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Date : 20070215

Dossier : IMM-2117-06

Référence : 2007 CF 174

Ottawa (Ontario), le 15 février 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

 

ENTRE :

 

XI, XIAO RONG

QURESHI, MOEYYAD GHUFRAN

XI, LULU (alias XI, Lu Lu)

QURESHI, IMRAN AHMAD

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]   Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard de la décision rendue le 16 mars 2006 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a rejeté la demande d’asile des demandeurs au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

LE CONTEXTE

[2]   Les demandeurs adultes sont la Dre Xia Rong Xi (Dre Xi) et son mari le Dr Imran Ahmad Qureshi (Dr Qureshi). Ils sont accompagnés de deux enfants mineurs, leur fille Lulu Xi et leur fils Moeyyad Ghufran Qureshi. Le Dr Qureshi et le fils sont citoyens du Pakistan, tandis que la Dre Xi et la fille sont citoyennes de la République populaire de Chine.

 

[3]   Les demandeurs adultes ont fondé leurs demandes d'asile sur une crainte fondée de persécution du fait des opinions politiques qui leur sont imputées, de leur religion, de leur race, de leur nationalité et de leur appartenance à un groupe social, c'est-à-dire les personnes mariées à des ressortissants étrangers de religion différente. Ils allèguent également qu’ils ont qualité de personne à protéger du fait qu'ils seraient exposés au risque d'être soumis à la torture ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s'ils devaient retourner dans leur pays de citoyenneté respectif. Les demandes des enfants sont fondées sur celles de leurs parents.

 

[4]   Les demandes ont été jointes afin d’être instruites ensemble, conformément au paragraphe 49(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés (Règles de la SPR), le 23 mars 2005, le 29 juin 2005 et le 30 septembre 2005.

 

[5]   Le tribunal a rendu sa décision le 2 mars 2006. Il a statué que les demandeurs d’asile adultes n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention au titre de l’article 96 de la Loi, ni qualité de personnes à protéger au titre de l’article 97 de la Loi. Le tribunal a en outre déclaré être d’avis qu’il n’y avait pas de preuve crédible ou digne de foi sur laquelle une décision favorable aurait pu être fondée. Les demandes des demandeurs mineurs ont également été rejetées, parce qu’elles s’appuyaient sur les demandes de leurs parents et qu’aucune preuve crédible indépendante n’avait été présentée en leur nom.

 

LES QUESTIONS À EXAMINER

[6]   Les demandeurs ont présenté de nombreux arguments, dont certains n’étaient pas fondés, tandis que d’autres portaient surtout des aspects accessoires de la décision du tribunal. Les autres arguments peuvent être résumés dans les deux questions suivantes :

1)      L’évaluation de la crédibilité faite par le tribunal donne-t-elle lieu à une erreur susceptible de révision du fait que celui-ci n’a pas dûment examiné toute la preuve à sa disposition?

2)      Les demandeurs se sont-ils vu refuser l’équité procédurale?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[7]   La présente demande de contrôle judiciaire comporte à la fois des questions de fond et des questions de procédure, ce qui nécessite l’application de normes de contrôle différentes.

 

[8]   D’après la jurisprudence actuelle, c’est essentiellement la nature de la décision qui dicte le choix de la norme de contrôle applicable aux décisions de fond de la Commission. S’il s’agit de questions de droit, la norme à appliquer est celle de la décision correcte; s’il s’agit de questions mixtes de fait et de droit, la norme est celle de la décision raisonnable; s’il s’agit de questions de fait, la norme est celle de la décision manifestement déraisonnable. Cette approche a été confirmée dans la décision qu’a rendue récemment la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100. En ce qui concerne les questions de fait, la Cour suprême a déclaré, au paragraphe 38 :

En ce qui concerne la question de fait, le tribunal de révision ne peut intervenir que s’il est d’avis que l’office fédéral, en l’occurrence la SAI, « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » (al. 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale).  La SAI peut fonder sa décision sur les éléments de preuve qui lui sont présentés et qu’elle estime crédibles et dignes de foi dans les circonstances : par. 69.4(3) de la Loi sur l’immigration.  Le tribunal de révision doit manifester une grande déférence à l’égard de ses conclusions.  La CAF a d’ailleurs elle‑même statué que la norme de contrôle applicable à une décision sur la crédibilité et la pertinence de la preuve était celle de la décision manifestement déraisonnable : Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315, par. 4.

 

 

[9]   Par conséquent, les conclusions concernant la crédibilité des demandeurs et l’appréciation de la preuve par le tribunal appellent une très grande retenue et ne devraient être examinées par la Cour que suivant la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[10]           En ce qui concerne les questions d’équité procédurale, dont la crainte raisonnable de partialité, la Cour suprême du Canada a statué que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221, au paragraphe 65). Par conséquent, s’il est conclu qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, la décision doit être annulée (Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650, à la page 665).

 

ANALYSE

1) L’évaluation de la crédibilité faite par le tribunal donne-t-elle lieu à une erreur susceptible de révision du fait que celui-ci n’a pas dûment examiné toute la preuve à sa disposition?

 

[11]           Je dois d’abord décider si le tribunal a fondé sa décision concernant le manque de crédibilité des demandeurs sur des conclusions de fait erronées tirées de manière abusive ou arbitraire ou sans avoir tenu compte de la preuve qui lui a été présentée.

 

[12]           Il existe une présomption, reconnue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Woolaston c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1973] R.C.S. 102, selon laquelle le décideur a considéré tous les éléments de preuve au dossier pour rendre sa décision. Bien que les demandeurs reconnaissent cette présomption, ils croient que le tribunal a « oublié » bon nombre des renseignements qu’il avait déjà lus avant la rédaction de la décision ou qu’il a mal compris les renseignements, ce qui a occasionné le rejet non fondé de leur demande. Les demandeurs font également valoir que le tribunal a commis une erreur en interprétant mal la preuve substantielle ou en faisant abstraction de celle-ci lorsqu’il a rejeté les rapports médicaux présentés par le Dr Qureshi.

 

[13]           Dans sa décision, le tribunal a déclaré qu’il avait conclu de façon générale à un manque de crédibilité et a donc estimé que la preuve présentée au soutien de la demande n’était pas crédible. Le raisonnement du tribunal était appuyé par l’arrêt de la Cour d’appel fédérale intitulé Sheikh c. Canada (MEI), [1990] A.C.F. no 604, 71 D.L.R. (4th) 604, aux paragraphes 7 et 8 :

Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l'égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande.

J'ajouterais qu'à mon sens, même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication sur lequel le second palier d'audience pourrait se fonder pour y faire droit. En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage. Naturellement, puisque le demandeur doit établir qu'il réunit tous les éléments de la définition de l'expression réfugié au sens de la Convention, la conclusion du premier palier d'audience que sa revendication ne possède pas un minimum de fondement est suffisante.

 

[14]           Le même raisonnement peut être appliqué au refus du tribunal d’accorder une importance quelconque aux rapports médicaux présentés par le Dr Qureshi. Comme l’a déclaré la juge Barbara J. Reed dans la décision Danailov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1019, au paragraphe 2 :

Quant à l'appréciation du témoignage du médecin, il est toujours possible d'évaluer un témoignage d'opinion en considérant que ce témoignage d'opinion n'est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais. Si le tribunal ne croit pas les faits sous-jacents, il lui est tout à fait loisible d'apprécier le témoignage d'opinion comme il l'a fait.

 

[15]           Même s’il était sans doute loisible au tribunal de conclure à un manque de crédibilité en général, il devait néanmoins étayer cette conclusion dans ses motifs. La décision du tribunal indique clairement que les réserves qu’il a formulées découlaient de la comparaison entre les premiers Formulaires de renseignements personnels (FRP) présentés par les demandeurs et les FRP révisés qui ont été présentés peu avant la première audience. Le tribunal a conclu au manque de crédibilité en raison « des contradictions, de l'omission d'éléments de preuve importants dans l'exposé circonstancié contenu dans leurs FRP originaux, des invraisemblances et des coïncidences improbables ».

 

[16]           Sur ce point, les demandeurs signalent que le paragraphe 6(4) des Règles de la SPR permet aux demandeurs d’asile de modifier leurs FRP avant l’audience, qu’il n’y a rien d’intrinsèquement suspect ou illicite à modifier les FRP, qu’il est normal, dans le cas de récits aussi complexes, que des détails aient pu être oubliés dans les premiers FRP, et donc que le tribunal n’aurait pas dû tirer une conclusion défavorable de la présence d’exposés circonstanciés plus détaillés dans les FRP modifiés. Quant au défendeur, il fait valoir que le tribunal avait le droit de tirer des conclusions négatives concernant la crédibilité sur la base de l’omission d’événements importants dans les premiers FRP des demandeurs, même si ces événements ont été exposés par la suite dans les FRP modifiés.

 

[17]           La décision rendue par le juge James O’Reilly dans Gimenez c. Canada (MCI), [2005] A.C.F. no 1386, 2005 CF 1114, peut être utilisée pour étayer tant les arguments des demandeurs que ceux du défendeur. Comme l’a mentionné le juge O’Reilly au paragraphe 5 de sa décision, «  la Commission ne doit pas tirer d'inférence négative du dépôt d'un FRP modifié ou d'un énoncé circonstancié écrit dans le délai fixé ». Toutefois, comme il a ajouté aux paragraphes 6 et 7, « [l]a Commission a relevé plusieurs contradictions et omissions inexpliquées » entre le premier FRP et le FRP modifié, et « [l]a Commission était parfaitement en droit de tenir compte de ces contradictions pour évaluer la preuve au dossier ».

 

[18]           Il s’agit donc d’établir si les prétendues omissions et incohérences entre les deux versions des exposés circonstanciés contenus dans les FRP des demandeurs ne pouvaient pas être expliquées de façon satisfaisante et ainsi pouvaient justifier une conclusion de manque de crédibilité.

 

[19]           Il ne fait aucun doute que les exposés circonstanciés contenus dans les FRP modifiés qui ont été présentés par la Dre Xi et le Dr Qureshi sont plus détaillés que ceux des premiers FRP. Cela dit, les premiers FRP, chacun comptant cinq pages dactylographiées, avaient tout de même une certaine importance.

 

[20]           Les demandeurs allèguent que les différences entre les deux versions des FRP ne révélaient pas de contradictions flagrantes et que le tribunal a commis une erreur en rejetant les explications vraisemblables de ces écarts. Les demandeurs soutiennent que les exposés circonstanciés contenus dans les FRP modifiés ont essentiellement pour effet d’ajouter des détails aux événements déjà décrits dans les premiers FRP. Pour sa part, le défendeur soutient que la décision du tribunal était raisonnable et que, compte tenu de l’importance des omissions et des incohérences entre les deux versions des FRP, le tribunal était tout à fait justifié de conclure que ces différences avaient une incidence négative sur la crédibilité des demandeurs.

 

[21]           Dans sa décision, le tribunal a relevé un certain nombre d’omissions et d’incohérences qui, selon lui, minent la crédibilité des demandeurs. Je n’entends pas passer en revue chacune de ces conclusions pour décider si elles étaient effectivement raisonnables, mais je donnerai quelques exemples soulevés par les demandeurs, la Dre Xi et le Dr Qureshi, dans leurs affidavits respectifs, et je mentionnerai certaines erreurs de portée variable commises par le tribunal dans sa décision, qui, au dire des demandeurs, témoignent d’une incompréhension de nombreux aspects de leur récit, le résultat final étant le rejet à tort de leurs demandes.

 

[22]           Par exemple, à la page 15 de sa décision, le tribunal a noté que le Dr Qureshi avait omis de mentionner dans son premier exposé circonstancié que les agresseurs qui s’en sont pris à lui affirmaient que son épouse avait prononcé des paroles désobligeantes envers l’islam. Comme l’a indiqué le Dr Qureshi dans son affidavit, en réalité, ce fait a été mentionné dans le premier FRP, où il était précisé que les agresseurs l’accusaient de ne pas avoir d’emprise sur son épouse et de lui permettre de soulever des questions s’apparentant à des sottises. De plus, à la page 17 de la décision, le tribunal a fait observer que dans son premier FRP, le Dr Qureshi n’avait pas mentionné l’appel téléphonique menaçant qu’il avait reçu et le récit qu’il avait fait à ses étudiants au sujet d’Allah, récit qui aurait mené à cet appel téléphonique. Le premier FRP traite néanmoins clairement de deux appels téléphoniques, dont un au sujet de son « exemple relatif à l’amour d’Allah ». Il a reconnu ne pas se souvenir du récit au sujet de l’amour d’Allah dans son exposé circonstancié contenu dans son premier FRP, mais on peut difficilement affirmer que de tels détails constituent des renseignements primordiaux venant étayer sa demande; la mention du récit, aussi brève puisse-t-elle avoir été, aurait dû suffire.

 

[23]           En ce qui a trait à la demande de la Dre Xi, le tribunal semblait très préoccupé par le fait qu’elle avait omis d’expliquer, dans son premier FRP, pourquoi elle a été surprise en train de lire la Bible. Dans les circonstances, je suis d’accord avec la Dre Xi pour dire que le fait que sa famille musulmane l’a surprise en train de lire la Bible est le facteur le plus important. Le motif de son geste – la recherche d’une citation à insérer dans une affiche sur la santé publique destinée à un voisinage chrétien – est essentiellement non pertinent, car cela ne semble pas avoir affecté la réaction de sa famille et du voisinage à son geste. En outre, à la page 13 de la décision, le tribunal a noté que la Dre Xi alléguait dans son exposé circonstancié révisé qu’elle et sa mère se sont fait lancer des pierres en août 1998, et conclut que cet incident aurait dû être mentionné dans l’exposé circonstancié initial, compte tenu de son importance du point de vue de la preuve. Même si je serais normalement d’accord avec le tribunal sur ce point, il demeure que cet incident a été mentionné dans l’exposé circonstancié du premier FRP du Dr Qureshi, de sorte qu’on ne peut pas dire que le récit a été inventé au cours des années qui ont suivi la présentation de l’exposé circonstancié du premier FRP, comme l’a sous-entendu le tribunal.

 

[24]           Je constate que l’existence de telles erreurs dans l’appréciation de la preuve par le tribunal soulève effectivement des doutes quant au caractère raisonnable de la décision. Cependant, je ne suis pas convaincu que ces erreurs suffisent à appuyer la conclusion selon laquelle la décision est manifestement déraisonnable.

 

2) Les demandeurs se sont-ils vu refuser l’équité procédurale?

 

 

[25]           En ce qui concerne l’équité procédurale, les demandeurs contestent d’abord la pratique de l’inversement de l’ordre des interrogatoires et font valoir que leur avocat aurait dû être autorisé à les interroger en premier, ce qui aurait évité la confusion et épargné du temps.

 

[26]           Au cours des dernières années, il y a eu plusieurs contestations de la pratique de l’inversement de l’ordre des interrogatoires, utilisée par la Commission, au motif qu’elle enfreint l’équité procédurale. Les décisions-clés portant sur cette question sont Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. n8, 2006 CF 16, et Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 631, 2006 CF 461. Bien que les deux décisions répondent différemment à la question de savoir si les Directives no 7, qui font état de la pratique de l’inversement de l’ordre des interrogatoires, pourraient entraver illégalement l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires, aucune de ces décisions ne peut être considérée comme étayant la thèse selon laquelle l’inversement de l’ordre des interrogatoires viole intrinsèquement un principe de justice naturelle ou l’équité procédurale. Comme l’a déclaré le juge Mosley dans la décision Benitez, aux paragraphes 127 et 128 :

Après avoir examiné les facteurs énoncés dans l'arrêt Baker et les autres facteurs présentés par les demandeurs, je n'ai aucune difficulté à conclure qu'il n'a pas été établi que la justice naturelle exige que le procureur d'un demandeur d'asile interroge d'abord son client de sorte que celui-ci ait une possibilité valable de présenter complètement et équitablement sa cause, ou que les Directives privent réellement le demandeur d'asile de l'aide que peut lui apporter son procureur.

 

Je souscris à la conclusion du juge Blanchard [dans Thamotharem] selon laquelle la possibilité, pour le demandeur, de déposer des prétentions écrites et de produire une preuve devant la CISR, d'obtenir une audience à laquelle participe son procureur et de présenter des observations de vive voix satisfait aux exigences relatives aux droits de participation requis par l'obligation d'équité et que les Directives no 7 ne contreviennent pas en soi à cette obligation.

 

[27]           Comme l’a mentionné le défendeur, l’avocat des demandeurs n’a présenté aucun argument au tribunal pour revendiquer l’octroi d’une dispense lui permettant de procéder au premier interrogatoire des demandeurs, ce qui peut être interprété comme une renonciation implicite à invoquer toute atteinte apparente à l’équité procédurale qui pourrait résulter de l’inversement de l’ordre des interrogatoires.

 

LA CRAINTE RAISONNABLE DE PARTIALITÉ

[28]           En dernier lieu, les demandeurs laissent entendre que [traduction] « l’on doit conclure que le tribunal, sans intention de nuire, n’a pas compris la preuve et a fait preuve de négligence en faisant abstraction de parties importantes de celle-ci lorsqu’il a rédigé ses motifs; subsidiairement, il y a apparence de crainte raisonnable de partialité (si l’on compare les motifs à la preuve), que le tribunal ait été partial ou non ».

 

[29]           Le critère qui sert à établir si un tribunal administratif est partial a été énoncé par le juge Louis-Philippe de Grandpré dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada intitulé Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, aux pages 394 et 395 :

[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique ».

 

[30]           Le fait de soulever une crainte raisonnable de partialité de la part du tribunal est une question très sérieuse, et c’est la raison pour laquelle la Cour a demandé à l’avocat des éclaircissements sur ses intentions. En réponse aux questions posées par la Cour, l’avocat des demandeurs ne semblait pas certain d’avoir vraiment laissé entendre « [qu’]une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » conclurait que le geste du tribunal soulève une crainte raisonnable de partialité.

 

[31]           La jurisprudence établit clairement que les allégations de crainte raisonnable de partialité doivent être soulevées à la première occasion et que le défaut de le faire entraînera une renonciation implicite au droit d’invoquer ces allégations ultérieurement (West Region Tribal Council c. Booth et al. (1992), 55 F.T.R. 28, Ithibu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 499, 2001 CFPI 288). Cette règle s’applique dans la mesure où le demandeur ou son avocat est au courant du droit de s’opposer sur cette base (Khakh c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 1183, [1994] 1 C.F. 548 ). Ainsi, si les demandeurs souhaitaient alléguer la partialité en raison du comportement du tribunal à l’audience, ces allégations auraient généralement dû être soulevées d’abord par leur avocat à l’audience.

 

[32]           En l’espèce, toutefois, les demandeurs ont soulevé une crainte raisonnable de partialité non pas à l’égard du comportement du tribunal à l’audience, mais plutôt à l’égard de la décision écrite du tribunal. L’argument principal des demandeurs est que le nombre d’erreurs contenues dans la décision était suffisant en soi pour soulever une crainte raisonnable de partialité.

 

[33]           J’ai examiné avec soin les documents présentés, en particulier la décision de 47 pages du tribunal qui traitait de l’ensemble de la preuve produite par les demandeurs, y compris les témoignages des deux demandeurs, de même que la preuve documentaire. Comme je l’ai mentionné précédemment dans les présents motifs, j’ai déjà relevé quelques erreurs dans l’appréciation de la preuve par le tribunal. Néanmoins, ces erreurs ne suffisent pas pour satisfaire au critère énoncé par la Cour suprême du Canada afin de prouver la crainte raisonnable de partialité ou tout autre manquement à l’équité procédurale.

 

CONCLUSION

[34]           Il n’était pas déraisonnable de la part du tribunal de remettre en question la crédibilité des demandeurs compte tenu de l’ensemble de la preuve, en particulier les motifs donnés par les demandeurs pour ne pas avoir demandé l’asile en Suède et aux États-Unis, ainsi que le fait que les demandeurs avaient également demandé la résidence permanente au Canada. Tous ces éléments ont été appréciés par le tribunal, et j’estime que celui-ci n’a pas commis d’erreur susceptible de révision qui justifierait l’intervention de la Cour.

 

[35]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[36]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 


JUGEMENT

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil

 

 


ANNEXE

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themselves of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themselves of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-2117-06

 

INTITULÉ :                                       XI, XIAO RONG, QURESHI, MOEYYAD GHUFRAN, XI, LULU (alias XI, Lu Lu), QURESHI, IMRAN AHMAD

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 31 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 15 FÉVRIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

RANDAL MONTGOMERY

 

POUR LES DEMANDEURS

MARIA BURGOS

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RANDAL MONTGOMERY

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H.SIMS, c.r.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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