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Date : 20070412

Dossier : IMM-5303-06

Référence : 2007 CF 385

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

JEREMY DANIEL CLARK-ERSKINE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Clark-Erskine, le demandeur, est un citoyen des États-Unis qui s’est évadé d’une prison de ce pays. Il a déposé une demande d’asile six semaines après avoir été arrêté au Canada pour possession de faux documents, de faux passeports, ainsi que pour recel. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande d’asile.  Un des aspects essentiels de cette décision est la conclusion relative à la protection de l’État et à l’absence « de traitements ou peines cruels et inusités » infligés par des agents américains, en particulier par des agents de correction de l’État.

 

I.          CONTEXTE

[2]               Le demandeur a un lourd casier judiciaire autant aux États-Unis qu’au Canada. Les crimes sont de nature frauduleuse ou commis par supercherie. Il a prétendu avoir été victime de violence et battu, et aussi avoir été empêché de prendre ses médicaments psychiatriques lors de son incarcération dans une prison d’État de l’Indiana. Le demandeur souffre d’épilepsie et de trouble bipolaire.

 

[3]               La Commission a jugé que les divers crimes commis par le demandeur, dont son évasion de prison, n’étaient pas suffisamment graves pour justifier l’application de l’alinéa 1(F)b) de la Convention des Nations Unis relative au statut des réfugiés, et pour rejeter sa demande.

 

[4]               En ce qui concerne les conditions carcérales aux États-Unis, la Commission a conclu que celles-ci peuvent être dures au point d’être inacceptables et que les situations où des prisonniers sont maltraités sont malheureusement trop courantes. Malgré cette conclusion, la Commission a jugé que le demandeur d’asile bénéficiait d’une protection de l’État adéquate.

 

[5]               La Commission a ajouté qu’en ce qui concerne la prétention fondée sur l’article 97, les mauvais traitements que le demandeur d’asile a subis en prison lui ont été en partie infligés par d’autres détenus et en partie par « le personnel de l’établissement ».  Étant donné que le seul établissement impliqué est la prison d’État de l’Indiana, la référence laisse entendre que l’État a participé aux mauvais traitements.

 

[6]               La Commission a ensuite conclu qu’il existait une protection de l’État adéquate pour traiter, par l’intermédiaire de l’ombudsman, de son conseil (généralement un défenseur public) et de nombreux organismes de défense des droits de la personne, les questions de violence infligée par des fonctionnaires.

 

[7]               Un thème qui est souvent revenu dans la plaidoirie du demandeur est que les conditions carcérales dans lesquelles ils vivaient, lui et les autres atteints de problèmes physique ou psychiatrique, étaient tellement précaires qu’elles constituaient un traitement cruel et inusité. En ce qui concerne la prétention selon laquelle il aurait subi de la torture et un traitement cruel et inusité, la Commission a seulement conclu que, en tant que peine infligée pour des infractions criminelles, l’incarcération n’est ni cruelle ni inusitée.

 

II.         ANALYSE

[8]               Le demandeur a soulevé quelques questions dont les suivantes : A-t-il été stigmatisé ou victime de persécution? La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en concluant à l’absence de torture ou de traitement ou peine cruel et inusité? A-t-elle commis une erreur en concluant à l’existence de la protection de l’État? Étant donné que l’affaire peut être jugée sur le fondement de l’équité procédurale et qu’elle fera l’objet d’une nouvelle audition, aucun commentaire ne sera fait sur ces autres questions.

 

[9]               Le jour de l’audience, le demandeur avait l’intention de produire au moins un témoin de la Schizophrenia Society of Alberta. Étant donné qu’il croyait que le témoin n’arriverait pas à temps à l’audience, le demandeur a informé la Commission, lors de la conférence préparatoire ayant immédiatement précédée, qu’il ne ferait entendre aucun témoin.

 

[10]           Lorsque l’audience de la Commission a été ouverte au public, le témoin du demandeur était présent. La Commission a refusé d’entendre ce dernier puisque le demandeur avait indiqué qu’il ne produirait aucun témoin. À la fin de l’audience, la Commission a permis au témoin de parler brièvement, mais elle a précisé qu’elle ne pourrait pas tenir compte de ses commentaires lorsqu’elle rendrait sa décision.

 

[11]           En toute déférence envers la Commission, la décision de ne pas entendre le témoin constitue un manquement évident à la justice naturelle et à l’équité procédurale. Les motifs ayant empêché ce témoignage ont été expliqués, l’arrivée du témoin était inattendue et il était injuste de refuser qu’il dépose en raison d’une erreur du demandeur qui ne savait que son témoin serait présent.

 

[12]           Le défendeur n’asoulevé aucune question relative à un préjudice et on ne peut trouver aucun autre motif légitime pouvant expliquer le refus d’entendre ce témoignage. Il s’agissait d’un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire, surtout si l’on prend en considération le fait que la Commission a permis au témoin de parler tout en refusant, avant d’entendre ce que celui-ci avait à dire, de tenir compte de ses commentaires.

 

[13]           Le défendeur reconnaît qu’il y a eu manquement à la justice naturelle, mais il soutient que ce témoignage n’aurait rien changé étant donné que le témoin est à l’emploi de la Schizophrenia Society of Alberta et que le demandeur n’est pas schizophrène. Il soutient que le manquement à la justice naturelle n’aurait rien changé, que la décision aurait été la même et que la conclusion est inéluctable.

 

[14]           La faiblesse de la position du défendeur est que le témoin a indiqué, dans un affidavit déposé dans le cadre du contrôle judiciaire, qu’il voulait témoigner au sujet de la nature des troubles bipolaires, de l’efficacité de la médication dans le traitement de ce trouble et de l’état de la situation des personnes atteintes de trouble mentaux dans les prisons du Canada et des États-Unis. Tous ces sujets sont susceptibles d’être pertinents en ce qui concerne les allégations de mauvais traitements que le demandeur affirme avoir subis dans la prison d’État de l’Indiana.

 

[15]           Contrairement aux décisions Gonzalez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1991] A.C.F. no 408 (QL) et Konadu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1991] A.C.F. no 330 (QL), il est impossible de conclure que la cause du demandeur est sans espoir et que le manquement à la justice naturelle devrait être ignoré au motif que la conclusion serait inévitablement le rejet de la demande de protection. Tel qu’il a été souligné dans l’arrêt Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada─Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202 dans lequel la conclusion était inéluctable, il y a peu de causes dans lesquelles un manquement à la justice naturelle peut ou, plus important encore, doit être ignoré.

 

[16]           En concluant que la cause n’est pas assez faible pour être sans espoir, la Cour ne suppose pas que la cause est bien-fondée (même si cela relevait de sa compétence) et elle ne suppose pas non plus que les autres conclusions de la Commission sont nécessairement erronées. Cependant, lorsqu’il y a manquement à la justice naturelle et absence d’une démonstration claire que le fait de statuer à nouveau sur l’affaire ne serait qu’un exercice sur la forme plutôt que sur le fond, la Cour devrait favoriser le respect de l’équité procédurale.

 


III.       CONCLUSION

[17]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la Commission sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur elle.

 

[18]           Le demandeur s’est représenté lui-même et il s’en est bien sorti. Il est admis que le demandeur souffre d’un trouble bipolaire dont une caractéristique commune est de rendre la personne antisociale ou d’entraîner un comportement inapproprié. La Cour n’a pas le pouvoir de désigner un avocat pour le compte du demandeur, mais elle a bon espoir que les responsables de l’aide juridique de l’Alberta seront prêts à prendre en considération une nouvelle demande en vue de la désignation d’un avocat pour le défendre.

 

[19]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 

 


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la Commission soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur elle.

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5303-06

 

INTITULÉ :                                                   JEREMY DANIEL CLARK-ERSKINE

 

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 AVRIL 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 12 AVRIL 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeremy Daniel Clark-Erskine

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Camille Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Le demandeur s’est représenté lui-même

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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