ondes.  À partir de ce moment, Mme Bernardin est perçue comme faisant partie du mouvement anti-Aristide, et elle subit des menaces de mort.  Le 15 septembre 2005, Mme Bernardin est enlevée par des hommes armés qui l’ont violée, battue et lui ont arraché une dent.  Une demande de rançon est exigée pour son retour.  Une fois la rançon versée Mme Bernardin est relâchée et quitte Haïti pour le Canada. 

 

[3]               La demanderesse, la fille de Mme Bernandin, entre au Canada le 6 septembre 2005 en tant que touriste et dit avoir l’intention de retourner en Haïti à cette date.  Par contre, le 21 décembre 2005, elle et sa mère font conjointement une demande d’asile au Canada.  La demande de la demanderesse est basée sur le fait qu’elle craint être persécutée en raison de son appartenance à un groupe social particulier, notamment celle de la « famille ».  La demanderesse dit craindre être persécutée si elle est retournée en Haïti en vertu du fait que sa mère a été enlevée et traitée d’anti-Aristide étant la fille aînée de la famille, et qu’elle subira le même sort si elle est retournée en Haïti. 

 

 

 

 

[4]                  Le 6 juin 2006, la SPR détermine que Mme Bernardin est une réfugiée au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la LIPR.  Par contre, dans cette même décision la SPR conclut que la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une « personne à protéger » en vertu de l’article 97 de la LIPR. 

 

II.  Questions en litige

 

(1)   Est-ce que la SPR a erré en déterminant que la demanderesse n’est ni une refugiée au sens de la Convention, ni une « personne à protéger » en vertu de l’article 97 de la LIPR?

 

III. Analyse

 

(1)   Est-ce que la SPR a erré en déterminant que la demanderesse n’est ni une refugiée au sens de la Convention, ni une « personne à protéger » en vertu de l’article 97 de la LIPR?

 

 

 

 

[5]               L’article 96 de la LIPR est claire.   Afin d’être considéré un réfugié au sens de la Convention, un demandeur d’asile doit craindre «…avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques… ».   L’existence d’un lien entre la persécution alléguée et l’un des cinq motifs énumérés dans la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l’article 96 de la LIPR est principalement une question mixte de fait et de droit.  Le juge Blanchard dans la décision La Hoz c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 762, suite à une analyse pragmatique et fonctionnelle, a déterminé que la norme de contrôle applicable à une telle question est celle de la décision raisonnable simpliciter. Au paragraphe 44 de la décision La Hoz, précitée, le juge Blanchard dit ce qui suit :

Ayant passé en revue les critères de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, je conclus en l'espèce, que, sur la question de savoir s'il existe un lien entre une demande d'asile et les motifs de persécution établis à l'article 96 de la LIPR, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter. C'est d'ailleurs la conclusion tirée par le juge Gibson dans l'affaire Jayesekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1014.

 

[6]                 La demanderesse argumente que ses craintes de persécution en cas de retour en Haïti sont reliées à son appartenance au groupe social de la famille puisqu’elle craint être persécutée en raison de l’emploi de sa mère.  En outre, la demanderesse argumente qu’elle est une « personne à protéger » en vertu de l’article 97 de la LIPR.  La SPR n’a pas été d’accord et a conclu que le préjudice que craignait la demanderesse était un risque auquel s’exposait généralement la population d’Haïti.

 

 

 

 

[7]               La décision de la SPR a été émise oralement.  Les décisions orales ne sont pas problématiques en soi.  Ceci dit, l’équité procédurale oblige un décideur de donner des motifs suffisants pour justifier leur décision.  Dans la décision VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports et al., [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a qualifié l’obligation de donner des motifs suffisants comme suit au paragraphe 22 :

 

[22] On ne s'acquitte pas de l'obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion [...] Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions [...] Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur [...] et l'examen des facteurs pertinents [...]

 

 

 

Cette cause a été citée avec approbation par le juge Pinard dans la cause Zarghami c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2006 CF 151, pour expliquer l’obligation de la CISR de donner des motifs suffisants.  Compte tenu des causes Via Rail Canada Inc., précitée, et Zarghami, précitée, la SPR en l’espèce avait l’obligation d’exposer leurs conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposaient leurs conclusions.   

 

 

 

 

[8]               En ce qui concerne l’analyse concernant l’article 96 de la LIPR, la décision de la SPR se limite a un résumé limité de la situation factuelle de la demanderesse.  Aucune référence aux critères de l’article 96 de la LIPR applicable à la demanderesse n’est reproduite dans la décision orale, reprise par écrit.  De plus, on n’y retrouve aucun raisonnement juridique dans la décision permettant au lecteur d’identifier le cheminement suivi par la SPR pour en arriver à la conclusion  que les craintes de persécution de la demanderesse en cas de retour en Haïti n’étaient pas reliées à son appartenance au groupe social de la famille.  Le fait que la décision en l’espèce est une décision orale, reprise par écrit, ne justifie pas l’absence de raisonnement juridique ou le manquement d’une analyse appliquant la preuve et les faits aux dispositions législatives pertinentes. 

 

[9]               En ce qui a trait à la détermination que la demanderesse n’est pas une « personne à protéger » en vertu de l’article 97 de la LIPR, la SPR se limite à exposer le droit.  Aucune référence factuelle n’est utilisée pour comprendre le cheminement juridique suivi.  Dans la décision  Anthonimethu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 FC 141, le juge de Montigny dit aux paragraphes 51 et 52 :

 

51     La demanderesse prétend également que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en n'évaluant pas sa demande au regard de l'article 97 de la LIPR, en ce que la SPR a tenu pour acquis que la demanderesse ne pouvait établir le risque d'être soumise à une menace à sa vie ou à des peines ou traitements cruels ou inusités ou à la torture si elle n'établissait pas qu'elle craignait avec raison d'être persécutée. La Cour a dit, à plusieurs reprises, que l'analyse en vertu de l'article 97 était différente de l'analyse en vertu de l'article 96 et que des demandes fondées sur ces deux dispositions devaient faire l'objet d'une analyse distincte. La Cour a dit, dans l'affaire Bouaouni, précitée, au paragraphe 41 :

 

 

 

 

 

 

[...] Il s'ensuit qu'une conclusion défavorable en matière de crédibilité, quoique pouvant être déterminante quant à une revendication du statut de réfugié en vertu de l'article 96 de la Loi, ne le sera pas nécessairement quant à une revendication en vertu du paragraphe 97(1). Les éléments requis pour établir le bien-fondé d'une revendication aux termes de l'article 97 diffèrent de ceux requis en regard de l'article 96, la crainte fondée de persécution pour un motif visé à la Convention devant être démontrée dans ce dernier cas. Bien que le fondement probatoire puisse être le même pour les deux revendications, il est essentiel que chacune d'elles soit considérée distincte [...]

 

52     La Section de la protection des réfugiés peut être dispensée d'effectuer une analyse distincte en vertu de l'article 97 uniquement s'il n'y a absolument aucune preuve susceptible d'établir que la personne a besoin d'être protégée : Soleimanian, 2004 CF 1660, au paragraphe 22.

 [Je souligne]

 

 

 

[10]           Je suis tout à fait d’accord avec les conclusions du juge de Montigny.  En l’espèce, la SPR avait une obligation de motiver la conclusion que la demanderesse n’était pas une « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR pour ne pas enfreindre les principes d’équité procédurale.  Ceci n’a pas été fait, la décision de la SPR ne démontre aucunement le raisonnement juridique suivi pour en arriver à la conclusion que la demanderesse n’était pas une  « personne à protéger » en vertu de l’article 97 de la LIPR.  Je répète, le fait que la décision en l’espèce est une décision orale, reprise par écrit, ne justifie pas l’absence de raisonnement juridique ou le manquement d’une analyse appliquant la preuve et les faits aux dispositions législatives pertinentes. 

 

[11]           La norme de révision applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404).  Comme l’obligation d’équité procédurale de donner des motifs suffisants a été violée en l’espèce, j’annule la décision de la SPR et je renvoie le dossier pour une nouvelle audition. 

 

V.  Conclusion

 

[12]           Compte tenu des motifs qui précèdent, l’intervention de la Cour est justifiée.  Conséquemment, la demande de contrôle judiciaire est accordée.

 

[13]           Les parties ont été invitées à soumettre une question pour fin de certification mais aucune n’a été soumise. 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE QUE :

 

-         La demande de contrôle judiciaire est accordée et le dossier doit être retourné devant un autre membre de la SPR pour traiter des questions de droit découlant de l’applicabilité des articles 96 et 97 de la LIPR.

-         Aucune question n’est certifiée

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3959-06

 

INTITULÉ :                                      

GAELLE SOLIMAN

Demandeur

- et -

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L=IMMIGRATION

 

                                                                                                                                     Défendeur

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               8 février 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            L’Honorable Juge Simon Noël 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 février 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphanie Valois

 

 

POUR LE(S) DEMANDEUR(ERESSE)(S)

 

Me Patricia Nobl

 

POUR LE(S) DÉFENDEUR(ERESSE)(S)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Stéphanie Valois

407 Saint Laurent, Bureau 300

Montréal (Québec)   H2Y 2Y5

 

POUR LE(S) DEMANDEUR(ERESSE)(S)

Me Patricia Nobl

Ministère fédéral de la Justice

Bureau régional du Québec

Complexe Guy-Favreau

200, boul. René-Lévesque Ouest

Tour Est, 9e étage

Montréal (Québec)    H2Z 1X4

 

POUR LE(S) DÉFENDEUR(ERESSE)(S)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.