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Date : 20070214

Dossier : T-14-06

T-66-05

Référence : 2007 CF 163

ENTRE :

FESTIVAL CANADIEN DES FILMS DU MONDE

demanderesse

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

L’ÉQUIPE SPECTRA INC.

et

LE REGROUPEMENT POUR LE

FESTIVAL DE CINÉMA DE MONTRÉAL

défenderesses

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

[1]               Il s’agit en l’espèce d’une autre requête en radiation mue dans le présent dossier par le Procureur général du Canada au motif que les deux demandes de contrôle judiciaire visées par la requête seraient essentiellement devenues théoriques et ne révèleraient aucune cause d’action valable.


Contexte

[2]               La demanderesse a déposé deux demandes de contrôle judiciaire à l’encontre de deux décisions rendues par Téléfilm Canada (ci-après Téléfilm), l’une concernant un appel de propositions du 7 septembre 2004 (dossier T‑14‑06) et l’autre concernant la décision de Téléfilm du 17 décembre 2004 de retenir une proposition présentée par Regroupement pour le festival de cinéma de Montréal (ci-après le Regroupement) (dossier T‑66‑05).

[3]               Dans le dossier T‑14‑06, la demanderesse demande à la Cour de déclarer la décision de lancer l’appel de propositions du 7 septembre 2004 nulle et illégale alors que dans le dossier T‑66‑05, elle demande une ordonnance déclarant la décision du 17 décembre 2004 nulle et illégale (ci-après les deux demandes de contrôle judiciaire).

[4]               Dans chacun des dossiers, la demanderesse demande également à cette Cour d’émettre une ordonnance empêchant Téléfilm « d’effectuer toute tentative ou d’avoir tout agissement qui aurait pour effet de créer un nouveau festival des films à Montréal ou d’aider un festival existant à créer un tel festival dans le but de supplanter le Festival des films du monde » (ci-après la demande d’injonction).

[5]               Il importe également de préciser ici que la demanderesse a institué contre Téléfilm des procédures en dommages et intérêts devant la Cour supérieure par lesquelles elle réclame de Téléfilm une somme de 2 500 000 $ pour des dommages moraux et exemplaires.

[6]               Le Procureur général du Canada soutient essentiellement dans le cadre de la présente requête que le Regroupement a entièrement dépensé la subvention reçue de Téléfilm en 2005 pour son festival tenu en octobre 2005 et que le Regroupement aurait mis fin définitivement à ses activités en juillet 2006. De plus, depuis 2004, Téléfilm n’aurait pas lancé un autre appel de propositions pour l’octroi d’une subvention à un festival du film et n’aurait posé aucun geste qui pourrait donner ouverture à une conclusion injonctive telle celle recherchée par la demanderesse.

Analyse

[7]               Même si de façon étonnante la requête à l’étude n’a pas été soumise sous ce chef, il m’appert que c’est en vertu de la juridiction inhérente de cette Cour telle qu’appliquée par le juge Strayer dans l’arrêt Bull (David) Laboratories (Canada) Inc. v. Pharmacia Inc. et al. (1994), 176 N.R. 48, aux pages 54-5 (l’affaire Pharmacia) qu’elle doit être abordée.

[8]               Dans l’affaire Pharmacia, le juge Strayer a permis que l’on recherche la radiation en matière de contrôle judiciaire uniquement dans des cas exceptionnels. Voici comment la Cour s’y est exprimée en page 54-5 :

This is not to say that there is no jurisdiction in this court inherent or through rule 5 by analogy to other rules, to dismiss in summary manner a notice of motion which is so clearly improper as to be bereft of any possibility of success. (See e.g. Cyanamid Agricultural de Puerto Rico Inc. v. Commissioner of Patents (1983), 74 C.P.R. (2d) 133 F.C.T.D.); and the discussion in Vancouver Island Peace Society et al. v. Canada (Minister of National Defence) et al., [1994] 1 F.C. 102; 64 F.T.R. 127, at 120-121 F.C. (T.D.)). Such cases must be very exceptional and cannot include cases such as the present where there is simply a debatable issue as to the adequacy of the allegation in the notice of motion.

 

(je souligne)

[9]               C’est ce même raisonnement qu’a suivi le juge Nadon de cette Cour dans une décision du 13 août 1996 (Tom Pac Inc. c. Kem-A-Trix (Lubricants) Inc., dossier T-1238-96, en page 5).

[10]           Tel que le mentionnait le juge Strayer dans l’affaire Pharmacia :

…[T]he focus in judicial review is on moving the application along to the hearing stage as quickly as possible. This ensures that objections to the originating notice can be dealt with promptly in the context of consideration of the merits of the case.

[11]           (Voir également les arrêts Merck Frosst Canada Inc. et al. v. Minister of National Health and Welfare et al. (1994), 58 C.P.R. (3d) 245, à la page 248, et Glaxo Wellcome inc. et al. v. Minister of National Health and Welfare et al., jugement inédit de cette Cour, 6 septembre 1996, dossier T-793-96.)

[12]           En l’espèce, je considère que cette requête du Procureur général du Canada doit être rejetée, et ce, pour les motifs suivants.

[13]           Bien que l’on puisse se rendre aux vues du Procureur général du Canada quant à la disparition du contexte factuel résumé ci-haut au paragraphe [6], il n’en demeure que la demanderesse a toujours en Cour supérieure une requête en dommages qui est vraisemblablement liée en bout de course à une reconnaissance, dans un premier temps, du caractère nul ou illégal de l’appel de propositions du 7 septembre 2004.

[14]           Voici du reste comment la Cour d’appel fédérale lors d’un appel passé dans le présent dossier a résumé aux paragraphes 2, 3, 4 et 23 de sa décision du 21 septembre 2006 (dossier A‑646‑05, référence neutre 2006 CAF 305) le lien dans le présent dossier entre l’obtention de dommages et l’illégalité de l’appel de propositions du 7 septembre 2004 :

[2]   Le 10 décembre 2004, FFM [la demanderesse] avait déposé en Cour supérieure du Québec une « requête introductive d’instance pour jugement déclaratoire et injonction permanente » dans laquelle FFM demandait à la Cour supérieure de déclarer illégal l’appel de propositions du 7 septembre 2004 et réclamait des dommages exemplaires et oraux de l’ordre de 2 500 000,00 $.

 

[3]   Le 6 janvier 2005, Téléfilm signifiait en Cour supérieure une requête en exception déclinatoire, au motif de ladite Cour n’avait pas compétence pour se prononcer sur la légalité de l’appel de propositions.

 

[4]   Le 14 janvier 2005, FFM déposait, en Cour fédérale, un avis de demande de contrôle judiciaire à l’encontre des décisions de Téléfilm Canada rendues le 7 septembre 2004 et le 17 décembre 2004.

 

[23] (…) Il n’appartient pas à cette Cour, à ce stade-ci et en l’absence de preuve des faits pertinents, de couper court à la procédure entreprise par FFM, et ce d’autant plus que se poursuit en Cour supérieure de Montréal le débat entamé par FFM relativement à la responsabilité civile de Téléfilm Canada.

 

(je souligne)

[15]           Notons rapidement au passage ici que bien que la demanderesse semble en Cour supérieure n’attaquer que la décision du 7 septembre 2004, la Cour d’appel fédérale, dans la même décision précitée, voit clairement un lien entre cette décision du 7 septembre 2004 et celle du 17 décembre 2004.Au paragraphe [15], la Cour déclare en partie :

[15]…L’existence d’un intérêt à l’égard de la décision du 17 décembre 2004 est plus problématique, vu que FFM [la demanderesse] n’a pas jugé bon de soumettre une proposition. Comme il se peut que le sort de la première décision influe sur celui de la deuxième, mieux vaut laisser le débat suivre son cours dans sa totalité.

[16]           Ainsi, conformément vraisemblablement à l’approche que consacrera définitivement la Cour d’appel fédérale le 27 octobre 2005 dans l’arrêt La Reine c. Grenier, (2005) C.A.F. 348 (l’arrêt Grenier), la demanderesse, le 14 janvier 2005, s’est pourvue en Cour fédérale afin de faire reconnaître le caractère nul ou illégal des décisions du 7 septembre et 17 décembre 2004.

[17]           Comme on peut considérer – du moins la dynamique au contraire n’a pas été clairement établie par le Procureur général du Canada – que cette illégalité est le point de départ ou l’assise centrale de toute réclamation en dommages, il découle des enseignements de l’arrêt Grenier que les deux demandes de contrôle judiciaire ne sont pas devenues théoriques puisqu’il ne saurait y avoir de condamnation à des dommages intérêts en faveur de la demanderesse en Cour supérieure tant et aussi longtemps, à tout le moins, que l’illégalité des décisions de septembre et décembre 2004 n’aura pas été reconnue en cette Cour via les deux demandes de contrôle judiciaire qui sont maintenant réunies. L’existence des deux demandes de contrôle judiciaire présente donc toujours un aspect ou élément pratique pour les droits de la demanderesse.

[18]           Par ailleurs, quant à la demande d’injonction, cet aspect a déjà été réglé par le juge de Montigny dans sa décision du 21 décembre 2005. À cet égard, le juge a mentionné ceci au paragraphe [30] de sa décision :

[30]   Quant aux prétentions de la défenderesse à l’effet que la demande d’injonction est formulée de façon trop vague et imprécise pour être susceptible d’exécution forcée, je ne crois pas qu’elles justifieraient à ce stade-ci le rejet de la demande de contrôle judiciaire ou même la radiation de cette conclusion. Encore une fois, il ne faut jamais perdre de vue que le rejet d’une demande constitue une intervention radicale que les tribunaux ne devraient utiliser qu’avec une extrême circonspection et auquel il ne devrait être fait droit que dans des circonstances exceptionnelles. Par conséquent, je suis d’avis qu’il vaut mieux laisser au juge qui sera appelé à se prononcer sur la demande de contrôle judiciaire le soin de décider du sort de cette conclusion recherchée par la demanderesse, quitte à ce qu’il en limite éventuellement la portée s’il l’estime approprié.

[19]           On doit donc considérer qu’il y a maintenant, au stade interlocutoire à tout le moins, chose jugée quant à la non radiation de cette demande d’injonction. De plus, et à tout hasard, cette conclusion est vue par le Procureur général du Canada comme un accessoire aux demandes de nullité et d’illégalité.  Partant, puisque ces demandes demeurent, il n’y a pas véritablement de préjudice à conserver pour le mérite cette conclusion en injonction.  C’est dans son dossier du défendeur au mérite que le Procureur général du Canada devrait soulever de nouveau son argumentation à cet égard.

[20]           Pour les motifs qui précèdent, la requête en radiation du Procureur général du Canada sera donc rejetée.

[21]           Quant aux dépens à être octroyés sur celle-ci, je partage essentiellement la position de la demanderesse à l’effet que la présentation par le Procureur général du Canada de la requête à l’étude enclenche ici l’application à son encontre des règles 400(3)i), k) et 401(2) des Règles des Cours fédérales (les règles). En exerçant ma discrétion à cet égard, il sera ordonné au Procureur général du Canada de payer à la demanderesse, immédiatement suivant taxation, des dépens suivant le maximum de la colonne 4 du Tarif B.

[22]           Quant à l’échéancier à suivre dans le futur pour la mise en état des deux demandes de contrôle judiciaire, je considère que ces dossiers en sont rendus à l’étape de la règle 307, soit la production des affidavits des défendeurs.

[23]           Partant, le ou avant le 7 mars 2007, les défendeurs signifieront et déposeront leurs affidavits de la règle 307.  Par après, les autres délais des règles s’appliqueront.

 

« Richard Morneau »

protonotaire


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                       T-14-06 et T-66-05

 

INTITULÉ :                                      FESTIVAL CANADIEN DES FILMS DU MONDE

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

L’ÉQUIPE SPECTRA INC.

et

LE REGROUPEMENT POUR LE FESTIVAL DE CINÉMA DE MONTRÉAL

défenderesses

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              Le 12 février 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 14 février 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Me Tatiana Debbas

Me Louis Buteau

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me François Boyer

POUR LES DÉFENDERESSES

L’ÉQUIPE SPECTRA INC. ET

REGROUPEMENT POUR LE FESTIVAL DE CINÉMA DE MONTRÉAL

 

Me Chantal Sauriol

Me Anne-Marie Desgens

 

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Me Michel G. Sylvestre

Me Claudia Déry

POUR TÉLÉFILM CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robinson Sheppard Shapiro

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

Boyer Gariépy

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDERESSES

L’ÉQUIPE SPECTRA INC. ET

REGROUPEMENT POUR LE FESTIVAL DE CINÉMA DE MONTRÉAL

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Ogilvy Renault s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR TÉLÉFILM CANADA

 

 

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