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Date : 20070328

Dossier : IMM-2710-06

Référence : 2007 CF 334

Ottawa (Ontario), le 28 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

ENTRE :

 

RASIAH SINNATHAMBY

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Aperçu

[1]               Il s’agit de la deuxième demande de contrôle judiciaire du demandeur, Rasiah Sinnathamby.  Les présents motifs, rendus oralement, se rapportent à l’ordonnance par laquelle j’ai accueilli la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[2]               La première demande d’asile du demandeur a été rejetée. L’affaire a été renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), car elle avait omis de faire une analyse de l’élément de la demande du demandeur visé par l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), L.C. 2001, ch. 27.

 

Contexte

[3]               M. Sinnathamby est un Tamoul âgé du Sri Lanka. Il habite actuellement avec sa fille. Il souffre de graves problèmes, notamment de méningiomes parasagittal et sphénoïdal, d’insuffisance cardiaque et de crises d’épilepsie, de tumeurs bénignes au cerveau, de troubles cognitifs, d’un taux élevé de cholestérol, d’asthme, d’hypertension et de maladie thyroïdienne. Sa fille a dû témoigner en son nom.

 

[4]               Le fondement de sa demande est qu’il pourrait être victime d'extorsion ou de violence aux mains des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET), car tous ses enfants vivent dans des pays développés, et qu’il pourrait donc être une cible dans le cadre des activités de financement des TLET. Il avait déjà fait l’objet de menaces d’extorsion de ce genre au Sri Lanka. La preuve dont disposait la Commission à l’audience établissait même que les TLET avaient déjà mené des actions en vue d’exiger de l’argent de sa famille au Canada. (Malheureusement, la famille n’a pas signalé cette affaire aux autorités canadiennes.)

 

[5]               Dans la décision de la Commission, le commissaire a décidé de ne pas tenir compte des menaces d’extorsion, car un récent cessez-le-feu était en vigueur. Bien que le commissaire ait accepté la preuve indépendante sur les activités de financement et d’extorsion des TLET, il a conclu qu’il existait une possibilité de refuge intérieur (une PRI) à Colombo, car la capitale n’était pas sous l’emprise des TLET.

 

[6]               La décision fait état des inquiétudes du demandeur quant au fait de vivre à Colombo, de sa méconnaissance de la ville et de la langue, de sa crainte que les TLET parviennent à le trouver, de la détérioration de son état de santé et du fait qu’il compte sur sa fille, ainsi que de l’absence de membres de sa famille à Colombo.

 

[7]               Le commissaire a rejeté la demande d’asile du demandeur en se fondant sur l’arrêt Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, [2000] A.C.F. no 2118 (C.A.) et a tiré les conclusions suivantes :

·        Le refus de se prévaloir d’une PRI peut seulement être justifié si cela mettrait en péril la vie et la sécurité du demandeur.

·        Pour avoir gain de cause, il faut que la demande soit fondée sur une crainte de persécution liée à un motif prévu dans la Convention.

·        Baisser la norme exigée de menaces à la vie ou à la sécurité pour déterminer s’il existe une PRI minerait la définition de réfugié et, par conséquent, la distinction entre les demandes d’asile et les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

 

 

Analyse

[8]               Il est bien établi que la norme de contrôle applicable à une conclusion au sujet d’une PRI est celle de la décision « manifestement déraisonnable ». Toutefois, la norme de contrôle quant au critère juridique applicable est celle de la décision correcte (Ezemba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1265, 2005 CF 1023).

 

[9]               La décision de la Commission pose des difficultés tant en ce qui concerne les faits nécessaires pour conclure à l’existence d’une PRI qu’en ce qui a trait au critère juridique applicable et à la nature de l’analyse à effectuer selon les exigences de l’article 97.

 

[10]           La Commission a accordé beaucoup d’importance au cessez-le-feu et au manque d’autorité des TLET sur Colombo. Lors de son examen, la Commission n’a pas tenu compte du fait que le risque visait les Tamouls qui ont des enfants qui vivent à l’extérieur du Sri Lanka. Ce risque ne nécessite pas qu’il y ait autorité sur une région en particulier mais simplement que l’on ait accès aux personnes ciblées. La preuve dont disposait la Commission dans les rapports publiés par le Human Rights Watch et le Département d'État des États-Unis (le DÉ) a établi que le risque était réel et que les TLET menaient des activités dans le Nord et l’Est du pays, ainsi qu’à Colombo. La Cour a reconnu le risque auquel était exposé le groupe cible dans la décision Christopher c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 910, 2005 CF 730.

 

[11]           La Commission ne s’est pas demandée si les TLET pourraient continuer d’extorquer de l’argent au demandeur à Colombo. Elle a tout simplement conclu que les TLET n’avaient pas autorité sur Colombo. Il s’agit d’une erreur que d’omettre de tenir compte d’éléments de preuve importants et d’une circonstance pertinente et, par conséquent, la conclusion selon laquelle il existe une PRI sûre est manifestement déraisonnable.

 

[12]           La Commission a commis une erreur dans son analyse au regard de l’article 97 en y entremêlant les exigences prévues à l’article 96 relativement aux motifs de persécution au sens de la Convention. Comme nous l’avons déjà précisé, la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que pour avoir gain de cause en vertu de l’article 97, le demandeur devait fonder sa demande de persécution sur des motifs applicables aux réfugiés au sens de la Convention.

 

[13]           Dans la mesure où elle a procédé à une analyse au regard de l’article 97, la Commission s’est limitée à se demander si Colombo était une possibilité de refuge sûre, au sens où être à Colombo ne mettrait pas en péril la vie ou la sécurité du demandeur. La Commission a commis une erreur en ne procédant pas à une évaluation du risque personnalisé, comme l’a fait de façon si convaincante l’avocat du défendeur. En effet, la Commission semble avoir décidé de ne pas examiner s’il était raisonnable pour le demandeur de s’enfuir à Colombo, ce qui aurait en quelque sorte abaissé la norme applicable à une conclusion portant sur une PRI.

 

[14]           L’examen de la question de savoir si un demandeur dispose d’une PRI raisonnable ne peut servir à dissimuler ce qui est en réalité une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. De même, elle ne se limite pas uniquement à la prise en compte de la sécurité physique. Une analyse de la PRI vise surtout à déterminer si l’autre partie du pays est protégée du risque dont l’existence a été prouvée et s’il est raisonnable pour le demandeur en question de se prévaloir de l’existence de cet autre refuge dans son pays d’origine.

 

[15]           Comme l’a souligné le juge Hugessen dans la décision Ramanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1210, la question de savoir si une PRI est déraisonnable ou indûment pénible implique certainement l’examen de quelques facteurs dont on tient compte en déterminant si une réparation fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit être accordée. Si ces facteurs étaient exclus, il ne resterait que des considérations de sécurité qui constituent seulement le premier volet du critère applicable à la PRI. Par conséquent, la Commission a commis une erreur dans son analyse du critère applicable à la PRI et a omis de se demander si la PRI était déraisonnable ou indûment pénible pour le demandeur en l’espèce.

 

[16]           Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Il n’y a aucune question aux fins de certification.

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la Commission soit annulée et que la demande, en vertu de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour que celui-ci statue à nouveau sur elle.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B, trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-2710-06

 

INTITULÉ :                                                                           RASIAH SINNATHAMBY

                                    c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 19 MARS 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                           LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 28 MARS 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jackie Esmonde                                                                        POUR LE DEMANDEUR

 

Amy Lambiris                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackie Esmonde                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Avocate

Toronto (Ontario) 

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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