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Date :  20070323

Dossier :  IMM-4620-06

Référence : 2007 CF 309 

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2007

En présence de Monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

KULWANT SINGH SHADHRA

demandeur

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi), de la décision de Michael Crelinsten, de la Section de la protection des réfugiés (le Tribunal), rendue le 26 juillet 2006. Le tribunal a conclu que le demandeur n'était pas « un réfugié au sens de la Convention » ou une « personne à protéger » puisqu’il pouvait bénéficier de la possibilité d’un refuge intérieur (PRI) en Inde.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[2]               La décision du tribunal est-elle manifestement déraisonnable?

 

[3]               La réponse à cette question est positive. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

CONTEXTE FACTUEL

[4]               Né en Inde le 12 juin 1976, le demandeur est un Sikh de l’État d’Uttar Pradesh. Il est arrivé à Toronto le 23 janvier 2005 et a revendiqué le statut de réfugié le même jour.

 

[5]               Le demandeur allègue avoir été arrêté et torturé par la police en Inde à deux reprises. La première fois, soit le12 août 2003,  il déclare qu'il a été interrogé et torturé avant d'être relâché quatre jours plus tard suite au paiement d’un pot-de-vin. Les policiers l'ont soumis à la prise de ses empreintes digitales, il a été photographié et forcé de signer des papiers en blanc. Suite à ces événements, le demandeur a dû être soigné pour ses blessures. Il a tenté sans succès de quitter l'Inde avec l'aide d'un passeur.

 

[6]               Le 29 mai 2004, alors que la police visitait la maison du demandeur à la recherche de son frère aîné, il fut arrêté de nouveau, interrogé et battu. Il fut relâché le 7 juin 2004 après le paiement d’un autre pot-de-vin. Encore une fois, il fut hospitalisé et soigné de nouveau.

 

[7]               Suite à sa libération il devait se rendre au poste de police chaque mois, mais craignant le pire, il choisit de ne pas obtempérer à cette condition. Il décida de se sauver de la maison familiale et se réfugier dans des temples sikhs. Il vécut ainsi pendant sept mois jusqu'à son départ pour le Canada en janvier 2005.

 

[8]               Le demandeur allègue que son père a été arrêté et torturé le 16 avril 2005 suite au dépôt d'une plainte qu'il aurait logée auprès du surintendant de police (SP) concernant le harcèlement que lui et ses fils auraient subi. La police se serait rendue chez ses parents au moins une fois par mois pour tenter de le retrouver ainsi que son frère aîné.

 

[9]               Le demandeur a déposé une lettre de la clinique médicale, Jeevan Jyoti Health Center & Hospital (P-6), où il a été soigné à deux reprises, à la suite des séquelles infligées par la police. La lettre fait état des traitements procurés immédiatement après les épisodes de torture. Le médecin écrit ceci :

Both times, he was treated as an indoor patient for a day and was further treated at home. The patient was suffering from same types of swellings, pain, contusions and brulses (sic) spread all over his body. The patient alleged this problem due to beating in police custody.

 

[10]           Le demandeur a également présenté une lettre du docteur Vincenzo Colavincenzo, (P-17) de la Clinique de médecine familiale de Lasalle, au Québec, où il est traité depuis avril 2005 pour les problèmes suivants:

[…] I met this gentleman seven times since the month of April 2005 and he reported physical and psychological problems that were allegedly connected to the experiences of fear and violence while living in India. He stated that he was a victim of police harassment, false accusations and physical assaults that traumatized him and that were responsible for leaving his country. […]

 

[11]           Le dossier du demandeur comprend également l'affidavit de Gurmeet Singh, Sarpanch de Kajri Niranjanpur Tehsil Puranpur Distt, U, India, village du demandeur (P-3). L’affidavit daté du 20 juillet 2005 indique ceci :

1.      […] Kulwant Singh Shadhra son of Sh. Ajmer Singh Shadhra and his family are residents of my village. I am well known to their problems due to the police.

2.      That the police illegally arrested and tortured Ajmer Singh’s other son Manjit Singh because militants took help from them. Police tortured him and linked him with militants.

3.      That police again arrested and tortured Manjit Singh. He left home and went in hiding. According to his family his whereabouts are not known.

4.      That the police illegally arrested Kulwant Singh two times to find his brother and others. Police tortured him badly.

5.      That Kulwant Singh also left home and started to live in hiding to save his skin.

6.      That the village council and I helped this family all times and this family paid bribe to the police.

7.      That Kulwant Singh left his country because of the fear of Police arrests and tortures. Police also arrested Ajmer Singh because he complained against police and also approached prass (sic) to get help.

8.      That the life of Kulwant Singh is not very safe in India and therefore he cannot be advised to come back. Police still comes and harassed Ajmer Singh and family.  [. . .]

 

[je souligne]

 

 

[12]           Le Tribunal a rendu une décision négative le 26 juillet 2006. C’est cette décision qui est contestée en l’espèce.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[13]           Après avoir considéré l’ensemble de la preuve et le témoignage du demandeur, le Tribunal a conclu que le demandeur n'est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger puisque son retour en Inde ne le soumettrait pas à une crainte raisonnable de persécution ni à un risque à sa vie ou à un traitement cruel et inusité. Le Tribunal base cette conclusion sur la possibilité d’un refuge intérieur.

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[14]           La norme de norme de contrôle concernant les questions purement de faits est celle de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no. 732 (C.A.F.) (QL)).

 

[15]           Bien qu’il considère son histoire un peu exagérée, le Tribunal n’a pas mis en doute le fait que le demandeur ait été arrêté, détenu et maltraité par la police. En revanche, le Tribunal n’est pas convaincu que le demandeur est visé de façon particulière par la police.

 

[16]           Le Tribunal conclut que le demandeur n’a pas fourni d’explications raisonnables quant à une omission importante dans son Formulaire de Renseignements Personnels (FRP). En effet, le Tribunal a mis beaucoup d'emphase sur le fait que le demandeur n'a pas amendé son FRP pour indiquer que son père avait été arrêté et torturé en avril 2005. Il est à noter que le FRP est daté du mois de février 2005 environ deux mois avant l'arrestation de son père.

 

[17]           Le Tribunal en a tiré une conclusion négative en décidant que le demandeur n'avait pas établi selon la balance des probabilités que son père avait été arrêté et torturé par la police. À la lecture de la décision, on s'aperçoit que cette omission a entaché de façon significative la crédibilité du demandeur.

[18]           Pour en arriver à cette conclusion le Tribunal s'est exprimé ainsi au sujet de l'affidavit du sarpanch (page 4):

[…] the significance of this omission is reinforced by the omission of any reference, in exhibit P-4, an affidavit submitted by the sarpanch of the claimant's village, to the father's arrest.  The panel notes that the affidavit was signed by the sarpanch on July 26, 2005 or well after the alleged arrest and torture of the claimant's father.  He states that, "I am well known to their problems due to the police (sic)" but, nevertheless, makes no reference to the alleged arrest and torture of the claimant's father, which would have, allegedly, taken place merely two months previously.  The panel concludes that this omission further detracts from the credibility of the claimant's allegations of police interest, on a forward looking basis, in either him or his father.

 

[19]           Cependant, à la lecture même de l'affidavit du sarpanch au paragraphe 7, ce dernier indique bien que la police a arrêté le père du demandeur parce que ce dernier s'était plaint et qu’il en avait fait part à la presse. L'article du journal (P-5) non contesté apparaissant à la page 188 du dossier du Tribunal vient corroborer les dires du demandeur ainsi que l'affidavit du sarpanch.

 

[20]           La Cour considère qu'il s'agit d'une erreur manifestement déraisonnable car la conclusion du Tribunal n'est absolument pas supportée par la preuve.

 

[21]           Dans la cause sous étude, le représentant du demandeur en cours d'audition et avant même que ce dernier témoigne sur les incidents de l'arrestation de son père au mois d'avril 2005 a demandé au Tribunal la permission de faire une correction pour justement ajouter cet élément important à sa revendication.  En se référant aux notes sténographiques, on peut s’apercevoir qu’il s'est ensuivi une discussion et que cet élément est au cœur de la décision négative rendue par le Tribunal.

 

[22]           L'intervention de la Cour est nécessaire.

 

[23]           Les parties n'ont pas soumis de question d’importance générale à certifier et ce dossier n'en comporte aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Ce dossier est retourné pour  réexamen devant une formation différente. Aucune question d’importance générale n'est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4620-06

 

INTITULÉ :                                       KULWANT SINGH SHADHRA et

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                                                                                 L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 20 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 23 mars 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Michel Le Brun                                                             POUR LE DEMANDEUR

 

 

Patricia Nobl                                                                POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michel Le Brun                                                             POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John Sims, c.r.                                                              POUR LA DÉFENDERESSE 

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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