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Date : 20070223

Dossier : IMM‑1973‑06

Référence : 2007 CF 200

Ottawa (Ontario), le 23 février 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

WING FU LEUNG

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, qui est ressortissant de Hong Kong, est arrivé au Canada en 2003 à la faveur d’un visa de visiteur. À l’exception d’un frère, tous ses proches – y compris sa mère – sont au Canada depuis quelque temps. Il a sollicité le statut de résident permanent au Canada en alléguant des motifs d’ordre humanitaire. Par la décision en date du 21 mars 2006, l’agent d’immigration lui a refusé la résidence permanente. Il sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[2]               La décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193). Selon cette norme, la décision n’est pas annulée si elle peut résister à un examen assez poussé.

 

[3]               Le demandeur a fait valoir des arguments simples devant l’agent. Le demandeur a soutenu que :

 

  • en tant qu’unique enfant célibataire, il lui incombait de s’occuper de sa mère, âgée de 60 ans et de santé fragile;

 

  • à l’exception d’un frère avec qui il s’est brouillé, il n’a pas de famille à Hong Kong.

 

[4]               À l’appui de sa demande de résidence permanente, le demandeur avait produit la lettre du médecin de sa mère. La lettre dit que la mère souffre de diabète et d’hypertension et qu’elle prend des médicaments. Il n’est pas précisé dans la lettre que la mère a besoin des soins constants. Elle semble même donner à entendre que l’état de santé de la mère ne suscite pas d’inquiétude. L’agent a donc conclu que l’état de santé de la mère [traduction] « n’était pas mauvais au point de nécessiter des soins médicaux constants ».

 

[5]               L’agent a aussi relevé que le demandeur, qui avait occupé un emploi à Hong Kong, n’avait pas expliqué pourquoi il s’était brouillé avec son frère à Hong Kong, ni n’avait établi qu’il avait vécu avec son frère à Hong Kong.

 

[6]               Selon le demandeur, les conclusions de l’agent relatives à la maladie de sa mère et au traitement qu’elle devait suivre étaient pures conjectures. Il dit aussi que les doutes de l’agent en la matière auraient dû lui être communiqués. Je ne partage pas cet avis.

 

[7]               C’est au demandeur qu’il appartient de produire la preuve nécessaire à l’appui de sa demande (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 R.C.F. 635, 318 N.R. 300). L’agent n’a nullement l’obligation d’examiner avec le demandeur les lacunes de sa demande (Carreiro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 342, paragraphe 13 (C.F. 1re inst.); Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1192, paragraphe 22 (C.F.)). En l’espèce, l’état de santé de sa mère était à l’origine de sa demande de résidence permanente. L’unique pièce produite à l’appui était une vague lettre de médecin qui faisait état de deux maux courants et qui précisait que la mère du demandeur prenait des médicaments. L’agent pouvait parfaitement conclure, comme il l’a fait, que la mère du demandeur ne nécessitait pas des soins constants ni une attention constante de la part de son fils.

 

[8]               Dans sa décision, l’agent signale que, en faisant du bénévolat, le demandeur a montré que [traduction] « l’état de santé de sa mère ne suscite aucune inquiétude et qu’il ne lui sera pas nécessaire de passer son temps à s’occuper d’elle ». Le demandeur prétend que son bénévolat et le niveau de gravité de l’état de sa mère sont sans rapport. Je partage l’avis du demandeur. Cependant, je crois que cette erreur fut sans conséquence pour la décision de l’agent. Comme l’a déclaré celui‑ci, s’il a rejeté les dires du demandeur quant à la gravité de l’état de santé de sa mère, c’était parce que la lettre du médecin était vague et ne disait pas que des soins médicaux constants étaient nécessaires, contrairement à ce que prétendait le demandeur.

 

[9]               L’autre aspect des allégations du demandeur concerne ses liens avec sa famille au Canada et l’absence de soutien et de liens avec un quelconque membre de sa famille à Hong Kong. Dans sa décision, l’agent a signalé ce qui suit :

 

·        aucune preuve documentaire n’a été produite au soutien des allégations du demandeur portant sur le différend familial qui avait conduit son frère à Hong Kong à se brouiller avec la famille;

 

·        le demandeur avait un emploi à Hong Kong et il subvenait à ses propres besoins; et

 

·        la séparation de la famille était prévue en 1996, quand le reste de la famille avait décidé de venir au Canada.

 

[10]           Le demandeur dit qu’il aurait dû être considéré comme un membre de fait de la famille, au sens du Manuel de traitement des demandes au Canada, section IP‑5 (Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire) [la section IP‑5], qui contient les directives que doivent observer les agents d’immigration lorsqu’ils évaluent des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. En l’espèce, le demandeur fait valoir que l’agent n’a pas tenu compte des facteurs exposés dans la section IP‑5. Voici le texte de la partie 6.1 de la section IP‑5 :

6.1 Membres de fait de la famille

 

Les membres de fait de la famille sont les personnes qui ne répondent pas à la définition de membre de la catégorie du regroupement familial. Ils sont, par contre, dans une situation de dépendance qui les rend de fait membres d’une famille nucléaire au Canada. Voici quelques exemples : fils, fille, frère ou sœur laissés seuls dans le pays d’origine sans famille propre; un parent âgé, par exemple une tante ou un oncle ou une personne non apparentée qui a résidé avec la famille pendant longtemps.

 

 

6.1. De facto family members

 

De facto family members are persons who do not meet the definition of a family class member. They are, however, in a situation of dependence that makes them a de facto member of a nuclear family in Canada. Some examples: a son, daughter, brother or sister left alone in the country of origin without family of their own; an elderly relative such as an aunt or uncle or an unrelated person who has resided with the family for a long time.

 

 

[11]           Voici le texte de la partie 13.8 de la section IP‑5 :

13.8. Membres de la famille de fait

 

L’une des considérations importantes est la difficulté qu’aurait le demandeur de satisfaire à ses besoins financiers ou émotionnels sans l’aide de la famille au Canada. La séparation d’un parent de fait de ses proches peut constituer la base d’une décision CH favorable.

 

13.8. De facto family members

 

An important consideration is to what extent the applicant would have difficulty in meeting financial or emotional needs without the support and assistance of the family unit in Canada. Separation of persons in such a genuine dependent relationship may be grounds for a positive decision.

 

L’agent doit tenir compte des facteurs qui suivent :

 

Officers should consider the following factors:

 

·         s’agit‑il d’une dépendance authentique, qui ne vise pas à obtenir le statut de résidence permanente.

 

 

·         Whether dependency is bona fide and not created for immigration purposes;

 

·         le niveau de dépendance;

 

 

·         the level of dependency;

·         la stabilité de la relation;

 

 

·         the stability of the relationship;

 

·         la durée de la relation;

 

 

·         the length of the relationship;

 

·         la capacité et la volonté de la famille au Canada d’assumer le soutien;

 

 

·         ability and willingness of the family in Canada to provide support;

·         les autres recours du demandeur, par exemple sa famille (époux, enfants, parents et fratrie, etc.) à l’étranger, disposés à assumer le soutien et capables de le faire;

 

 

·         applicant’s other alternatives, such as family (spouse, children, parents, siblings, etc.) outside Canada able and willing to provide support;

 

·         documents qui prouvent la relation (p. ex., compte bancaire commun, biens immobiliers ou autres communs, testament, police d’assurance ou lettres d’amis ou de parents);

 

 

·         documentary evidence about the relationship (e.g., joint bank accounts or real estate holdings, other joint property ownership, wills, insurance policies, letters from friends and family);

 

·         existe‑t‑il un degré appréciable d’établissement au Canada? (Voir la Section 11.2, Évaluation du degré d’établissement au Canada); et

 

 

·         whether there is a significant degree of establishment in Canada? (See Section 11.2, Assessing the applicant’s degree of establishment in Canada); and

 

·         tout autre facteur pertinent à la décision CH.

 

 

·         any other factors relevant to the H&C decision.

 

 

[12]           Manifestement, les directives disposent qu’un membre de la famille de fait doit prouver qu’il se trouve dans une situation de dépendance. En l’espèce, le demandeur prétend qu’il est dépendant parce qu’il n’est pas en mesure de conserver un emploi stable à Hong Kong et qu’il a besoin du soutien affectif de sa famille au Canada.

 

[13]           La section IP‑5 donne des exemples de facteurs qu’il convient de prendre en compte pour mesurer l’étendue des besoins financiers ou affectifs, mais la liste n’est ni impérative ni limitative. Ces directives ont été expliquées ainsi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker, précité, au paragraphe 72 :

72     [L]es directives données par le ministre aux agents d’immigration reconnaissent et révèlent les valeurs et la démarche qui sont décrites ci‑dessus et qui sont énoncées dans la Convention.  Comme il est dit plus haut, les agents d’immigration sont censés rendre la décision qu’une personne raisonnable rendrait, en portant une attention particulière à des considérations humanitaires comme maintenir des liens entre les membres d’une famille et éviter de renvoyer des gens à des endroits où ils n’ont plus d’attaches.  Les directives révèlent ce que le ministre considère comme une décision d’ordre humanitaire, et elles sont très utiles à notre Cour pour décider si les motifs de l’agent Lorenz sont valables.  Elles soulignent que le décideur devrait être conscient des considérations humanitaires possibles, devrait tenir compte des difficultés qu’une décision défavorable imposerait au demandeur ou aux membres de sa famille proche, et devrait considérer comme un facteur important les liens entre les membres d’une famille.  Les directives sont une indication utile de ce qui constitue une interprétation raisonnable du pouvoir conféré par l’article, et le fait que cette décision était contraire aux directives est d’une grande utilité pour évaluer si la décision constituait un exercice déraisonnable du pouvoir en matière humanitaire.

 

[14]           Cependant, la Cour d’appel fédérale a bien précisé que « ces lignes directrices ministérielles ne lient pas le ministre ou ses agents » (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 C.F. 358, paragraphe 20, 212 D.L.R. (4th) 139).

 

[15]           Vu les faits, et comme l’a indiqué l’agent dans ses motifs, le demandeur est un homme âgé de 37 ans qui pouvait trouver un emploi et subvenir à ses besoins à Hong Kong, et il n’y a aucune raison de croire qu’il en sera incapable quand il rentrera à Hong Kong. En outre, bien que regrettable, l’isolement entraîné par la séparation d’avec les membres de sa famille ne suffit pas ici à constituer un cas de dépendance. À mon avis, la décision de l’agent d’immigration montre que, en l’espèce, il a tenu compte des facteurs pertinents. Il n’a pas expressément fait état de chacun des facteurs, mais cela ne constitue pas un motif d’annulation de sa décision. Bien plus important est le fait que l’agent a examiné la preuve dont il disposait et exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière non arbitraire.

 

[16]           Le demandeur prétend aussi que l’agent a tenu compte d’éléments hors de propos en prenant en compte la séparation volontaire de la famille en 1996. À mon avis, le fait que la famille, pour quelque raison, a laissé le demandeur adulte à Hong Kong en 1996 lorsqu’elle est arrivée au Canada est un facteur pertinent. En l’espèce, la séparation volontaire intéresse directement la question de la dépendance affective invoquée par le demandeur. La famille qui a choisi de se disperser accepte les conséquences de son choix. La séparation volontaire donne lieu à une présomption réfutable selon laquelle le membre de la famille qui reste sur place n’est pas dépendant de la famille. Il n’est pas impossible que de nouvelles circonstances rendent éventuellement inapplicable ce facteur, mais cela ne veut pas dire qu’il était hors de propos dans la décision de l’agent.

 

[17]           En somme, la décision de l’agent peut résister à un examen assez poussé; elle n’était pas déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[18]           Aucune des parties n’a proposé qu’une question soit certifiée. Aucune question grave de portée générale n’est soulevée ici, et aucune question ne sera donc certifiée.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

 

  1. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1973‑06

 

 

INTITULÉ :                                       WING FU LEUNG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 février 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       La juge Snider

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 février 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Ralph Dzegniuk                                                                        POUR LE DEMANDEUR

 

 

Maria Burgos                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Green & Spiegel                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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