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Date : 20070405

Dossier : IMM-2505-06

Référence : 2007 CF 369 

Ottawa (Ontario), le 5 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

MIKHAIL SKRIPNIKOV,

ZENFIRA SKRIPNIKOV

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[traduction] « La souffrance est permanente, cachée et sombre,

et elle est d’une nature infinie »

(Wordsworth)

 

[1]               Les Skripnikov, Mikhail le mari, Zenfira l’épouse et Denis leur fils de deux ans, ont émigré d’Ouzbékistan à Israël en 1997. Bien que Zenfira était une chrétienne pratiquante, les Skripnikov ont eu le droit d’émigrer du fait que la mère de Zenfira était juive. D’après leur témoignage, ils n’ont pas été bien traités en Israël. La majorité de la population a fait preuve de discrimination à leur égard du fait qu’ils étaient Russes et chrétiens. Ils n’étaient pas non plus acceptés par la communauté chrétienne. Leur fils a connu des difficultés à la garderie du fait qu’il n’était pas circoncis.

 

[2]               En 2001, les demandeurs ont envoyé leur fils chez sa grand-mère en Ouzbékistan pour une visite. Tragiquement, il est tombé d’un balcon situé au quatrième étage et est décédé.

 

[3]               Les demandeurs sont venus au Canada et ont présenté une demande d’asile. Ils ont dit qu’ils avaient quitté l’Ouzbékistan en raison d’un antisémitisme grave, et parce qu’ils avaient été humiliés et victimes de violence physique. Ils n’ont pas non plus été acceptés en Israël. Leur demande a été rejetée et leur demande d'autorisation et de contrôle judiciaire visant cette décision l’a aussi été.

 

[4]               Les demandeurs ont alors présenté une demande d’établissement fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée mais fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[5]               Le fondement des arguments invoqués par les Skripnikov est qu’après la mort tragique de leur fils, ils ont cherché réconfort dans la religion en raison de la dépression et de l’anxiété dont ils souffraient. Toutefois, ni la communauté chrétienne, ni la communauté juive d’Israël ne les a acceptés. La dépression et l’anxiété avaient compromis leur mariage. Ils voulaient entreprendre un nouveau départ au Canada.

 

[6]               L’agent d’immigration était d’avis que les demandeurs ne seraient pas exposés à des difficultés inhabituelles s’ils étaient renvoyés en Israël ou à Ouzbékistan et si de là, ils présentaient une demande en règle de résidence permanente au Canada.

 

[7]               L’agent a tenu compte de l’état mental, émotionnel et médical de Mme Skripnikov, et du traitement de son trouble de stress post-traumatique prévu par le médecin, ainsi que des propositions quant au counseling individuel et familial.

 

[8]               L’agent d’immigration a exprimé trois préoccupations dans ses motifs. Il a dit avoir demandé une mise à jour concernant les traitements contre la dépression et l’anxiété suivis par Mme Skripnikov et ne pas l’avoir reçue. Il a donc conclu que ces traitements n’étaient plus en cause.

 

[9]               Ni le certificat de décès de Denis, ni son certificat de naissance, n’indique la paternité. L’agent a affirmé : [traduction] « Je ne suis pas convaincu que cet enfant soit l’enfant biologique des demandeurs. »

 

[10]           Pour ce qui est de l’argument selon lequel les demandeurs avaient trouvé réconfort dans la religion au Canada et qu’ils ne pourraient trouver tel confort en Israël, l’agent a indiqué que ces derniers ne lui avaient pas fourni la preuve suffisante pour établir qu’ils n’étaient pas acceptés par les communautés juive et chrétienne là-bas.

 

[11]           L’agent a conclu en affirmant : [traduction] « Par conséquent, après avoir évalué tous les renseignements en ma possession, M. et Mme Skripnikov ne m’ont pas convaincu qu’il existe suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier une renonciation aux exigences prévues par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ».

 

[12]           Les demandeurs ont alors appris qu’ils devaient se présenter pour leur renvoi. Ils ont tenté d’obtenir un sursis, mais celui-ci ne leur a pas été accordé au motif qu’il n’y avait aucune preuve de préjudice irréparable. L’avocat a indiqué à la Cour que les demandeurs sont en Israël à l’heure actuelle.

 

ARGUMENTS PRÉSENTÉS PAR LES SKRIPNIKOV

[13]           Les Skripnikov soutiennent qu’ils ont acquiescé à la demande de l’agent d’immigration concernant la mise à jour au sujet de la santé mentale de Zenfira. Ils allèguent que la décision doit être annulée au motif qu’elle a été prise à la lumière d’un dossier incomplet.

 

[14]           Quant à leur fils Denis, les demandeurs avaient juré qu’il était leur enfant et avaient fourni un formulaire de certificat de décès provenant du Ouzbékistan. Le formulaire ne prévoyait aucun endroit où indiquer le nom des parents du défunt. Si l’agent d’immigration avait fait part de ses préoccupations aux demandeurs, ces derniers lui auraient fourni des documents supplémentaires, comme ils l’ont fait pour la présente Cour.

 

[15]           Les demandeurs n’ont pas mis l’accent sur la facilité de pratiquer leur religion au Canada, par rapport à Israël, mais allèguent qu’un ou l’autre des deux premiers motifs justifie l’annulation de la décision.

 

LA CAUSE DU MINISTRE

[16]           Essentiellement, le ministre soutient que n’importe laquelle des trois préoccupations exprimées par l’agent d’immigration était suffisante pour rejeter la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. En ce qui a trait à la mise à jour concernant l’état de santé de Zenfira, l’analyse minutieuse de l’avocat révèle qu’il est impossible que certains rapports médicaux à jour, si non tous, aient été mis dans l’enveloppe envoyée à Citoyenneté et Immigration Canada. Les dates ne sont tout simplement pas cohérentes.

 

[17]           Pour ce qui est de savoir si Denis était leur fils, il a été souligné que le fardeau de preuve reposait sur les Skripnikov qui devaient établir le bien-fondé de leur prétention. L’agent d’immigration a évalué la preuve et a conclu qu’elle était insuffisante. La Cour ne devrait pas intervenir.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[18]           La première question est de déterminer le degré de retenue que la Cour doit exercer à l’égard de l’agent d’immigration. Il a été établi par la Cour suprême dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 que, de façon générale, la norme de contrôle judiciaire qui doit être appliquée aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, les conclusions de fait, contrairement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, sont généralement évaluées en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (QL); (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanaratnam, 2005 C.A.F. 122.

 

[19]           Cependant, les affaires relatives à l’équité procédurale nécessitent un examen au-delà de la méthode pragmatique et fonctionnelle appliquée au contrôle judiciaire, comme certains arrêts l’indiquent dont Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226 et Barreau du Nouveau-Brunswick  c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247. À ce titre, la Cour n’a à faire preuve d’aucune retenue envers l’agent d’immigration (S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539). Autrement dit, pour être maintenue, la décision sous-jacente doit être correcte (Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 C.A.F. 404).

 

DISCUSSION

[20]           Le trouble de stress post-traumatique et la dépression dont souffre Mme Skripnikov ne peuvent pas être dissociés de la mort de son fils Denis. L’agent n’a pas pleinement évalué si la mort d’un enfant devrait constituer un motif d’ordre humanitaire et appuyer le déménagement dans un autre pays, avec lequel les demandeurs n’avaient aucun lien quelconque, car il n’était même pas convaincu qu’ils avaient un enfant.

 

[21]           Avec respect, il ne s’agit pas simplement d’une affaire où il faut évaluer la preuve. En omettant de faire part de ses préoccupations aux Skripnikov, l’agent d’immigration a manqué à un principe d’équité procédurale et, selon toute vraisemblance, a tiré une conclusion de fait erronée, de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait. Cette omission et cette erreur justifient qu’une mesure soit prise conformément au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[22]           Il existe une présomption réfutable selon laquelle les Skripnikov disaient la vérité (Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.F.)). Le certificat de décès n’était pas contradictoire à ce que disaient les Skripnikov. Il n’y avait personne d’autre identifiée comme étant les parents de Denis. Si l’agent d’immigration avait des doutes, c’était son devoir de faire part de ses préoccupations aux Skripnikov, pour leur permettre de répondre à ces dernières de façon utile. Les principes de justice naturelle exigent qu’une personne soit informée de la preuve qu’elle devra réfuter et qu’elle ait l’occasion de le faire (Adegbayi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 C.F. 1348; Khwaja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 C.F. 522, [2006] A.C.F. no 703 (QL); Guo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 C.F. 626, [2006] A.C.F. no 795 (QL)).

 

[23]           Ce motif est en soi suffisant pour accueillir la demande de contrôle judiciaire. Cependant, l’allégation selon laquelle la décision a été prise à la lumière d’un dossier incomplet mérite d’être examinée. Une décision prise à la lumière d’un dossier incomplet constitue un déni de justice naturelle (Pramauntanyath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 C.F. 174).

 

[24]           M. Skripnikov a juré que le 10 novembre 2005, ou vers cette date, plusieurs mois avant que la décision ne soit rendue, il a mis à la poste une lettre à jour du médecin, en date du 9 novembre 2005, et d’autres documents à l’appui, notamment la preuve de paiement des frais du gouvernement au montant de 1 950 $.

 

[25]           Une enveloppe affichant deux timbres de Postes Canada datés à la machine, un en date du 7 novembre 2005 et l’autre en date du 8 novembre 2005, figure au dossier du tribunal, lequel contient également un reçu au montant de 1 950 $, payé à une banque le 4 novembre 2005, portant un cachet de réception de Citoyenneté et Immigration en date du 9 novembre. Toutefois, la lettre du médecin est introuvable.

 

[26]           M. Skripnikov a joint comme pièce à son affidavit une copie de la lettre du médecin et des notes qui confirment l’assiduité. La lettre est en date du 9 novembre 2005. Est-ce possible qu’il y ait eu livraison par courrier recommandé le même jour, étant donné que le reçu qui se trouvait apparemment dans la même enveloppe a été reçu par Citoyenneté et Immigration Canada ce jour‑là? De plus, des mises à jour pour les mois de janvier, mars, mai et juin 2006 se trouvaient dans la lettre. Il était impossible que ces mises à jour se trouvent dans l’enveloppe. Toutefois, il y avait d’autres rapports d’assiduité, sous la même forme, qui portaient une date antérieure à celle de la lettre du médecin. Il est possible que M. Skripnikov n’ait pas attentivement séparé les anciens documents des nouveaux.

 

[27]           Il m’est venu à l’esprit, tel qu’exprimé lors de l’audience, que si la demande de contrôle judiciaire était accueillie, j’aurais peut-être à donner une directive voulant que la lettre du médecin, en date du 9 novembre 2005, ne soit pas prise en compte. Cependant, j’ai réalisé que j’agirais ainsi de la même façon que l’agent d’immigration : je me serais posé des questions, mais je n’aurais pas donné l’occasion aux Skripnikov d’y répondre. La présente demande de contrôle judiciaire est donc accueillie, sans cette restriction.

 

[28]           Les parties et la Cour conviennent qu’il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

 

 

 

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE QUE :

a.                   La demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

b.                  L’affaire soit renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il statue à nouveau sur elle.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B, trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2505-06

 

INTITULÉ :                                       MIKHAIL SKRIPNIKOV,

                                                            ZENFIRA SKRIPNIKOV

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 27 MARS 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 5 AVRIL 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart Kaminker

 

POUR LES DEMANDEURS

Michael Butterfield

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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