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Date : 20070305

Dossier : IMM-3777-06

Référence : 2007 CF 249

Montréal (Québec), le 5 mars 2007

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

ELANGE BULLY SAINNÉUS

VICKIE SAINNÉUS

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demanderesses contestent la légalité d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 21 juin 2006 déterminant qu’elles n’ont pas le statut de réfugié et ne sont pas des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi).

 

[2]               La demanderesse principale est citoyenne d’Haïti. Sa fille (la demanderesse mineure) est citoyenne des États-Unis et est maintenant âgée de 5 ans. Propriétaire d’un commerce de produits alimentaires à Port-au-Prince, la demanderesse principale dit être persécutée par les Chimères Lavalas. Ses allégations se résument comme suit.

 

[3]               Le 24 février 2001, la famille de la demanderesse est victime de vol qualifié à leur domicile. La demanderesse principale, enceinte de cinq mois, et son mari sont battus à cette occasion. À la suite de cet incident, la demanderesse principale se rend aux États-Unis le 6 mars 2001. Après son retour en Haïti le 27 août 2001, le harcèlement se poursuit jusqu’en juillet 2002. La demanderesse envoie son fils aux États-Unis pour le mettre à l’abri des menaces.

 

[4]               Près de trois ans plus tard, en mars 2004, un slogan pro-Aristide et des menaces de mort sont griffonnés sur les murs de sa résidence familiale et de son commerce. Le 3 avril 2004, son mari est kidnappé. La demanderesse réussit à amasser une partie de la rançon et son mari est libéré. L’année suivante, le 28 mai 2005, leur maison est criblée de balles. Bien que la demanderesse et son mari soient absents, leurs enfants, la sœur de la demanderesse principale et le frère de son mari sont à la maison durant cet incident. La demanderesse principale et son mari décident alors de ne plus passer de nuits à la maison. Par la suite, le 29 juin 2005, le frère du mari de la demanderesse principale, qui surveille la résidence, est abattu à l’extérieur de la maison après avoir été criblé de balles.

 

[5]               La demanderesse principale décide alors de rester chez sa cousine à Delmas. Elle quitte ensuite l’Haïti et arrive au Canada le 16 août 2005. Elle réclame le statut de réfugié près de deux mois plus tard, soit le 4 octobre 2005. La même journée, la demanderesse mineure arrive au Canada. Une demande d’asile est présentée en son nom le 14 octobre 2005.

 

[6]               La Commission conclut en premier lieu qu’il n’y a aucun lien entre la crainte alléguée par la demanderesse principale et l’un des cinq motifs de la Convention. En deuxième lieu, elle est d’avis que la demanderesse principale manque de crédibilité. Plus particulièrement, la Commission considère que son comportement, ainsi que celui de sa famille, est incompatible avec celui d’une personne qui craint pour sa vie. Elle fait remarquer qu’entre 2001 et 2004, la demanderesse principale a séjourné aux États-Unis à cinq reprises et son mari a également visité ce pays une fois en 2004. Malgré les menaces proférées à leur égard, ni l’un ni l’autre n’a fait de demande d’asile lors de leurs séjours aux États-Unis et à chaque occasion, ils retournent volontairement en Haïti. La Commission est d’avis qu’un tel comportement est incompatible avec celui d’une personne qui craint pour sa vie. De plus, elle ne juge pas plausible le fait que la demanderesse principale et sa famille n’aient pas déménagé de façon permanente à la suite des événements survenus le 24 février 2001, le 3 avril 2004 et le 28 mai 2005. D’ailleurs, aujourd’hui encore, même après la mort de son frère, le mari de la demanderesse principale se rend à leur maison « pour y prendre son bain ou pour y chercher des vêtements ». D’autre part, la Commission souligne qu’une fois rendue au Canada, la demanderesse principale a attendu près de deux mois avant de demander le statut de réfugié. La Commission doute par ailleurs de l’authenticité de certains documents déposés en preuve. Elle fait notamment remarquer que certains documents rédigés en français, une des langues officielles de l’Haïti, ne comportent aucun accent et que la plainte de police soumise en preuve contient une « erreur de frappe importante » à l’entête du document en indiquant « Service d’ivestigation » au lieu de « Service d’investigation ». Enfin, la Commission rejette la demande de la demanderesse mineure au motif qu’elle n’a pas soumis de preuve à l’effet qu’elle serait à risque d’être persécutée ou qu’elle subirait des mauvais traitements si elle retournait aux États-Unis, son pays de citoyenneté.

 

[7]               La demanderesse principale soutient en premier lieu que la Commission a erré en concluant qu’il n’y a aucun lien entre la crainte alléguée par la demanderesse principale et l’un des cinq motifs de la Convention. Son procureur soumet que la demanderesse a rempli les conditions de l’article 96 de la Loi en alléguant et en prouvant qu’elle était persécutée en raison d’activités assimilées à des activités politiques et en prouvant qu’elle ne pouvait obtenir la protection des autorités de son pays parce que le gouvernement en place était confondu avec les Chimères, ses agresseurs.

 

[8]               Il n’est pas nécessaire à mon avis de se prononcer sur ce premier argument. Qu’il s’agisse de l’article 96 ou de l’article 97 de la Loi, le demandeur d’asile doit avoir été cru par la Commission, ce qui n’est pas le cas en l’espèce pour les raisons particulières indiquées dans la décision de la Commission et qui ont été résumées plus haut. D’ailleurs, la Commission a également évalué le risque à la vie selon l’article 97 de la Loi et a conclu que les demanderesses n’étaient pas des personnes protégées.

 

[9]               La demanderesse principale soutient comme deuxième motif de révision que les conclusions défavorables de la Commission quant à sa crédibilité sont manifestement déraisonnables et que celles-ci sont fondées sur des conclusions de fait erronées ou tirées sans tenir compte des éléments dont elle disposait. Elle soutient plus particulièrement que la Commission n’aurait pas dû se fonder sur la période qui était antérieure à sa demande d’asile. Elle soumet également que la Commission n’aurait pas dû tirer de conclusions défavorables du fait qu’elle n’avait pas demandé l’asile lors de ses différents séjours aux États-Unis. Ce n’est qu’après les incidents de mai et juin 2005 que la demanderesse principale a conclu que sa vie était en danger si elle demeurait en Haïti. Malgré cela, la demanderesse principale explique qu’une fois rendue au Canada, elle a attendu près de deux mois pour déposer sa demande d’asile parce qu’elle était dans un état de choc et qu’elle ne connaissait pas le processus de revendication du statut de réfugié. Elle fait également valoir que la décision négative repose sur des éléments périphériques et des détails qui n’ont pas vraiment d’importance. Ainsi, la Commission a également agi de façon capricieuse et arbitraire en doutant de l’authenticité du rapport de police soumis par la demanderesse principale.

 

[10]           Il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable aux questions relatives à la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable (Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 25). La Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d'un demandeur (RKL c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 116 au paragraphe 7; Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1800 au paragraphe 38 (C.F. 1ère inst.) et Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 au paragraphe 14). Elle a également pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315.

 

[11]           En l’espèce, la demanderesse principale demande essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve dont la Commission était saisie. Cependant, la Cour n’interviendra que lorsque qu’il est démontré que la décision de la Commission est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (alinéa 18.1(4)d) de la Loi. Voir également Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. nº 296 au paragraphe 14 (C.F. 1ère inst.); Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 850 au paragraphe 9 (C.F. 1ère inst.).

 

[12]           Or, la crainte subjective, l’un des éléments essentiels du fardeau de la preuve qui incombe à tout demandeur d’asile, est avant tout une question de crédibilité. L’évaluation de la crainte subjective peut reposer sur le comportement de la demanderesse principale, comme le délai à quitter le pays de persécution ou de torture, le retour volontaire dans le pays de persécution, le défaut de demander la protection dans un pays signataire de la Convention et le délai à demander la protection au Canada. Le retard à formuler une demande de statut de réfugié est également un élément pertinent dont le tribunal peut tenir compte pour apprécier les dires ainsi que les faits et gestes d’un revendicateur (Huerta c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 271 (C.A.F.) (QL), Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 62).

 

[13]           Je ne suis pas convaincu que les conclusions de la Commission sont manifestement déraisonnables. Elles m’apparaissent au contraire amplement justifiées sur la base de la preuve au dossier. Le fait que la Commission n’ait pas mentionné chaque document déposé en preuve ne signifie pas qu’elle n’en a pas tenu compte. Elle est présumée avoir pesé et considéré toute la preuve dont elle est saisie jusqu'à preuve du contraire (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.)). Compte tenu du fait que la demanderesse principale a été jugée non crédible, je ne crois pas qu’on puisse ici reprocher à la Commission de ne pas avoir commenté chacune des pièces déposées par cette dernière (Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331). De plus, la Commission pouvait n’accorder aucune valeur probante aux pièces P-1 (plainte à la police) et P-2 (procès-verbal du juge de paix) de la demanderesse lorsque, comme en l’espèce, la preuve présentée était suffisante afin de douter de son authenticité (Chaudry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1068; Dzey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 167). Enfin, la Commission pouvait également tirer une conclusion défavorable du fait que la demanderesse principale avait attendu près de deux mois avant de revendiquer le statut de refugié au Canada.

 

[14]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit échouer. Aucune question d’importance générale ne se soulève en l’espèce.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Luc Martineau »

juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3777-06

 

INTITULÉ :                                       ELANGE BULLY SAINNÉUS ET AL. c.

                                                            MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               22 février 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :     LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      5 mars 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Joseph Dullin Jean

 

POUR LES DEMANDERESSES

Me Lynne Lazaroff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Joseph Dullin Jean

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur general du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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