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Date : 20070320

Dossier : T‑1103‑06

Référence : 2007 CF 295

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

 

DEBRA JENKINS

demanderesse

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

représentée par l’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

défenderesse

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, sollicitant le contrôle judiciaire de la décision du directeur du Centre fiscal de Winnipeg, Agence du revenu du Canada (ci-après le ministre), qui a été communiquée à la demanderesse par une lettre datée du 25 mai 2006. Cette lettre informait la demanderesse du rejet de sa demande d’annulation des intérêts et des pénalités payables en application de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5suppl.) (la Loi), à l’égard de ses cotisations d’impôt sur le revenu des particuliers pour les années d’imposition 2002 et 2003.

 

LE CONTEXTE

[2]               La demanderesse a produit sa déclaration de revenus pour l’année 2002 le 19 avril 2004 et sa déclaration de revenus pour 2003 le 3 mai 2005, c’est‑à‑dire plus d’un an après la date à laquelle elles devaient être produites. L’Agence du revenu du Canada a par conséquent imposé à la demanderesse des pénalités et des intérêts sur les sommes dues.

 

[3]               Dans sa lettre datée du 28 avril 2005, la demanderesse a sollicité l’annulation de ces intérêts et pénalités, invoquant ses difficultés financières et le stress que lui avaient occasionné plusieurs décès au sein de sa famille, notamment le décès de l’ancienne épouse de son mari en septembre 2000, le décès de sa mère en novembre 2001, le décès de son beau‑frère en août 2002 et le décès de son beau‑père en novembre 2003. Elle invoquait en outre, en tant que source de stress supplémentaire, l’échec de son mariage survenu en novembre 2003.

 

[4]               La première demande d’annulation des intérêts et des pénalités présentée par la demanderesse au titre des dispositions « d’équité » a été reçue par le Centre fiscal de Winnipeg le 27 mai 2005 et rejetée le 31 août 2005.

 

[5]               La demanderesse a alors demandé que sa demande soit portée au deuxième échelon de la procédure d’examen en matière d’équité. Cette demande a été reçue le 27 février 2006. Un rapport du deuxième échelon a été rédigé et présenté au directeur du Centre fiscal de Winnipeg, qui a maintenu la décision de refuser d’annuler les intérêts et les pénalités.

 

[6]               La décision de refuser à nouveau l’annulation des intérêts et des pénalités a été communiquée à la demanderesse par une lettre datée du 25 mai 2006. On justifiait cette décision en faisant valoir, d’une part, l’absence de preuve établissant que le pouvoir discrétionnaire n’avait pas été exercé de manière raisonnable lors du premier examen et, d’autre part, le fait que la demanderesse n’avait fourni aucun renseignement supplémentaire pour démontrer l’existence de circonstances indépendantes de sa volonté qui l’auraient empêchée de satisfaire aux exigences de la Loi.

 

LA QUESTION EN LITIGE

[7]               La seule question à trancher dans le cadre du présent contrôle judiciaire consiste à déterminer si le ministre, en rejetant la demande d’annulation des pénalités et des intérêts payables, a commis une erreur dans la manière dont il a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confèrent les dispositions d’équité.

 

LA DISPOSITION PERTINENTE

[8]               Les dispositions d’équité en question se trouvent à l’article 220 de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de renoncer aux pénalités ou aux intérêts ou de les annuler :

220. (3.1) Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

 

220. (3.1) The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsections 152(4) to 152(5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

 

[9]               Des précisions supplémentaires sont contenues dans la Circulaire d’information IC-92‑2, intitulée « Lignes directrices concernant l’annulation des intérêts et des pénalités ». Ces lignes directrices n’ont pas force obligatoire, ne se veulent pas exhaustives et ne visent pas à restreindre l’esprit ou l’objet de la législation. Elles exposent les circonstances dans lesquelles il peut être indiqué de renoncer aux intérêts et aux pénalités lorsque ceux‑ci découlent principalement d’actions attribuables au Ministère (article 6 des Lignes directrices) ou lorsque l’intéressé est incapable de payer (article 7 des Lignes directrices). Enfin, l’article 5 donne des exemples de « situations extraordinaires » indépendantes de la volonté du contribuable qui peuvent justifier une renonciation. L’article 5 est ainsi formulé :

5. Il sera convenable d’annuler la totalité ou une partie des intérêts ou des pénalités, ou de renoncer à ceux‑ci, si ces intérêts ou ces pénalités découlent de situations indépendantes de la volonté du contribuable ou de l’employeur. Voici des exemples de situations extraordinaires qui pourraient empêcher un contribuable, un agent d’un contribuable, l’exécuteur d’une succession ou un employeur de faire un paiement dans les délais exigés ou de se conformer à d’autres exigences de la Loi de l’impôt sur le revenu :

 

a)            une calamité naturelle ou une catastrophe provoquée par l’homme comme une inondation ou un incendie;

 

b)            des troubles civils ou l’interruption de services comme une grève des postes;

 

c)           une maladie grave ou un accident grave;

 

d)          des troubles émotifs sérieux ou une souffrance morale grave comme un décès dans la famille immédiate.

 

 

[10]           En outre, les Lignes directrices énumèrent les facteurs qui sont pris en compte lorsqu’il s’agit de décider, dans un cas donné, s’il y a lieu ou non de renoncer aux intérêts et aux pénalités :

10. Le Ministère tiendra compte des points suivants dans l’étude des demandes d’annulation des intérêts ou des pénalités ou de renonciation à ceux‑ci :

 

a)    si le contribuable ou l’employeur a respecté, par le passé, ses obligations fiscales;

 

b)    si le contribuable ou l’employeur a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;

 

c)    si le contribuable ou l’employeur a fait des efforts raisonnables et s’il n’a pas fait preuve de négligence ni d’imprudence dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d’autocotisation;

 

d)    si le contribuable ou l’employeur a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[11]           Dans son arrêt Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2005] A.C.F. no 714 (QL), 2005 CAF 153, la Cour d’appel fédérale a estimé qu’une décision discrétionnaire prise au titre des « dispositions d’équité » de la Loi de l’impôt sur le revenu est soumise à la norme de la décision raisonnable. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour d’appel s’est livrée à une analyse pragmatique et fonctionnelle et a examiné, au paragraphe 6 de l’arrêt, les facteurs suivants :

(1) Les dispositions d’équité ont été promulguées parce que le législateur a reconnu la nécessité d’accorder dispense de certaines dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui peuvent occasionner des difficultés excessives en raison de la complexité des lois fiscales et des questions procédurales qui entrent en jeu lorsque l’on conteste une cotisation d’impôt. L’octroi d’une dispense est une mesure discrétionnaire et ne peut être revendiqué de droit. Ce facteur dénoterait une norme de contrôle qui exige une retenue plus grande que la norme de la décision correcte.

 

(2) La décision en question ne peut pas être portée en appel, mais elle peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale et n’est pas protégée par une clause privative. La norme applicable serait celle de la décision raisonnable.

 

(3) La décision en question combine la détermination de faits et un examen de la politique d’administration fiscale, et parfois des questions de droit. L’expertise du décideur est indubitablement supérieure à celle des tribunaux pour ce qui est des questions qui relèvent de la politique d’administration fiscale. Son expertise n’est toutefois pas supérieure à celle des tribunaux pour ce qui est des questions de droit ou des conclusions de fait. La norme applicable serait celle de la décision raisonnable.

 

[12]           Ainsi que l’a affirmé le juge Frank Iacobucci au paragraphe 56 de l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748, « [e]st déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé ». Par conséquent, la Cour ne fera droit à la présente demande de contrôle judiciaire que si elle ne peut pas trouver de fondement rationnel à la décision du ministre.

 

ANALYSE

[13]           Il importe, dans l’examen de la décision contestée, de ne pas perdre de vue que le pouvoir conféré au ministre par le paragraphe 220(3.1) de la Loi est un pouvoir discrétionnaire et qu’en conséquence le ministre n’est aucunement tenu de parvenir à une conclusion particulière. En outre, l’obligation incombant au contribuable de payer des pénalités et des intérêts en cas de production tardive de ses déclarations de revenus découle de l’application de la Loi et non pas d’une décision discrétionnaire du ministre qui aurait choisi d’imposer des pénalités et des intérêts. Le pouvoir discrétionnaire du ministre se limite donc à l’octroi d’une dispense de l’application de la Loi à titre exceptionnel lorsqu’il estime qu’une telle dispense est justifiée.

 

[14]           Selon la preuve produite en l’espèce, la demande d’annulation des intérêts et des pénalités présentée par la demanderesse a été examinée selon deux critères, à savoir l’incapacité de payer et les situations extraordinaires, énoncés respectivement à l’article 7 et à l’article 5 des Lignes directrices.

 

[15]           La demanderesse ne conteste pas la conclusion du ministre selon laquelle elle n’a pas démontré son incapacité de payer, mais elle soutient que le ministre a eu tort de rejeter sa demande au regard de la situation extraordinaire qu’elle invoquait, étant donné que les événements exposés dans ses lettres montrent bien qu’elle éprouvait un énorme stress et des troubles émotifs à la suite de son divorce et de la série de décès survenus dans sa famille.

 

[16]           Après un examen attentif de la décision du ministre, telle qu’exposée dans la lettre du 25 mai 2006, je dois convenir avec la défenderesse que les motifs donnés à l’appui de la conclusion du ministre – selon laquelle l’exercice de son pouvoir discrétionnaire n’était pas justifié dans ce cas particulier – sont satisfaisants et qu’il n’y a donc pas lieu pour la Cour d’intervenir.

 

[17]           Le ministre a reconnu que plusieurs événements malheureux avaient perturbé la vie de la demanderesse, soulignant toutefois que la plupart de ces événements étaient survenus plus de huit mois avant la date où la demanderesse aurait dû normalement produire sa déclaration de revenus pour l’année 2002, et plus d’un an et huit mois avant la date où elle a effectivement produit cette déclaration. Il a retenu le même raisonnement à l’égard de la déclaration de revenus de la demanderesse pour l’année 2003, puisque l’échec de son mariage est survenu presque six mois avant la date où elle aurait dû produire sa déclaration de revenus pour 2003, et un an et demi avant la date où elle a effectivement produit cette déclaration. La décision du ministre mentionnait aussi que la déclaration de revenus de la demanderesse pour 2004 avait été produite avant sa déclaration de revenus pour 2003 et que le fisc avait rejeté l’explication de la demanderesse qui affirmait ne pas avoir été en mesure de réunir à temps les renseignements nécessaires pour produire ses déclarations de revenus pour 2002 et 2003, estimant que ces déclarations auraient pu être produites à la date requise et modifiées à une date ultérieure une fois les renseignements réunis.

 

[18]           À mon avis, il ne fait aucun doute que ces motifs sont effectivement capables de résister à « un examen assez poussé », surtout si l’on tient compte des facteurs énumérés à l’article 10 des Lignes directrices. Il est clair, à la lecture de la décision du ministre, que la chronologie des difficultés auxquelles s’est heurtée la demanderesse a porté le ministre à conclure que les événements en question ne suffisaient pas à expliquer pourquoi celle-ci n’avait pas rempli ses obligations fiscales. Il est aussi manifeste que le ministre n’était pas convaincu que la demanderesse avait fait preuve de diligence dans le cadre du régime d’autocotisation ou avait agi promptement pour corriger une omission.

 

[19]           La demanderesse a en outre fait valoir que son ex‑mari s’était vu accorder une dispense au titre des dispositions d’équité alors que la situation extraordinaire qu’il invoquait à l’appui de sa demande était [traduction] « essentiellement la même » que celle dont elle avait fait état dans sa demande. Elle soutient donc que les dispositions d’équité sont appliquées par le ministre de manière arbitraire et discriminatoire.

 

[20]           Laissant de côté la question de savoir s’il appartient à la Cour de se pencher sur cet argument étant donné que, dans sa demande d’allégement, la demanderesse n’a pas fait état de la situation de son ex‑mari, il est manifeste, au vu des éléments de preuve produits à cet égard, que la situation de son ex‑mari n’était pas identique à la sienne et pouvait donc justifier un traitement différent de la part du ministre. Par ailleurs, l’ex‑mari de la demanderesse a bénéficié d’un allégement pour les intérêts sur arriérés imposés sur ses cotisations d’impôt pour les années 2002, 2003 et 2004, en raison de sa « situation financière » et non à cause de sérieux troubles émotifs ou psychologiques. Les décès survenus dans la famille ont été invoqués comme preuve d’une situation extraordinaire, mais le ministre a estimé que ces décès ne justifiaient pas l’annulation des pénalités pour production tardive des déclarations de revenus pour les années 2002 et 2003, ces événements étant trop lointains.

 

[21]           Il faut donc conclure au vu de la preuve que, à l’inverse de ce qu’affirme la demanderesse, le ministre n’a pas appliqué les dispositions d’équité de manière arbitraire et discriminatoire, mais qu’au contraire il s’est montré plutôt conséquent dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

 

[22]           Compte tenu de ce qui précède, je dois conclure que la décision du ministre de refuser d’annuler les pénalités et les intérêts était raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

‑     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

‑     La défenderesse se voit adjuger la somme de 800 $ au titre des dépens.

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑1103‑06

 

INTITULÉ :                                       DEBRA JENKINS

                                                            c.

SA MAJESTÉ LA REINE, représentée par l’Agence du revenu du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 20 MARS 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Debra Jenkins, pour son propre compte

 

POUR LA DEMANDERESSE

Penny L. Piper

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S/O

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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