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Date : 20070319

Dossier : IMM-1912-06

Référence : 2007 CF 292

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

ENTRE :

SEOKUMARI SAMAROO

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée par Seokumari Samaroo en vue de contester la décision par laquelle un agent d'immigration a refusé sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.

 

Genèse de l'instance

[2]               Mme Samaroo est arrivée au Canada en 1997 en provenance du Guyana. Elle suivait sa mère et ses six frères et soeurs, qui étaient tous entrés au Canada en 1991 en tant qu'immigrants ayant obtenu le droit d'établissement. À l'origine, Mme Samaroo était restée au Guyana parce qu'on y avait besoin d'elle pour s'occuper de son père malade et parce qu'elle vivait en union de fait. Après le décès de son père et sa rupture d'avec son conjoint de fait, Mme Samaroo a vécu seule pour une brève période de temps au Guyana. Elle allègue qu'à cette époque elle a été victime de criminels à deux reprises. Elle a par conséquent décidé de venir au Canada comme visiteuse à la fin de 1997. Après l'expiration de son statut de visiteur le 19 septembre 1998 (après une prorogation), elle est demeurée au Canada en situation irrégulière.

 

[3]               N'ayant pas de statut d'immigrante légale au Canada, Mme Samaroo a fait l'objet d'une mesure de renvoi. Elle a alors présenté une demande d'examen des risques avant le renvoi (ERAR), mais, comme elle n'avait pas respecté la date limite obligatoire de présentation, elle n'avait pas droit à un sursis légal à l'exécution de sa mesure de renvoi. Néanmoins, elle a obtenu du tribunal un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi en attendant le sort de sa demande d’ERAR et d'une demande connexe fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Il ressort du dossier que la demande d'ERAR de Mme Samaroo été refusée en 2004, mais que sa demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire n'a été tranchée que le 18 janvier 2006. Cette décision était également défavorable, et c'est cette décision qui fait l'objet de la présente demande. Dans l'intervalle, elle est demeurée au Canada en vertu de l'ordonnance de sursis prononcée par notre Cour le 29 mai 2006.

 

La demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire et la décision y afférente

[4]               La demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire de Mme Samaroo a été présentée en 2004. Elle sollicitait une mesure spéciale en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), en invoquant des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Plus particulièrement, elle se fondait sur l'importance de ses liens familiaux, sur son établissement au Canada et sur le fait qu'elle n'avait plus aucun lien avec le Guyana. Son avocate a signalé dans la demande que Mme Samaroo était généreusement demeurée au Guyana par suite de la décision de la famille suivant laquelle elle s'occuperait de son père malade tandis que les autres membres de la famille viendraient au Canada grâce au parrainage d'une sœur qui se trouvait déjà au Canada. Après avoir quitté son conjoint de fait, Mme Samaroo est parti vivre dans un coin reculé du Guyana.  Elle a été victime à deux reprises de criminels qui croyaient peut‑être qu'elle avait de l'argent. S'estimant vulnérable, elle est venue au Canada pour retrouver les membres de sa famille avec lesquels elle entretient des liens très étroits. Mme Samaroo a ajouté qu'elle n'avait plus de liens avec le Guyana, qu'elle n'avait pas de perspectives d'emploi là-bas et qu'elle n'avait pas d'endroit où vivre. Elle s'exposerait par ailleurs personnellement à un risque si elle y retournait, car elle pourrait être la cible de criminels.

 

[5]               Mme Samaroo invoque par ailleurs le fait qu'elle se trouve au Canada depuis sept ans et qu'elle a toujours subvenu à ses propres besoins depuis qu'elle vit ici. Elle a trouvé du travail au Canada et espère toujours travailler avec sa sœur. Elle a également déjà fait du bénévolat et a aidé considérablement sa famille.

 

[6]               La décision fondée sur des motifs d'ordre humanitaire est documentée dans les notes informatisées du Ministère. La décision retrace l'historique des démarches d'immigration entreprises par Mme Samaroo, et notamment la décision défavorable rendue en 2004 en réponse à sa demande d'ERAR. Elle mentionne aussi le fait qu'elle craint d'être de nouveau victime d'actes criminels au Guyana et le fait qu'elle n'a pas de travail là-bas et qu'elle ne peut compter sur l'appui de sa famille dans ce pays. L'agente y tient compte de l'établissement de Mme Samaroo au Canada et de la question de la séparation de la famille. Elle signale également les résultats de l'avis donné en 2005 au sujet des risques dans le cadre de la procédure d'examen des motifs d'ordre humanitaire. L'agente traite de la preuve dans le passage suivant :

[traduction] Le 30 juin 2005, un avis défavorable a été donné au sujet des risques par un agent d'examen des risques avant le renvoi. La demanderesse et son avocat ont toutefois contesté cette décision le 27 juillet 2005. Après avoir examiné la demande et les observations qui l'accompagnent, j'ai formé la même opinion et j'ai estimé que la demanderesse ne serait pas exposée à une menace à sa vie ou à un risque à la sécurité de sa personne si elle retournait au Guyana. J'ai examiné la décision de l'agent d'ERAR et je suis d'avis que l'ensemble de la preuve présentée par la demanderesse et par son avocate a été examiné comme il se doit. Je tiens par ailleurs à signaler que j'ai également examiné la documentation fournie au sujet du représentant de Vision Monde Canada terrorisé et volé à l'étranger et du profil sur le pays contenus dans les observations récentes du 24 octobre 2005. Comme l'avis sur le risque semble raisonnable, je suis convaincu que la demanderesse ne serait pas exposée à une menace à sa vie ou à un risque à la sécurité de sa personne si elle retournait au Guyana.

 

[7]               Bien qu'elle ait vraisemblablement accepté les éléments de preuve présentés par Mme Samaroo au sujet des emplois de bonne d'enfants et de serveuse qu'elle a exercés au Canada, l'agente chargée d'examiner les motifs d'ordre humanitaire a relevé le fait que les niveaux de revenu n'avaient pas fait l'objet d'une vérification indépendante. Elle parle aussi des activités de bénévolat de Mme Samaroo ainsi que des lettres de recommandation soumises à l'appui de sa demande. L'agente conclut avec l'analyse qui suit :

 

[traduction] Je ne dispose pas de suffisamment d'éléments de preuve pour être convaincue que la demanderesse a réussi à s'établir au Canada au point où elle éprouverait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle devait quitter le Canada pour présenter une demande de résidence permanente selon la procédure habituelle. Je reconnais que la demanderesse a, au Canada, des frères et sœurs et une mère qui ont la citoyenneté canadienne ou qui sont des résidents permanents et qu'elle a une sœur aux États‑Unis. La demanderesse soutient en outre qu'elle n'a pas de proches parents ou de maison où elle pourrait retourner au Guyana. La demanderesse et son avocate affirment que la sœur de Seokumari et son mari ont soumis une demande de parrainage familial à la fin des années quatre‑vingts pour tous les membres de la famille, à savoir sa mère, son père et ses frères et sœurs. La demande a été approuvée. Au cours de la procédure d'examen de la demande de parrainage, il a été décidé par l'ensemble des membres de la famille, y compris la demanderesse, qu'il serait plus avantageux qu'elle demeure au Guyana. Cette décision a été prise parce que son père était malade et avait besoin de quelqu'un pour s'occuper de lui, étant entendu que, si sa mère ne se plaisait pas au Canada, elle pourrait rentrer au Guyana. Au cours de l'examen de la demande de parrainage, en septembre 1989, le père de la demanderesse est décédé. Lorsque les membres de la famille de la demanderesse ont immigré au Canada en août 1991, la demanderesse habitait avec son conjoint de fait, Daveanand Ram, au 287 Success Housing Scheme, East Coast, Demarara, Guyana; elle y est demeurée d'août 1989 à septembre 1997. Sur la foi des renseignements communiqués par la demanderesse, cette dernière a décidé de ne pas être incluse dans le parrainage familial, d'autant plus qu'elle habitait avec un conjoint de fait depuis plusieurs années et que cette union de fait s'est poursuivie après l'immigration de sa famille au Canada. Le 19 septembre 1997, la demanderesse est venue rendre visite aux membres de sa famille au Canada en tant que visiteur. Six années s'étaient écoulées depuis que sa famille avait immigré au Canada. La demanderesse et sa famille ont peut-être des liens étroits, mais je constate que la demanderesse avait habité seule pendant six ans, entre 1991 et 1997, de sorte qu'une autre séparation ne devrait pas causer à la demanderesse ou à sa famille un préjudice émotif ou physique durable si elle était obligée de présenter sa demande de résidence permanente à l'étranger. Je reconnais qu'il est toujours souhaitable d'être près de ses parents et de ses frères et sœurs, mais j'estime que l'éloignement de sa famille ne constitue pas un facteur suffisant pour conclure que la demanderesse éprouverait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. La demanderesse a expliqué qu'au Guyana, avant de venir au Canada, elle subvenait à ses propres besoins car elle travaillait dans une usine, et également à son compte comme couturière. Compte tenu des compétences, des connaissances et de l'expérience qu'elle a acquises au Canada et au Guyana, la demanderesse ne devrait pas éprouver des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives à refaire sa vie au Guyana. Je reconnais qu'elle a vécu pendant huit de ses 48 années au Canada. Il n'en demeure pas moins qu'elle a passé la plus grande partie de sa vie au Guyana. On peut raisonnablement penser que, au cours des 40 ans qu'elle a passés au Guyana, elle s'est fait des amis et des connaissances qu'elle a toujours. Vu l'ensemble de la preuve et des renseignements dont je dispose et compte tenu du raisonnement que je viens d'exposer, je ne suis pas convaincue que la demanderesse éprouverait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle devait retourner dans son pays d'origine pour présenter une demande de résidence permanente. Je ne suis donc pas en mesure de conclure que la demanderesse a invoqué des facteurs d'ordre humanitaire suffisants pour justifier la prise d'une mesure spéciale en vertu de l'article 25 de la Loi. La demande est refusée. DK – 17 janvier 2006.

 

Questions en litige

[8]               a)         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

 

b)         La Commission a-t-elle commis des erreurs justifiant notre intervention en décidant de rejeter la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire de Mme Samaroo?

 

Analyse

[9]               Plusieurs arguments ont été avancés pour le compte de Mme Samaroo en vue de contester la décision fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Tous ces arguments tournaient essentiellement autour de la façon dont l'agente chargée d'examiner les motifs d'ordre humanitaire avait traité les éléments de preuve pour en arriver à ses constatations et à ses conclusions. La nature des questions soulevées dans la présente affaire assujettit celle-ci à l'analyse requise par la norme de contrôle que l'on trouve dans l'arrêt Baker c. Canada ((Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, où la Cour déclare, au paragraphe 62 :

62        Tous ces facteurs doivent être soupesés afin d’en arriver à la norme d’examen appropriée. Je conclus qu’on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l’absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d’appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d’aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable ». Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[10]           L'avocate de Mme Samaroo soutient que l'agente a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en s'attachant exclusivement aux éléments de preuve « négatifs » ou en étant injustement sélective dans son analyse des éléments de preuve. Je n'accepte pas cet argument. Dans sa décision, l'agente a manifestement tenu compte de tous les faits essentiels, favorables ou non,  avant de conclure que Mme Samaroo ne s'était pas acquittée de la charge de la preuve qui lui incombait pour pouvoir obtenir une mesure spéciale pour des motifs d'ordre humanitaire. 

 

[11]           Mme Samaroo conteste la conclusion de l'agente suivant laquelle elle a « habité seule pendant six ans, entre 1991 et 1997 ». Elle soutient que cette conclusion est erronée parce qu'à l'époque elle habitait avec son conjoint de fait. Toutefois, lorsqu'on la situe dans son contexte, on constate que l'observation de l'agente se rapporte nettement à la question de la séparation de Mme Samaroo d’avec sa famille, et non à son état matrimonial, ce qui est d'ailleurs confirmé par le fait que, plus tôt dans sa décision, l'agente avait reconnu que Mme Samaroo avait vécu avec un conjoint de fait entre 1989 et 1997. 

 

[12]           Mme Samaroo soutient aussi que l'agente chargée d'examiner les motifs d'ordre humanitaire a commis une erreur en affirmant qu'elle avait décidé de demeurer au Guyana alors qu'en fait cette décision avait été prise par sa famille. La question n'est abordée que de façon très générale dans la décision de l'agente, qui n'a pas commis d'erreur dans la façon dont elle l'a traitée. D'ailleurs, l'agente souligne effectivement que la décision de rester au Guyana a été prise par « toute la famille ». De toute façon, il s'agit là d'une question qui ne tire pas à conséquence et qui n'a pas de valeur probante dans le contexte de l'analyse de facteurs d'ordre humanitaire.

 

[13]           C'est également à tort que Mme Samaroo reproche à l'agente de ne pas avoir tenu suffisamment compte des emplois qu'elle a exercés au Canada en s'attardant au fait que ses gains n'avaient pas été corroborés. Il n'y a rien dans la décision qui permette de penser que l'agente n'a pas accepté le fait que Mme Samaroo avait exercé certains emplois. Elle s'est plutôt inquiétée du fait qu'elle n'était pas en mesure de vérifier pleinement les revenus de travail de Mme Samaroo faute de pièces à l'appui.

 

[14]           Mme Samaroo conteste également les conclusions de l'agente selon lesquelles elle ne subirait probablement pas de préjudice émotif ou physique durable si elle retournait au Guyana et qu’elle pourrait probablement s'y trouver du travail. Elle s'insurge également contre l'avis de l'agente selon lequel elle aurait encore des amis et des connaissances au Guyana après y avoir vécu 40 ans. Ces conclusions ne seraient pas fondées sur la preuve et contrediraient certains éléments de preuve.  Mme Samaroo soutient essentiellement qu'il s'agit là de conjectures. Les éléments de preuve qui contrediraient les conclusions susmentionnées ne seraient rien d'autre que les avis contraires exprimés par Mme Samaroo dans les observations formulées pour son compte devant l'agente chargée d'examiner les motifs d'ordre humanitaire. Contrairement aux conclusions de l'agente, Mme Samaroo s'est dite d'avis, dans ses propres observations, qu'elle subirait un préjudice émotif si elle devait retourner au Guyana, qu'elle ne pourrait s'y trouver du travail et qu'elle ne pourrait compter sur un réseau de soutien viable là‑bas. En dépit des convictions de Mme Samaroo au sujet de sa capacité de se débrouiller au Guyana, il importe de signaler qu'elle n'a présenté aucun élément de preuve à l'appui de ces opinions. Ne disposant d'aucun élément de preuve provenant de médecins ou d'employeurs, il était raisonnable de la part de l'agente de conclure que, parce que Mme Samaroo s'était débrouillée au Guyana pendant plusieurs années sans sa famille, elle pourrait continuer à le faire si elle y retournait. La conclusion de l'agente suivant laquelle Mme Samaroo pourrait encore compter sur l'appui d'un réseau d'amis et de connaissances après avoir vécu 40 ans au Guyana est une observation fondée sur le simple bon sens. Si la situation était différente, il était loisible à Mme Samaroo d'en faire la preuve, d'autant plus qu'il lui incombait d'établir le fondement factuel de sa demande de mesure spéciale fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. C'est bien ce qu'a expliqué le juge Frederick Gibson dans le jugement Owusu c. Canada (MCI), 2003 CFPI 94, [2003] A.C.F. no 139, au paragraphe 11 :

[11] Le fardeau de preuve incombe au demandeur dans le cadre d’une demande fondée sur des raisons humanitaires. Dans Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), le juge Muldoon a écrit ce qui suit, au paragraphe 7, au sujet du contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas :

 

Le requérant a le fardeau de convaincre l’agent des visas de tous les éléments positifs contenus dans sa demande. L’agent des visas n’a pas à attendre ni à offrir au requérant une deuxième chance ou même plusieurs autres chances de le convaincre d’éléments essentiels que le requérant peut avoir omis de mentionner.

 

Dans Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), le juge Heald, encore une fois en contexte de révision judiciaire de la décision d’un agent des visas, mais alors qu’étaient invoquées des considérations humanitaires, a écrit ce qui suit au paragraphe 9 :

 

Le requérant prétend avoir droit à ce qu’il soit tenu compte de toute la preuve pertinente dans le cadre de sa demande invoquant des considérations humanitaires. Je suis d’accord. Cependant, le fardeau de la preuve à cet égard incombe alors au requérant. Il a la responsabilité de porter à l’attention de l’agent des visas toute preuve pertinente relative à des considérations humanitaires.

 

[15]           Il est fait aussi reproche à l'agente de ne pas avoir accordé suffisamment d'attention au fait que Mme Samaroo serait le seule membre de sa famille qui resterait au Guyana et, sur ce point, d'avoir fait fi du Guide de traitement des demandes au Canada du Ministère (IP-5). Suivant la directive invoquée par Mme Samaroo, l'isolement à l'étranger d'un des membres de la famille de facto (qui ne fait pas partie du regroupement familial) est un facteur dont il y a lieu de tenir compte dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire pour évaluer des motifs d'ordre humanitaire. Il ressort toutefois de l'examen du Guide que la question de la séparation d’avec la famille n'est qu'un des nombreux facteurs dont l'agent chargé d'examiner les motifs d'ordre humanitaire est censé tenir compte. Je ne suis pas d’accord avec l’idée que l'agent a l'obligation de nommer spécifiquement chacun des facteurs prévus par le Guide de traitement des demandes au Canada du Ministère qui entrent en ligne de compte lors de l'exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de facteurs d'ordre humanitaire. En l'espèce, l'agente a expressément reconnu le fait, dans sa décision, que les membres de la famille de Mme Samaroo habitaient tous au Canada et qu'elle n'aurait plus de liens familiaux au Guyana. L'agente a poursuivi en concluant que ce fait n'était pas suffisant pour pouvoir conclure que Mme Samaroo éprouverait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Malgré le désaccord de Mme Samaroo, c'était là une conclusion raisonnable.

 

[16]           Une des principales observations formulées par Mme Samaroo concernait la façon dont l'agente chargée d'examiner les motifs d'ordre humanitaire a traité l'opinion sur les risques qui avait été sollicitée dans le cadre de l'analyse des facteurs d'ordre humanitaire. L'avocate de Mme Samaroo a soutenu énergiquement que l'agent qui avait procédé à l'appréciation des risques n'avait pas tenu compte de l'observation tardive formulée par Mme Samaroo en réponse à l'avis préliminaire donné au sujet des risques. La réfutation de Mme Samaroo a été transmise plusieurs jours après l'expiration du délai prescrit, et il est évident que l'agent chargé d'examiner les risques n'en a pas pris connaissance avant de formuler son opinion finale au sujet des risques. Il est également clair, cependant, que l'agente chargée d'examiner les motifs d'ordre humanitaire a effectivement examiné la réfutation de l'opinion sur les risques formulée par Mme Samaroo. Il ressort des notes que l'agente chargée d'examiner les motifs d'ordre humanitaire a procédé à un examen indépendant des éléments de preuve portant sur les risques et qu'elle a estimé que l'opinion donnée à ce sujet était raisonnable. À mon avis, il est indifférent que l'agente chargée d'examiner les motifs d'ordre humanitaire ait pu croire à tort que l'agent qui avait procédé à l'examen des risques avait tenu compte de la réfutation tardive de Mme Samaroo. Il en est ainsi parce que l'agente chargée d'examiner les motifs d'ordre humanitaire a effectivement examiné cette observation et a estimé, à juste titre, qu'elle n'avait pas suffisamment de poids pour modifier l'opinion donnée au sujet des risques.

 

[17]           Les arguments avancés par Mme Samaroo pour contester la décision fondée sur des motifs d'ordre humanitaire en l'espèce constituent essentiellement une invitation faite à la Cour de réévaluer la preuve et d'exercer son pouvoir discrétionnaire judiciaire à la place de l'agente chargée d'examiner les motifs d'ordre humanitaire. Tel n'est pas le rôle de la Cour. Bien que les difficultés auxquelles serait confrontée Mme Samaroo à son retour au Guyana soient regrettables, ce facteur ne justifie pas à lui seul la prise d'une mesure spéciale sur le fondement de motifs d'ordre humanitaire. À mon sens, les faits de la présente affaire cadrent parfaitement avec les propos du juge Denis Pelletier dans le jugement Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 206, [2000] A.C.F. no 1906 (C.F.  1re inst.), où le juge déclare, au paragraphe 26 :

La procédure applicable aux demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire n’est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Le refus de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire causera sans doute des difficultés aux demandeurs, mais eu égard aux circonstances de leur présence au Canada et à l’état du dossier, il ne s’agit pas d’une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive. Quelle que soit la norme de contrôle que l’on applique à la décision de l’agente qui a examiné la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, cette décision satisfait à la norme. La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

 

[18]      Pour les motifs qui ont été exposés, la présente demande est rejetée. Aucune des deux parties n'a proposé de question à certifier, et il n'y a pas de question grave de portée générale.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée.

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                 IMM-1912-06

 

INTITULÉ :                                                SEOKUMARI SAMAROO

                                                                     c.

                                                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                     ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                        LE 27 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                      LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                              LE 19 MARS 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stella Iriah Anaele                                         POUR LA DEMANDERESSE

 

Asha Gafar                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stella Iriah Anaele

Avocate

Toronto (Ontario)                                         POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                POUR LE DÉFENDEUR

 

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