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Date : 20070309

Dossier : IMM-2318-06

Référence : 2007 CF 274

Ottawa (Ontario), le 9 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

JINHUAN XU

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.            INTRODUCTION

[1]               La demande d’asile présentée par à la demanderesse a été rejetée. La décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) était fondée sur des conclusions relatives à la crédibilité et à la vraisemblance. Un aspect déterminant des conclusions relatives à la crédibilité concerne la prétendue contradiction entre les notes d’entrevue avec Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) et le témoignage de la demanderesse fait devant la Commission. Le présent contrôle judiciaire soulève, entre autres, la question de la traduction adéquate et de la pertinence de la conclusion relative à la vraisemblance.

 

II. CONTEXTE

[2]               La demanderesse, de nationalité chinoise, a été contrainte de fréquenter régulièrement une maison convertie en église. Le groupe était composé de onze membres, dont deux qui avaient pour tâche de faire le guet lors de chaque rencontre.

 

[3]               La demanderesse a témoigné que le Bureau de la sécurité publique (BSP) a découvert l’existence des offices religieux, mais qu’en raison de l’avertissement des guetteurs, elle a réussi à s’enfuir. Elle a ensuite fui la Chine avec l’aide de « snakeheads » en utilisant son passeport.

 

[4]               La Commission a jugé que la demanderesse n’était pas un témoin crédible et qu’elle n’était pas membre d’une église clandestine. Elle a constaté des incohérences entre l’entrevue à CIC, le contenu de son FRP et son témoignage rendu à l’audience de la Commission.

 

[5]               Dans ses observations, la Commission a également souligné qu’il y avait eu confusion dans le témoignage de la demanderesse puisque la langue maternelle de l’interprète à l’entrevue à CIC était le cantonnais et qu’il devait interpréter du mandarin vers l’anglais. La Commission est allée jusqu’à reconnaître que cela a pu poser problème et a même étendu le bénéfice du doute aux conclusions relatives à la crédibilité en raison de problèmes d’interprétation possibles compte tenu de la similarité dans les nombres. La Commission a aussi jugé vraisemblables certains éléments contradictoires.

 

[6]               La demanderesse a déposé l’affidavit d’un expert langagier chinois qui attestait les difficultés possibles qu’une personne, dont la langue maternelle est le cantonnais, pourrait avoir avec le mandarin et avec l’interprétation du mandarin vers l’anglais.

 

[7]               De plus, la Commission a conclu que le récit de la demanderesse concernant sa fuite de l’église n’était pas plausible parce que le BSP aurait entouré l’église avant de la prendre d’assaut. La Commission a jugé qu’il aurait été impossible de s’en échapper.

 

[8]               La Commission a tiré une série d’autres conclusions d’invraisemblance auxquelles il n’est pas nécessaire de s’attarder.

 

III. ANALYSE

A. Problèmes de traduction

[9]               L’entrevue à CIC est l’une des sources des problèmes de traduction. Elle n’a pas été enregistrée dans sa version originale. On trouve seulement les notes de la traduction anglaise du témoignage de la demanderesse. Dès lors, aucun problème ne pouvait être constaté par la demanderesse en cas d’erreurs de traduction. Le ministère de la CIC ne se donne pas la peine de relire au demandeur les notes d’entrevue pour en assurer l’exactitude.

 

[10]           À la première occasion (l’instance devant la CISR), la demanderesse a soulevé la contradiction entre ce qu’elle a dit et ce qui a été pris en note au cours de l’entrevue.

 

[11]           Le droit à une interprétation juste est un droit fondamental reconnu par l’article 14 de la Charte. La juge Snider en a saisi toute l’importance dans la décision Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 456 (QL) dans la citation suivante :

8.         Le demandeur a droit, en vertu de l’article 14 de la Charte, à une interprétation continue, fidèle, impartiale, concomitante et effectuée par une personne compétente. Il n’est pas tenu de démontrer qu’il a subi un préjudice réel par suite du manquement à la norme d’interprétation pour que la Cour puisse modifier la décision de la Commission (Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 4 C.F. 85 (C.A.), autorisation d’appel rejetée, [2001] S.C.C.A. no 435 (QL); R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951).

 

[12]           Aussi important que puisse être ce droit, le fardeau reposant sur la personne qui soulève un problème d’interprétation est lourd. Une telle allégation doit être suffisante pour réfuter la présomption selon laquelle l’interprète, qui a prêté serment de fournir une interprétation fidèle, a agi contrairement à son serment. La simple allégation d’une erreur d’interprétation n’est pas suffisante, car le fardeau consiste à prouver, selon la balance des probabilités, qu’il y a eu erreur d’interprétation.

 

[13]           En l’espèce, la demanderesse s’est acquittée de ce fardeau à l’aide d’une combinaison de facteurs, notamment une preuve d’expert, quoique circonstancielle, et, plus important encore, la reconnaissance par la Commission de la pertinence du problème concernant les conclusions relatives à la crédibilité.

 

[14]           Je ne peux conclure que CIC a l’obligation absolue de relire les notes d’entrevue pour en assurer l’exactitude. Il peut y avoir de bonnes raisons de ne pas les relire, notamment pour obtenir des réponses spontanées plutôt que mémorisées. Cependant, le fait de ne pas avoir une certaine  forme d’enregistrement objectif de ce qui s’est réellement dit au cours de l’entrevue ouvre la voie à des contestations. Dans un monde d’enregistrement numérisé, il serait possible d’éviter complètement ces types de problèmes.

 

B. Conclusion relative à la vraisemblance

[15]           En plus de l’interprétation, la Cour a des doutes quant à une conclusion relative à la vraisemblance en particulier. La Commission a jugé le récit de l’évasion de l’église improbable, car le BSP aurait entouré l’immeuble pour empêcher toute fuite.

 

[16]           Cette conclusion ne tient pas compte du rôle des guetteurs et de la possibilité raisonnable que ceux-ci puissent avoir signalé à temps l’arriver du BSP pour permettre la fuite.

 

[17]           La Commission doit être prudente lorsqu’elle tire des conclusions relatives à la vraisemblance. De telles conclusions doivent êtres prises dans les cas les plus flagrants. Par exemple, lorsque les faits sont tellement improbables eu égard à ce qui est raisonnablement possible qu’il est invraisemblable que les événements se soient déroulés tel qu’on les décrit, ou lorsque la documentation ou d’autres preuves révèlent que les événements ne pouvaient se passer tel qu’on les a rapportés.

 

[18]           Il y a une explication tout aussi plausible qui soutient la version des événements de la demanderesse. La conclusion relative à la vraisemblance qu’a tiré la Commission ne peut valoir sans justification claire du rejet de l’autre explication tout aussi plausible.

 

IV. CONCLUSION

[19]           Ces deux questions combinées justifient de faire droit à la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse. La Cour ne se penche pas sur les autres conclusions puisque l’affaire sera examinée lors d’une nouvelle audition devant un tribunal différent qui statuera à nouveau sur celle‑ci.

 

[20]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification. Les principes juridiques sont bien établis et ils ont simplement été appliqués aux faits en l’espèce.

 

 


JUGEMENT

               LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différent pour que celui-ci statue à nouveau sur elle.

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-2318-06

 

INTITULÉ :                                                                           JINHUAN XU

 

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDITION :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDITION :                                                    LE 6 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                  LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 9 MARS 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marvin Moses

 

      POUR LA DEMANDERESSE

 

Janet Chisholm

 

                         POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marvin Moses Law Office

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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