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Date : 20070215

Dossier : IMM-1545-06

Référence : 2007 CF 175

ENTRE :

HARBANS SINGH KAINTH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

 

Introduction

[1]             Les présents motifs font suite à l’audition, le 13 février 2007, d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 19 janvier 2006 par une agente (l’agente) du défendeur au Haut-Commissariat du Canada à New Delhi, en Inde. L’agente a décidé, même si le demandeur avait obtenu assez de points d’appréciation pour justifier la délivrance d’un visa de résident permanent en sa faveur, de refuser sa demande de visa en exerçant son pouvoir discrétionnaire de rejet ou en procédant à une appréciation de substitution, étant donné qu’elle n’était :

[traduction]

« […] pas convaincue que vous [le demandeur] seriez en mesure de réussir votre établissement économique au Canada. Vous avez eu l’occasion de répondre à ces préoccupations au cours de votre entrevue, mais les explications et les renseignements que vous avez fournis ne m’ont pas convaincue. Un agent principal a souscrit à cette évaluation. » 

 

Le contexte

[2]             Le demandeur est un citoyen de l’Inde. Il a demandé un visa de résident permanent afin de venir au Canada le 12 janvier 2000. Il envisageait de venir au Canada avec sa fille qui est à sa charge. Sa conjointe et deux autres enfants n’étaient pas visés par sa demande. Sa première langue est le punjabi, mais il a prouvé qu’il avait une certaine capacité de parler, de comprendre, de lire et d’écrire l’anglais. Il a proposé que sa demande soit évaluée dans la catégorie « immigration économique » et qu’il soit considéré comme exerçant la profession de « technicien parajuridique ».

 

[3]             Au cours de la période de transition entre l’application de la Loi sur l’immigration et de ses règlements et celle de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de ses règlements, sa demande a été appréciée sous les deux régimes. Dans le cadre de l’appréciation sous le régime de la Loi sur l’immigration et de ses règlements, il a obtenu 65 points d’appréciation alors qu’il lui en fallait 70 pour être admissible. Sous le régime de la Loi sur l’immigration et de la protection des réfugiés et de ses règlements, il s’est vu accorder 68 points d’appréciation, se qualifiant ainsi pour l’immigration vu que l’exigence minimale était de 67 points. Malgré son admissibilité en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de ses règlements, sa demande a été rejetée à la suite d’une appréciation de substitution faite en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés[1].

 

Les questions en litige

[4]             Deux questions litigieuses ont été soulevées dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire au nom du demandeur : la première est celle de la norme de contrôle applicable et la seconde consiste à établir si l’agente a commis une erreur par rapport à la norme de contrôle applicable lorsqu’elle a effectué une appréciation de substitution, plus particulièrement en « comptant en double » la compétence linguistique limitée du demandeur en anglais.

 

Analyse

La norme de contrôle

[5]             Bien que l’avocate du demandeur ait reconnu que les conclusions de fait d’un décideur comme l’agente dans les cas de demandes de résidence permanente au Canada sont susceptibles de révision suivant la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable, elle a fait valoir avec insistance que les décisions fondées sur un pouvoir discrétionnaire de rejet ou sur une appréciation de substitution défavorable sont susceptibles de révision selon une norme plus élevée. À cet égard, l’avocate a invoqué l’arrêt Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[2] dans lequel ma collègue, la juge Mactavish, a écrit au paragraphe [22] de ses motifs :

L'alinéa 11(3)b) du Règlement impose un fardeau plus lourd à l'agent des visas qui doit justifier l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de refuser une demande que s'il s'agit du pouvoir discrétionnaire d'accorder une demande visé à l'alinéa 11(3)a).

 

Les mentions du paragraphe 11(3) du Règlement faites par la juge Mactavish correspondent à la disposition du Règlement pris en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration. Aucune distinction n’est faite entre cette disposition et le paragraphe 76(3) du Règlement pris en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

[6]             Comme précédent appuyant le court paragraphe cité précédemment, la juge Mactavish se fonde sur l’arrêt Hameed c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration[3], dans lequel le juge Evans, au nom de la majorité d’une formation de la Cour d’appel, en est venu à la même conclusion au paragraphe [22] de ses motifs. 

 

[7]             Les avocats présents devant la Cour dans la présente affaire ont convenu que la norme de contrôle « plus élevée » qui est appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter. Je suis convaincu que, vu les faits particuliers de l’espèce, une analyse pragmatique et fonctionnelle appuie le consensus intervenu entre les avocats. 

 

Erreur susceptible de révision dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de rejet ou l’appréciation de substitution défavorable

[8]             L’avocate du demandeur a fait valoir avec insistance que l’agente, ayant accordé des points d’appréciation pour la compétence linguistique du demandeur en anglais tant sous le régime de la Loi sur l’immigration que sous celui de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, a commis une erreur en comptant en double ou en prenant doublement en compte la compétence linguistique du demandeur en anglais lorsqu’elle a décidé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de rejet ou d’effectuer une appréciation de substitution défavorable. Je ne suis pas d’accord. 

 

[9]             Dans les notes du STIDI qui étayent la décision de l’agente, celle-ci a écrit :

[traduction]

« […] Je ne suis pas convaincue que les points qu’il [le demandeur] s’est vu accorder constituent un indicateur suffisant de la probabilité de sa capacité à réussir son "établissement économique" au Canada.  J’ai pris cette décision parce qu’à l’étape où [le demandeur] est rendu dans sa carrière, il lui serait difficile de changer d’orientation. De plus, il a déclaré qu’il n’a pas l’intention de chercher à occuper un poste de technicien parajuridique au Canada, mais qu’il exercerait plutôt "n’importe quel emploi à Toronto". En outre, comme ses capacités en anglais sont limitées, [le demandeur] a déclaré qu’il interagirait seulement avec d’autres interlocuteurs punjabis. Cette déclaration signifie qu’il n’entend pas s’intégrer à l’ensemble de la société canadienne, mais qu’il souhaite plutôt demeurer dans sa propre collectivité. L’épouse [du demandeur] possède une maîtrise, mais elle ne parle pas anglais et l’expérience qu’elle a acquise ne serait vraisemblablement pas pertinente au Canada. Je ne crois pas que le nombre de points accordé (68) constitue un indicateur suffisant de la capacité [du demandeur] à réussir son établissement économique au Canada. »

 

[10]         L’agente n’a pas « compté en double » la compétence limitée du demandeur en anglais; elle s’est plutôt fiée au rendement du demandeur lors de l’entrevue, au cours de laquelle il est demeuré très vague sur la façon dont il entendait gagner sa vie au Canada et a mentionné qu’il avait l’intention de limiter son intégration à la société canadienne à un segment très restreint de celle-ci, et elle a tenu compte du fait que l’épouse du demandeur, malgré son haut niveau de scolarité, ne possédait pas d’expérience qui serait vraisemblablement pertinente au Canada.

 

[11]         Au regard de la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter, je suis convaincu que l’agente pouvait décider d’exercer son pouvoir discrétionnaire de rejet ou d’effectuer une appréciation de substitution défavorable pour rejeter la demande de résidence permanente du demandeur au Canada, parce qu’elle estimait que le nombre de points d’appréciation accordé à celui-ci n’était pas un indicateur suffisant de sa capacité à réussir son établissement économique au Canada.

 

Conclusion

[12]         Compte tenu de la brève analyse qui précède, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

Certification d’une question

[13]         Les avocats du demandeur et du défendeur ont été informés de la décision de la Cour à la fin de l’audition de la présente affaire. Ni l’un ni l’autre n’ont recommandé la certification d’une question. La Cour est elle-même convaincue qu’aucune question sérieuse d’importance générale et ayant un effet déterminant sur un appel interjeté à l’encontre de la décision de la Cour ne découle de la présente décision. Aucune question ne sera certifiée.

 

                                                                                                       « Frederick E. Gibson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1545-06

 

 

INTITULÉ :                                       HARBANS SINGH KAINTH c. MCI                                                        

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 FÉVRIER 2007

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE GIBSON

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 15 FÉVRIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee                                                                               POUR LE DEMANDEUR

                                               

Alexis Singer                                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Wennie Lee

Lee & Company                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

                                                                                                          

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                          

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario



[1] DORS/2002-227.

[2] 2004 C.F. 182, 03.02.2004.

[3] [2001] A.C.F. no 10, 8 janvier 2001.

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