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Date : 20070327

Dossier : IMM-3031-06

Référence : 2007 CF 321

ENTRE :

GERMAN ADOLFO CADAVID ALVAREZ,

MARGARITA RUBIANO RUEDA,

JOSUE CADAVID RUBIANO

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

 

INTRODUCTION

[1]               Les présents motifs font suite à l’audience, tenue le 22 mars 2007, d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, où la SPR a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La décision de la SPR a été rendue le 3 mai 2006.

 

 

 

 

CONTEXTE

[2]               German Adolfo Cadavid Alvarez (le « demandeur principal ») est un citoyen de la Colombie et de l’Espagne. Il a de nombreuses années de scolarité et est qualifié pour travailler en tant qu’architecte en Colombie. Il a donc participé activement à un certain nombre de projets importants de conception et de construction en Colombie.

 

[3]               Margarita Rubiano-Rueda (« Mme Rubiano-Rueda »), une citoyenne de la Colombie uniquement, est l’épouse du demandeur principal. Josue Cadavid Rubiano (« Josue ») est le fils du demandeur principal et de Mme Rubiano-Rueda et était âgé de onze ans à la date où les présents motifs ont été rendus.

 

[4]               Le demandeur principal est né à Bogota, en Colombie, où il a vécu la majeure partie de sa vie. Il a obtenu la citoyenneté espagnole grâce à sa mère, citoyenne de l’Espagne, pays où elle est née.

 

[5]               Il semble que ce soit en raison de sa participation à des projets importants de conception et de construction en Colombie que le demandeur principal aurait reçu, à trois différentes occasions durant l’été 2000, des appels téléphoniques de personnes prétendant être membres ou associées des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), une force révolutionnaire reconnue pour ses actes de violence en Colombie. D’après son témoignage, il a reçu une « invitation » pour rencontrer des membres des FARC. À chaque occasion, il a été menacé et son épouse et son fils l’ont aussi été. Le demandeur principal a informé son épouse de chacun de ces appels. Il ne s’est présenté à aucune des rencontres prévues.

 

[6]               Les demandeurs ont tenté de se « cacher » à Cali, en Colombie, mais craignaient que leurs efforts en ce sens soient vains.

 

[7]               Le demandeur principal s’est engagé dans un projet de conception et de construction à Saint-Kitts. Les demandeurs se sont rendus à Saint-Kitts où la participation du demandeur principal dans le projet de conception et de construction s’est poursuivie. Le déménagement de la famille à Saint-Kitts lui a permis d’échapper aux pressions et aux menaces des FARC.

 

[8]               Lorsque le projet de conception et de construction à Saint-Kitts a pris fin, les demandeurs, ayant conclu que l’asile n’était pas possible pour eux à Saint-Kitts, ont décidé de ne pas retourner en Colombie et de ne pas tirer avantage de la citoyenneté espagnole du demandeur principal, mais plutôt de se rendre au Canada pour y demander l’asile. Ils sont arrivés au Canada le 12 avril 2002, ou vers cette date, et ont demandé l’asile en qualité de réfugié au sens de la Convention ou une protection similaire.

 

DÉCISION VISÉE PAR LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[9]               Citons que la SPR, dans ces motifs, sous le titre « Décision » a écrit :

Les demandeurs d’asile n’ayant pas fourni d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi, le tribunal décide qu’ils n’ont pas qualité de « réfugié au sens de la Convention » ni de « personne à protéger », car ils ne sont pas exposés à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque d’être soumis à la torture.

 

[10]           Étant donné ce qui précède, la SPR a conclu, sous le titre « Analyse », que le demandeur principal n’avait pas droit à l’asile au Canada en raison de sa citoyenneté espagnole et de son aveu selon lequel il ne craignait pas d’être persécuté en Espagne et donc d’y être renvoyé.

 

[11]           La SPR a ensuite conclu que, de la même façon, Josue n’avait pas droit à l’asile au Canada :

[…] l’enfant d’un citoyen espagnol (indépendamment du pays de naissance de l’enfant en question) peut obtenir la citoyenneté [espagnole] sans difficulté.

 

Curieusement, du moins pour la Cour, même après avoir conclu de la sorte dans le cas de Josue, la SPR n’est pas arrivée à la même conclusion à l’égard de Mme Rubiano-Rueda et a considéré la Colombie comme étant le seul pays de référence pertinent à sa demande.

 

[12]           La SPR a ensuite examiné la Colombie, en tant que pays de référence, pour ce qui est de Josue et de Mme Rubiano-Rueda. Sous l’intertitre « Est-il raisonnable ou vraisemblable que ces deux demandeurs d’asile [en l’occurrence Josue et Mme Rubiano-Rueda] se réinstallent en Colombie sans s’exposer à la colère des FARC? », la SPR a répondu à sa propre question de pure forme par les mots suivants :

Comme ils n’ont jamais été pris pour cibles, le tribunal croit que ce serait possible.

[Non souligné dans l’original.]

 

[13]           La SPR a poursuivi en concluant ce qui suit pour ce qui est de Josue et de Mme Rubiano-Rueda, en ne tenant apparemment pas compte, en toute déférence, des conclusions précédentes à l’égard du demandeur principal et de Josue, selon lesquelles leur demande ne pouvait être acceptée en raison, d’une part, de la citoyenneté espagnole et, d’autre part, de la possibilité d’obtenir la citoyenneté espagnole par une « simple formalité » :

Dans l’ensemble et étant donné, en particulier, le temps écoulé, le tribunal détermine que, de bout en bout, le comportement du demandeur d’asile ne correspond pas à celui de quelqu’un qui fuit des persécutions, une menace à sa vie, un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou encore un risque d’être soumis à la torture.

 

ANALYSE

[14]           Quoiqu’il ait été admis devant la Cour que la demande d’asile du demandeur principal ne pouvait pas être acceptée en raison de sa citoyenneté espagnole et de son absence de crainte s’il devait s’établir en Espagne, la conclusion de la SPR à l’égard de Josue et de Mme Rubiano-Rueda est beaucoup plus problématique, en particulier compte tenu de son évaluation de la demande de Mme Rubiano-Rueda avec la Colombie comme seul pays de référence et de la demande de Josue avec la Colombie comme pays de référence, malgré sa conclusion, jugée insuffisamment étayée par la Cour, selon laquelle il avait droit à l’asile en Espagne « par une simple formalité ».

 

[15]           Même si l’avocat des demandeurs a fait valoir avec insistance les nombreuses erreurs de la part de la SPR susceptibles de contrôle, la Cour est convaincue qu’une seule erreur est déterminante. La conclusion de la SPR selon laquelle Josue et Mme Rubiano-Rueda « n’ont jamais été pris pour cibles » par les menaces des FARC constitue, suivant la norme de la décision manifestement déraisonnable, une conclusion de fait erronée de la SPR prise sans égard à l’ensemble de la preuve devant elle.

 

[16]           Dans le récit du demandeur principal, contenu dans son Formulaire de renseignements personnels, le demandeur principal souligne qu’en ce qui a trait au premier appel téléphonique reçu des FARC, il a été avisé que [traduction] « […] ils (FARC) savaient qui j’étais et qui étaient mon épouse et mes enfants ». Il a continué en précisant que, lors de cette conversation téléphonique, il a été avisé que « […] ils (FARC) […] avaient besoin de renseignements et que s’il ne collaborait pas avec eux, la vie de son épouse Margarita et de son fils serait menacée »[1].  Plus loin dans son récit, le demandeur principal a souligné, en ce qui a trait à une conversation téléphonique subséquente, qu’il avait été avisé de ne pas « jouer » avec les FARC et que s’il ne répondait pas à leurs demandes, il [traduction] « […] devrait oublier [son] épouse et […] fils »[2]. Le demandeur principal a confirmé ce qui précède dans son témoignage devant la SPR[3].

 

[17]           Le témoignage du demandeur principal en ce qui concerne les menaces proférées contre Josue et Mme Rubiano-Rueda a été corroboré par celui de Mme Rubiano-Rueda[4].

 

[18]           Je suis satisfait que tout ce qui précède a été confirmé comme correspondant aux tactiques des FARC selon la preuve documentaire dont disposait la SPR.

 

[19]           La SPR met un certain accent sur le temps qui s’est écoulé entre le moment où les menaces ont été faites et où les demandeurs ont quitté la Colombie et le moment où elle a rendu ses motifs par lesquels elle a rejeté les demandes des demandeurs. La nature des renseignements qui semblaient être cherchés par les FARC auprès du demandeur principal semblaient aussi ne pas être sensibles au temps. Le fait que la demande du demandeur principal ait été rejetée, au motif qu’il pouvait avoir accès à une résidence en Espagne n’était pas important. Si Josue et Mme Rubiano‑Rueda, ou l’un d’eux, devaient retourner en Colombie, ils pourraient toujours être utilisés par les FARC pour exercer des pressions sur le demandeur principal, afin qu’il retourne lui-même en Colombie pour fournir aux FARC les renseignements apparemment cherchés et être puni une fois les renseignements fournis, du fait de ne pas les avoir fournis plus tôt.

 

CONCLUSION

[20]           Il n’a pas été contesté devant la Cour que la SPR pouvait tirer la conclusion qu’elle a tirée à l’égard du demandeur principal. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée à l’égard du demandeur principal. Ceci étant dit, sur le fondement de la brève analyse qui précède, la Cour juge que la conclusion de la SPR à l’égard de Josue et de Mme Rubiano-Rueda n’est pas fondée. En ce qui a trait à ces deux demandeurs, la décision visée par la demande de contrôle judiciaire sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour un nouvel examen.

 

 

 

CERTIFICATION D’UNE QUESTION

[21]           À la clôture de l’audience, les avocats ont été avisés des conclusions de la Cour. Lorsqu'ils ont été consultés, ni l'un ni l'autre des avocats n'a recommandé qu'une question soit certifiée. La Cour elle-même conclut qu’aucune question grave de portée générale n’est soulevée. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

 

 

« Frederick E. Gibson »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 27 mars 2007

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-3031-06

 

INTITULÉ :                                                                           GERMAN ADOLFO CADAVID ALVAREZ, MARGHERITA RUBIANO RUEDA,

                                                                                                JOSUE CADAVID RUBIANO

 

                                                                                                c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 22 MARS 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                      LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 27 MARS 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Loebach                                                                      POUR LES DEMANDEURS

 

Kristina Dragaitis                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Loebach

Avocat

London (Ontario)                                                                     POUR LES DEMANDEURS

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)



[1] Dossier du demandeur, aux pages 000063 et 64.

[2] Dossier du demandeur, à la page 000067.

[3] Dossier du tribunal, aux pages 440 et 443.

[4] Dossier du tribunal, à la page 409.

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