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Date : 20070413

Dossier : IMM-677-07

Référence : 2007 CF 383

ENTRE :

CLEIDINA RODRIGUES LIMA

                                                                                                                                    demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                           défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

 

INTRODUCTION

 

[1]               Dans une requête déposée le 28 mars 2007, la demanderesse a sollicité, en vertu de l’article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, un sursis provisoire à l'exécution de la mesure de renvoi la visant, en attendant la décision définitive relative à sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision rendue le 1er février 2007, par laquelle le tribunal a rejeté la demande de droit d’établissement de la demanderesse présentée au Canada, laquelle était fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et, en particulier, sur l’intérêt supérieur de sa fille qui serait directement touchée si la demanderesse devait quitter le Canada ou si elle était involontairement renvoyée du Canada.

[2]               Le renvoi de la demanderesse aux États-Unis d’Amérique avait été fixé au 5 avril 2007. L’audience relative à la requête de la demanderesse s’est tenue à Toronto le 3 avril 2007 en après‑midi. Immédiatement au terme de l’audience, une ordonnance accordant un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi a été rendue.

 

CONTEXTE

[3]               La demanderesse est citoyenne du Brésil. Elle et son mari sont arrivés au Canada le 9 février 1996, et ils ont immédiatement présenté des demandes d’asile. Étant donné qu’ils sont entrés au Canada sans visa de résident permanent, ils ont été interdits de territoire et des mesures d’interdiction de séjour conditionnelle ont été prises contre eux. La demanderesse a donné naissance à sa fille au Canada, le 5 août 1996.

 

[4]               Les demandes d’asile de la demanderesse et de son mari ont été rejetés le 13 janvier 1997. En conséquence, les mesures d’interdiction de séjour conditionnelle qui avaient été prises contre eux sont devenues exécutoires. La demanderesse et son mari ont fait une demande d’établissement au Canada dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (la CDNRSRC). Ils ont demandé des permis de travail en attendant le traitement de leur demande dans la CDNRSRC.

 

[5]               La demanderesse a obtenu un permis de travail le 9 juin 1997. La demande relative à la CDNRSRC a été rejetée le jour suivant.

 

[6]               La demanderesse et son mari ne se sont pas présentés pour leur renvoi qui avait été fixé au 29 juillet 1997.  En conséquence, les mesures d’interdiction de séjour prises contre eux sont devenues des mesures d’expulsion, et des mandats ont été lancés aux fins de leur arrestation.

 

[7]               Le 16 octobre 2000, le défendeur a reçu de la part de la demanderesse et de son mari une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée le 30 janvier 2003.

 

[8]               Le 2 janvier 2002, le mari de la demanderesse a été arrêté et il a été renvoyé du Canada le lendemain. Il n’a pas informé le défendeur du lieu où se trouvait la demanderesse. 

 

[9]               Le 3 janvier 2003, la demanderesse a reçu une trousse de demande d’examen des risques avant renvoi (un ERAR), probablement de la part de l’avocate qui les avait représentés, son mari et elle, dans le cadre de leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La demanderesse a présenté une demande d’ERAR le 24 janvier 2003 par l’entremise de son avocate. Dans la décision rendue le 22 septembre 2003 concernant cette demande, il a été décidé que la demanderesse ne risquerait pas d’être exposée à la persécution, à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités si elle devait retourner au Brésil. La lettre du défendeur informant la demanderesse de la décision concernant l’ERAR lui est revenue sans avoir été livrée le 22 octobre 2003.

 

[10]           Le 10 octobre 2006, la demanderesse a déposé, par l’entremise de son avocate, une nouvelle demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La preuve à l’appui de la demande mettait principalement l’accent sur le fait que la demanderesse et sa fille de onze ans s’étaient établies au Canada et, par conséquent, reposait en partie sur l’intérêt supérieur de la fille de la demanderesse. La demanderesse et son avocate étaient bien au courant des renseignements donnés par le défendeur qui indiquaient que le délai nécessaire à l’examen de la demande se situerait probablement entre 19 et 20 mois bien que cela puisse être plus long ou, implicitement du moins, moins long. Il semble aussi qu’elles savaient que le défendeur ne s’engageait pas à donner d’avis à des personnes telles que la demanderesse lorsqu’une décision sur la demande était sur le point d’être rendue. La Cour était aussi disposée à présumer que la demanderesse et son avocate savaient fort bien que la responsabilité de la demande incombait à la demanderesse et que celle-ci devait donc « présenter ses meilleurs arguments » en déposant, le plus tôt possible, toute la preuve à l’appui de sa demande. Indépendamment de ce qui précède, le court paragraphe suivant figurait dans la lettre de l’avocate concernant la demande :

[traduction] Lorsque vous serez prêt à examiner la demande, nous vous demandons de nous aviser 30 jours à l’avance pour que nous puissions à ce moment vous présenter nos prétentions et vous faire parvenir des documents à l’appui de celles-ci.

 

 

[11]           La demanderesse et son avocate ont appris avec consternation que la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire avait été rejetée le 1er février 2007. C’est l’avocate qui en avait été avisée au nom de la demanderesse le 2 février 2007. Cette décision défavorable a été rendue moins de quatre mois après le dépôt de la demande. Pendant cette période de moins de quatre mois, la demanderesse s’était efforcée de recueillir un ensemble d’éléments de preuve supplémentaires à l’appui de la demande, lesquels étayaient le problème de déficience intellectuelle de sa fille, sujet qui n’avait pas été abordé dans sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire déposée en octobre 2006. Apparemment, le fonctionnement cognitif, le quotient intellectuel et les capacités d’analyse de la fille de la demanderesse sont limités, et elle a plus particulièrement des problèmes de communication verbale. Elle aurait été placée dans une « classe d’éducation spécialisée » à « intégration partielle » dans le système scolaire régulier. De plus, l’avocate de la demanderesse aurait elle-même rassemblé des éléments de preuve concernant la faible possibilité d’avoir, au Brésil, une éducation adaptée à une personne qui a le handicap prétendu de la fille de la demanderesse.

 

[12]           Le défendeur n’a donné aucun avis à la demanderesse ou à son avocate relativement au fait que la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire serait examinée beaucoup plus rapidement que le délai prévu dans ses programmes d’information publique. 

 

[13]           La demanderesse n’est sortie de la « clandestinité » que le 6 mars 2007 lorsqu’elle s’est rendue au Centre d’exécution de la Loi du Toronto métropolitain où elle a été arrêtée et détenue. Elle a été relâchée le jour même en attendant que les dispositions relatives à son renvoi soient prises. Ces dispositions ont par la suite été prises en charge par la demanderesse qui a planifié son propre renvoi pour se rendre directement au Brésil, apparemment en compagnie de sa fille. 

 

[14]           La décision rendue le 1er février 2007, par laquelle la Cour a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, fait l’objet de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qui est à l’origine de la présente requête en sursis provisoire à l'exécution de la mesure de renvoi.

 

[15]           Tous les éléments de preuve concernant le handicap de la fille de la demanderesse et les incidences que pourraient avoir sur celle-ci le renvoi de la demanderesse, soit seule ou avec sa fille, sont désormais en possession du défendeur dans une nouvelle demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, laquelle représente la deuxième demande de ce type, ou la troisième si l’on tient compte de celle déposée par la demanderesse et son mari il y a quelques années.

 

ANALYSE

[16]           Dans l’état actuel du droit, pour que soit accueillie la requête de la demanderesse en vue d’obtenir un sursis provisoire à l'exécution de la mesure de renvoi en attendant la décision définitive sur sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, comme celle dont la Cour est aujourd’hui saisie, la demanderesse a le fardeau d’établir trois éléments : premièrement, qu’une question sérieuse sera tranchée dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire; deuxièmement, qu’un préjudice irréparable sera directement causé, comme dans la présente affaire, à l’enfant si l’on exécute la mesure de renvoi contre elle, et troisièmement, que la prépondérance des inconvénients la favorise plutôt que le Ministre[1]. De façon similaire, il est de droit constant qu’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est un recours en equity et, de ce fait, il est loisible à la Cour de refuser une réparation dans le cas où le demandeur ne se présente pas devant elle avec une attitude irréprochable.

 

[17]           Certes, en se fondant sur les faits de la présente affaire, la demanderesse ne se présente pas devant la Cour avec une attitude irréprochable car, depuis la fin de juillet 1997, elle fuit une mesure d’expulsion et un mandat d’arrestation. Cela dit, dans les présentes circonstances, j’hésite à faire payer à l’enfant les erreurs de sa mère. Je vais donc procéder à l’examen à trois volets applicable dans le cas d’une requête visant à sursoir à l’exécution d’une mesure de renvoi en me fondant sur une décision dont les faits étaient assez analogues et dans laquelle un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi a été accordée indépendamment du fait que le demandeur n’avait pas adopté une attitude irréprochable[2].

 

[18]           Comme l’indiquent les motifs susmentionnés, la responsabilité dans une requête en vue d’obtenir un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi incombe à la demanderesse et celle‑ci devrait donc présenter ses meilleurs arguments à la première occasion. Néanmoins, tel qu’il a été souligné ci-dessus et admis par le défendeur, il est bien connu que le temps d’attente suivant le dépôt d’une demande d’établissement faite au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire prend plus souvent qu’autrement de nombreux, nombreux mois. Lorsqu’un conflit survient entre le fait de déposer tous les éléments de preuve au moment de la présentation de la demande et celui de déposer la meilleure preuve possible, le demandeur se retrouve devant un dilemme. Il est raisonnable dans un tel cas de déposer les éléments de preuve dont on dispose dans l’immédiat et de continuer avec diligence de recueillir de nouveaux éléments de preuve à l’appui des arguments invoqués. Il est aussi judicieux, dans un tel cas, d’exiger que le défendeur avise le demandeur d’une décision imminente si le délai est totalement incompatible avec le meilleur délai qui avait été prévu par le défendeur.

 

[19]           Étant donné le critère peu rigoureux utilisé pour déterminer si une question sérieuse sera tranchée, je suis convaincu qu’on est devant une question sérieuse, soit celle de savoir si le défendeur a manqué, dans les faits particuliers de la présente affaire, à son obligation d’agir équitablement envers la demanderesse en ne l’avisant pas dans un délai raisonnable d’une décision assez imminente, comme en l’espèce où la décision a été prise moins de quatre mois après la demande, soit une période d’approximativement un cinquième du meilleur délai estimé par le défendeur entre le dépôt de la demande et la décision.

 

[20]           En ce qui concerne la question du préjudice irréparable, la demanderesse ne prétend pas qu’elle subirait ce préjudice si elle était renvoyée aux États-Unis ou au Brésil, mais elle se fonde plutôt sur les nouveaux éléments de preuve dont dispose maintenant le défendeur pour alléguer que sa fille de onze ans subirait un préjudice irréparable en n’ayant plus accès au programme à l’enfance en difficulté de l’Ontario destiné aux enfants souffrant d’un handicap comme celui prétendu dans la présente affaire, et sur la preuve concomitante selon laquelle il n’y aurait qu’une faible possibilité que l’on trouve un programme équivalent au Brésil, sans aucun doute leur destination finale de choix.  En l’absence d’un examen éclairé de la preuve dont dispose désormais le défendeur sur cette question, je suis d’avis que l’intérêt supérieur de la fille de la demanderesse serait compromis si elle et sa mère, ou sa mère seule, seraient actuellement renvoyées. Autrement dit, à défaut d’un examen exhaustif, la fille de la demanderesse pourrait subir un préjudice irréparable.

 

[21]           Enfin, relativement à la question de la prépondérance des inconvénients, il y a des éléments importants qui sont des avantages, ou plutôt des inconvénients, favorables à la demanderesse et à sa fille. Bien qu’il y soit sans aucun doute dans l’intérêt public pour le défendeur et le Ministre de la Sécurité publique et Protection civile de s’acquitter au moins de la seconde responsabilité de ce dernier établie à l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et que cet intérêt public fait pencher la prépondérance des inconvénients en faveur du défendeur, je suis d’avis que cet inconvénient, dans les faits particuliers de la présente affaire, est beaucoup moins importants que celui favorable à la demanderesse et à sa fille.


CONCLUSION

[22]           Pour les motifs qui précèdent, comme je l’ai déjà indiqué au terme de l’audience sur cette requête, j’ai prononcé une ordonnance accordant un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada visant la demanderesse en attendant qu’une décision définitive soit rendue en ce qui concerne la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qui est à l’origine de la présente requête.

 

« Frederick E. Gibson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 13 avril 2007

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-677-07

 

INTITULÉ :                                                                           CLEIDINA  RODRIGUES  LIMA  

 

                                    c.

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 3 AVRIL 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                      LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 13 AVRIL 2007    

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hilary Evans Cameron                                                              POUR LA DEMANDERESSE

 

John Provart                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR       

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)



[1] Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123 (C.A.F.).

[2] Calabrese c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] C.A.F. no 723 (QL) le 23 mai 1996.

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