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Date : 20070326

Dossier : IMM-4120-06

Référence : 2007 CF 315

Montréal (Québec), le 26 mars 2007

En présence de Monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

MARIA OBIANUJU MORKA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 6 juillet 2006 par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

[2]               La demanderesse, qui est citoyenne du Nigéria, affirme craindre avec raison d’être persécutée du fait de sa religion (le christianisme) et de son appartenance à un groupe social déterminé (les femmes au Nigéria). Elle allègue qu’après le décès de son père, un homme plus âgé à qui son père devait 200 000 nairas avait exprimé le désir de l’épouser en remboursement du prêt. La mère de la demanderesse et quelques amis l’ont accompagnée chez cet homme le 10 août 2000. Après y être restée quelques jours, la demanderesse s’est enfuie dans l’État de Kano, où elle a toutefois été retrouvée après une semaine par des femmes appartenant au groupe Izala. Après avoir été ramenée chez l’homme en question, on a menacé de la tuer si elle tentait de le quitter.

 

[3]               La demanderesse allègue qu’elle s’est enfuie à Kaduna, où elle a commencé à fréquenter un homme de l’État de Benue appelé Stephen Ogwuche. Après l’avoir emmenée dans son village, il l’a forcée à avoir des relations sexuelles avec son frère, selon la coutume qui existe dans cette région. Après que la demanderesse se fut enfuie à Kaduna, Ogwuche l’a menacée et l’a battue. Elle a réussi à s’enfuir à Lagos, où elle s’est convertie au christianisme. Toutefois, après avoir appris cette nouvelle, des femmes du groupe Izala ont menacé de la tuer parce qu’elle s’était convertie au christianisme et qu’elle avait refusé d’épouser l’homme plus âgé. Après avoir passé deux mois au Sénégal, elle est allée au Maroc et, le 22 novembre 2004, elle est arrivée au Canada où elle a demandé l’asile.

 

[4]               La Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse. Elle a estimé que la demanderesse n’avait pas réussi à établir son identité. Elle a également conclu qu’elle manquait de crédibilité, surtout en ce qui concerne l’endroit où elle se trouvait entre 2000 et le moment où elle avait quitté son pays, en septembre 2004, et au sujet de sa crainte subjective. En particulier, la Commission n’a pas jugé plausible le récit relatif au présumé incident du viol et elle a estimé qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour pouvoir conclure que la demanderesse s’était convertie au christianisme.

 

[5]               La demanderesse invoque trois motifs pour contester les conclusions de la Commission. En premier lieu, la demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas réussi à établir son identité et son affiliation religieuse. Deuxièmement, elle affirme que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de sa crédibilité. Troisièmement, elle soutient que la Commission n’a pas tenu dûment compte du fait que, si elle retournait au Nigéria, elle risquerait d’être persécutée parce qu’elle est mère célibataire.

 

[6]               L’article 106 de la Loi oblige la Commission à prendre en compte, s’agissant de crédibilité, du fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur d’asile ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer. En outre, l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, oblige le demandeur d’asile à transmettre à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il doit en donner la raison et indiquer quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

 

[7]               Dans le cas qui nous occupe, pour établir son identité, la demanderesse a produit un affidavit qui a été transmis par télécopieur au Haut-Commissariat du Nigéria (HCN) à Ottawa. L’auteur de cet affidavit, qui déclare être l’oncle de la demanderesse, affirme que la date de naissance de sa nièce est le 31 décembre 1985. Devant la Commission, la demanderesse a cependant témoigné que c’était son beau-frère qui avait fait la déclaration sous serment dans l’affidavit. Interrogée au sujet de cette contradiction, la demanderesse a donné ce que la Commission a qualifié de « réponse obscure », en affirmant qu’elle ignorait ce que son beau-frère avait dit au HCN et qu’elle ignorait s’ils avaient parlé en anglais ou en haoussa. La Commission a reconnu que, parfois, il est possible qu’il y ait de la confusion à cause des langues, mais que ce n’était pas le cas en l’espèce, car l’affidavit avait été établi au Nigéria et aucune conversation n’avait donc pu être échangée entre le HCN et son beau‑frère lors de la rédaction de l’affidavit. La Commission a fait remarquer qu’aucune des sœurs nommées dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse ne portait le nom de famille du déclarant. Elle a également jugé invraisemblable qu’un document de cette nature ne porte aucune signature. Qui plus est, la preuve documentaire démontrait qu’il est facile d’obtenir de faux documents au Nigéria. Se fondant sur ces éléments de preuve, la Commission a conclu que l’affidavit avait été obtenu par des moyens frauduleux et elle ne lui a accordé aucune force probante.

 

[8]               Comme le titre de voyage provisoire de la demanderesse était fondé sur l’affidavit en question, la Commission a également conclu qu’il avait été obtenu de manière frauduleuse et elle n’en a pas tenu compte. Quant au relevé d’emploi de la demanderesse, la Commission a constaté qu’il y manquait des éléments de sécurité, comme la signature des signataires autorisés, la date de délivrance, la date de naissance de la demanderesse, ainsi que sa signature. La Commission a également estimé que ce document avait été obtenu par des moyens frauduleux. Ne disposant d’aucune autre pièce d’identité fiable, la Commission a expliqué qu’elle avait du mal à croire que la demanderesse était bien la personne qu’elle prétendait être, à l’exception du fait qu’elle est citoyenne du Nigéria.

 

[9]               La demanderesse soutient que la Commission a accordé trop d’importance au fait que l’affidavit n’était pas signé et elle affirme qu’elle ne devrait pas avoir à expliquer une erreur commise par les autorités judiciaires de l’État. Elle souligne également que le HCN lui a délivré son titre de voyage provisoire sur la foi de l’affidavit. On peut donc vraisemblablement présumer qu’un affidavit non signé est acceptable aux yeux du gouvernement du Nigéria.

 

[10]           Bien que, s’agissant de l’établissement de l’identité, la Commission ne doit pas être stricte au point où l’acceptation des pièces produites par un demandeur d’asile doive correspondre à la logique et au raisonnement nord-américains, elle peut certainement tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur d’asile s’il est évident, à leur face même, que ces documents comportent diverses anomalies et que le demandeur d’asile n’est pas en mesure de donner des explications satisfaisantes à cet égard (Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 25, au paragraphe 45; Yogeswaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 48, aux paragraphes 28 à 30 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[11]           Hormis les trois documents susmentionnés, la demanderesse n’a fourni aucune autre pièce. Elle a expliqué qu’elle avait perdu son acte de naissance dans un incendie, au cours de la crise relative à la charia en 1995, alors qu’elle avait 16 ou 17 ans. La Commission a fait observer que, comme elle était née en 1985, elle aurait eu dix ans à l’époque. La demanderesse a également déclaré qu’elle ne pouvait obtenir des relevés de notes du collège, car elle devait les obtenir en personne et le collège ne conservait pas de dossiers. La Commission a trouvé invraisemblable qu’un collège ne conserve pas de tels dossiers et a souligné que, de toute façon, la demanderesse n’avait pas fait d’efforts pour les obtenir. Enfin, la Commission a fait remarquer que la demanderesse n’avait soumis aucune preuve pour démontrer qu’elle s’était convertie au christianisme, comme un acte de baptême ou une lettre de son église. En somme, les explications fournies par la demanderesse au sujet du manque de documents n’ont pas convaincu la Commission, qui a estimé que la demanderesse n’avait pas entrepris de démarches suffisantes pour obtenir les documents en question.

 

[12]           En conséquence, la Commission avait des doutes au sujet de l’identité et de la religion de la demanderesse. Ces conclusions étaient fondées sur la preuve et j’estime qu’elles sont raisonnables dans les circonstances.

 

[13]           Devant la Cour, l’avocat de la demanderesse a évoqué le fait que la demanderesse avait été détenue par les autorités de l’immigration après son arrivée au Canada en vue d’établir son identité. Sa détention a fait l’objet d’un contrôle à trois reprises (le 30 novembre 2004, le 24 décembre 2004 et le 19 janvier 2005). Elle a finalement été remise en liberté après que le ministre se fut déclaré satisfait de son identité : [TRADUCTION] « Après vérifications auprès du Haut-Commissariat du Nigéria au Canada, votre identité a été précisé […] » (décision de la Section de l’Immigration, 19 janvier 2005, dossier certifié conforme du tribunal, page 197). L’avocat de la demanderesse a par conséquent soutenu, à l’audience qui s’est déroulée devant la Cour, que la Commission aurait dû accepter l’affidavit comme preuve valable de la véritable identité de la demanderesse. J’ai expliqué à l’avocat, à l’audience, que je n’examinerais pas cet argument entièrement nouveau, car il n’avait pas été soulevé dans le mémoire de la demanderesse. Quoi qu’il en soit, même si j’avais accepté l’argument de la demanderesse suivant lequel la Commission a commis une erreur justifiant l’infirmation de sa décision en ce qui concerne l’identité de la demanderesse, cette dernière ne m’a pas convaincu que les raisons invoquées par la Commission pour ne pas ajouter foi à son récit, notamment en ce qui concerne sa religion, sont manifestement déraisonnables.

 

[14]           Il est de jurisprudence constante que la Commission jouit d’une compétence spécialisée pour trancher les questions de fait, en particulier quant à l’évaluation de la crédibilité et quant à la crainte subjective de persécution des demandeurs d’asile (Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n1800, au paragraphe 38 (C.F. 1re inst.) (QL); Cepada-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragraphe 14 (C.F. 1re inst.) (QL). Elle a le droit de tirer des inférences défavorables au sujet de la crédibilité du demandeur en se fondant sur les invraisemblances du récit de ce dernier (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). La Cour refusera donc de substituer sa décision à celle de la Commission lorsque le demandeur d’asile ne réussit pas à prouver que la décision de la Commission était fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. La norme de contrôle applicable aux conclusions portant sur la crédibilité est donc celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[15]           À mon avis, la conclusion générale de la Commission suivant laquelle la demanderesse n’est pas crédible repose sur la preuve au dossier et elle n’est pas manifestement déraisonnable. D’ailleurs, la Commission a expliqué en termes clairs et explicites, dans sa décision, les raisons pour lesquelles elle ne croyait pas la demanderesse. Elle a relevé d’importantes omissions et invraisemblances tant dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) que dans le témoignage de la demanderesse. Par exemple, la demanderesse avait omis de préciser ses adresses dans son FRP pour la période comprise entre le mois d’août 2000 et le mois de septembre 2004. La Commission mentionne à la fin de la décision qu’elle tire une inférence défavorable du fait que la demanderesse n’a pas réussi à établir l’endroit où elle se trouvait « entre 2000 et le moment où elle a quitté son pays en septembre 2004 ». Lorsque la Commission l’a interrogée à ce sujet, la demanderesse a expliqué qu’elle se trouvait à Kaduna de septembre 2000 à juillet 2003, puis à Lagos jusqu’en septembre 2004, sans toutefois être en mesure de présenter une preuve pour justifier ses dires, à l’exception de son relevé d’emploi, qui n’était pas daté. La Commission a tiré une inférence défavorable de cette omission et j’estime qu’il lui était loisible de le faire.

 

[16]           La demanderesse soutient dans son mémoire qu’elle ne devrait pas être pénalisée pour avoir suivi les instructions de son ancien avocat, qui l’avait informée que cet aspect de son récit n’était pas important. Je constate qu’elle n’a présenté aucun élément de preuve pour démontrer que son ancien avocat était incompétent. À l’audience, le nouvel avocat de la demanderesse a insisté sur le fait que, comme sa cliente avait été détenue, son ancien avocat n’avait pas eu le temps de clarifier avec elle la question des renseignements manquants. Quoi qu’il en soit, je constate que ce n’est pas le seul aspect de la demande d’asile de la demanderesse que la Commission a jugé douteux. D’ailleurs, la Commission a également conclu que la crainte de persécution n’était pas justifiée et qu’elle reposait en grande partie sur des hypothèses. À titre d’exemple, la demanderesse a témoigné qu’alors qu’elle habitait chez une amie à Lagos, des individus louches s’étaient approchés pendant son absence. Son voisin a informé son amie de cet incident et a précisé qu’il s’agissait de musulmans, mais la demanderesse a reconnu que son amie ne leur avait parlé à aucun moment et qu’elle ne lui avait pas dit combien de personnes il y avait ou comment le voisin avait su qu’il s’agissait de musulmans. Elle a également expliqué qu’ils n’étaient jamais revenus après cet incident. De plus, elle n’a jamais signalé l’incident à la police. La Commission n’était donc pas convaincue que sa crainte de persécution était justifiée. À mon avis, il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion, qui n’est pas manifestement déraisonnable.

 

[17]           Vers la fin de l’audience de la Commission, on a appris que la demanderesse avait donné naissance à un garçon au Canada et que le père de l’enfant, un Canadien d’origine haïtienne, avait refusé d’aider la demanderesse de quelque manière que ce soit. La demanderesse a soutenu qu’elle risquerait d’être persécutée dans son pays d’origine parce qu’elle est une mère célibataire. À cet égard, la Commission a fait remarquer que même si, selon la preuve documentaire, les femmes sont victimes de discrimination au Nigéria, ces éléments de preuve ne traitent pas précisément de la situation des mères célibataires.

 

[18]           L’absence d’éléments de preuve documentaire à l’appui constitue une raison suffisante pour réfuter la présomption que le témoignage donné sous serment par le demandeur d’asile est véridique (Adu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n114 (C.A.F.); Diadama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1206; Kahiga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1240, au paragraphe 10; Oppong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n1187, au paragraphe 5). En conséquence, eu égard aux circonstances particulières de la présente espèce, il n’était pas manifestement déraisonnable de la part de la Commission de tirer une inférence défavorable du fait que la preuve documentaire ne renfermait pas les renseignements que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à y retrouver dans les circonstances.

 

[19]           La demanderesse affirme enfin, bien que de façon sommaire, que la Commission a mal évalué la protection de l’État et qu’elle a mal appliqué les critères exposés dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. Vu ma conclusion selon laquelle la Commission était justifiée de conclure que la demanderesse n’avait pas réussi à établir une crainte de persécution, il n’est pas nécessaire de poursuivre avec une évaluation de la question de la possibilité de compter sur la protection de l’État (Ayub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1411, au paragraphe 13).

 

[20]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune ne sera certifiée par la Cour.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-4120-06

 

INTITULÉ :                                                               MARIA OBIANUJU MORKA c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 7 MARS 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                               LE 26 MARS 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Eric Freedman                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

 

Sherry Rafai Far                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Eric Freedman                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

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