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Date : 20070228

Dossier : T-763-06

Référence : 2007 CF 230

Ottawa (Ontario), le 28 février 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

MOHAMAD HUSSEIN SLEIMAN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 (la Loi), d’une décision d’une juge de la citoyenneté datée du 8 mars 2006 rejetant la demande de citoyenneté du demandeur.

 

[2]               Le demandeur est devenu un résident permanent du Canada le 5 juillet 2001. Il a été choisi en vertu de la catégorie des investisseurs du programme d’immigration des gens d’affaires. Il a présenté une demande de citoyenneté le 21 décembre 2004.

 

[3]               Le demandeur est arrivé au Canada, accompagné de son épouse et de ses quatre enfants. Les cinq membres de sa famille se sont vu attribuer la citoyenneté canadienne depuis. Toutefois, la citoyenneté a été refusée au demandeur parce qu’il avait accumulé huit absences prolongées du Canada au cours de la période précédant sa demande de citoyenneté. Prises ensemble, ces absences représentaient 1 032 jours par rapport au total de 2 258 jours pris en compte par la juge de la citoyenneté. Ses absences du Canada, au cours desquelles il s’est rendu en Arabie saoudite et au Liban, sont les suivantes :

1.                  du 8 août 2001 au 31 janvier 2002 (176 jours), après avoir passé, pour la première fois, 33 jours au Canada;

2.                  du 26 février 2002 au 15 août 2002 (170 jours);

3.                  du 10 septembre 2002 au 2 décembre 2002 (83 jours);

4.                  du 22 décembre 2002 au 6 février 2003 (46 jours);

5.                  du 28 février 2003 au 1er mai 2003 (62 jours);

6.                  du 20 mai 2003 au 11 novembre 2003 (184 jours);

7.                  du 12 décembre 2003 au 31 janvier 2003 (49 jours);

8.                  du 22 février 2003 au 11 novembre 2004 (263 jours).

Question en litige

[4]               La question soulevée dans le présent appel est celle de savoir si la juge de la citoyenneté a erré en concluant que le demandeur n’avait pas répondu aux exigences de résidence en vertu du sous‑alinéa 5(1)c)(ii) de la Loi.

 

Dispositions législatives pertinentes

[5]               La principale disposition législative en cause dans le présent appel est le sous‑alinéa 5(1)c)(ii) de la Loi, qui est rédigé comme suit :

Attribution de la citoyenneté

 

Grant of citizenship

 

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

[…]

[…]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) is a permanent resident within the meaning of paragraph 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

[…]

[…]

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent; […]

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence; […]

Norme de contrôle

[6]               La question de savoir si une personne a répondu aux exigences de résidence en vertu de la Loi est une question mixte de fait et de droit. La Cour devrait manifester un certain degré de retenue envers les juges de la citoyenneté et ne pas substituer son opinion à celle des juges lorsque, « dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, [ils] décide[nt] à bon droit que les faits satisfont [leur] conception du critère législatif prévu à l’alinéa 5(1)c) » : Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177, au paragraphe 33, le juge Allan Lutfy (maintenant juge en chef). Le rôle de la Cour consiste à vérifier si les juges de la citoyenneté ont appliqué de façon appropriée le critère choisi : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mindich (1999), 170 F.T.R. 148, au paragraphe 9. Il convient de faire preuve d’une certaine retenue judiciaire à l’égard des décisions des juges de la citoyenneté en raison de leurs connaissances et de leur expérience particulières en la matière. La Loi prévoit également un droit d’appel de la décision d’un juge de la citoyenneté à la Cour fédérale. Je suis d’accord avec le raisonnement du juge Mosley dans la décision Zeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1752, dans laquelle il a déclaré ce qui suit :

¶9    Appliquant la méthode pragmatique et fonctionnelle à l=examen des décisions des juges de la citoyenneté portant sur la condition de résidence prévue par la Loi, plusieurs juges de la Cour fédérale ont récemment conclu qu=une norme plus adéquate serait celle de la décision raisonnable simpliciter : Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l=Immigration), 2004 CF 1693, [2004] A.C.F. n° 2069; Rasaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l=Immigration), 2004 CF 1688, [2004] A.C.F. n° 2051; Gunnarson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l=Immigration), 2004 CF 1592, [2004] A.C.F. n° 1913; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l=Immigration) c. Chen, 2004 CF 848, [2004] A.C.F. n° 1040; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l=Immigration) c. Fu, 2004 CF 60, [2004] A.C.F. n° 88; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l=Immigration) c. Chang, 2003 CF 1472, [2003] A.C.F n° 1871.

 

¶10    Je reconnais que le point de savoir si une personne a rempli la condition de résidence prévue par la Loi est une question mixte de droit et de fait et que les décisions des juges de la citoyenneté appellent une certaine retenue, parce que ces juges ont l=expérience et la connaissance des affaires qui leur sont soumises. Par conséquent, j=admets que la norme de contrôle devant s=appliquer est celle de la décision raisonnable simpliciter et que, ainsi que le disait la juge Snider dans la décision Chen, précitée, au paragraphe 5, « dans la mesure où ont été démontrées une connaissance de la jurisprudence et une appréciation des faits et de la manière dont ils s=appliquent en regard du critère de la loi, il convient de faire preuve de retenue ».

[Non souligné dans l’original.]

 

J’adopte également les observations du juge Mosley dans la décision Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 861, dans laquelle il conclut, au paragraphe 13, que « pour les questions purement factuelles, il convient de faire preuve de plus de retenue face aux conclusions du juge de la citoyenneté, ce qui mène à la norme de la décision manifestement déraisonnable ».

 

[7]               En conséquence, je conclus que la norme de contrôle pertinente applicable à la principale question en litige dans le présent appel est le critère de la décision raisonnable et que les conclusions purement factuelles de la juge de la citoyenneté sont examinées selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[8]               Une décision n’est déraisonnable que si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pourrait raisonnablement amener le tribunal à conclure comme il l’a fait sur la base de la preuve soumise. Cela signifie qu’une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux de la cour de révision : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247.

Le critère de la résidence

[9]               Le mot « résidence » n’est pas défini par la loi mais plutôt par la jurisprudence. Les décisions de la Cour fédérale ont mené à trois approches distinctes à l’égard de la résidence, chacune insistant de façon différente sur la présence physique d’une personne au Canada. Ces approches ont été résumées comme suit par le juge James Russell dans la décision Zhao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1536, aux paragraphes 50 et 51 :

[Traduction]

¶50      La Cour fédérale a établi trois critères généraux, et un juge de la citoyenneté peut adopter et appliquer celui des trois qu’il choisit, pourvu que cela soit fait correctement : So c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 733, au paragraphe 29. Selon le premier critère, une personne ne peut résider en un lieu où elle n’est pas physiquement présente. Il est donc nécessaire qu’un éventuel citoyen fasse la preuve qu’il a été physiquement présent au Canada pendant la période exigée. Cette condition résulte de la décision rendue dans Re Pourghasemi (1993), 60 F.T.R. 122, 19 Imm. L.R. (2d) 259, au paragraphe 3 (C.F. 1re inst.), où le juge Muldoon souligne à quel point il est important qu’un éventuel nouveau citoyen s’intègre dans la société canadienne. Deux autres critères opposés représentent une approche plus souple à l’égard de la résidence. Premièrement, dans la décision Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, 88 D.L.R. (3d) 243 (C.F. 1re inst.), le juge en chef adjoint Thurlow a conclu que la notion de résidence implique plus qu’un simple calcul de jours. Il a conclu que la résidence dépend de la mesure dans laquelle une personne, en pensée ou en fait, s’établit ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d’intérêts et de convenances. La question consiste donc à savoir si les liens qu’a le demandeur dénotent que le Canada est son chez-soi, indépendamment de ses absences du pays.

 

¶51 Le juge Reed a décrit la troisième approche qui, en fait, n’est qu’une extension du critère formulé par le juge Thurlow. Dans la décision Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 59 F.T.R. 27 (C.F. 1re inst.), le juge Reed conclut que la question dont la Cour est saisie consiste à savoir si le Canada est le pays dans lequel un requérant a centralisé son mode d’existence. Il faut à cette fin prendre plusieurs facteurs en considération :

 

1.      Le requérant était‑il physiquement présent au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2.      Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3.      La forme de présence physique du requérant au Canada dénote‑t‑elle que ce dernier revient dans son pays ou, alors, qu’il n’est qu’en visite?

4.      Quelle est l’étendue des absences physiques (lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence présumée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5.      L’absence physique est‑telle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger)?

6.      Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont‑elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

 

Le principe général est que la qualité de la résidence au Canada doit être plus importante qu’ailleurs. Voir aussi Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002), 21 Imm. L.R. (3d) 104, 2002 CFPI 346.

[Non souligné dans l’original.]

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[10]           La juge de la citoyenneté a appliqué le critère énoncé dans la décision Koo (Re), précitée, et a examiné si le Canada était l’endroit où le demandeur vivait « régulièrement, normalement ou ordinairement » en fonction de son appréciation des six facteurs identifiés par le juge Reed ci‑dessus.

Facteur 1 :        La personne était‑elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

[11]           Le demandeur est arrivé au Canada le 5 juillet 2001. Il y est demeuré pendant 33 jours avant de retourner en Arabie saoudite pour 176 jours. La juge de la citoyenneté a déclaré à la page 3 de la décision qu’une personne ne peut établir de façon active une résidence en 33 jours. Elle a de plus souligné que la première absence prolongée était [traduction] « la première d’une série régulière d’absences prolongées (huit en tout) ponctuées de retours au Canada pour des périodes de trois à quatre semaines. » L’absence du demandeur immédiatement avant la présentation de sa demande avait duré 263 jours. La juge de la citoyenneté a de plus conclu que la série d’absences du demandeur se poursuivait toujours.

Facteur 2 :        Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

[12]           La juge de la citoyenneté a apprécié le second facteur comme suit :

[traduction] Votre épouse et quatre enfants, maintenant de jeunes adultes, sont arrivés au Canada avec vous. Votre fille aînée, maintenant citoyenne canadienne, est retournée vivre à Riyad avec son mari. Vous avez déclaré que tous vos parents, votre famille étendue, étaient au Liban.

 

Facteur 3 :        La forme de présence physique de la personne au Canada dénote‑t‑elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu’elle n’est qu’en visite?

[13]           À l’égard du troisième facteur, la juge de la citoyenneté a déclaré ce qui suit :

[traduction] Vous vivez et travaillez en Arabie saoudite. Votre famille immédiate est au Canada, et vous avez une résidence matrimoniale à Ottawa, mais comme vous l’avez déclaré, vous y venez pour une visite trois ou quatre fois par an. À mon avis, le Canada est l’endroit où vous revenez pour rendre visite à votre famille, alors que vous travaillez et vivez en Arabie saoudite.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Facteur 4 :        Quelle est l’étendue des absences physiques?

[14]           Le quatrième facteur identifié par le juge Reed dans la décision Koo (Re), précitée, reconnaît qu’il est plus facile de conclure à une résidence réputée lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours. Toutefois, dans le cas du demandeur, la juge de la citoyenneté a insisté sur le fait qu’il a été absent 1 032 jours et présent au Canada que pendant 226 jours.

Facteur 5 :        L’absence physique est‑elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger)?

 

[15]           La juge de la citoyenneté s’est reportée au témoignage du demandeur à l’audience et a conclu que ses absences du Canada n’étaient pas causées par une « situation manifestement temporaire » :

[traduction] À l’audience, aux questions qui vous ont été posées concernant vos absences prolongées continuelles, vous avez expliqué que vous pouviez fournir beaucoup d’argent à votre famille en continuant votre entreprise de consultation en Arabie saoudite. Vous avez déclaré que vous ne vouliez pas encore venir vivre ici en permanence parce que vous « ne connaissez pas la valeur de l’avenir ». À mon avis, la durée et la nature de vos absences, qui se poursuivent toujours, ne peuvent être considérées comme une situation temporaire.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Facteur 6 :        Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont‑elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[16]           La juge de la citoyenneté a reconnu la présence de la famille du demandeur au Canada, mais a conclu que celui-ci avait des attaches plus importantes avec l’Arabie saoudite, compte tenu de l’habitude continue de ses absences prolongées. La juge de la citoyenneté s’est également reportée au témoignage du demandeur à l’audience concernant son désir de devenir un citoyen canadien :

[traduction] Je comprends que votre famille est ici et que vous êtes engagé envers celle-ci. Toutefois, votre habitude continue d’absences prolongées accompagnées de courtes visites au Canada démontre des attaches de qualité plus importante avec l’Arabie saoudite. À mon avis, vous ne vivez pas « régulièrement, normalement ou ordinairement » au Canada. À l’audience, lorsque l’on vous a demandé pourquoi vous vouliez la citoyenneté canadienne, alors que vous avez tous les avantages d’un résident permanent, vous avez répondu : « J’ai besoin de ce passeport. En tant que Palestinien, il est difficile de voyager, et je veux aller à Hawaï avec mon épouse. »

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[17]           Ayant examiné les six facteurs identifiés dans la décision Koo (Re), précitée, la juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur n’avait pas répondu aux exigences de résidence en vertu de la Loi.

 

[18]           La juge de la citoyenneté a également cherché à déterminer si elle devait faire une recommandation favorable en vertu des paragraphes 5(3) et (4) de la Loi comme elle était tenue de le faire conformément au paragraphe 15(1). Ces dispositions exceptionnelles permettent une recommandation favorable dans le cas d’une situation particulière et inhabituelle de détresse ou lorsqu’un requérant a fourni des services d’une valeur exceptionnelle au Canada. Dans le présent appel, le demandeur n’a pas contesté la décision de la juge de la citoyenneté de ne pas les appliquer.

La position du demandeur

[19]           Le demandeur soutient qu’il a établi une résidence au Canada avant sa période d’absence et que le temps pendant lequel il était physiquement absent du Canada peut, par conséquent, être assimilé à la période de résidence requise en vertu du sous-alinéa 5(1)c)(ii) de la Loi. Le demandeur a renvoyé la Cour à plusieurs facteurs qui, selon lui, indiquent qu’il a établi une résidence au Canada. Le texte qui suit est un résumé des facteurs identifiés par le demandeur :

1.         Le demandeur a acheté sa résidence familiale le 3 août 2001. Il vit dans ce foyer avec son épouse, ses filles et son fils. Il a toujours l’intention de conserver cette résidence en tant que foyer, et sa famille l’a occupée sans interruption depuis l’achat.

2.         Toutes les factures concernant la résidence, y compris l’hypothèque, les assurances, les taxes, le téléphone, l’électricité, le câble et les autres services publics, sont établies au nom du demandeur et envoyées à son attention pour leur paiement. Il a fourni des copies de ces factures à la juge de la citoyenneté.

3.         Le 21 février 2002, le demandeur et son fils ont enregistré un contrat de société général en vertu des lois de l’Ontario à l’égard de « Sleiman Trading ». Le demandeur a financé l’entreprise en exploitation de son fils en Ontario, « Mobileit », un détaillant de téléphones cellulaires et de données.

4.         Le demandeur a un dossier bancaire actif au Canada qui comprend le maintien de cinq comptes bancaires auprès de la Banque de Montréal. Parmi ces comptes, mentionnons un compte de chèques principal, un compte de chèques à haut rendement, un compte pour les placements à terme, un compte d’épargne à taux avantageux et un compte en dollars américains.

5.         Depuis le 1er mars 2002, le demandeur a été propriétaire de trois véhicules enregistrés en son nom en Ontario. Il est actuellement propriétaire de deux de ces véhicules.

7.         Le demandeur a déclaré un revenu personnel et présenté une déclaration d’impôt sur le revenu au Canada pour chacune des années d’imposition de 2001 à 2004. Il a déclaré le Canada comme son lieu de résidence dans chacune de ses déclarations d’impôt sur le revenu.

8.         Depuis février 2002, le demandeur est un patient du Dr Sabry, un omnipraticien d’Orléans en banlieue d’Ottawa.

9.         Depuis septembre 2001, la fille aînée du demandeur a fréquenté sans interruption une université au Canada jusqu’à l’obtention d’un baccalauréat en génie chimique de l’Université d’Ottawa.

10.       Depuis l’automne 2001, la deuxième fille du demandeur a fréquenté l’école sans interruption au Canada et est actuellement inscrite à l’Université d’Ottawa.

11.       Le fils du demandeur a fréquenté l’école sans interruption à Ottawa depuis l’automne 2001.

12.       Les cinq membres de la famille du demandeur ont obtenu la citoyenneté canadienne. L’anglais est la langue qu’ils utilisent tous les jours.

13.       Tous les éléments d’actif du demandeur, à l’exception de trois propriétés immobilières à l’étranger, sont situés au Canada. Au moment de son entrevue, le demandeur était en mesure de démontrer qu’il avait transféré 960 000 $ au Canada.

14.       Avant son arrivée au Canada, le demandeur a pris sa retraite après avoir passé 24 ans à titre de cadre dans une société pétrolière en Arabie saoudite.

15.       Le demandeur s’est absenté du Canada pour les fins suivantes :

            a)   liquider ses éléments d’actif étrangers à la fois au Liban et en Arabie saoudite afin de pouvoir en transférer la valeur au Canada;

            b)   gérer les propriétés immobilières au Liban que le demandeur ne pouvait pas vendre;

            c)   fournir, en contrepartie d’honoraires, des services de consultation en gestion des affaires à une entreprise en Arabie saoudite;

            d)   assister aux funérailles de son frère au Liban.

16.       Le demandeur est né au Liban où il a été élevé, mais il est un Palestinien apatride et ne possède pas la citoyenneté libanaise.

17.       Les seules attaches du demandeur avec le Liban sont les trois propriétés immobilières dont il est propriétaire dans ce pays.

18.       Le demandeur peut légalement entrer et demeurer au Liban, mais il n’y est entré que pour de très courtes périodes et n’y est pas resté depuis qu’il est devenu un résident permanent du Canada. Il visite le Liban de façon intermittente pour des périodes de moins de dix jours chacune et uniquement aux fins de gérer ses propriétés.

19.       Le demandeur n’est pas un citoyen d’Arabie saoudite. Son permis de travail temporaire en Arabie saoudite est valable uniquement jusqu’au 14 novembre 2006 et il n’est pas automatiquement renouvelable.

20.       Le demandeur loue temporairement un petit appartement en Arabie saoudite.

21.       Le demandeur reçoit des honoraires de consultation pour les services consultatifs d’affaires qu’il fournit à une société en Arabie saoudite. Il n’est pas inscrit au registre de paie de la société, pas plus qu’il n’en est un employé permanent à plein temps.

 

[20]           Le demandeur soutient que ses attaches avec le Canada sont plus importantes qu’elles ne le sont avec le Liban ou l’Arabie saoudite. Plutôt que de qualifier la durée de ses séjours au Canada comme étant des visites, le demandeur allègue que pendant ces périodes il « revenait dans son pays » après des situations temporaires d’affaires ou d’emploi qui exigeaient qu’il se déplace à l’étranger.

 

[21]           Le demandeur s’appuie sur un jugement de la Cour fédérale dans la décision Canada (Secrétaire d’État) c. Nakhjavani, [1988] 1 C.F. 84, 13 F.T.R. 107, 2 Imm. L.R. (2d) 241, dans laquelle le juge Joyal a énoncé ce qui suit au paragraphe 15 :

¶15     L’affaire Papadogiorgakis [susmentionnée] n’a pas nécessairement court-circuité les conditions de résidence prévues dans la Loi sur la citoyenneté du Canada, mais elle a fait disparaître la difficulté que cette loi soulève lorsqu’il s’agit de calculer si un requérant a effectivement résidé ou non au Canada pendant les trois quarts d’une période de quatre ans. Elle a imposé aux cours l’obligation d’examiner à la fois l’intention et les faits, aucun de ces éléments n’étant déterminant lorsqu’il est pris individuellement. Une déclaration d’intention à caractère subjectif n’aurait donc que peu de poids à moins d’être étayée par des faits objectifs constituant une expression concrète de cette intention, c.-à-d. la possession d’une résidence, l’immatriculation d’une voiture, des comptes en banque, l’adhésion à un club ou à une association et, en particulier, la présence continuelle au Canada des membres de la famille d’une personne qui vient les y rejoindre à l’occasion, même si ce n’est que pour de brèves périodes.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[22]           Le demandeur a également renvoyé la Cour à la décision Calderwood (Re), [1989] 1 C.F. 198, 21 F.T.R. 105 (C.F., 1re inst.), dans laquelle le juge Joyal a statué, au paragraphe 8, que des indices tels que des attaches familiales avec le Canada, un lieu de résidence permanent, des comptes bancaires canadiens, un permis de conduire provincial, l’inscription au régime provincial de soins de santé et la fréquence des périodes de retour au Canada peuvent être utilisés de façon à ce que les périodes passées à l’extérieur du Canada soient incluses dans le calcul de la période minimum de résidence. Le demandeur soutient que, à la lumière des mêmes indices présentés en l’espèce, la juge de la citoyenneté aurait dû conclure que le demandeur était un résident du Canada malgré ses absences.

Analyse

Question en litige :    La juge de la citoyenneté a‑t‑elle erré en concluant que le demandeur n’avait pas répondu aux exigences de résidence en vertu du sous-alinéa 5(1)c)(ii) de la Loi?

[23]           Les faits en l’espèce appuient la conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas un « mode d’existence centralisé » au Canada, ou la « qualité des attaches avec le Canada », au cours des quatre années avant sa demande de citoyenneté. Pour être admissible à la citoyenneté, le demandeur était tenu d’avoir passé 1 095 jours au Canada au cours des quatre dernières années. Il n’y avait passé que 226 jours.

 

[24]           Tel que mentionné plus haut, la norme de contrôle applicable à cet appel est la norme de la décision raisonnable. J’ai examiné les motifs de la juge de la citoyenneté et je conclus qu’elle a effectivement identifié et appliqué le critère de la résidence et les six facteurs énoncés dans la décision Koo (Re), précitée. Je conclus que la juge de la citoyenneté a montré dans ses motifs une compréhension du critère de résidence et a décidé de manière raisonnable, sinon correcte, que les faits ne répondaient pas à l’exigence de résidence en vertu de ce critère.

 

Facteur 1 – La présence physique au Canada pendant une période prolongée avant les absences

[25]           Comme l’a statué le juge James Russell dans Eltom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1555 au paragraphe 21, dans l’application du critère qui a été dégagé de la décision Koo, l’analyse est divisée en deux parties :

1.                  la question de savoir si le demandeur a établi sa résidence au Canada;

2.                  la question de savoir si le demandeur a maintenu cette résidence.

Le juge Russell a statué qu’un demandeur ne pouvait pas devenir admissible à titre de résident en faisant sienne la conduite de sa famille. Je suis d’accord avec cela. En l’espèce, le demandeur n’a vécu au Canada que pendant 33 jours avant de repartir une première fois pour l’Arabie saoudite, le pays où il avait vécu pendant les 25 années antérieures. Il est demeuré en Arabie saoudite pendant presque six mois pour ensuite revenir au Canada pour trois semaines et quatre jours avant de repartir de nouveau pour l’Arabie saoudite pour presque six mois. Bien que la Cour soit impressionnée par les réalisations du demandeur au cours de ses 33 premiers jours au Canada, à savoir acheter une résidence, acheter des automobiles, ouvrir des comptes bancaires et ainsi de suite, le demandeur n’a pas centralisé son mode d’existence au Canada avant de quitter le pays. Le demandeur n’a pas été physiquement présent au Canada pendant une longue période avant de s’absenter.

 

[26]           Dans la décision Eltom, précitée, le juge Russell a également examiné les indices « passifs » de résidence. Il a statué que le juge de la citoyenneté doit évaluer la qualité des attaches d’un demandeur avec le Canada et que des indices passifs comme être propriétaire de maisons, détenteur de cartes de crédit et ainsi de suite ne sont pas suffisants pour montrer que le demandeur s’est « canadianisé ». Je suis d’accord avec cela. Le juge Russell a dit que la Cour cherchait un certain niveau de participation à la vie sociale du Canada, ce que en l’espèce le demandeur n’a pas fait. Le demandeur ne s’est pas « canadianisé ».

 

Facteur 6 – Qualité des attaches avec le Canada

[27]           La Cour estime que la juge de la citoyenneté a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas montré une qualité d’attaches avec le Canada qui est plus importante que celle qui existe avec tout autre pays. Dans la présente affaire, le demandeur a plus d’attaches avec l’Arabie saoudite, où il vit depuis les 30 dernières années, qu’il n’en a avec le Canada. Sa famille a choisi le Canada comme pays où centraliser son existence. Le demandeur doit également centraliser son existence au Canada et montrer que le Canada est sa résidence avant de pouvoir obtenir la citoyenneté canadienne. Il ne peut pas « associer » sa demande de citoyenneté à celle de son épouse et de ses enfants et s’attendre à être pareillement admissible à la citoyenneté.

 

Facteur 5 – Absences physiques causée par une situation manifestement temporaire

[28]           En ce qui a trait aux nombreuses absences prolongées du Canada, il est clair que les absences physiques du demandeur ne sont pas causées par une « situation manifestement temporaire ». Elles font partie intégrante de sa vie. De plus, la présence physique du demandeur au Canada indique une vie partagée entre deux pays plutôt qu’un mode d’existence centralisé au Canada. Le juge Luc Martineau a statué comme suit dans la décision Canada (Ministre la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chen, 2004 CF 848 au paragraphe 10 :

Quand les absences sont un mode de vie régulier plutôt qu=un phénomène temporaire, elles indiquent que la vie est partagée entre les deux pays, et non pas un mode de vie centralisé au Canada, comme le prévoit la Loi.

 

Autres facteurs

[29]           À mon avis, en ce qui a trait aux autres facteurs – le facteur 2 (l’endroit où se trouve la famille immédiate du demandeur), le facteur 3 (le mode de présence physique au Canada indiquant un retour au pays ou simplement une visite) et le facteur 4 (l’étendue des absences physiques, à savoir que, s’il ne manque que quelques jours au total exigé de 1 095 jours, il est alors plus facile de conclure à une résidence réputée) – les conclusions de la juge de la citoyenneté étaient raisonnables et ne doivent pas être annulées.

 

[30]           Le demandeur a renvoyé la Cour à la décision du juge en chef adjoint Thurlow (par la suite juge en chef) dans Papadogiorgakis c. Canada (Ministre la Citoyenneté et de l’Immigration), [1978] 2 C.F. 208. Cette décision constitue un des trois critères généraux qui ont été mis au point par la Cour fédérale et qu’un juge de la citoyenneté peut adopter et appliquer. En l’espèce, la juge de la citoyenneté n’a pas adopté ni appliqué ce critère. La juge de la citoyenneté a plutôt appliqué le critère qui émane de la décision Koo (Re). Ainsi, les critères qui émanent de la décision Papadogiorgakis ne sont pas pertinents.

 

[31]           Le demandeur a également renvoyé la Cour à la décision du juge Paul Rouleau dans Collier c. Canada (Ministre la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1511. Cette décision est différente parce que la juge de la citoyenneté dans Collier avait omis d’identifier un « pays de référence », soit un pays avec lequel la demanderesse avait des liens plus étroits qu’elle n’en avait avec le Canada. En l’espèce, aucune erreur de la sorte n’a été faite puisque le demandeur a des liens très étroits avec un pays de référence, soit l’Arabie saoudite, le pays où il vit depuis les 30 dernières années.

Conclusion

[32]           En l’espèce, le demandeur aurait pu optimiser ses revenus avec son entreprise de consultation en Arabie saoudite. Après avoir transféré ses éléments d’actif, déménagé sa famille et acheté une résidence familiale au Canada, le demandeur a soutenu devant la juge de la citoyenneté qu’il avait centralisé son mode d’existence au Canada. Le demandeur faisait alors face à un choix personnel quant à la meilleure manière de gagner sa vie et de soutenir sa famille. Pour ce faire, il est parti travailler en Arabie saoudite. Le demandeur a choisi cette option parce qu’il en allait des intérêts financiers de sa famille. Il ne fait aucun doute que, si le demandeur avait tout d’abord obtenu sa citoyenneté, il aurait été libre de poursuivre des occasions d’affaires n’importe où dans le monde, y compris dans son pays de résidence antérieur, et de conserver le droit d’entrer et de demeurer au Canada. Le demandeur a plutôt poursuivi des occasions d’affaires à l’étranger avant de s’établir au Canada pour la période de trois ans visée par la Loi. Comme l’a conclu la juge de la citoyenneté, il en découle qu’il n’avait pas encore établi sa résidence au Canada. La Cour reconnaît que le demandeur est un homme exceptionnel et qu’il sera vraisemblablement un atout pour le Canada en tant que citoyen dans l’avenir, lorsque ses intérêts d’affaires lui permettront de passer le temps requis au Canada pour être admissible à la citoyenneté.

 

[33]           Pour ces motifs, l’appel est rejeté.


 

JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE :

 

L’appel est rejeté, avec dépens.

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                               T-763-06

 

INTITULÉ :                                             MOHAMAD HUSSEIN SLEIMAN

                                                                  c.

                                                                  le ministre de la citoyenneté et de l’immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 12 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 28 FÉVRIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Warren L. Creates

 

POUR LE DEMANDEUR

Alexandre Kaufman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Warren L. Creates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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