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Date : 20070417

Dossier : IMM-892-07

Référence : 2007 CF 397

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAX TEITELBAUM

 

ENTRE :

ASHRAF EBADI GHAVIDEL

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi fixée à l’origine au 11 mars 2007 et qui a été différée temporairement jusqu’à l’issue du présent jugement. La demande sous-jacente au présent contrôle judiciaire est une décision rendue le 22 février 2007 relativement à un examen des risques avant renvoi (un ERAR).

 

[2]               La demanderesse, citoyenne de l’Iran, est venue au Canada en septembre 2002 pour visiter son fils qui est citoyen canadien.

 

 

[3]                Le 14 février 2003, elle a déposé une demande d’asile au motif qu’elle serait exposée à un risque de persécution en raison des activités politiques de son fils en Iran et du fait qu’elle était propriétaire d’un salon de coiffure. Le 6 janvier 2005, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande.

 

[4]               En juin 2005, la demanderesse a présenté une demande d’ERAR au motif qu’elle serait exposée à un risque en raison de son engagement dans l’Église chrétienne. La demanderesse est musulmane de naissance mais elle s’intéresse au christianisme depuis qu’elle vit en Iran. L’agente d’ERAR a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à un risque si celle-ci était renvoyée en Iran et elle a souligné que l’engagement de cette dernière au sein de l’Église chrétienne se limitait à un intérêt général.

 

[5]               Le 26 novembre 2006, la demanderesse a été baptisée à l’église de l’Alliance de Coquitlam en Colombie-Britannique.

 

[6]               Le 12 février 2007, la demanderesse a présenté une seconde demande d’ERAR aux motifs qu’elle est une musulmane convertie au christianisme et qu’elle serait exposée à un risque de violence conjugale.

 

[7]               Cette seconde demande d’ERAR a été rejetée le 22 février 2007. L’agente a conclu qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve à l’appui de l’allégation de la demanderesse selon laquelle celle-ci pourrait être victime de violence conjugale. Quant à l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle serait exposée à un risque en raison de sa conversion au christianisme, l’agente a jugé que la conversion de la demanderesse était sincère, mais elle a conclu que celle-ci n’avait pas fait la preuve qu’elle serait exposée à un risque si elle était renvoyée en Iran.

 

[8]               Pour qu’une demande de sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi soit accordée, le demandeur doit satisfaire au critère à trois volets établi dans l’arrêt Toth c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.) (l’arrêt Toth).

 

[9]               Pour satisfaire au premier volet du critère, la demanderesse doit convaincre la Cour qu’il y a une question sérieuse à juger relativement au second ERAR en établissant qu'il y a au moins une cause défendable découlant des questions soulevées dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sous-jacente (Rahman c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2001] A.C.F. no 106 (QL), Molnar c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2001 CFPI 325 (la décision Molnar)).

 

[10]           La demanderesse a présenté trois arguments en ce qui concerne la question sérieuse à juger :

(1)   l’agente n’a pas respecté l’équité procédurale en refusant d’accorder une entrevue ;

(2)   l’agente n’a pas apprécié correctement la preuve qui lui a été présentée, en particulier la preuve selon laquelle la demanderesse pratiquera sa religion publiquement à son retour en Iran;

(3)   l’agente a rendu sa décision sans tenir compte de la preuve contenue dans l’affidavit d’Ebrahim Ghaffari.

 

[11]           En se fondant sur la décision Zokai c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1103, la demanderesse allègue que l’agente devait lui accorder une entrevue étant donné qu’elle en avait fait la demande et que la décision de l’agente portait sur une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Le défendeur soutient que la décision de l’agente ne portait pas sur une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse et que, par conséquent, l’agente n’était pas tenue d’accorder une entrevue.

 

[12]           Je partage l’opinion du défendeur selon laquelle la décision dans cette affaire ne portait pas sur une conclusion défavorable quant à la crédibilité. L’agente a clairement jugé que la conversion de la demanderesse était sincère, et sa décision était fondée sur la preuve concernant la nature de la pratique de la demanderesse en tant que chrétienne. En conséquence, le manquement prétendu à l’équité procédurale ne soulève pas de question sérieuse.

 

[13]           La deuxième question présentée par la demanderesse est de savoir si l’agente a apprécié correctement la preuve selon laquelle la demanderesse pratiquerait sa religion publiquement. Après l’examen de la preuve documentaire, l’agente a conclu qu’il y avait plusieurs facteurs qui exposaient les Iraniens chrétiens à un risque, dont l’un était d’être un apostat converti de l’islamisme au christianisme qui ne cache pas sa conversion, et un autre de faire du prosélytisme. 

 

[14]           L’agente a examiné la possibilité que la demanderesse fasse activement et publiquement du prosélytisme en Iran, mais elle a conclu qu’il n’y avait aucune preuve selon laquelle la demanderesse ferait des efforts additionnels à cet égard. L’agente a particulièrement souligné le fait que la demanderesse n’avait converti ni son fils ni son frère qui vivent au Canada. L’agente a aussi fait référence au fait que Benjamin Egli, pasteur de l’Église de la demanderesse, n’avait pas indiqué dans son affidavit que celle-ci devait faire la promotion de sa foi. L’agente a soupesé ce constat en fonction de la preuve présentée dans l’affidavit de la demanderesse selon laquelle elle aurait parlé de l’Église à son voisin et que celui-ci aurait commencé à assister aux services de l’Église, ainsi que la preuve provenant de sites Internet de l’Église de l’Alliance chrétienne de Coquitlam et de l’Alliance chrétienne et missionnaire qui indiquent que la congrégation de l’Alliance font de l’évangélisation et du travail de missionnaire une priorité. L’agente a raisonnablement conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à un risque étant donné que celle-ci n’a pas établi qu’elle ferait connaître publiquement sa conversion ou bien qu’elle ferait du prosélytisme.

 

[15]           La demanderesse a aussi soutenu qu’il y a une question sérieuse à juger du fait que l’agente a rendu sa décision sans tenir compte de la preuve contenue dans l’affidavit d’Ebrahim Ghaffari, directeur exécutif de l’Iranian Christians International, qui était jointe comme pièce à l’affidavit de la demanderesse. 

 

[16]           J’en viens à la conclusion que le fait ne pas avoir tenu compte de cet affidavit ne soulève pas une question sérieuse. L’agente a indiqué qu’elle avait examiné toute la preuve déposée par la demanderesse, y compris l’affidavit d’Ebrahim Ghaffari. Il est de droit constant qu’un agent peut choisir d’accorder plus d’importance à une preuve documentaire objective sur la situation dans un pays qu’à la preuve déposée par un demandeur.

 

[17]           De plus, la demanderesse n’a pas réussi à satisfaire au deuxième volet du critère de l’arrêt Toth lequel oblige le demandeur à convaincre la Cour de la probabilité de subir un préjudice si son sursis est refusé (Acharige c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 240 au paragraphe 45). À de nombreuses occasions, la Cour a souligné que le préjudice ne peut être une simple hypothèse (Akyol c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CF 931; Molnar).

 

[18]           La demanderesse allègue qu’une menace à sa vie ou à sa sécurité constitue un préjudice irréparable (Sivakumar c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1996] 2 C.F. 872). À l’appui de l’allégation selon laquelle elle s’exposerait à une menace à sa vie ou à sa sécurité, la demanderesse a présenté une preuve documentaire sur la situation en Iran, y compris l’affidavit d’Ebrahim Ghaffari, qui semble indiquer qu’elle pourrait être arrêtée, détenue, torturée ou tuée si elle était renvoyée dans ce pays.

 

[19]           Le défendeur soutient que la Cour ne devrait accorder aucun poids à l’affidavit de M. Ghaffari du fait qu’il ne constitue pas une déclaration sous serment et qu’il est irrégulier de par son contenu et sa forme. Je partage l’opinion selon laquelle le document ne peut être considéré comme un affidavit étant donné que M. Ghaffari n’a pas juré de la véracité de son contenu. Les irrégularités du document font en sorte que je ne peux y prêter ni lui accorder de poids afin de déterminer s’il y a preuve de préjudice irréparable.

 

[20]           Le reste de la preuve relative au préjudice irréparable consiste en des documents concernant la situation des droits de l’homme en général en Iran lesquels indiquent que celle‑ci est précaire et que les minorités religieuses sont victimes de harcèlement dans ce pays. Ces documents indiquent aussi que les chefs de mouvements évangéliques sont exposés à un risque de persécution. Cependant, ils ne permettent pas de corroborer une conclusion selon laquelle les chrétiens sont exposés, de façon générale, à une menace à leur vie ou à leur sécurité.

 

[21]           La menace à sa vie ou à sa sécurité à laquelle serait exposée la demanderesse est très hypothétique. La preuve documentaire sur la situation du pays ne vient tout simplement pas à l’appui d’une telle conclusion, et la demanderesse n’a pas déposé d’éléments de preuve qui indiquent qu’elle est particulièrement menacée, par exemple, qu’elle aurait probablement un rôle de premier plan dans une congrégation chrétienne à son retour en Iran. La demanderesse n’a pas réussi à établir, selon la balance des probabilités, qu’elle subirait vraisemblablement un préjudice irréparable si le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi n’était pas accordé.

 

[22]           Le troisième volet du critère de l’arrêt Toth est la prépondérance des inconvénients. De façon générale, ce dernier volet est favorable à l’intimé puisqu’il est d’intérêt public d’exécuter les mesures de renvoi. Étant donné que la demanderesse n’a pas réussi à établir qu’il y a une question sérieuse et un risque de subir un préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients penche en faveur du défendeur.

 

[23]           Pour ces motifs, la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi devrait être rejetée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada de la demanderesse est rejetée.

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-892-07

 

INTITULÉ :                                                   ASHRAF EBADI GHAVIDEL c.

                                                                        Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 14 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 17 AVRIL 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lobat Sadrehashemi

 

POUR LA DEMANDERESSE

Liliane Bantourakis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lobat Sadrehashemi

Avocate

678, rue Hastings Est

Vancouver (C.-B.)

V6A 1R1

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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