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Date : 20070330

Dossier : IMM-2747-06

Référence : 2007 CF 346

Vancouver (Colombie-Britannique), le 30 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE :

KHALED ABD ELMOHSEN ELMAGRABY

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a rejeté la demande d’ERAR présentée par le demandeur.

 

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de l’agent et renvoyant l’affaire pour nouvelle décision.

 

Le contexte

 

[3]               Le demandeur, Khaled Abd Elmohsen Elmagraby, est citoyen égyptien. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) qu’il a joint à sa demande d’ERAR, il a décrit les circonstances à l’origine de sa demande d’asile.

 

[4]               Le demandeur affirme avoir été détenu et torturé en novembre 1996 parce qu’il était membre actif de sa communauté musulmane. Sa famille, qui craignait pour sa sécurité, lui a obtenu un emploi sur un navire en partance pour la Jordanie. Le demandeur a déclaré que son superviseur lui faisait faire du travail supplémentaire parce qu’il priait pendant qu’il se trouvait à bord du navire. Il a affirmé que son superviseur l’avait menacé et savait qu’il avait déjà été détenu. Le demandeur a quitté le navire et a été encore une fois arrêté et torturé. Il a trouvé du travail sur un autre navire en octobre 1998, et il a été battu par l’équipage et obligé de faire du travail supplémentaire. Le 20 novembre 1998, son navire est arrivé à Québec. Le demandeur a été menacé par l’équipage qui lui a dit de quitter le navire, ce qu’il a fait. Il s’est rendu à Montréal et a trouvé une mosquée où on lui a dit de ne parler à personne de sa situation, car il risquerait d’être expulsé.

 

[5]               Le demandeur a présenté une demande d’asile quatre ans plus tard, en mai 2002, et une audience a été tenue le 6 novembre 2002. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Section de la protection des réfugiés) lui a refusé la qualité de réfugié dans une décision datée du 18 novembre 2002. La Commission a estimé que le demandeur n’était pas crédible. L’autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision de la Commission a été refusée le 11 avril 2003. Le demandeur a ensuite présenté une demande d’ERAR en janvier 2006. Il n’y a pas d’entrevue à l’égard de cette demande.

 

[6]               Le demandeur a soutenu dans les observations qu’il a présentées lors de l’ERAR qu’il craignait d’être persécuté par les autorités, qui le soupçonnaient de participer aux activités de musulmans extrémistes. Il a expliqué que ce soupçon découlait du fait qu’il fréquentait sa mosquée locale et la communauté musulmane. Il a déclaré avoir été torturé par des membres de la mosquée et par les autorités égyptiennes qui l’accusaient d’être membre du Jamaat, une organisation antigouvernementale. Il craignait que sa qualité de membre actif de sa communauté musulmane ne l’expose à un risque. Il a déclaré que le gouvernement le ciblerait et que sa vie serait en danger.

 

[7]               La demande d’ERAR du demandeur a été rejetée dans une décision datée du 24 mars 2006. Le 24 mai 2006, le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la décision rendue lors de l’ERAR. Le 5 juin 2006, la Cour fédérale a sursis à l’exécution du renvoi du demandeur du Canada jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la présente demande de contrôle judiciaire. Il s’agit en l’espèce du contrôle judiciaire de la décision de l’agent.

 

Les motifs de l’agent

 

[8]               L’agent a décidé que le demandeur ne serait pas exposé au risque d’être persécuté, d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités, s’il était renvoyé en Égypte.

 

[9]               Le demandeur a fourni des observations écrites décrivant le risque qu’il courait et il a fait référence au rapport de 2004 du Département d’État sur l’Égypte. L’agent a lu les rapports de 2004 et 2005 du Département d’État concernant l’Égypte, dans lesquels il était question des abus commis par la police, de la torture des détenus, de la corruption de la police et du mauvais dossier du gouvernement en matière de droits de la personne. L’agent a toutefois conclu que le demandeur n'avait pas fourni de preuve concernant les problèmes de crédibilité mentionnés par la Commission. En vertu de l’article 113 de la LIPR, les demandeurs à qui la qualité de réfugié a été refusée ne peuvent présenter que de nouveaux éléments de preuve à l’appui de l’ERAR. La preuve n’était pas suffisante pour convaincre l’agent qu’il devait en arriver à une conclusion différente de celle de la Commission.

 

[10]           Dans Kaybaki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 128 A.C.W.S. (3d) 784, 2004 CF 32, la Cour a statué qu’un ERAR n’est pas une seconde audience relative au statut de réfugié étant donné que l’ERAR a pour but d’évaluer les nouveaux risques survenus entre l’audience et la date du renvoi. L’agent a ensuite examiné les conditions dans le pays. L’Égypte est une république où il y a un parti national dominant et un président qui a été réélu pour un cinquième mandat en 2005. L’agent a reproduit une partie de la preuve documentaire qui indiquait que de graves violations des droits de la personne étaient commises en Égypte; cependant, la preuve ne montrait pas qu’il y avait eu une aggravation notable de ces conditions. Les conditions dans le pays ne s’étaient donc pas aggravées de façon significative depuis la décision de la Commission.

 

[11]           L’agent n’a pas conclu qu’il y avait plus qu’une simple possibilité que le demandeur soit exposé à un risque pour un motif reconnu par la Convention ou que le demandeur avait la qualité de personne à protéger. L’agent a reconnu qu’il y avait des cas de torture et de traitements cruels et inusités en Égypte, mais la preuve indiquant que le demandeur ferait l’objet d’un tel traitement était insuffisante pour conclure que cela risquait probablement de se produire.

 

Les questions en litige

 

[12]           Le demandeur a soulevé les questions en litige suivantes à l’audience :

            1.         Lorsque la crédibilité est une question en litige, la tenue d’une audience est‑elle requise?

            2.         L’agent d’ERAR a-t-il mal interprété l’article 113 de la LIPR?

            3.         L’agent d’ERAR a-t-il rendu une décision arbitraire pour ce qui est des changements survenus dans les conditions dans le pays?

 

Les arguments du demandeur

 

[13]           Le demandeur a soutenu que les erreurs de droit commises par l’agent devaient faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, tandis que les erreurs de fait étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Il a allégué que la décision de l’agent, prise dans son ensemble, devait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, (1999) 174 D.L.R. (4th) 193).

 

[14]           Le demandeur a souligné que, même si les conclusions relatives à la crédibilité constituaient l’élément central de la décision de l’agent, ce dernier ne lui a pas accordé d’entrevue. Il a soutenu que l’agent a, par conséquent, violé les règles de la justice naturelle. Il a affirmé que les droits qui lui sont attribués par l’alinéa 113b) de la LIPR ont été violés étant donné qu’il n’y a pas eu d’audience malgré l’existence de questions importantes en ce qui concerne la crédibilité (voir Tekie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 50 Imm. L.R. (3d) 306, 2005 CF 27). Le demandeur a fait valoir que, lorsque les facteurs réglementaires prévus sont présents, le mot « peut » qui figure dans une disposition législative doit être interprété comme s’il avait un sens impératif (voir Bitumar c. Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources) (1986), 4 F.T.R. 98, 38 A.C.W.S. (2d) 87 (C.F. 1re inst.)).

 

[15]           Le demandeur a soutenu que l’agent a commis une erreur en limitant son examen de la demande d’ERAR aux nouveaux éléments de preuve, pris de façon isolée. Il a affirmé que le processus d’ERAR n’est pas censé être appliqué de façon restrictive. Le demandeur a reconnu que l’ERAR n’était pas un appel de la décision de la Commission, mais il a fait valoir que l’examen d’une demande présentée en vertu de l’article 97 de la LIPR ne devrait pas être une simple réitération de la décision de la Commission, sans analyse indépendante. Il a fait remarquer que, dans sa décision, la Commission n’a même pas examiné la partie de sa demande qui était fondée sur l’article 97. Le demandeur a soutenu que l’agent a non seulement refusé d’exercer ses pouvoirs, mais qu’il a violé les règles de la justice naturelle dans son application de l’alinéa 113a) de la LIPR.

 

[16]           Le demandeur a prétendu que l’agent a excédé sa compétence en appliquant un critère trop strict à l’examen de sa demande fondée sur l’article 97 de la LIPR. Il a soutenu que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de l’article 97 et en exigeant qu’il soit établi que le demandeur ferait « probablement » l’objet de mauvais traitements. Il soutient que ce critère est plus exigeant que celui de la « prépondérance des probabilités ».

 

[17]           Le demandeur a soutenu que l’agent a commis une erreur dans les conclusions qu’il a tirées au sujet des conditions dans le pays et des nouveaux éléments de preuve. L’agent a conclu que les conditions en Égypte ne s’étaient pas aggravées depuis 1998. Il a affirmé que rien n’indiquait que l’agent avait consulté d’autres documents que les rapports de 2004 et 2005 du Département d’État et aucune mention n’a été faite au sujet des éléments de preuve concernant 1998. Il a allégué que les conclusions relatives aux conditions dans le pays étaient arbitraires parce qu’elles étaient réfutées par les documents cités, sans qu’une analyse de leur incidence sur la situation du demandeur ait été faite. Le demandeur a affirmé que l’agent a commis une erreur parce qu’il a omis d’examiner s’il avait la qualité de personne à protéger aux termes de l’article 97, compte tenu de ces éléments de preuve pertinents (voir Toro c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1981] 1 C.F. 652 (C.A.)). Le demandeur a fait valoir que l’analyse de l’agent constituait également une violation de son droit à des motifs écrits (voir Baker, ci-dessus).

 

Les arguments du défendeur

 

[18]           Le défendeur a fait remarquer que la plupart des demandes d’ERAR sont tranchées en fonction des observations écrites. Il a soutenu que les audiences sont réservées aux cas exceptionnels, où les facteurs réglementaires indiquent qu’une audience est nécessaire. Le défendeur a affirmé que les facteurs énumérés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), sont cumulatifs. Il a fait valoir que, même si l’agent a mentionné les conclusions que la Commission a tirées quant à la crédibilité, cela n’a pas eu pour effet de donner au demandeur le droit à une audience (voir Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 256 F.T.R. 53, 2004 CF 872).

 

[19]           Le défendeur a soutenu que l’ERAR n’était pas une seconde audience relative au statut de réfugié. Il a affirmé que le demandeur n’a pas démontré qu’il y avait eu, dans sa situation personnelle ou dans les conditions dans le pays, des changements qui l’exposaient à un danger (voir Kaybaki, ci‑dessus). Le défendeur a fait valoir qu’il était loisible à l’agent de se fier aux conclusions de la Commission (voir K.G. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 137 A.C.W.S. (3d) 1012, 2005 CF 176). Il a prétendu que le fait de procéder à l’ERAR en se fondant sur les observations écrites respectait les principes de la justice fondamentale (voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1).

 

[20]           Le défendeur a soutenu que la décision de l’agent montrait qu’il avait analysé les questions en litige pertinentes et examiné les éléments de preuve (voir Augusto c. Canada (Solliciteur général) (2005), 139 A.C.W.S. (3d) 349, 2005 CF 673). Il a affirmé que de l’agent a fait une distinction avec les éléments de preuve postérieurs à l’audience et a examiné s’ils étaient suffisants pour satisfaire au critère applicable en matière de protection en vertu de la LIPR.

 

[21]           Le défendeur a prétendu que l’agent a appliqué le critère de risque approprié à la demande du demandeur. Il a soutenu qu’aucune règle de droit ne permettait d’affirmer que le critère fondé sur le mot « likely » (probable) était différent de celui fondé sur l’expression « more likely than not » (plus probable que). Le défendeur a affirmé que, même si la décision ne traitait pas de façon séparée des risques en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR, cela ne constituait pas une erreur susceptible de contrôle. Il a affirmé que, lorsque les faits sur lesquels repose chaque demande sont identiques, le décideur n’est pas tenu d’analyser séparément chacun de ces articles (voir Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 130 A.C.W.S. (3d) 1002, 2004 CF 635). Le défendeur a fait valoir que le demandeur ne faisait que soumettre de nouveau sa preuve et invitait la Cour à apprécier de nouveau les éléments de preuve dont disposait l’agent. Il a soutenu que la Cour ne devrait pas procéder ainsi (voir Mekolli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (9 septembre 2003), IMM‑4974‑03 (C.F. 1re inst.)).

 

Analyse et décision

 

La norme de contrôle

 

[22]           Le juge Mosley a appliqué l’approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable à une décision concernant l’ERAR dans Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 272 F.T.R. 62, 2005 CF 437, et il a conclu ce qui suit au paragraphe 19 :

Ayant rassemblé et souspesé tous ces facteurs, je conclus que, dans le cas du contrôle judiciaire des décisions relatives à l’ERAR, la norme de contrôle applicable aux questions de fait devrait être, de manière générale, celle de la décision manifestement déraisonnable; la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit, celle de la décision raisonnable simpliciter, et la norme applicable aux questions de droit, celle de la décision correcte. Les positions prises par mes collègues concernant d’autres décisions relatives à l’ERAR confirment mes conclusions.

 

 

Je souscris à la conclusion du juge Mosley et j’appliquerai les normes pertinentes aux questions en litige en l’espèce.

 

[23]           Je me propose de commencer par examiner la question 3.

 

[24]           Question 3

            L’agent d’ERAR a-t-il rendu une décision arbitraire au sujet des changements survenus dans les conditions dans le pays?

            À la page 3 de ses notes au dossier, l’agent a écrit notamment :

[traduction] […] Je conclus que le demandeur n’a pas présenté une preuve suffisante pour me convaincre d’en arriver à une conclusion différente de celle de la SPR. Je conclus également que les conditions ne se sont pas aggravées de façon significative en Égypte depuis la décision de la SPR.

 

[…]

 

Suivant l’alinéa 113a) de la LIPR, le demandeur dont la demande d’asile a été rejetée ne peut présenter que de nouveaux éléments de preuve. Les nouveaux éléments de preuve présentés sont insuffisants. J’ai lu la décision de la Section de la protection des réfugiés concernant le demandeur ainsi que la demande et les observations relatives à l’ERAR. Étant donné que j’ai conclu que les nouveaux éléments de preuve présentés étaient insuffisants et qu’aucun changement en matière de risque n’a été établi, je vais évaluer les conditions générales dans le pays […]

 

L’agent a ajouté à la page 4 de ses notes au dossier :

[traduction] La preuve documentaire actuelle fait état de graves problèmes de droits de la personne en Égypte, mais je ne considère pas qu’elle montre qu’il y a eu une aggravation notable des conditions dans le pays. Je n’estime pas que les conditions se sont aggravées depuis l’audience relative au statut de réfugié du demandeur.

 

[25]           La décision de la Commission est datée du 18 novembre 2002 et l’audience a eu lieu le 6 novembre 2002. La Commission n’a fait référence qu’une seule fois à la preuve documentaire et elle a dit :

[traduction] La preuve documentaire mentionne notamment à la rubrique religion :

 

D’après la Constitution, l’islam est la religion officielle de l’État et la principale source des lois […]

 

Ni la Constitution, ni les Codes civil et pénal n’interdisent le prosélytisme […]

 

La Constitution oblige les écoles à donner une instruction religieuse. Les écoles publiques et privées fournissent une instruction religieuse correspondant à la confession des élèves.

 

Par conséquent, le tribunal conclut encore une fois que le demandeur a inventé une histoire de persécution et de torture peu convaincante, compte tenu du fait qu’il est musulman pratiquant dans un pays musulman.

 

La décision de la Commission ne fait aucune référence aux conditions dans le pays en novembre 2002.

 

[26]           La preuve documentaire mentionnée par l’agent d’ERAR donne une image très différente des conditions en Égypte en 2004. À titre d’exemple, le rapport de 2004 du Département d’État des États‑Unis contient les passages suivants que l’on trouve aux pages 36 à 38 et 41 du dossier du tribunal :

[traduction] Le gouvernement a respecté les droits de la personne dans certains domaines; cependant, son dossier est mauvais et il demeure de graves problèmes dans de nombreux secteurs. Les citoyens n’ont pas vraiment le pouvoir de changer de gouvernement. Le recours à des tribunaux militaires pour juger les civils et à des tribunaux d’exception pour juger des affaires politiques va à l’encontre du droit constitutionnel des accusés à un procès équitable devant un tribunal indépendant. La Loi d’urgence de 1981, dont l’application a été prolongée en février 2003 pour trois années de plus, continue de restreindre de nombreux droits fondamentaux. Les forces de sécurité continuent de maltraiter et de torturer les prisonniers, d’arrêter et de détenir de façon arbitraire les citoyens et de garder les accusés en détention préventive prolongée, et ils effectuent à l’occasion des arrestations massives. La police locale tue, torture et maltraite aussi bien les personnes soupçonnées de crime que les autres. La police continue d’arrêter et de détenir les homosexuels. Le gouvernement restreint partiellement la liberté de presse et restreint, de façon significative, la liberté de réunion et d’association. Le gouvernement a apporté certaines restrictions à la liberté de religion […]

 

a. Privation arbitraire et illégale de la vie

 

Aucun meurtre pour des motifs politiques n’a été signalé; cependant, au cours de l’année, des organismes de défense des droits de la personne et la presse ont indiqué que dix personnes au moins étaient décédées au cours de leur détention dans des postes de police ou des prisons.

 

En juin, l’Organisation égyptienne pour les droits de la personne a publié un rapport intitulé « La torture : un phénomène incontrôlé » dans lequel elle a décrit 41 cas de torture dans des postes de police qui ont entraîné le décès de 15 détenus entre avril 2003 et avril 2004. Cette organisation a également affirmé qu’entre avril 1993 et avril 2004, elle avait recueilli des données sur 412 cas de torture dans des postes de police, dont 120 cas où les détenus sont décédés en conséquence directe de la torture.

 

[…]

 

La Constitution interdit d’infliger « un préjudice physique ou moral » aux personnes arrêtées ou détenues; cependant, la torture et le mauvais traitement des détenus par la police, le personnel de sécurité et les gardes de prison demeurent un phénomène courant qui perdure. D’après le Comité des Nations Unies sur la torture, les forces de sécurité pratiquent systématiquement la torture et les tortures infligées par la police ont entraîné des décès pendant l’année (voir la section 1.a.).

 

Malgré ces garanties juridiques, il y a de nombreux rapports crédibles indiquant que les forces de sécurité torturent et maltraitent les détenus. Des groupes de défense des droits de la personne indiquent que le service des enquêtes de sécurité de l’État (SSIS), la police et d’autres organismes gouvernementaux continuent d’avoir recours à la torture pour obtenir des renseignements, obliger les leaders de l’opposition à cesser leurs activités politiques et dissuader d’autres personnes d’exercer ce genre d’activités. Les rapports sur la torture et les mauvais traitements dans les postes de police sont encore fréquents. Dans des affaires bien connues, les accusés ont allégué que des policiers les avaient torturés pendant leur interrogatoire (voir les sections 1.e. et 2.c.). Le gouvernement a fait enquête sur des plaintes de torture dans certaines affaires criminelles et a puni certains agents, mais les peines infligées n’étaient pas en général proportionnelles à la gravité de l’infraction.

 

Parmi les principales méthodes de torture apparemment employées par la police et le SSIS, notons les suivantes : dévêtir les victimes et leur bander les yeux; suspendre les victimes du plafond ou d’un cadre de porte les pieds touchant à peine le sol; frapper les victimes avec les poings, des fouets, des barres de métal ou d’autres objets; donner des chocs électriques aux victimes et les arroser avec de l’eau glacée. Les victimes rapportent fréquemment avoir fait l’objet de menaces et avoir été contraintes de signer des papiers en blanc susceptibles d’être utilisés contre elles ou contre leur famille dans le cas où elles se plaindraient par la suite d’avoir été torturées. Certaines victimes, y compris des détenu(e)s et des enfants, ont rapporté avoir fait l’objet d’agressions sexuelles ou avoir été menacées de viol à leur endroit ou à celui de membres de leur famille. Le droit exige que les forces de sécurité tiennent des registres de détention, mais les groupes de défense des droits de la personne ont indiqué que l’absence de tels registres empêche bien souvent en pratique la tenue d’enquêtes sur les plaintes.

 

Des centaines, sinon des milliers de personnes ont été placées en détention administrative ces dernières années en vertu de la Loi d’urgence parce qu’elles étaient soupçonnées de terrorisme ou d’activités politiques. Plusieurs milliers d’autres personnes ont été déclarées coupables et purgeaient des peines relatives à des accusations semblables (voir la section 1.e). Dans une entrevue de juillet 2003 publiée dans Al‑Ahram Weekly, le HRAAP (anciennement le HRCAP) a évalué qu’il y avait environ 15 000 personnes en détention administrative.

 

[27]           Le demandeur a soutenu que les autorités croyaient qu’il fréquentait des extrémistes musulmans. Après avoir examiné l’index des références et la décision de l’agent d’ERAR, je n’ai trouvé aucune référence à la preuve documentaire concernant les conditions en Égypte en novembre 2002. À mon avis, la conclusion de l’agent d’ERAR selon laquelle [traduction] « les conditions dans le pays ne se sont pas aggravées de façon significative en Égypte depuis la décision de la SPR » fait problème. Premièrement, l’agent aurait dû examiner les conditions dans le pays en novembre 2002 avant de conclure que les conditions dans le pays ne s’étaient pas aggravées au moment où la décision relative à l’ERAR a été rendue. La décision de l’agent n’indiquait pas qu’il était au courant des conditions dans le pays en 2002, et les sources citées ne comprenaient pas non plus d’informations à ce sujet. Deuxièmement, le document même qui est cité par l’agent brosse un tableau très différent des conditions dans le pays de celui qui ressort de la décision rendue par la Commission en novembre 2002. Que l’agent n’ait rien des conditions dans le pays en 2002 ou que les conditions mentionnées par la Commission lui aient servi de références, il est clair que le rapport de 2004 du Département d’État mentionné par l’agent n’indiquait pas que les conditions ne s’étaient pas aggravées depuis la date de la décision de la Commission.

 

[28]           J’estime que la décision de l’agent relative aux conditions dans le pays est manifestement déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie.

 

[29]           Compte tenu de ma conclusion sur ce point, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres questions en litige.

 

[30]           Le demandeur m’a demandé de certifier les questions suivantes en tant que questions graves de portée générale :

1.         La tenue d’une audience (entrevue) est‑elle légalement ou constitutionnellement requise en vertu de la LIPR ou du RIPR, dans le cadre d’un examen des risques avant renvoi, lorsque des questions de crédibilité sont en litige?

 

2.         Les « éléments de preuve » à examiner dans le cadre d’un examen des risques avant renvoi doivent‑ils être uniquement de « nouveaux éléments de preuve » ou l’ERAR est‑il engagé seulement par de « nouveaux éléments de preuve », mais une fois engagé, tous les éléments de preuve peuvent‑ils être examinés dans le cadre de cet examen?

 

3.         Le critère de l’« éventualité » (« likely to happen ») est‑il plus exigeant que celui de la « prépondérance des probabilités » (« more likely than not )?

 

 

[31]           Le défendeur s’est opposé à la certification des questions précédentes.

 

[32]           Je ne suis pas disposé à certifier ces questions.


 

JUGEMENT

 

[33]           LA COUR STATUE :

            1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission pour nouvelle décision.

            2.         Aucune des questions proposées ne sera certifiée en tant que question grave de portée générale.

 

 

« John A. O'Keefe »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites dans la présente section.

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality et is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence et is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel et unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country et is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, et

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                        IMM-2747-06

 

INTITULÉ :                                                       KHALED ABD ELMOHSEN ELMAGRABY

                                                                        c.

                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               le 13 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                             LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                     le 30 mars 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rocco Galati                                                        POUR LE DEMANDEUR

 

Brad Gotkin                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Galati, Rodrigues & Associates

Toronto (Ontario)                                                POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur générale du Canada                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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