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Date : 20070315

Dossier : IMM-651-06

Référence : 2007 CF 287

Ottawa (Ontario), le 15 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

BALASINGAM FRANKLIN SUPIRAMANIAM

MARY CONSTANCE JEYARATNAM

 

demandeurs

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a jugé que ni M. Balasingam Franklin Supiramaniam ni sa femme, Mary Constance Jeyaratnam, n’avaient la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personnes à protéger aux termes de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c-27 (la Loi). Bien qu’elle ait reconnu que les demandeurs étaient des citoyens du Sri Lanka d’origine ethnique tamoule, et qu’il semble qu’elle ait accepté le fait qu’il « [pouvait] bien être [vrai] » que les demandeurs aient été victimes d’extorsion de la part de membres des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET), la SPR a jugé que M. Supiramaniam et sa femme avaient embelli leur récit concernant l’extorsion. Elle a aussi jugé que M. Supiramaniam et sa femme avaient une possibilité de refuge intérieur à Colombo. 

 

[2]        La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie au motif que la SPR n’a pas adéquatement tenu compte de la preuve documentaire dont elle disposait concernant le risque d’extorsion par des Tamouls non seulement à Jaffna, où les demandeurs résidaient, mais aussi à Colombo. Avant d’aborder cette question, il convient de faire quelques brefs commentaires au sujet des conclusions de la SPR quant à la crédibilité.

 

[3]        Dans l’état actuel du droit, il y a lieu, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’accorder la plus grande retenue aux conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR, lesquelles ne peuvent être modifiées que si elles sont manifestement déraisonnables.  En l’espèce, je suis d’avis que la SPR a tiré plusieurs conclusions manifestement déraisonnables quant à la crédibilité. La SPR a notamment formulé les conclusions suivantes :

 

1.      Les demandeurs sont arrivés au Canada le 17 juin 2001. Ils ont fait leur demande d’asile approximativement trois semaines plus tard, et ils ont expliqué qu’ils avaient attendu trois semaines parce qu’on leur avait indiqué qu’ils pouvaient la faire en tout temps. Étant donné que la SPR a reconnu l’exactitude de l’information fournie aux demandeurs, il était manifestement déraisonnable qu’elle affirme que le demandeur « [n’avait pas montré] qu’il éprouvait une grande crainte. Le tribunal demeure d’avis que le récit du demandeur d’asile au sujet de la persécution dont il a été victime n’est pas crédible ».

 

2.         M. Supiramaniam a affirmé dans son témoignage qu’il s’est abstenu de communiquer avec son frère depuis qu’il est au Canada pour éviter que les TLET lui causent des problèmes. Il était manifestement déraisonnable de la part de la SPR de conclure de ce témoignage que « leur conduite ne correspond pas à celle de personnes qui craignent pour leur sécurité […] ».

 

3.         M. Supiramaniam a admis que lorsqu’il a demandé un laissez‑passer à l’armée sri‑lankaise qui leur aurait permis, à lui et à sa femme, d’aller de Jaffna à Colombo, il a expliqué à l’officier de l’armée qu’il avait besoin d’un laissez‑passer parce que ses enfants étaient à l’étranger et « pour sa retraite ». Il était donc manifestement déraisonnable de la part de la SPR de conclure que l’explication donnée à l’officier de l’armée était probablement la « véritable raison » pour laquelle les demandeurs avaient quitté le Sri Lanka.  Cette conclusion semble être fondée sur l’hypothèse selon laquelle M. Supiramaniam aurait dû donner à l’officier de l’armée la véritable raison de son départ du Sri Lanka : il quitte parce qu’il ne veut plus payer des sommes d’argent aux TLET. Rien ne peut être raisonnablement déduit du fait que M. Supiramaniam a menti à l’officier de l’armée à propos des raisons pour lesquelles il avait quitté le Sri Lanka.

 

[4]        Malgré ces erreurs, une des conclusions de la SPR quant à la crédibilité ne peut être qualifiée de manifestement déraisonnable. Le témoignage livré par M. Supiramaniam à la SPR en janvier 2006 concordait avec les renseignements figurant dans son Formulaire de renseignements personnel (FPR) rempli en 2001. Toutefois, en juillet 2004, un agent d’immigration a interrogé M. Supiramaniam pour déterminer s’il devait être exclu de la protection des réfugiés en application du paragraphe F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Pendant cet entretien téléphonique, qui a été apparemment bien court, l’agent a noté que, selon M. Supiramaniam, les TLET lui avaient seulement demandé à deux reprises de payer de l’argent. La SPR s’est fondée sur cet élément de preuve pour conclure que tout le témoignage concernant l’extorsion avait été embelli. Compte tenu de la cohérence entre le témoignage de M. Supiramaniam et de son FRP, ainsi que les circonstances très particulières de l’entrevue de 2004, ce n’est pas la conclusion que j’aurais tirée. Cela étant dit, je suis d’avis que la SPR n’a pas tiré une conclusion manifestement déraisonnable sur ce point en particulier.

 

[5]        En ce qui concerne la question au cœur de la présente demande, la jurisprudence de la Cour fédérale d’appel a établi qu’une conclusion d’invraisemblance n’empêche pas qu’une personne soit considérée comme réfugié si d’autres éléments de preuve satisfont à la fois à la composante objective et à la composante subjective du critère applicable au statut de réfugié. Voir : Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1989) 99 N.R. 168).

 

[6]        Après avoir été convaincue de l’identité des demandeurs et du fait qu’ils aient été victimes d’extorsion par les TLET au moins à deux occasions, la SPR avait l’obligation d’apprécier toute la preuve documentaire dont elle disposait se rapportant au risque d’extorsion par les Tamouls, tel que le risque auquel pourrait être exposés M. Supiramaniam et sa femme s’ils devaient retourner au Sri Lanka. Puisqu’elle ne s’est pas acquittée de cette obligation, la SPR a rendu une décision sans tenir compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait. À ce titre, un examen récent de la jurisprudence de la Cour fédérale a été effectué par ma collègue la juge Mactavish : voir les motifs de la décision Sivalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 965; 2006 CF 773. 

 

[7]        Voici une partie de la preuve documentaire dont disposait la SPR :

 

1.         Les rapports de 2003 et de 2004 du Département d’État des États-Unis sur la situation au Sri Lanka confirment que les TLET font toujours de l’extorsion.

 

2.         La mission sri-lankaise de surveillance (MSLS) a indiqué que le troisième motif le plus courant, sur lequel sont fondées les plaintes visant les TLET, se rapporte à de l’extorsion d’argent, ce qui constitue une violation de l’accord de cessez-le-feu.

 

3.         Le document de la SPR intitulé [traduction] « évaluation du Sri Lanka » indique que des membres des TLET ont enlevé des personnes contre des rançons et qu’ils les ont obligées à leur fournir de l’argent et des aliments.

 

4.         Les Réponses aux demandes d’information de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (LKA100506.EF) et le « Report on Fact-Finding Mission to Sri Lanka » produit par le Ministère de l’immigration du Danemark indiquent que tous les groupes paramilitaires tamouls ont des bureaux à Colombo, et que le parti démocratique populaire de l’Eelam pratique l’extorsion dans les quartiers tamouls de cette ville. De plus, on y rapporte de nombreuses extorsions effectuées par les TLET dans le Nord et dans l’Est.  

 

[8]        Eu égard à ses renseignements, la SPR devait se demander, malgré le fait que les demandeurs avaient embelli leur témoignage, si les rapports sur la situation au Sri Lanka permettent d’établir que la crainte des demandeurs, de subir des persécutions, était fondée sur des raisons objectives.

 

[9]        En ce qui concerne la conclusions de la SPR sur la possibilité de refuge intérieur à Colombo, c’est la deuxième fois que la SPR doit se pencher sur la demande d’asile des demandeurs. La première décision a été annulée par mon collègue le juge Phelan qui a publié ses motifs dans : 2005 CF 1264, dont les paragraphes 14 et 15 exposent ce qui suit :

14.    Sans avoir examiné le motif central de la revendication et la question de savoir si la crainte d’extorsion pouvait être pertinente si le demandeur devait vivre à Colombo, la SPR ne peut conclure que cette ville est un [traduction] « lieu de refuge sûr ». Si la SPR s’était appuyée sur un fondement approprié pour rejeter la crainte d’extorsion, la conclusion relative à la PRI pourrait alors être soutenue.

 

15.    À mon avis, le motif non rejeté d’une revendication doit faire l’objet d’une certaine analyse dans le contexte d’une PRI. Pour que la décision de la SPR quant à la PRI à Colombo soit [traduction] « à l’épreuve de tout » – pour reprendre les termes du défendeur – la SPR doit conclure que la crainte d’extorsion ne serait pas raisonnablement fondée si le demandeur devait y vivre ou, en d’autres termes, que Colombo est un lieu de refuge sûr pour se protéger contre l’extorsion faite par les TLET.

 

[10]      Dans la présente affaire, lorsqu’elle devait juger de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur à Colombo, la SPR s’est seulement demandée si les TLET poursuivraient les demandeurs dans cette ville. La SPR a souligné que : « les demandeurs d’asile n’ont présenté aucun document montrant que les TLET poursuivent, à Colombo, les personnes qui ne leur ont pas versé l’argent demandé ». En toute déférence, la SPR a une fois de plus omis de se demander si Colombo était un lieu de refuge sûr contre l’extorsion exercée par les Tamouls pour des personnes telles que les demandeurs qui reviennent de l’étranger. Il s’agit d’une erreur importante compte tenu de la preuve documentaire qui rapporte des pratiques d’extorsions qui ont lieu dans les quartiers tamouls de Colombo.

 

[11]      La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.  Les avocats n’ont proposé aucune question aux fins de certification et je conviens que la présente affaire n'en soulève aucune.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Section de la protection des réfugiés rendue le 20 janvier 2006 est annulée.

 

2.         L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire compte tenu des présents motifs.

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-651-06

 

INTITULÉ :                                                   BALASINGAM FRANKLIN SUPIRAMANIAM ET MARY CONSTANCE JEYARATHAM

 

                                                                        c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 17 JANVIER 2007

 

OBSERVATIONS ÉCRITES

SUPPLÉMENTAIRES :                               LES 19, 26 ET 29 JANVIER 2007

                                                                        LE 16 FÉVRIER 2007

                                                                        LE 5 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 15 MARS 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Kumar S. Sriskanda                                         POUR LES DEMANDEURS

 

Amy Lambiris                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIERS :

 

Kumar S. Sriskanda                                         POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Scarborough (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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