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Date : 20070301

Dossier : IMM-1801-06

Référence : 2007 CF 237

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2007

En présence de madame la juge Snider

 

ENTRE :

ZEF SHPATI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        Le demandeur, M. Zef Shpati, est un citoyen de l’Albanie. Il fonde sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur une crainte alléguée de persécution par le gouvernement actuel de l’Albanie en raison de son opinion et de son affiliation politiques, un risque de préjudice découlant d’un litige au sujet d’une terre et parce que son internement pendant 25 ans dans un camp de travail en Albanie qui sont des raisons impérieuses pour lui accorder le statut de réfugié au sens de la Convention.

 

[2]        Dans une décision en date du 16 mars 2006, une formation de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention. La Commission a exprimé trois raisons principales pour rejeter la revendication :

 

  • La Commission avait des doutes quant à la crédibilité du témoignage oral du demandeur dans deux domaines : le litige au sujet d’une terre et le demandeur avait huit ans plutôt que douze ans d’études.

 

  • La Commission a conclu que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Tirana, la capitale de l’Albanie.

 

  • La Commission était convaincue que les expériences que l’appelant a vécues pendant ses premières 25 années de vie dans un camp de travail n’étaient pas des « raisons impérieuses » au sens du paragraphe 108(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) puisqu’elles n’atteignaient pas un degré tel qu’on les qualifie d’épouvantables et d’atroces.

 

Questions

[3]        Le demandeur soulève les questions suivantes :

 

1. La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse des raisons impérieuses prévues au paragraphe 108(4) de la LIPR lorsqu’elle a :

 

a)      omis de formuler une conclusion sur la question de savoir si le traitement passé du demandeur dans le camp de travail en Albanie représentait de la persécution?

 

b)      formulé une conclusion manifestement déraisonnable selon laquelle le traitement passé n’était pas « épouvantable et atroce » et qu’elle ne respectait donc pas le degré de raisons impérieuses pour l’application du paragraphe 108(4) de la LIPR?

 

c)      omis de tenir compte de l’évaluation par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) du demandeur?

 

d)      établi un critère trop rigoureux en obligeant à ce que les expériences du demandeur atteignent un degré qui peut être qualifié d’épouvantable et d’atroce?

 

2.    La Commission a-t-elle conclu de manière manifestement déraisonnable que le récit du demandeur au sujet du litige sur une terre n’était pas crédible?

 

3.    La Commission a-t-elle conclu de manière manifestement déraisonnable que le demandeur avait une PRI viable à Tirana?

 

Discussion

Première question : Raisons impérieuses

[4]        Le demandeur est né dans un camp de travail en Albanie et y a passé 25 ans. En 1991, il a été reconnu comme une « personne relevant de la compétence du HCR » et il est entré aux États‑Unis où il a obtenu le statut de résident permanent. Comme l’indique son formulaire de renseignements personnels (FRP), il a été expulsé des États-Unis vers l’Albanie en avril 2005 pour avoir utilisé illégalement la carte verte de son épouse. Il a immédiatement quitté l’Albanie et s’est rendu au Canada, y arrivant le 8 mai 2005 et il a présenté la présente sa revendication du statut de réfugié. Devant la Commission, le demandeur a fait valoir que ses expériences en Albanie au cours de ses 25 années de vie constituaient des raisons impérieuses prévues par le paragraphe 108(4) de la LIPR.

 

[5]        Selon les dispositions de la LIPR, une demande d’asile est rejetée si « les raisons qui [ont] fait demander l’asile n’existent plus » (alinéa 108(1)e) de la LIPR). Une exception à cette disposition législative claire figure au paragraphe 108(4), qui indique ce qui suit :

 

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

 

 

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

 

 

[6]        Le juge Michel Beaudry dans Kotorri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 1195, [2005] A.C.F. no 1457 aux paragraphes 15 à 19 (1re inst.) (QL), a mené une analyse pragmatique et fonctionnelle de la norme de contrôle appropriée des conclusions sur la question de savoir si l’exception relative aux « raisons impérieuses » du paragraphe 108(4) de la LIPR s’applique. Le juge Beaudry a conclu que la décision de savoir s’il y a suffisamment de « raisons impérieuses » pour faire en sorte que l’appelant est réputé avoir cessé d’être un réfugié en vertu de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR est une question de fait et elle doit donc faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Toutefois, le juge Beaudry a également fait observer que « la délimitation du concept de “raisons impérieuses” est une question de droit pour laquelle la Commission ne possède pas d’expertise particulière » à laquelle il appliquerait la norme de la décision correcte. Je souscris au raisonnement de mon collègue et je l’adopte.

 

[7]        Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu’elle a omis de formuler une conclusion initiale sur la preuve portant sur la question de savoir s’il avait subi une persécution dans le passé au titre de son internement dans un camp de travail pendant les 25 premières années de sa vie. Comme il s’agirait d’une question visant l’application appropriée du paragraphe 108(4), elle est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte.

 

[8]        Un examen de la jurisprudence liée au paragraphe 108(4) de la LIPR ou de sa disposition précédente indique que la Commission n’a pas à tenir compte de l’exception du paragraphe 108(4) sauf si le demandeur respecte à un certain moment des exigences relatives à la protection (voir par exemple, Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739, 93 D.L.R. (4th) 144, [1992] A.C.F. no 422 (C.A.F.) (QL); Ortiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1365, [2006] A.C.F. no 1716 (1re inst.) (QL); Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, [2004] A.C.F. no 771 au paragraphe 5 (1re inst.) (QL)). Toutefois, à mon avis, cela ne veut pas dire que l’omission de formuler une conclusion explicite de persécution représentera automatiquement une erreur de droit. La lecture des motifs indique clairement que la Commission était convaincue que le traitement subi par le demandeur pendant ses 25 ans dans un camp de travail représentait de la persécution; par ailleurs, la Commission ne s’est pas penchée sur l’application du paragraphe 108(4). Même si la Commission avait commis une erreur en ne formulant pas une conclusion explicite de persécution passée, toute erreur est sans importance pour la cause de l’appelant, étant donné que la Commission ne s’est pas penchée sur la question de savoir s’il y avait des « raisons impérieuses ».

 

[9]        Le demandeur soutient également que la conclusion de la Commission selon laquelle le traitement passé n’atteignait pas le degré requis par le paragraphe 108(4) n’était pas raisonnable. Le demandeur soutient que la Commission a écarté une preuve liée aux conditions du camp où a vécu le demandeur. Je ne suis pas d’accord. Il ressort clairement des motifs et de l’examen de la transcription que la Commission a reconnu le mauvais traitement qu’a subi le demandeur dans le camp de travail; elle fait précisément mention dans ses motifs du témoignage du demandeur. La Commission a conclu que les conditions qu’avait endurées le demandeur dans le camp étaient terribles, mais qu’elles ne suffisaient pas pour atteindre un degré tel qu’on les qualifie d’épouvantables et d’atroces. Le demandeur n’a pas établi que la Commission avait écarté la preuve, mais uniquement que la Commission n’avait pas évalué la preuve en sa faveur.

 

[10]      Le demandeur fait valoir que le document du HCR pas été pris en compte. Comme je l’ai mentionné, ce document décrit le demandeur comme une « personne relevant de la compétence du HCR » et il semble avoir été le fondement de son asile aux États-Unis. Cet argument est problématique à deux points de vue. Le premier est que le document du HCR n’a pas été écarté; il est mentionné dans la décision de la Commission. Ensuite, bien que le document puisse avoir été utile pour établir que le demandeur avait subi de la persécution dans le passé, il n’aide pas le demandeur à démontrer que le traitement passé était « épouvantable et atroce ». Le document indique seulement qu’en 1991, le demandeur était une « personne relevant de la compétence du HCR ». Son statut visé par le HCR en 1991 ne signifie pas qu’il est à l’abri du refoulement ou qu’il peut être considéré comme un réfugié en vertu des lois canadiennes (voir Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, [2005] A.C.F. no 540 (C.F.) (QL)).

 

[11]      En résumé, la conclusion selon laquelle le traitement subi par le demandeur dans le camp de travail en Albanie ne constituait pas des « raisons impérieuses » n’était pas manifestement déraisonnable.

 

[12]      Enfin, dans ses observations orales formulées devant moi, le demandeur a soulevé, pour la toute première fois, l’argument selon lequel le critère de la persécution « épouvantable et atroce » était une norme trop élevée pour l’application du paragraphe 108(4). Il renvoie à Dini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 217, [2001] A.C.F. no 389 (C.F. 1re inst.) (QL), où le juge Frederick Gibson a certifié la question suivante :

 

Dans le cas de la décision visée au par. 2(3) de la Loi sur l’immigration, est-il nécessaire de conclure que les persécutions antérieures sont « épouvantables » ou « atroces » pour pouvoir conclure à l’existence de « raisons impérieuses »?

 

[13]      Je refuse d’examiner cet argument parce qu’il n’a pas été soulevé dans le mémoire des faits et du droit demandeur. En outre, sauf pour cette décision (ou en fait le juge Gibson a répondu à la question qui précède par l’affirmative, mais a accepté de certifier la question), aucune décision de jurisprudence ne soulève un doute quant au caractère approprié du critère. Le niveau de persécution requis pour une conclusion de « raisons impérieuses » semble avoir été d’abord établi par la Cour d’appel fédérale dans Obstoj, précité. Dans cette affaire, le juge James Hugessen a déclaré que l’exception devrait être à la disposition de « ceux qui ont souffert d’une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu’ils n’auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution ». [Non souligné dans l’original.] Ce critère a été utilisé de façon uniforme depuis au moins cette période.

 

Deuxième question : Litige au sujet d’une terre

[14]      Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur dans son interprétation de la preuve portant sur le danger pour le demandeur en ce qui concerne les futurs litiges au sujet de terres en Albanie.

 

[15]      La conclusion de la Commission selon laquelle elle ne croyait pas la prétention du demandeur qu’un litige sur une terre est l’un des faits qui sera infirmé uniquement s’il est manifestement déraisonnable.

 

[16]      À mon avis, une conclusion de crédibilité négative n’était pas fondée sur des conclusions de fait erronées abusives ou arbitraires. Elle n’était pas non plus formulée sans égard à la preuve dont elle disposait; au contraire, la Commission a tiré cette conclusion de la preuve qui lui a été présentée. Le demandeur ne souscrit simplement pas à la façon dont la Commission a évalué la preuve – en sa défaveur et ce n’est pas un motif de contrôle judiciaire (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 42 A.C.W.S. (3d) 886, 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (QL)).

 

[17]      Le demandeur invoque Yaliniz c. Canada (Minister of Employment and Immigration), 9 A.C.W.S. (3d) 369, 7 Imm. L.R. (2d) 163, [1988] A.C.F. no 248 (C.A.F.) (QL). Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’opinion de la Commission selon laquelle la [traduction] « preuve fournie par le demandeur n’était pas crédible » était manifestement déraisonnable. Toutefois, cette affaire diffère de la présente espèce parce que la Cour d’appel fédérale a également conclu que :

 

[traduction]

 

[...] Cette opinion de la Commission n’était pas fondée, du moins si nous nous en remettons aux motifs de la décision, sur des divergences ou des contradictions dans le témoignage du demandeur, mais simplement sur le sentiment qu’il n’y avait pas d’exagération manifeste dans ce qu’il racontait. [Non souligné dans l’original.]

 

[18]      Il ressort clairement des divergences figurant dans le FRP et le témoignage oral du demandeur que la Commission avait des raisons de formuler la conclusion selon laquelle le récit du demandeur n’était pas crédible.

 

[19]      De plus, le demandeur invoque Shahaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF  1044, [2005] A.C.F. no 1292 (C.F.) (QL), où le demandeur était un Albanais revendiquant le statut de réfugié au sens de la Convention en raison d’une vendetta. Cette décision est à l’opposé de la présente affaire puisque la famille du demandeur dans Shahaj avait déjà une vendetta et il existait des éléments de preuve de cette vendetta concernant le frère du demandeur, y compris une preuve documentaire selon laquelle le décès du frère était un homicide. En l’espèce, la Commission a fait remarquer qu’il n’y avait aucune preuve documentaire d’une vendetta.

 

Troisième question : Possibilité de refuge intérieur

[20]      Dans ses observations orales, le demandeur a soulevé, pour la première fois, un argument selon lequel la conclusion de la Commission au sujet du FRP viable était manifestement déraisonnable. Je refuse d’examiner cet argument puisqu’il ne figurait pas dans la mémoire des faits et du droit du demandeur.

 

Conclusion

[21]      Pour les raisons qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[22]      Le demandeur a proposé que je certifie la même question que celle certifiée par le juge Gibson dans Dini, précité. Comme l’argument portant sur la question du critère des « raisons impérieuses » n’a pas été correctement présenté à notre Cour, je refuse de certifier une question. En tout état de cause, je suis convaincu que la réponse à la question est établie. Aucune question ne sera certifiée.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

 

  1. La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

  1. Aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

___________________________

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1801-06

 

INTITULÉ :                                       ZEF SHPATI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 février 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       La juge Snider

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 1er mars 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :                                                            

 

 

Me Daniel L. Winbaum                                                            POUR LE DEMANDEUR

 

 

Me Maria Burgos                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Klein, Winbaum & Frank                                                        POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Windsor (Ontario)

 

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Procureur général du Canada

 

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